Denis AVIMADJESSI, Atelier de Journalisme - 2ème année, Professeur Barbara Speziali


On tue des enfants sous vos yeux - Infanticide rituel : le cas du Benin

Reportage



REMERCIEMENTS


Merci aux responsables et aux professeurs de l'Université Européenne d'Ecriture, à Madame Barbara Speziali qui a encadré ce travail, ainsi qu'à toutes les personnalités et les anonymes du Bénin qui y ont contribué d'une manière ou d'une autre.

avimadjessi@yahoo.fr

SOMMAIRE

  1. INTRODUCTION
  2. UN PASSÉ QUI REFUSE DE PASSER
  3. LES CROYANCES QUI TUENT LES ENFANTS
    1. LES CROYANCES LIÉES AUX CONSULTATIONS OCCULTES
    2. LES CROYANCES LIÉES AUX CRITÈRES PRÉÉTABLIS
    3. LES CHERCHEURS D’ORGANES HUMAINS
  4. COMMENT ON TUE LES ENFANTS « SORCIERS »
  5. LA LUTTE CONTRE L’INFANTICIDE RITUEL AU BÉNIN
    1. LA LUTTE AU NIVEAU DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
    2. LA LUTTE AU NIVEAU DE L’ÉTAT
  6. LE SORT DES ENFANTS RESCAPÉS
  7. POINT DES DIFFICULTÉS ET MESURES CONCRÈTES ENVISAGEABLES
  8. TÉMOIGNAGES ET INTERVIEWS
  9. CONCLUSION
  10. SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE


1. INTRODUCTION

Certains prendraient bien cela  pour un roman de fort mauvais goût, et pourtant, c’est la réalité: en ce vingt et unième siècle, on continue de tuer froidement des enfants pour des raisons dont la banalité est encore  plus choquante que l’acte lui-même. Il s’agit de l’infanticide rituel, une pratique qui a une histoire millénaire et qui, malheureusement, a traversé le temps et continue de sévir dans certaines parties du monde.

Mais qui tue donc les enfants? Et pourquoi? Voilà les questions essentielles auxquelles nous tenterons de répondre tout au long de cette enquête, sans évidemment passer sous silence la lutte contre la pratique et les perspectives d’avenir. Un pays d’Afrique, le Bénin, fournira des exemples concrets et récents sur de nombreux aspects du phénomène.



2. UN PASSÉ QUI REFUSE DE PASSER

Tentons d’abord une définition en citant le petit Larousse 2005 qui nous apprend que le mot infanticide vient du latin «infans» qui signifie enfant et «caedere» qui signifie tuer. Infanticide, mot français du genre masculin signifie donc meurtre d’enfant, de nouveau-né. Il est également utilisé comme adjectif. Enfin, celui qui a commis un infanticide est également appelé un infanticide, surtout dans le domaine du droit.

Comme nous l’avons dit plus haut, l’infanticide rituel a une longue histoire. Dans la mythologie grecque par exemple, on se souvient que pour échapper à la prédiction d’Appolon qui prétendait qu’il allait être tué par son fils Œdipe, Laos, Roi de Thèbes, ordonna à un serviteur d’aller abandonner l’enfant sur le mont Citheron avec ses deux pieds cloués.

Mais au lieu de cela, le serviteur le confia à un berger qui le donna à Polybe, roi de Corinthe et à sa femme Mérope, ce couple n’ayant pas d’enfant. Ce sont eux qui donnèrent le nom Œdipe à l’enfant et l’élevèrent comme le leur.

L’histoire a donc retenu que le serviteur de Laos n’a pas cloué les pieds de l’enfant comme son maître le lui a demandé. Si c’était réellement le cas, pourquoi les parents adoptifs ont-ils alors nommé l’enfant Œdipe, venant du grec «oidipos» qui signifie «pieds enflés?

 Le mythe d’Œdipe a été popularisé comme l’histoire d’un fils qui tue son père, alors qu’à l’origine, les faits montrent exactement le contraire. Certes, par la suite, le fils a fini effectivement par tuer son père sans le savoir et reçu sa mère comme un vulgaire butin de guerre et l’a épousée, sans savoir non plus qu’il s’agissait de sa mère.

Retenons tout simplement de cette aventure que le mode de parenté basé sur l’infanticide, tel qu’il prévalait dans la Grèce antique est l’origine inconsciente des événements relatés dans le mythe d’Œdipe.

Mais on pourrait se demander pourquoi aller chercher un exemple dans la mythologie grecque qui n’est après tout qu’une légende. Je dirai à ce sujet qu’une documentation abondante existe sur l’infanticide dans l’histoire de l’homme, du plus primitif jusqu’à l’homo sapiens que nous sommes.  Mais les preuves matérielles n’existent pas toujours pour attester qu’il s’agit d’infanticide rituel. Même quand les preuves existent, les descendants des civilisations concernées nient la véracité des faits relatés par les historiens. Ainsi, il y a eu récemment une polémique sur l’infanticide qui se serait pratiquée massivement à Carthage pendant l’antiquité. Rappelons que Carthage était une ville historique de l’actuelle Tunisie.

Tout cela est faux», réplique l’archéologue tunisien M’hamed Hassine qui dénonce une vaste propagande des Romains et des Grecs pour abattre leurs rivaux.  Et M’hamed Hassine ajoute: «l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Carthage a non seulement perdu la guerre, mais a été rayée de la carte par les Romains qui ont rasé la ville et répandu du sel sur la terre pour que rien ne puisse jamais repousser. Ils ont manipulé l’histoire pour nous dépeindre comme des barbares et justifier ainsi leur propre barbarie».

Comme on le voit, le thème de l’infanticide remonte loin dans le temps et continue aujourd’hui de nourrir fortement la polémique par historiens interposés.

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Extrait d’un mini mémoire de la sociologue DAGBA M. Olga

L’INFANTICIDE DANS L’HISTOIRE

Selon Alexandre MINKOWSHI, l’infanticide est une pratique qu’on retrouve dans toute les sociétés.

Ainsi selon les préceptes eugéniques de Platon et Aristote, dans la société grecque, les enfants débiles ou disgracieux sont immolés peu de temps après la naissance, en présence des concepteurs. C’est donc un infanticide approuvé par la conscience collective. Et cette même pratique existe dans l’Europe antique, chez les Perses et chez les Egyptiens.

Jean-Paul ESCLILIMAN dans Naître sur la terre Africaine, montre que chez les Agni de Côte d’Ivoire, le onzième enfant est éliminé.

Chinua Achebe dans "Le monde s’effondre" décrit l’assassinat du jeune Ikefuma: « Tandis que l’homme qui s’était éclairci la gorge dégainait et levait sa machette, Okonkwo détourna la tête. Il entendit Ikefuma crier: "mon père, ils m’ont tué"  tout en courant vers lui. Hébété par la peur, Okonkwo tira sa machette et frappa. Il craignait de passer pour faible».

Le rejet des jumeaux dans cette même société Ibo est bien illustrée par ces propos : « Demande à ma fille, Akueni, combien de jumeaux elle a mis au monde et jetés… »

"J’ai demandé à mon beau-fils de me laisser le petit. Je l’ai donc pris chez moi." Ces propos sont d’un homme qui a accepté de recueillir chez lui un enfant qu’on s’apprêtait à mettre à mort.

L’enfant est sujet à des mythes et croyances en fonction desquels l’on détermine sa survie. Il est considéré comme un "étranger", un "inconnu" dont l’avenir dans une famille suscite joie et prudence. Il mérite joie parce qu’il est un être humain, source de continuité de la vie et gage de la perpétuation de l’espèce humaine. Il mérite une prudence parce que nul ne peut expliquer ni maîtriser son caractère. C’est ce qui détermine la durée de son séjour parmi les siens et le degré de sa sociabilité.

Chez les Fon du Sud Bénin, les enfants dits Toxosu subissent le sort de l’élimination. C’est un infanticide.

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3. LES CROYANCES QUI TUENT LES ENFANTS

Faisons d’abord une digression volontaire dans le monde animal où l’infanticide existe aussi. En effet, cette pratique est relativement courante de la part des mâles. Dans les espèces polygynes, c’est-à-dire où le mâle se reproduit par plusieurs femelles, il arrive que le nouveau mâle dominant massacre les enfants de son prédécesseur à la tête du groupe. Ces infanticides peuvent être l’occasion de combats entre les mères de ces petits et le mâle bourreau de leurs enfants. Mais le mâle souvent plus fort l’emporte généralement.  Ce comportement s’explique par la théorie de l’évolution : le mâle s’assure par ce biais  que les enfants dont il aura la charge sont bien ses descendants. En effet, l’évolution favorise les individus engendrant le maximum de descendants. Or, les femelles qui élèvent un petit ne sont en général pas réceptives. Pour pouvoir se reproduire pendant qu’il a le statut de mâle dominant, le mâle va donc tuer les petits des femelles du groupe. N’étant plus occupées par l’éducation de leurs jeunes, celles-ci redeviennent fécondables. Elles sont alors fécondées par le mâle dominant.

