Denis AVIMADJESSI, Atelier de Roman-Nouvelle - 2ème année, Professeur Nicole Potmans
Le duel des coépouses africaines
Nouvelle
Une véritable lumière, cette fille. : Fraîcheur
des vingt cinq ans, coiffure distinguée, maquillage impeccable, bijoux
scintillants, et j’en oublie…
Lorsqu’elle sonna à ma porte tout et me dit bonjour,
je ne lui répondis pas. Je fus plutôt tentée de lui fermer la porte au nez.
-Je veux voir José, dit-elle.
Je ne répondis toujours pas à cette enfant qui n’avait
que l’âge de ma benjamine. Savez-vous qui elle venait de demander ? Le
fameux José ? Eh bien, José est mon mari depuis vingt-six ans. Mais je
l’avoue, Mademoiselle est bien fondée à le demander avec cette désinvolture,
car toute la ville est au courant que mon époux épouserait l’énergumène dans
quelques jours. Et moi donc ? Je serais toujours là, toujours épouse et
paraissant même très heureuse le jour du mariage, car nous sommes une société
où la polygamie est une pratique ancestrale omnipotente et inattaquable.
Je retournai dans ma cuisine et enlevai une huile qui
commençait à fumer le le feu. Mademoiselle me suivit d’autorité et s’assit au
salon. Je l’entendais qui toussait fort pour se moquer de ma cuisine plutôt
fumante. J’ouvris la fenêtre pour évacuer cette fumée qui me valait tant de
compliments. Je me baladai ensuite un peu dans ma chambre pour combattre la
nervosité. Mais je ne réussis qu’à l’augmenter progressivement.
J’allai devant le miroir. Là je revis toute la
différence physique entre mon corps et celui de ma brillante rivale. Je ne
faisais vraiment pas le poids devant elle. Mes quarante neuf ans d’âge, mes
trois accouchements et mes épreuves dans la vie ont laissé des traces
indélébiles qu’on ne cache pas.
Mais la lâcheté serait de trop dans cette situation.
Je vais de ce pas au salon pour affronter le regard de la jeune tigresse qui
vient affronter la vieille lionne jusque dans sa tanière. Allez, bonne vielle
jeannette va monter que n’es pas une lâche.
Dès que j’arrivai au salon, je reçus comme accueil de
la fille, un regard pas forcément moqueur, mais compatissant. Elle compatissait
à la douleur de la pièce de musée qu’elle voulait désormais faire de moi. Nos
regards se croisèrent.
-Madame, j’ai demandé à voir José, insista-t-elle.
Je ne lui fis pas l’honneur de lui dire que mon mari
était absent. Elle prit alors son téléphone portable et composa un numéro.
Certainement celui de José. La ligne était sur réponde. Un lâcha un
« merde ! » violent raccrocha nerveusement. Je voulais en
ajouter à sa nervosité. Alors, je me levai lentement et allai éteindre la télé
dont elle suivait les images pour attendre son don Juan. Je la vis alors se
lever vivement comme pour m’agresser ou m’arracher la télécommande que j’avais
empochée. Mais elle sembla avoir dominer sa colère et se rassit. C’est dommage.
Je souhaitais qu’elle tombe dans le piège. Qu’elle craque. J’en aurais profité
pour la défigurer, avec le couteau de table que j’avais caché sous mes
vêtements. Ce n’était que partie remise.
Mademoiselle tourna légèrement son siège dans m
direction et son regard ne me quittait plus. Tentait-elle de m’hypnotiser ou de
me provoquer ? Je ne savais pas, mais je soutenais son regard. Au bout
d’un instant, elle s’adressa à moi :
-Ma pauvre vieille, tu te fais du mauvais sang pour
rien, Car le mal est déjà fait. J’épouserai bel et bien ton mari.
-Et tu n’as donc pas honte de cet échec.
-Honte ! Echec ! Que veux-tu dire ?
-je veux dire qu’épouser un homme de l’âge de mon mari
est une honte et un échec pour une gamine comme toi. Tu n’as que l’âge de ma
benjamine.
-Ah je vois où tu veux en venir. Mais l’amour n’ayant
pas d’âge, ne t’apitoies surtout pas sur mon sort. Bien au contraire, j’éprouve
beaucoup de plaisir dans les bras de ton mari.
-Mais ta naïveté ne te fais pas percevoir de quoi une
vieille Africaine est capable pour préserver son bonheur contre vents et
marées !
-l’inconvénient pour toi, Madame, c’est que tu crois
être la seule vieille Africaine du pays. Or, il se fait que moi aussi j’ ai une
mère qui est vieille, un père qui est vieux, des tantes qui sont vieilles, etc.