L’infanticide de la part des femelles existe aussi. D’une part, celles-ci peuvent tuer un jeune malformé ou malade afin de ne pas mettre en danger la vie des autres jeunes de la portée. D’autre part, lors des combats entre groupes rivaux, les femelles et les mâles n’hésitent pas à tuer les petits de leurs adversaires.

Seulement, il ne s’agit pas là d’infanticide rituel. Après le petit tour d’horizon dans l’histoire, cet aperçu permet de présenter la situation dans le monde animal pour mieux expliquer, comprendre ou simplement comparer cette pratique à ce qui se fait dans le monde des humains, car il n’est plus un secret que l’homme et les animaux partagent certains instincts très complexes.

Et  à propos de comparaison, nous pouvons déjà dire que les animaux tuent les enfants de leurs adversaires pour s’assurer de la pérennité de leur descendance. Ils tuent leurs propres enfants dans des situations extrêmes où il faut survivre à tout prix ou préserver la santé des membres non malades de la famille et du groupe.

Quant aux humains, ils tuent les enfants pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, mais en plus, ils tuent pour des croyances dont nous aurons largement le temps de parler. D’ores et déjà, on peut distinguer trois sortes de croyances ou causes qui conduisent les enfants à la mort :

  • les croyances liées aux consultations ponctuelles d’oracles ou de divinités;
  • les croyances relatives à certains critères préétablis dont l’observance sur un enfant le conduit presque irrémédiablement à l’exécution;
  • les chercheurs d’organes humains.


3.a CROYANCES LIÉES AUX CONSULTATIONS OCCULTES

Nous avons vu dans la mythologie grecque que l’enfant, à sa naissance, n’est pas forcément destiné à l’exécution ou à quelque sacrifice que ce soit. C’est souvent après consultation d’une divinité que des noms d’enfants à tuer sont connus, soit pour exorciser un sort, apaiser la colère d’un dieu, combattre ou prévenir une calamité, etc…

Ce genre de croyances n’est pas l’apanage du seul peuple grec, mais aussi de nombreux peuples du monde. Dans la plupart des illustrations, les exemples seront puisés de la situation au Bénin, mais pas seulement.

Ainsi, le premier exemple nous vient de Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest. Au cours de l’année 1953 dans ce pays, dans un village appelé Dimbokro, une fillette d’à peine quinze ans contacta une grossesse hors mariage. Dans cette société fortement traditionaliste de l’époque, ce genre de situation était un scandale inacceptable. Les parents de la fillette la marièrent donc hâtivement à un monsieur d’un certain âge.

Au terme de la grossesse, la petite maman donna naissance à un bébé du sexe masculin. Mais son mari alla trouver un charlatan qui lui déclara que le nouveau-né était un enfant sorcier et qu’il fallait aller l’abandonner sur un dépotoir loin de la maison. La jeune maman naïve et impuissante devant son puissant mari alla donc déposer le bébé sur le dépotoir comme demandé. A son retour, elle rencontra sa propre mère qui lui demanda où était son bébé. Toute tremblante de peur, elle avoua son acte. La mère en colère l’obligea à retourner avec elle sur les lieux du forfait. Là-bas elle récupéra son petit-fils qui était heureusement encore vivant. Ce bébé est aujourd’hui une personnalité que vous connaissez tous. Je vous en parlerai plus loin.

Mais déjà, cette histoire vraie confirme ce que nous avions dit plus haut, à savoir que certains enfants nés tout à fait normalement sans aucune menace planant sur leur tête voient un jour leur sort basculer brusquement du mauvais côté, parce qu’un charlatan, une divinité ou un oracle aurait parlé.

(Voir l’enfant grandir et le tuer un jour ?)



3.b LES CROYANCES RELATIVES AUX CRITÈRES PRÉÉTABLIS

Dans certaines cultures, des critères connus permettent de déterminer les enfants sorciers à leur naissance, ou qui le deviennent à un moment donné de leur enfance.

Ainsi par exemple en Afrique de l’ouest, précisément dans certaines régions du Nigéria, le fait de mettre au monde des jumeaux, tous du sexe masculin, est une malédiction. Ces enfants doivent être éliminés. Les jumeaux sont aussi menacés pour la même raison dans certaines régions de Madagascar.

Dans le sud du Bénin, certains critères existent aussi, mais ils ne sont pas irrémédiables. Ainsi en 1992, j’étais moi-même responsable de l’administration territoriale quelque part dans le sud du Bénin. Un jour, j’ai reçu le renseignement suivant qu’à la maternité, un enfant venait de naître avec une dent. De ce fait, l’enfant est déclaré « sorcier » et des féticheurs tournent autour de lui pour réclamer son exécution.

A cette nouvelle, j’étais très choqué, bien sûr parce qu’on tentait de tuer un enfant, mais surtout parce que l’endroit dont on parlait, c’était chez moi, dans mon village. Citadin que j’étais, je ne savais pas que dans mon village de telles idées pouvaient même simplement naître dans la tête de mes compatriotes. Je me disais toujours que ce genre de choses n’arrivait qu’aux autres.

Alors, ma réaction en tant qu’autorité fut de signaler à la brigade de gendarmerie, la menace qui pesait sur le nouveau-né. J’ai donc donné des instructions pour que les parents de l’enfant soient mis en garde contre le moindre malheur qui arriverait au bébé. Le lendemain, j’ai reçu de la brigade de gendarmerie le compte rendu qui m’indiquait qu’une cérémonie aurait été commanditée par les parents pour conjurer le mauvais sort de l’enfant et qu’ainsi, il n’était plus un enfant « sorcier ». Je n’en demandais pas mieux.

Mais plus de quinze ans après ces évènements, je commence maintenant à nourrir quelque sentiment de culpabilité. En effet, en écrivant ces lignes, j’ai beaucoup réfléchi et je me suis demandé si l’argument de cérémonie faite pour conjurer le sort ne visait pas à détourner l’attention de l’administration afin d’aller faire ultérieurement de l’enfant ce que l’on voulait. Si c’était cela leur plan, je dois reconnaître qu’ils l’ont réussi, car je crois avoir trop vite fait confiance et je n’ai pas bien suivi ce dossier jusqu’au bout. Je le regrette aujourd’hui. J’espère tout simplement que cet enfant a été réellement sauvé de l’infanticide rituel comme je le voulais.

Il est néanmoins notoire que la région dont j’ai parlé n’a pas une réputation de région où on tue beaucoup d’enfants « sorciers ». Les régions où cela se fait sont bien connues et ne cachent d’ailleurs pas ces pratiques ancestrales qui perdurent. C’est le cas de certaines localités du nord du Bénin ou des critères précis permettent de déterminer des enfants « sorciers.»

Soulignons que les critères ne sont pas exactement les mêmes dans toutes les régions concernées et qu’elles peuvent être légèrement nuancées d’un endroit à un autre.

Ces critères sont si nombreux qu’au lieu de les citer, il est plutôt plus simple de commencer par dire les rares critères qui déterminent un enfant « normal », c’est-à-dire, non « sorcier ». Ainsi, pour être un enfant « normal », un bébé doit naître d’une grossesse de neuf mois, pas avant, ni après. Il doit naître en sortant la tête la première, et le visage tourné vers le ciel. Tout enfant qui ne naît pas de cette façon est un enfant « sorcier ». Donc, un enfant qui naît par exemple après une grossesse de huit mois ou dix est « sorcier ». Un enfant qui naît  en sortant en premier n’importe quel organe autre que la tête est déclaré  « sorcier ». Même quand il sort la tête et que son visage est tourné vers la gauche, la droite ou vers le sol il est enfant « sorcier ». Un enfant qui n’a pas poussé le premier cri à sa naissance est « sorcier », de même que celui dont la mère meurt en couche. Est également « sorcier », un enfant né avec une ou plusieurs dents.

Lorsqu’un bébé a traversé miraculeusement toutes ces étapes et n’est donc pas déclaré enfant « sorcier », il n’est pourtant pas encore au bout du tunnel. En effet, il ne doit pas pousser ses premières dents avant l’âge de huit mois. Ses premières dents ne doivent pas non plus apparaître sur la mâchoire supérieure. Sinon, il également enfant « sorcier ». Un enfant qui marche précocement à sept ou huit mois est un enfant « sorcier ». Un enfant souffrant d’une malformation ou d’un retard mental est également enfant « sorcier ».