Tout ce beau monde est derrière moi, contre toi. Cesse donc de rêver !
j’épouserai ton mari dans deux jours et nous ferons une fois encore l’amour
dans une chambre voisine de la tienne. Je lui ai même exigé de faire l’amour
dans ton lit, mais il a refusé. Tant pis ! Je me conterai du lit de la
chambre voisine. Mais je ferai tout pour que tu aies les bons échos de ce qui
s’y passe. Promis, juré…
Tu soutiens donc la polygamie.
Bien sûr, Madame. Nous ne sommes pas des Occidentaux.
Nous devons rester fidèles aux valeurs qui nous sont léguées par nos ancêtres.
-La polygamie n’est pas une valeur. C’est de la
bestialité.
-Tiens ! Je note pourtant que c’est grâce à elle
que tu existe aujourd’hui. Ton mari, mon mari m’a révélé que ta mère était la
quatrième épouse de ton père polygame !
-Oui, mais…
-Fais-moi grâce de tes « mais ». j’ai bien
entendu « oui », et cela me suffit pour te dire que tu es donc la
personne la plus mal placée pour critiquer la polygamie. A moins que tu ne
veuilles t’enfoncer davantage dans ta logique du « après moi le
déluge ». Non Madame, tu devrais me remercier de vouloir t’aider à tenir
ta maison , véritable paradis de la poussière et des toiles d’araignée. Regarde
un peu sur les meubles du haut…
-Bon, tu as dit que tu as beaucoup de monde derrière
toi. Soit ! mais ces gens seront-ils là lorsque je serais peut-être en
train de t’égorger pendant ton sommeil ?
-Tu viens m’insulter jusque chez moi et tu menaces de
détruire mon foyer.
-On n’égorge pas les gens pour ça.
-On devrait.
--Je me plaindrai à mon mari.
-Libre à toi.
-Il te chassera d’ici pour que je sois seule avec lui.
-Libre à lui.
-Tu es une criminelle.
-Et pourtant, la criminelle te propose un cadeau
sincère.
-Un cadeau de criminelle.
-Oui, mais pas un cadeau criminel.
-Alors, j’écoute.
-Je te propose mon fils aîné comme époux.
-Tu blagues bien évidemment.
-Pas le moindre du monde. Laurent est jeune, beau,
intelligent et bardé de diplômes prestigieux. Il te connaît bien et m’a
d’ailleurs soufflé que tu lui plaisais.
-Oh certes que ton Laurent est beau et bardé de
diplômes prestigieux, mais je ne sais quoi faire d’un brave chômeur sans
argent.
-c’est donc cela ta conception de l’amour ?
-Je ne t’ai jamais parlé d’amour entre ton fils et
moi !
-Mais tu l’aimerais s’il avait de l’argent !
-Possible ! c’est un dossier à examiner comme
tout autre.
-Mais tu es fiancée à mon mari !
-Tu sais bien qu’entre une bague au doigt et un cœur,
la distance es t parfois grande.
-Tu ne t’accroches donc à mon mari que pour son
argent !
-Et toi tu l’as épousé pour quoi ? parce qu’il
était mendiant au bord de la voie publique et que tu as voulu le sauver de la
misère ?
-Merci de m’avoir franchement fixé. Tu aimes donc
l’argent.
-Oui.
-Je veux t’en donner. Je veux t’en donner beaucoup.
-Pour quoi faire ?
-Pour que tu ne détruises pas mon foyer.
-Tu veux me donner de l’argent.
Oui.
-Combien ?
-Dis-moi d’abord si tu es prête à jouer le jeu de la
loyauté dans les affaires. Je ne veux pas perdre mon temps et mon argent avec
quelqu’un qui ne respecte pas la parole donnée.
-Ecoute Vieille, dans ma famille, il y a le camp de
ceux qui veulent que j’épouse ton mari, mais aussi ceux qui ne cesse de me dire
qu’il est trop âgé pour moi. Contrairement à l’apparence, mon choix définitif
n’est pas encore fait. Si je trouve assez d’argent pour faire le choix qui
t’arrange, cela ne me déplairait pas. J’expliquerai à ma mère qui n’était
d’ailleurs pas très chaud pour ce mariage, que j’ai réfléchi et pris librement
ma décision d’y renoncer.
Cette fille avait l’air sincère en acceptant ma
proposition. Elle était aussi d’une cupidité à nulle autre pareille. En effet,
elle me demanda des millions que je n’avais pas. Les négociations furent très
dures, mais l’accord intervint. Elle reçut son argent en espèces sonnantes et
quitta ma maison en me remerciant.
Plus personne n’entendit plus jamais parler d’elle,
même pas mon fils Laurent.
Quant à mon mari sorti humilié et affaibli de cette
aventure, il continue de se demander ce qui s’était passé pour que son mariage
échoue de cette sorte au dernier moment. Mais moi, je n’en savais rien non
plus. En savez-vous quelque chose vous autres ?
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