Avec autant de critères, il est évident que de nombreux enfants sont déclarés « sorciers » à tout moment et sont de ce fait condamnés à mort. Dans un mini-mémoire présenté au cours de l’année universitaire 2001-2002, au Bénin, la sociologue Dagba M. Olga révèle le sens profond des différentes naissances « anormales » de l’enfant qui est ainsi déclaré enfant « sorcier ». Voici un extrait de ce document :

« Sortir les pieds en avant : c’est signe que cet enfant dépasse tout le monde. Il n’est pas un humain, donc passible de « réparation. »

Sortir par le siège : C’est signe de malheur. Cet enfant constitue une menace pour sa famille et pour tout l’entourage social, car ainsi né, cet être est capable de marcher sur tout le monde, fouler au pied les règles établies et piller les humains.

Sortir à plat ventre  : C’est un mauvais présage pour l’entourage. C’est la plus dangereuse des positions redoutées. Cet être semble vouloir fermer le bonheur et l’espoir de la maison d’une part. Sa face étant contre le sol mouillé de sang d’accouchement, il sera un buveur de sang humain d’autre part etc… »

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LA VÉRITÉ SCIENTIFIQUE SUR LES MALFORMATIONS DU FOETUS HUMAIN.

Professeur Béatrice AGUESSY née AHYI

Par Madame Béatrice AGUESSY née AHYI, Professeur agrégée de gynéco-obstétrique. (Extrait d’un article du journal La Nation publié le mardi 16 mars 2004)

« Au cours du développement de l’œuf humain, on distingue deux périodes correspondant à deux appellations différentes :
La première période va du premier jour de la fécondation jusqu’à trois mois ; on l’appelle période embryonnaire. Le produit de conception s’appelle alors embryon.
La deuxième période va de la fin du troisième mois jusqu’ à l’accouchement ; c’est la période fœtale. Le produit de conception s’appelle fœtus.
Les malformations interviennent dans la majorité des cas au cours de la période embryonnaire. A cette période, tous les organes se mettent en place et les malformations sont très apparentes.  Au cours de la période fœtale, les malformations intéressent seulement le système nerveux et les organes génitaux.

LES CAUSES DES MALFORMATIONS

On distingue trois causes essentielles :

1/ Les causes génétiques héréditaires :

Il s’agit de malformations familiales qui peuvent être transmises par les gènes pathologiques de la femme ou de l’homme. C’est le cas des becs de lièvre, des fissures palatines, des anomalies oculaires et des doigts surnuméraires (tels la polydactylie) et des pieds bots, etc… Il s’agit aussi du mongolisme familial.

2/ Les causes gamétiques et non héréditaires :

Les facteurs familiaux tels que :

- l’âge avancé de la mère (supérieur à quarante ans) qui peuvent entraîner un mongolisme fœtal.
- le mariage entre cousins germains peut être à l’origine des malformations.
- de même, les produits de conception provenant d’un inceste, c’est-à-dire entre père et fille ou frère et sœur peuvent présenter des malformations.

LES CAUSES EXTÉRIEURES AU PRODUIT DE CONCEPTION

Dans ces causes, on distingue :

- Les causes infectieuses

Les causes virales : C’est surtout le virus rubéole qui engendre des malformations. Le virus, lorsqu’il atteint la mère au début de la grossesse, entraîne des malformations : oculaires (la cataracte le plus souvent bilatérale), la micro-ophtalmie, la surdité et les malformations cardiaques.
A ces malformations peuvent s’associer la microcéphalie, l’arriération mentale, les malformations dentaires et les troubles du développement général.

- Les causes parasitaires

La toxoplasmose est l’une des rares maladies parasitaires pouvant engendrer des malformations. Cette maladie est due à un protozoaire appelé toxoplasma. Son passage transplacentaire s’effectue au cours du sixième mois de la grossesse et entraîne des malformations mineures telles que des lésions inflammatoires du système nerveux.

Lorsque que la mère fait une toxoplasmose aiguë au cours du premier trimestre de la grossesse, il y a alors une embryopathie se caractérisant essentiellement par :

- une microcéphalie
une hydrocéphalie

- Les causes médicamenteuses

Actuellement, les médicaments sont bien testés avant leur utilisation chez les femmes enceintes, de telle sorte qu’on n’a plus de nos jours des malformations fœtales dues aux médicaments absorbés par les mères au cours des grossesses. Nous citerons pour mémoire la Thalidomide qui a provoqué d’énormes malformations fœtales en 1962.

Le plus souvent, c’est une phocomélie qu’a provoquée ce médicament. Cette malformation donne à l’embryon, l’aspect d’un phoque et est caractérisée par l’implantation directe des segments distaux (mains et pieds) respectivement sur les épaules et les hanches avec absence totale des bras et des cuisses.

Les antimitotiques, c’est-à-dire les médicaments anticancéreux peuvent provoquer de nos jours des malformations. Heureusement, ces médicaments s’utilisent rarement au cours de la grossesse.

- Les causes physiques

- Les rayons X au cours des radiographies chez la femme enceinte.
- Le radium au cours des radiothérapies pour cancer chez la femme enceinte.
Les enfants issus des grossesses irradiées présentent une microcéphalie et un retard de croissance.

- Les traumatismes physiques ou chimiques

Après une tentative d’avortement provoqué, la grossesse qui se poursuit malgré les agressions mécaniques (curetage) ou médicamenteuses, ou autres, peut aboutir à l’accouchement d’enfants malformés. (…) »

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3.c LES CHERCHEURS D’ORGANES HUMAINS

En parlant d’infanticide rituel, on ne parle pas souvent des enfants exécutés par les chercheurs d’organes humains qui seront utilisés pour des rites secrets. Pourtant, l’activité de ces criminels est la cause de nombreuses disparitions d’enfants dans nos villes et dans nos campagnes. Des enfants sont tués, leurs organes sont prélevés et utilisés à des fins d’occultisme. Il existe aussi une croyance largement répandue, selon laquelle un enfant peut être utilisé vivant (ou son âme) comme ingrédient dans une cérémonie qui donne la fortune au bénéficiaire. Mais après, l’enfant meurt.

Nous avons vu plus haut que des organes sont prélevés sur les corps des enfants à des fins occultes. Un exemple concret et récent nous est donné dans un article publié par le quotidien béninois « Le Matinal », le 12 mars 2007, et signé du journaliste Casimir Atchokossi. En voici un extrait :

Infanticide dans les Collines : un enfant de trois ans assassiné à Dassa

Joanita âgée de trois ans a été assassinée par des inconnus le 7 mars 2007 à Lèma dans la commune de  Dassa. Recherchée pendant des heures au moment où sa mère, P.G., infirmière au centre de santé de Lèma s’est rendue dans son service pour sauver la vie à une patiente, cette fille a été retrouvée inanimée, mais sans sa tête… »

Certes, au sujet de ce corps d’enfant retrouvé sans tête, la suite de l’article ne dit pas qu’il s’agit là d’un infanticide rituel, mais ceux qui connaissent les réalités africaines savent que cette affaire est signée des criminels qui utilisent les organes humains pour leurs rituels occultes.

Les populations de la localité sont choquées. Les forces de l’ordre sont à pied d’œuvre pour démasquer les coupables de ce crime. Ce cas n’est malheureusement pas isolé.
Notons bien qu’ici, les enfants tués de cette façon ne sont pas des enfants « sorciers », mais plutôt n’importe quel enfant qui a la malchance de tomber dans les griffes de ces criminels. Les mendiantes et les malades mentales qui n’ont pas de domicile constituent des proies relativement faciles pour ces criminels. Les enfants de ces personnes sont volés comme de vulgaires objets, parfois dès la naissance, cordon ombilical et placenta compris.

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LA PEUR, LA JALOUSIE ET L’INTÉRÊT.

(Une analyse de Monsieur SEKO OROU G. Alphonse, extraite d’une communication donnée le 24 novembre 2004 à Cotonou, dans le cadre du Festival Lagunimages).

1/ La peur

La mère a peur de son enfant. Elle pense qu’il va le tuer. Mais il y a aussi la peur de l’entourage. Parce que certains seraient prêts à garder leur enfant, mais ils craignent les représailles des autres membres de la famille. Ceux-ci seraient prêts à accuser l’enfant chaque fois qu’il y aurait une mort brutale ou une maladie grave d’un membre de la famille (morsure de serpent par exemple).

2/ La jalousie

Il existe bien des cas où des gens accusent un enfant de sorcellerie tout simplement parce qu’ils sont jaloux du père ou de la mère de cet enfant. Ils s’arrangent même parfois pour faire pousser les premières dents de l’enfant par la mâchoire supérieure pour manifester leur haine contre les parents.

3/ L’intérêt

Je parle d’intérêt parce que le bourreau ne fait pas gratuitement son travail de « réparation ». A chaque fois, on lui donne de l’argent et des vêtements. On comprend alors que ce celui-ci ne veuille pas que cette pratique cesse, car il y trouve une source de revenus.

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4. COMMENT ON TUE LES ENFANTS « SORCIERS ».

Dès qu’un enfant est déclaré sorcier, le chef de la collectivité va chercher le bourreau. Ce dernier emporte le bébé qu’on ne reverra plus jamais. A ce sujet, lisons ici une déclaration  du prêtre catholique Jean Agonkoin GBASSI, extraite d’un exposé qu’il a donné en septembre 2002 à St Sauvan, dans le département du Var en France :

« Là-bas le corps du petit être inoffensif est fracassé contre un arbre et enterré. C’est après cet acte que le bourreau revient en libérateur pour recevoir sa récompense.

Il existe d’autres moyens pour éliminer l’enfant innocent. Le bourreau peut par exemple égorger l’enfant. Je connais un ancien bourreau converti qui m’a montré son couteau de sale besogne. »

Il arrive aussi que le tueur noie l’enfant d’une manière ou d’une autre, l’empoisonne ou l’abandonne vivant loin dans la forêt à la merci des intempéries et des bêtes sauvages.

Dans cette partie de l’enquête, nous avons souvent parlé de « bourreau » en désignant celui qui est chargé d’exécuter l’enfant sorcier. Et pourtant, de retour au village, l’intéressé est accueilli en libérateur. Comment un bourreau peut-il être accueilli en libérateur ? C’est ce que j’ai essayé de comprendre. En effet, le terme bourreau n’est utilisé que par nous qui ne comprenons et n’acceptons pas ces meurtres d’enfants. Pour les traditionalistes qui commanditent ces exécutions, le mot bourreau n’a pas sa raison d’être car en fait, celui qui joue ce rôle est plutôt un « réparateur ». Il répare une anomalie de la nature qui pourrait entraîner de graves conséquences pour la famille du nouveau-né et pour  toute la communauté. Par rapport à cela, et à leur entendement, celui que nous appelons bourreau est plutôt un bienfaiteur, un libérateur, comme celui qui a le courage de tuer un monstre ou un diable  menaçant tout le monde. Et ce libérateur est bien récompensé pour son œuvre. En effet, il reçoit un taureau lorsque l’enfant qu’il a exécuté est du sexe masculin, et une génisse lorsque l’enfant est du sexe féminin. Dans d’autres régions, on lui donne plutôt de l’argent, des vêtements ou d’autres cadeaux.

Voilà comment un bourreau passe pour un sauveur, tandis qu’un bébé inoffensif devient un monstre dangereux, voire un diable ayant pris une forme humaine. Et ce sont encore ses parents qui sont contraints d’offrir la récompense  du meurtrier.

Mais il est important de souligner que les populations qui se livrent à cette pratique ne doivent pas être jugées et condamnées sans retenue, cela pour la raison suivante : ce ne sont pas ces populations qui ont inventé cette culture mortelle. C’est une culture ancestrale dont elles ont hérité. A la limite, on pourrait dire qu’elles en sont finalement les victimes. En effet, les traditionalistes qui font perpétuer ce genre de pratiques sont minoritaires, mais si puissants dans leur milieu qu’il n’y a pratiquement aucune possibilité de leur tenir tête sans subir de graves conséquences, à moins qu’on ne décide d’aller s’installer le plus loin possible du village et de lui tourner définitivement le dos.

A sa naissance, il est abandonné par terre dans le sang.

Le bourreau vient le chercher…

…et va le fracasser contre un arbre

5. LA LUTTE CONTRE L’INFANTICIDE RITUEL AU BÉNIN


5.a LA LUTTE AU NIVEAU DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Comme nous l’avons vu plus haut, l’infanticide rituel au Bénin n’est pas une pratique populaire acceptée de tous. Il ne se pratique pas dans la plupart des régions. Et même dans les régions où il sévit, tout le monde ne l’accepte pas. Bien au contraire, les réactions individuelles contre la pratique sont monnaie courante.  Pour preuve, c’est une révolte de certains membres de l’ethnie baatonu qui a conduit à la création en 1983 de l’ONG Espoir Lutte Contre l’Infanticide au Bénin (ELIB). Voici d’ailleurs l’expérience personnelle du Prêtre catholique Pierre Bio-Sanou, père fondateur de cette organisation :

Le Père BIO-SANOU

« J’ai commencé cette lutte dans ma propre famille. En septembre 1968, des bourreaux s’étaient emparés d’un bébé né par présentation du siège. Trop tard, je n’ai pu rien faire. J’ai été traumatisé. Je pensais que c’était là la survivance d’une coutume en voie d’extinction rapide. Extinction rapide ? Elle est toujours vivace, la coutume.  Pour moi, le serment est fait. Je ne serai plus témoin de cela.

Cinq ans plus tard, c’est le tour de ma nièce Belu. Elle fut sauvée bien sûr, mais à quel prix ? C’était pour la première fois que j’aurais déchargé mon fusil contre un être humain, en l’occurrence, l’oncle maternel de la petite.

Peu de temps après, même situation, la même réaction. J’ai changé de tactique, tout m’était défavorable ; désormais souplesse, ténacité, persuasion, dialogue, etc, sont de mise. J’étais plus que jamais décidé à sauver les enfants « sorciers ». J’ai compris que le peuple bariba était victime de ses coutumes. Il était plutôt à plaindre qu’à condamner. Seul, je ne peux rien. Alors, j’ai porté la lutte dans l’église. Je n’admettrai plus personne au baptême s’il ne défend pas publiquement l’enfant « sorcier ». J’ai lié amitié avec le bourreau de ma région puis je lui ai demandé de ne plus exercer sa fonction mais chaque fois qu’on lui amène des enfants à exécuter, qu’il m’avertisse. Pierre Sangamon fut notre agent de liaison. Plusieurs enfants furent ainsi sauvés. »

L’ONG du Père Bio-Sanou s’occupe de plusieurs dizaines d’enfants abandonnés ou menacés. Grâce à elle, plusieurs autres enfants dans cette situation ont eu la chance d’être adoptés. Le père Pierre Bio-Sanou a aujourd’hui soixante huit ans, mais son âge n’émousse en rien sa combativité dans la lutte contre l’infanticide rituel. Il montre fièrement les photos d’enfants qu’il a sauvés de la mort certaine. Il ne se vante pas, mais espère plutôt que son action fera effet boule de neige. Il déplore la complicité de certaines autorités locales qui ne punissent pas les coupables. L’ELIB travaille en collaboration avec l’association  française Espoir Sans  frontières. C’est d’ailleurs grâce à cette association qu’une maternité a été construite en 1994 au village de Sekogourou pour permettre aux femmes d’y accoucher en vue d’échapper aux regards malveillants qui signalent des bébés « mal nés ». Grâce à cette maternité, de nombreux enfants sont sauvés.

En dehors de l’ONG ELIB, il y a d’autres organisations de la société civile béninoise qui combattent quotidiennement contre l’infanticide rituel. Il y a l’Eglise, les humanistes et quelques intellectuels qui mettent leur notoriété au service de cette lutte. (Voir les témoignages et interviews au chapitre VII). La presse aussi se retrouve dans ce combat, car les articles sont une contribution remarquable pour sensibiliser l’opinion publique sur cette grave situation.

A ce propos, voici un extrait d’article publié le mardi 16 mars 2004 par le journaliste Edgard COUAO-ZOTTI dans le journal La Nation (Bénin) :

« A ces diverses formes d’infanticide de plus en plus fréquentes, les pouvoirs publics, ainsi que la société civile ne sont pas demeurés insensibles. Ils ont déclaré une lutte, ayant compris qu’un enfant qu’on sacrifie est un adulte de demain, un futur bras valide dont on prive la nation. En attendant qu’une loi réprimant l’infanticide soit votée, c’est par la sensibilisation que ce fléau est combattu. Les populations sensibilisées sont invitées à dénoncer la pratique et à informer le plus rapidement que possible les services sociaux afin qu’ils puissent récupérer l’enfant. Dans les villages dits endémiques, il est constitué des comités de surveillance qui se chargent d’aviser les services sociaux. Dans ces villages, de moins en moins les accoucheuses admettent les parents de l’accouchée dans les salles d’accouchement. Aussi ont-elles le devoir de taire la position dans laquelle l’enfant est né et ses malformations non perceptibles. Les accoucheuses tiennent informés les services sociaux pour les dispositions à prendre afin d’éviter à l’enfant d’être « arrangé ».

L’enfant récupéré est pris en charge par les ONG qui, hélas, n’ont pas encore de grands moyens.

A Natitingou, à quelques mètres d’altitude, une maisonnette : c’est l’orphelinat « Maison d’accueil de la paix ». Une sexagénaire du nom de Fébé Kouagou dans le dénuement, entretient comme elle le peut, une trentaine d’enfants abandonnés ou arrachés des griffes de l’infanticide rituel…

A Parakou, c’est le couple Justine et Justin ZOSSOUNGBO qui, par le truchement du Centre d’accueil et de sauvegarde de l’enfance (CASE) qu’ils ont créé, s’investit activement dans la lutte contre l’infanticide…

Comme l’excision, l’infanticide rituel est une coutume.  Malheureusement, elle ôte la vie à des innocents. Raison pour laquelle elle doit être punie ».

(Enfants « sorciers » récupérés par l’ONG CASE )

5.b LA LUTTE AU NIVEAU DE L’ÉTAT BÉNINOIS

Les lois nationales et les conventions internationales signées et ratifiées par la République du Bénin garantissent les droits fondamentaux de l’enfant. Dans une communication qu’il a présentée en août 2006 sur le thème des droits de l’enfant face à la tradition africaine, le magistrat béninois Michel Romaric Azalou écrit ce qui suit : « En raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, l’enfant a besoin d’une protection spéciale  et des soins spéciaux, le tout contenu dans les conventions internationales et régionales dont les plus importantes retenues ici sont  la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) adoptée par les Nations unies le 20 novembre 1989, ratifiée par le bénin en août 1990 et la Charte africaine du droit et du bien-être de l’enfant (CADBE) adoptée en juillet 1990 par les Chefs d’États africains. Ces conventions ont édicté au profit de l’enfant, un ensemble de droits dont la promotion et le respect sont indispensables à son bien-être et à un monde pacifique. »

Le magistrat constate qu’en dehors de rares points sur lesquels la tradition africaine est en convergence avec les droits de l’enfant, les divergences sont nombreuses et ont justifié les grandes innovations opérées par la loi numéro 2002-07 du 24 août 2004, portant code des personnes et de la famille.

Tous les textes nationaux et internationaux engageant le Bénin reconnaissent donc le droit à la vie pour tout enfant, ce que leur dénient les pratiquants de l’infanticide rituel.

Alors, face à ce défi ainsi lancé à l’État par cette pratique clairement illégale, la répression s’est-elle mise en place ? La réponse est non. Il semble que la répression traîne les pas pour la principale raison que l’infanticide rituel est une activité devenue clandestine et surtout sans plaignants, étant dit que les parents sont souvent complices, ne serait-ce que par leur silence, du meurtre de leurs enfants.

Mais la loi permet l’auto saisine par les juridictions de ce genre de dossier en vue des poursuites à engager contre les coupables. Mais cela ne se fait pas, et le crime continue. Loin d’accuser ainsi les juges, disons plutôt que ce n’est pas sûr qu’ils soient au courant de tout ce qui se passe dans les hameaux lointains de leurs juridictions.

Saluons toutefois le soutien institutionnel de l’État à la construction de la maternité de Sékogourou. Ce ne sont pas les tentatives de fermer ce centre qui ont manqué. Non seulement l’État a tenu bon, mais en plus, il a offert une moto à la maternité et pris en charge depuis 2004, les salaires de la sage-femme et de l’infirmier, en vue de pour soulager l’ONG initiatrice de ce projet.

Pour avoir une idée de ce que représentent les maternités dans les régions dont nous parlons, lisons ici ce que dit une partisane de l’infanticide rituel : « Vous voyez, maintenant que les femmes vont accoucher dans les maternités, nous ne distinguons plus ceux qui sont sorciers de ceux qui ne le sont pas.  C’est pour cela qu’il y a des malheurs. » Une autre dame ajoute que si elle savait qui étaient ces enfants sorciers, elle les tuerait tous. Et quand on lui demande si c’étaient ses propres enfants, elle répond qu’elle parle aussi de ses propres enfants, car elle préfère ne pas avoir d’enfant que vivre avec des enfants sorciers.

Enfin, saluons l’aide financière et/ou matérielle apportée parfois par l’Etat (Ministère de la Famille) aux ONG et autres structures en lutte contre l’infanticide et ses conséquences. Ces aides devraient néanmoins être institutionnalisées et régulières en attendant l’éradication de la pratique. La Brigade de protection des mineurs de la Police nationale et toutes les forces de sécurité et de défenses interviennent aussi dans cette lutte.

Mais plus que tout, c’est l’application des textes réprimant l’homicide contre les enfants que réclame la société civile béninoise dans son ensemble. L’abbé Bio-Sanou lui-même ne cesse de le répéter à chaque occasion en espérant qu’il sera écouté un jour.

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AVIS DE SPECIALISTE DU DROIT

(Extrait d’une communication présentée à Ouidah (Bénin) en août 2006 par Monsieur Fortuné DAKO, Magistrat).

« Le Bénin, à l’instar de la France, est un pays qui a opté pour la conception moniste en ce qui concerne la valeur des traités par rapport aux lois nationales.

En vertu de la conception moniste, les traités ont une valeur supérieure à la loi nationale. L’option est déterminée par la constitution béninoise du           11 décembre 1990 dont l’article 147 prévoit que les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.

Ainsi, au Bénin, du fait de sa ratification, la Convention relative aux droits de l’enfant a une valeur supérieure aux lois adoptées par le législateur et lorsque le juge est confronté à des dispositions contraignantes de cette convention, il est tenu de les faire prévaloir sur la loi nationale, même contraire, ou de les appliquer en l’absence de loi.

Toutefois, en l’absence d’une loi interne de relais, le juge n’est tenu d’appliquer une disposition que si elle est d’application directe. A titre d’exemple, en l’absence d’une loi nationale qui fixe l’âge de la majorité, l’article premier de la Convention qui définit l’enfant comme tout être humain âgé de moins de 18 ans s’impose au juge ».


6. LE SORT DES ENFANTS RESCAPÉS

Les enfants « sorciers » rescapés sont ceux qui n’ont pas été exécutés pour une raison ou pour une autre. En effet, certains parents, au lieu de remettre leur enfant au bourreau qu’ils auront encore à payer, préfèrent déposer le bébé dans une forêt, sans plus se préoccuper de son sort. Parfois, ces enfants sont sauvés par des passants qui n’ont pas l’infanticide dans leurs pratiques coutumières.

D’autres parents donnent gratuitement ou échangent l’enfant contre des bœufs offerts par les éleveurs peul qui prennent l’enfant et s’en occupent.

Enfin, il y a l’adoption de ces enfants arrachés à la mort d’une manière ou d’une autre. Ils ne retournent plus auprès de leurs parents biologiques, car le danger qui plane au dessus de leur tête est permanent, même quand ils ont déjà atteint l’âge adulte.

Voici par exemple ce qu’en dit une victime, une dame de trente cinq ans : «J’ai fait ma dentition par le haut, et quelqu’un de la famille m’a gardée jusqu’à l’âge de trente cinq ans sans aucun problème. Voilà que celui-là meurt brutalement et quelques jours après, un autre meurt. Alors on m’a accusée d’être sorcière qui tue les gens. Mon exécution a été décidée un soir. Je dois la vie aux chrétiens, à la gendarmerie et à l’administration.» (Lire l’interview en entier au chapitre 8)

Quant au Père Bio-Sanou, qui a plusieurs fois tenté de remettre les enfants « sorciers » en contact avec leurs parents biologiques, il s’est finalement rendu compte que la démarche était très difficile et dangereuse aussi bien pour les enfants que pour lui-même. Quelqu’un a menacé de le tuer par flèche et de se suicider ensuite, s’il continuait à vouloir lui ramener un enfant « sorcier » qu’il a rejeté.

Mais on ne peut pas parler des enfants rescapés sans citer l’exemple pathétique de Carole que raconte ici le Père Bio-Sanou : « Il y a une fillette de six mois que j’avais été obligé de faire adopter en France. A l’âge de quinze ans, elle avait désiré vivement connaître ses parents biologiques. Ainsi, en 1998, elle débarque à Cotonou (Bénin) avec son petit frère noir, également adopté. Leur maman adoptive, par prudence, les accompagnait. Le 13 août, vers 17 heures, nous voici arrivés dans le village natal de la petite. Comme s’il nous attendait, son papa était à la porte de sa maison. « Alors, Soulé, lui ai-je dit, quand tu m’avais abandonné ta fille, tu me disais que tu ne voulais recevoir ni lettre, ni photo d’elle. Je t’avais alors répondu que je te la ramènerais un jour. Eh bien, voici arrivé ce jour ». Le pauvre Soulé avait-il été surpris, ou avait-il peur ? Je n’en sais rien. Mais il était comme cloué sur place. Alors, je lui dis : « rentrons chez toi.»

Dans la cour et à quelques mètres de l’endroit où quinze ans auparavant, j’étais venu couper le cordon ombilical de Carole (c’est le prénom de la fille), se tenait sa mère, Windé. « Alors Windé, parmi ces deux enfants, lequel est le tien ? » lui demandai-je. Elle me désigna le petit garçon. Je lui dis : « non, c’est cette grande fille ». Je dis à la fille : « Voici tes parents ». Ceux-ci ne nous avaient même pas offert de l’eau à boire, encore moins, des sièges pour nous asseoir. Nous étions là, debout dans la cour. La pauvre petite parisienne a tendu la main à son papa. Impassible, celui-ci n’a pas tendu la sienne, et il tourna son regard ailleurs.

La femme blanche, maman adoptive, indignée, toute en colère, cria d’une voix très forte : « N’est-ce pas ta fille qui te salue ? » Moi-même, j’ai eu peur, tellement la maman adoptive était devenue toute rouge comme une tomate. Allait-elle tomber dans les pommes ? Carole sortit de la maison en pleurant fort et en versant d’abondantes larmes.

De retour en Europe, Carole m’a écrit. Voici ce qu’elle disait : « Je voudrais que mes parents soient fiers de moi. Qu’ils regrettent ce qu’ils ont fait. Je reviendrai». En 2004, cette fille était en deuxième année d’une école de beaux arts en France. »

Disons ici que certains enfants « sorciers » sont aujourd’hui des adultes qui ont réussi dans leur vie, que ce soit dans le privé ou dans l’administration publique. A cet âge, certains ne connaissent pas leur passé d’enfant « sorcier » et croient qu’ils vivent avec leurs parents biologiques. Le secret est donc souvent bien gardé. Mais jusqu’à quand ? Est-il d’ailleurs bon de garder un tel secret ? Il est difficile de répondre à ces deux questions.

Quant aux enfants qui connaissent leur passé d’enfant « sorcier », ils sont marqués à vie, et la douleur qu’ils portent dans leur âme est incurable.

Mais les enfants « sorciers » ne sont pas les seules victimes de leur situation. En effet, leurs parents proches partagent souvent leur traumatisme avec eux. Ainsi, certaines mères dont un ou plusieurs enfants ont été tués deviennent stériles et cela s’explique peut-être par une réaction de l’organisme du fait du découragement et de la peur de recommencer la même mésaventure.

Certains enfants dont les frères ou sœurs ont été tués sont également marqués à vie. Soulignons que des enfants ont été tués à un âge très avancé.  Même des adultes sont tués comme nous le verrons dans les témoignages au chapitre VII.


7. POINT DES DIFFICULTÉS ET MESURES CONCRÈTES ENVISAGEABLES

Nous avons vu dans un précédent chapitre que l’enfant « sorcier » peut être « mal né » ou déclaré « sorcier » longtemps après sa naissance, au vu de critères précis, ou suite à une consultation d’oracle ou de divinité.

Le moyen existe aujourd’hui d’empêcher les traditionalistes de déclarer l’enfant « mal né ». En effet, il suffit de les empêcher d’être sur le lieu de naissance de l’enfant. Ainsi, ils ne verront pas comment il est né, et ne pourront donc plus dire s’il est bien né ou « mal né ». C’est dans cet esprit qu’a été construite la maternité de Sékogourou ainsi que d’autres maternités qui permettent aujourd’hui de sauver beaucoup de vies.

Malheureusement, il n’y a pas de maternité partout où sévit l’infanticide rituel. L’aide concrète à apporter aux populations victimes, c’est donc d’abord d’aider à la construction de maternités partout où la pratique perdure. Cela constitue une mesure efficace, en tout cas plus efficace que tous les discours et les actions en justice qui sont d’ailleurs très rares comme nous l’avons vu.

Mais bien évidemment, cette seule mesure ne suffira pas à éradiquer la pratique, puisqu’à l’âge de la dentition ou de la marche, l’enfant peut être encore déclaré « sorcier », et là, il ne serait plus à la maternité, mais peut-être dans les griffes de gens qui voudraient l’exécuter.

C’est là que le rôle de l’Etat doit intervenir. Tous les enfants nés doivent être recensés et suivis jusqu’à l’âge adulte. Les décès d’enfants doivent être obligatoirement signalés et les conditions précises de ces décès doivent être connues. En cas de suspicion, on ne devrait pas reculer devant une autopsie pour connaître la cause exacte du décès des enfants. Parallèlement, la lutte de la société civile et la sensibilisation des parents doivent se poursuivre, mais tout cela dans la logique de l’impunité zéro face au crime d’infanticide.

De même, la démystification doit s’intensifier avec la mise en exergue des cas d’enfants déclarés « sorciers », et qui ont pourtant réussi dans leur vie et fait le bonheur de leurs parents adoptifs ou biologiques. Les médias les plus adaptés aux milieux concernés, ainsi que les artistes de toutes les disciplines doivent être mis à contribution dans cette bataille.

Quant aux nombreux enfants rescapés et marqués à vie, ils doivent être réhabilités et aidés. La société entière doit leur présenter des excuses et affirmer clairement que désormais, l’époque des infanticides est définitivement révolue. Les enfants qui voudraient retourner auprès de leurs parents biologiques devraient pouvoir le faire librement et bénéficier des mêmes droits que leurs frères et sœurs. Des facilités diverses et des bourses d’études, même symboliques, doivent leur être octroyées car leur situation sociale mérite l’attention des pouvoirs publics et des partenaires de tous ordres.

Enfin, un monument doit être construit en mémoire des nombreux enfants qualifiés de « sorciers » et tués. Ce monument ne s’appellera pas « monument de l’enfant sorcier », car aucun enfant n’est sorcier. Ce monument s’appellera, « Monument de l’enfant martyr ». On s’y recueillera pour dire ensemble : « plus jamais ça ».


8. TÉMOIGNAGES ET INTERVIEWS

Témoignage du Père Pierre OUOROU MERE, Prêtre catholique (Extrait d’une communication donnée à Cotonou le 24 novembre 2004 dans le cadre du Festival Lagunimages)

« Ma première révolte date de l’année 1976. Une amie d’enfance a accouché des jumelles. Le lendemain de l’accouchement, les deux bébés ont disparu. Une vieille femme nous a confié que les jumelles ont été tuées, parce qu’elles sont nées par le siège. Alors, elles sont déclarées « sorcières ».

A cette date, j’étais élève en classe de CM2. J’ai décidé de convoquer les auteurs du crime à la gendarmerie. Supplications sur supplications, je me suis résigné. Mais mon cœur en demeure profondément blessé jusqu’à ce jour.

En 1987, une nièce avait poussé ses premières dents par le haut. Le conseil de famille décida de tuer la fille. Ouvertement, je me suis opposé à cette décision. A cette époque, j’étais encore grand séminariste et je venais de faire ma prise de soutane. Grâce à mon intervention, la fille vit encore aujourd’hui. »

Témoignage de Monsieur Jacob Challa AKANGBOSSI, Directeur exécutif de l’ONG Morit-Kouandé. (Propos tirés du journal « La Nation » du mardi 16 mars 2004)

Monsieur Jacob CHALLA AKANGBOSSI

« L’infanticide se pratique dans les communes de Kérou, Ouassa Péhonco et Kouandé. La cause de cette pratique ignoble est que nul ne veut d’un malheur dans sa maison. Or, est considéré comme porte-malheur, tout enfant né avec les dents, par le siège, ou avec des malformations. Pour étouffer ce malheur, on a recours à un monsieur communément appelé bourreau.

A Ouaké dont je suis originaire, l’infanticide n’intervient pas seulement à la naissance. Si, au cours de son évolution, l’enfant devenu adolescent ou adulte se révèle être maléfique pour la famille, après moult consultations occultes, on dit que « cet enfant a amené le diable dans la famille ». Alors, on fait appel à un féticheur qui, après avoir rasé le porte-malheur, l’éloigne de la famille pour aller « s’occuper de lui ». 

A Ouaké, ce ne sont pas seulement les enfants qui subissent cette forme de rites. Les grandes personnes également peuvent la subir.

Du fait de ses rites, des couples dans la commune de Kouandé sont souvent disloqués, voire des familles entières, car il y a de plus en plus de réfractaires à cette pratique traditionnelle. »

Témoignage de Monsieur SEKO OROU G. Alphonse (Extrait d’une communication donnée à Cotonou le 24 novembre 2004 dans le cadre du Festival Lagunimages)

« Tout a commencé le 02 août 1997, date à laquelle les religieuses de Tobré, un arrondissement de la Commune de Ouassa Péhonco m’ont parlé de cet enfant déclaré sorcier par ses parents et qu’il fallait tuer pour des raisons traditionnelles, tout simplement parce qu’il a poussé ses premières dents par la mâchoire supérieure. Il s’agit là d’une malheureuse et pénible coutume qui existe encore de nos jours dans le milieu baatonu­.

Je suis allé voir l’enfant chez les religieuses où se trouvaient à l’occasion, la mère et l’oncle paternel de l’enfant. J’ai alors tenté de convaincre ces derniers afin qu’ils gardent l’enfant, mais ils m’ont dit qu’ils n’en veulent pas.  Je leur ai alors demandé si en le gardant moi-même, ils ne le réclameraient pas plus tard, lorsque celui-ci aurait une bonne situation socioprofessionnelle. Mais ils m’ont demandé de l’envoyer loin de leur regard.

A l’issue de cette discussion, nous avons demandé à la mère de nous garder l’enfant pour quelques jours, le temps de trouver un lieu pour le placer.

Celle-ci accepta malgré elle. Elle était d’ailleurs pressée de se voir débarrassée  de cet enfant, et elle ne lui donnait même plus le sein.

En définitive, ma femme et moi, avons décidé d’élever l’enfant dans notre foyer afin qu’en le voyant grandir, les gens comprennent qu’il est également un enfant comme les autres.

Ainsi, le 08 août 1997, l’enfant a intégré notre maison. Il est avec nous depuis sept ans et trois mois.  Il vit comme tout autre, il mange, et dort ensemble avec nos enfants. Il n’a tué personne. Nous n’avons pas peur de lui et il est heureux de vivre avec nous. Le voici devant vous ! Il est élève en classe de CP. »


Témoignage de la sociologue DAGBA M. Olga.
Extrait d’un mini-mémoire qu’elle a présenté en 2002)

« Nous sommes dans la maison des sœurs de la congrégation Notre Dame des Apôtres (NDA), rue Monseigneur Steinmetz, le cinquième jour du mois de mars de l’année de grâce 2002. Une femme blanche y arrive, avec dans ses bras, un enfant de quatre ans environs. L’enfant est de teint noir d’ébène et il appelle la femme qui le porte « maman ».  Cela m’intrigue. « Un enfant adopté ? » Une foule de questions trotte dans ma petite tête. Je m’approche de la femme qui me donne la nouvelle : « Mon enfant est dit sorcier. Il a été rejeté par sa vraie maman à dix mois et demi. » (…)

J’avais observé pendant plusieurs jours notre petit « sorcier » baatonu. Charles (c’est son prénom) avec sa nouvelle maman. La tendresse de cette femme pour un enfant qui n’est pourtant pas né d’elle m’a beaucoup émue. Mais à côté de cette grande tendresse, il y avait toute une éducation à donner. La nouvelle maman de Charles avait à cœur d’élever « son » fils selon les normes et règles du savoir vivre de sa civilisation. Alors, que deviendra ce petit enfant dans cinq ans, dans dix ans ? Un Bariba en France ?  Un homme « sauvé » ?  Une personne qui a réussi dans la vie ? Et les liens avec son milieu socioculturel ? »


Rencontre avec le père Pierre BIO-SANOU.

Père BIO-SANOU, l’infanticide rituel continue-t-il  d’être pratiqué aujourd’hui au Bénin ? 

L’infanticide rituel, certainement, n’est plus vivace comme il y a une dizaine d’années, mais il se pratique encore de nos jours  sous sa forme d’auparavant, ou sous une nouvelle forme plus discrète. Méfiez-vous des phrases telles que : « l’infanticide n’a jamais existé, ou ne se pratique plus ». Et plus on fait de telles affirmations avec force, c’est un signe qu’il est là. Au début de ma lutte contre l’infanticide vers les années 1968, c’était tabou de parler de cela.

L’infanticide rituel sévit dans  les pays baatonu. Le même phénomène sévit chez d’autres ethnies, mais je n’en parle pas. Quant à l’ampleur de la pratique chez les baatombu, pour vous en faire une idée, voilà un relevé des naissances de ma maternité de Sékogourou de 1997 à 2OOO. Durant cette période il y a eu 749 naissances dont 87 à 8 mois (donc des bébés « sorciers ») et 27  par présentation du siège (donc aussi des bébés « sorciers »). Il n’est pas mentionné ici la naissance face contre terre qui est impossible, d’après ma sage-femme, dans une maternité. Tirez vous-même la  conclusion.

Qui assiste à la naissance de l’enfant pour déclarer qu’il est sorcier ?

Ce sont des femmes âgées qui assistent la parturiente, et ce sont elles qui déclarent que le bébé est sorcier selon sa position.

Comment menez-vous le combat contre l’infanticide rituel ?

Je mène mon combat contre l’infanticide rituel par des conférences  que je donne à tous les niveaux de la société béninoise. J’ai organisé des séminaires sur le phénomène. Je suis intervenu dans des écoles primaires surtout.  J’ai sauvé  plus d’une vingtaine d’enfants qui sont adoptés en France. J’ai sauvé au moins une cinquantaine, les uns  ont rejoint leurs parents dans le secret, c'est-à-dire qu’il n’a pas été dévoilé comment ils sont nés ni comment ils ont fait leur dentition. Beaucoup sont adoptés au Bénin. Même Actuellement, une dizaine est à l’évêché et une autre dizaine est à la mission de Kouandé. Mais ma plus grande   satisfaction   est le changement de mentalité.

Mes difficultés sont relatives à comment nourrir, soigner instruire ces enfants. La plus grande de mes difficultés est comment aider ces enfants à surmonter leur traumatisme. Ils portent en eux une blessure que personne ne peut guérir. 

Le véhicule de combat du père BIO-SANOU

Je suppose que les bourreaux et les traditionalistes vous connaissent : Quelles sont vos relations avec eux ?

Oui, je connais la plupart des bourreaux de ma région et ils me connaissent aussi. Nous avons des relations « cordiales » pleines de méfiance. Dans la réalité ils pensent que je suis plus puissant qu’eux et je ne fais rien pour leur prouver le contraire.

Les bourreaux sont ils punis par la loi ?

Il faut le reconnaître, la pratique de l’infanticide rituelle est désormais clandestine. Et ceux qui devraient porter plainte, c’est ceux-là mêmes qui apportent leurs enfants aux bourreaux. Très peu de bourreaux ont été condamnés. J’ai rencontré en prison deux d’entre eux qui ont été condamnés. C’est très peu eu égard au nombre des exécutions.   A vrai dire, je ne connais pas de bourreau repenti sincère. Tous croient qu’ils rendent service à la société. Ils pensent qu’il vaut mieux tuer un seul pour que la société vive que de le laisser tuer toute la société.

En toute franchise, les parents sont-ils réellement consentants pour l’exécution de leurs enfants dits sorciers ?

En tout cas, c’est un soulagement pour tout le monde.

Y a-t-il eu des cas de révolte ou de désobéissance des parents face à cette pratique ?

Oui j’ai connu trois cas de désobéissance des parents.

Citez-nous quelques situations qui vous ont marqué dans votre lutte, positivement et négativement.

Positivement : Une femme et son mari ont simulé une bagarre pour sauver leur enfant.  Voici comment : le petit avait commencé sa dentition par la mâchoire supérieure. Sa maman s’en est aperçu. Elle porta l’enfant à son papa qui était au champ. Elle lui dit : « voilà le malheur qui nous est arrivé » en montrant les deux premières incisives de l’enfant à la mâchoire supérieure. Le papa prend l’enfant et dit à sa femme : « rentre à la maison et prépare aussitôt le repas du soir. Ne donne l’enfant absolument à personne. Après le repas, prépare tes bagages pour un long voyage. A minuit nous allons simuler une bagarre, je prend tes bagages, je les mets sur ta tête et je dis que je ne veux plus de toi. Toute intervention de qui que ce soit sera rejetée des deux côtés. Toi, avec tes bagages, tu vas m’attendre au bout du village à tel endroit. Là je viendrai te prendre pour te conduire chez ta maman. Reste là jusqu’à ce que les dents de la mâchoire inférieure poussent et je viendrai te reprendre. »
Ce qui fut fait. Le petit est aujourd’hui un grand gaillard. Il ne sait pas qu’il est « sorcier », sauf ses parents et moi.

Négativement : moi-même, j’ai été rejeté par ma propre famille pour avoir sauvé un enfant ; et c’est le vicaire général qui m’a réconcilié avec ma famille.

Etes-vous aidés par des partenaires étrangers et l’Etat béninois ?

Je suis aidé par des femmes européennes et l’Etat béninois qui prend en charge la paye de l’infirmier et de la sage-femme. Une ONG française a construit la maternité de Sékogourou pour lutter contre l’infanticide.

Comment sont traités les enfants rescapés, par exemple ceux qui sont récupérés dans la forêt ?

Je ne connais pas d’enfant récupéré dans la forêt. Je connais des enfants envoyés chez les peuhls ou en traitement à Boori. Revenus chez eux, ils sont marginalisés. On s’en méfie toujours.

Certains enfants rescapés ont-ils fait des études et réussi dans leur vie au Bénin ou ailleurs ?

J’ai commencé la lutte contre l’infanticide par l’éducation. Avant moi, il n’y avait pas d’enfant « sorcier » ayant fait des études. J’en ai envoyé beaucoup qui font leurs études. L’une d’entre elles est revenue au village au chevet de sa mère mourante et ce furent des regrets de la part des parents qui l’avaient rejetée.

Avez-vous l’impression que cette pratique cessera un jour ?

Elle mettra du temps, mais elle finira.

Que voudriez-vous dire aux étrangers et aux Béninois qui pourraient lire cette interview ?

Je leur dirai : « plaignez plutôt le peuple bariba que de le condamner. Il est victime de ses coutumes. Il est englué par ses coutumes. Il faut  l’aider à s’en débarrasser. Il n’y a pas dire : « cela ne me regarde pas ». Tout ce qui concerne la vie et la vie d’un enfant regarde tout un chacun. C’est ici que se justifie une intervention humanitaire. »


Rencontre avec un enfant rescapé

(appelons-le Paul pour cacher sa vraie identité).

Paul, Vous avez échappé à l’infanticide rituel, racontez votre histoire.

C’est à quatorze ans que j’ai appris que j’étais « sorcier » ; j’aurais fait la dentition par la mâchoire supérieur. Un jeune dans la famille est mort et on m’a accusé de l’avoir « mangé », et on a voulu me tuer. Je dois la vie aux chrétiens du village.

Aujourd’hui, comment vivez-vous votre situation ?

Douloureusement.

Connaissez-vous vos parents ?

Oui je les connais et ils me connaissent.

Quelles sont vos relations avec eux ?

Méfiance entre nous.


Rencontre avec une adulte rescapée 

(Une femme de trente cinq ans. Appelons-là Mariam).

Mariam, vous avez échappé à l’infanticide rituel ; racontez-nous votre histoire.

J’ai fait la dentition par la mâchoire supérieure et quelqu’un de la famille m’a gardée jusqu’à trente cinq ans sans aucun problème. Voilà que celui-là meurt brutalement et quelques jours après, un autre aussi meurt. Alors, on m’a accusée d’être la sorcière qui tue ces gens-là. Ma mort a été décidée un soir. Je dois la vie aux chrétiens, à la gendarmerie et à l’administration.

Comment vivez-vous la situation aujourd’hui ?

Je la vis douloureusement. Tous les villageois connaissent mon histoire. Mon enfant également qui souffre beaucoup avec moi.


Rencontre avec une maman dont plusieurs enfants ont été exécutés

(Appelons-la Baké)

Baké, nous avons appris qu’au nom de la tradition, vous avez perdu des enfants qualifiés de  « sorciers » et exécutés. Comment cela s’est-il passé ?

On a tué trois de mes enfants successivement. Le quatrième a été sauvé in extremis. Je ne veux pas beaucoup parler, la douleur est encore vive.

Etiez-vous d’accord pour ces exécutions ?

D’accord ou pas, l’enfant sera exécuté.

Votre mari était-il d’accord ?

Il n’a jamais été consulté.

Quels sentiments gardez-vous de ces événements ?

Dégoût, haine. Quand je vois le bourreau qui a exécuté mes enfants, je tremble, je pisse sur moi-même et n’en parle à personne.

Selon vous, l’exécution des enfants « sorciers » protège-t-elle réellement la communauté ?

Posez la question au bourreau.


Témoignage de Monsieur Yao Hyacinthe GBÉGNON,

responsable du Centre de Promotion Sociale de Kouandé

(Propos tirés du journal « La Nation » du mardi 16 mars 2004)

Monsieur Yao Hyacinthe GBEGNON

« De plus en plus, l’infanticide divise bien des familles. Car certaines femmes ne supportant pas qu’au nom de la tradition, on ôte la vie à leur enfant, et qui, par conséquent s’opposent à l’infanticide, sont répudiées du foyer.

En janvier 2004, il nous a été signalé le cas d’un « enfant sorcier » qui devrait être éliminé.

Je me suis vite rapproché du curé de l’église catholique. Diligence a été faite pour arracher l’enfant des griffes du bourreau et il devrait, si les démarches avaient abouti, être transmis à SOS Natitingou.

En milieu peuhl, les jumeaux sont également considérés comme des sorciers. Par conséquence, ils sont à éliminer dès leur naissance. A défaut de les tuer, ils sont abandonnés. Tout le campement déménage, abandonnant sur les lieux les jumeaux. Ces derniers, faute de soins, finissent par mourir d’eux-mêmes. Ils sont sauvés quand les services sociaux ou les ONG investis dans la lutte contre l’infanticide sont informés ».


9. CONCLUSION

Le vaste dossier de l’infanticide rituel n’a certainement pas été épuisé dans cette enquête. Il n’a pas été non plus question de faire le procès des peuples et des ethnies qui ont pratiqué ou qui pratiquent encore ce macabre rituel, car à voir les choses de près, on pourrait, sans grand risque de se tromper, dire que ces peuples et ces ethnies sont finalement victimes d’un passé qui continue de s’imposer douloureusement à eux. C’est donc l’effort de tous les êtres humains, de tous les pays, qui délivrera ces peuples et sauvera les enfants encore menacés. Les lois et la force de l’État doivent se manifester sans complaisance dans ce combat.

Face à toutes les tristesses présentes dans ce texte, voici réservées exprès pour la fin, les deux bonnes nouvelles suivantes :

Primo, l’enfant ivoirien dont nous nous avons  parlé plus haut, qualifié de sorcier et jeté sur le tas d’ordures en 1953 et sauvé par sa grand-mère, a bien réussi dans sa vie, car il s’agit de notre grande star africaine du reggae, Seïdou Koné, alias ALHA BLONDY. Ce Monsieur n’est pas un enfant sorcier, c’est un digne Ambassadeur et une fierté de l’Afrique à travers le monde.

Alpha BLONDY

Secundo, nous avons aussi parlé de la fille Carole qualifiée d’enfant « sorcier » par ses parents béninois et adoptée par une dame française, Madame Marie-Odile Rault. Cette fille était arrivée au Bénin pour connaître ses parents biologiques en 2004. Et vous vous souvenez certainement qu’on ne lui avait même pas offert un siège pour s’asseoir, et que son père n’avait pas accepté la main qu’elle lui tendait pour le saluer. Repartie en pleurant, Carole est revenue chez ses parents cette année 2007 et enfin, la réconciliation a eu lieu. Il y avait beaucoup joie et de larmes de part et d’autre. Les parents biologiques disent qu’ils ne veulent plus entendre parler du passé.

Puissent ces cas heureux faire réfléchir et être mis à contribution pour la victoire finale contre l’infanticide rituel au Bénin et dans le reste du monde.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Enquêtes personnelles sur le terrain au Bénin.

Mini mémoire présenté par Mademoiselle DAGBA M. Olga à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin), Département de philosophie et de sociologie anthromolologique, en 2001-2002 sur le thème : « pratiques de rejet et d’infanticide en milieu baatonu de Kouandé : approche socioculturelle et portée socio anthropologique».

Communication du Père Pierre BIO-SANOU présentée le 24 novembre 2004 à Cotonou.

Communication de Monsieur SEKO OROU G. Alphonse, présentée le 24 novembre 2004 à Cotonou.

Communication du Père Pierre OUOROU MERE, présentée le 24 novembre 2004 à Cotonou.

Communication présentée par le magistrat Fortuné DAKO  à Ouidah (Bénin) en août 2004 sur le thème : « la Convention relative aux droits de l’enfant : contenu et applicabilité ».

Communication présentée par le magistrat Michel Romaric AZALOU le 23 août 2004 à Ouidah (Bénin) sur le thème : « les droits de l’enfant et la tradition africaine ».

Journal La Libre Belgique n° 26 du vendredi 26 janvier 2007.

Journal La Nation (Bénin) du mardi 16 mars 2004.

Journal Le Matinal (Bénin) du jeudi 12 mars 2007.

Sites internet

vidome.com,   irrinews.org,   alphablondy.info,   laconscience.com,  

wikipedia.org,   chez.com,   infanticide.org,   regardconscient.net,

fraternité-info.com,   euskalnet.net,   kipa-apic.ch,   afrik.com…



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