Denis AVIMADJESSI, Atelier d'Adaptation Théâtrale - 2ème année, Professeur Ronald de Pourcq
Le duel des coépouses africaines
Pièce de théâtre
PERSONNAGES
Kossiba : Dame de quarante-six ans. Epouse de Cocou, un haut fonctionnaire
africain. Femme rusée, experte dans l’art de manier le chaud et le froid au gré
de ses intérêts. Elle ne reculera devant aucune stratégie pour demeurer la seule
épouse de son mari Cocou.
Amina : Demoiselle de dix-neuf ans sans emploi. Elle cherche
son bonheur auprès de Cocou qu’elle décide d’épouser en tant que deuxième
épouse. Son intention clairement affichée n’est pas la recherche d’une vie
amoureuse, mais plutôt la recherche de moyens matériels et financiers au
travers du mariage.
Cocou : Haut fonctionnaire africain de Cinquante-quatre ans.
Il a décidé d’épouser une seconde femme conformément à la tradition qui le lui
permet. Mais il pourrait se heurter à la résistance discrète et efficace de son
épouse Kossiba. Une grosse surprise l’attend.
CHAPITRE I
Scène 1
(Kossiba fait la cuisine en chantant gaiement.
Quelqu’un sonne au portail...)
Kossiba :
Oui, J’arrive ! Le temps de mettre les condiments
dans l’huile…et puis voilà ! (Elle va ouvrir le portail et, déçue, elle
tente de refermer le portail au nez du visiteur, sans succès).
Amina :
(Furieuse) Ne referme pas, Madame ! Tu n’as pas
entendu que j’ai sonné ? Et d’ailleurs, tu ne me vois pas ?
Kossiba :
(…):
Amina :
Tu as perdu la voix ?
Kossiba :
(…)
Amina :
Je veux voir José.
(Kossiba retourne précipitamment dans sa cuisine et
enlève du feu sa poile qui fumait. Mireille va s’asseoir dans le salon, devant
la télé.)
Amina :
(Toussant fort) Mon Dieu ! Quelle cuisine on fait
ici ! N’avez-vous donc pas pitié des pauvres gens sensibles ? Arrêtez
le massacre, pour l’amour de Dieu !
(Kossiba ouvre la fenêtre pour évacuer la fumée et
range sa cuisine. Elle tourne en rond dans sa chambre.)
Kossiba :
(Monologuant devant son miroir, ou écoutant plutôt la
voix de sa conscience) Oui, ma pauvre vieille Kossiba, voilà ton sort. Cette
gamine n’a que l’âge de ta benjamine. Pourtant, voilà comment elle te traite. Elle
demande José. Le fameux José qui est ton mari depuis vingt-six ans.
Mais Mademoiselle est bien fondée à le
demander avec cette désinvolture, car toute la ville est au courant que ton
époux épouserait l’énergumène dans quelques semaines. Et toi donc ? Tu
serais toujours là, toujours épouse et paraissant même très heureuse le jour du
mariage, car nous sommes une société où la polygamie est une pratique ancestrale
omnipotente et inattaquable.
(Sa nervosité monte. Elle casse des ustensiles et
renverse des meubles. Mais elle se ressaisit lentement et remet tout en ordre.)
Kossiba :
(Poursuivant son monologue) Mais, ma pauvre vieille, la
lâcheté serait de trop dans cette situation. Va au salon pour affronter le
regard de la jeune tigresse qui vient affronter la vieille lionne jusque dans
sa tanière. Allez, Kossiba, va montrer que tu n’es pas une lâche. Si tes
griffes naturelles sont trop vieilles, renforce-les par des griffes mécaniques
capables de faire un malheur dans le camp de l’ennemie.
(A ces propos, elle prend un couteau de cuisine
qu’elle cache sous ses vêtements et va s’asseoir au salon)
Scène 2
Amina :
Madame, j’ai demandé à voir José.
Kossiba :
(…)
Amina :
(Elle forme un numéro sur son portable) Allo !
José ? Merde ! Répondeur… Oui, José, c’est Amina. Je suis chez toi.
Tu m’avais demandé d’être là à dix heures. Rappelle-moi s’il te plait. Je
t’attends.
(Elle jette nerveusement le portable dans un siège. Kossiba
se lève, éteint la télé et en confisque la télécommande.
Amina :
(Furieuse) Mais…que fais-tu, Madame ? Tu ne vois
pas que je suis les images de la télé ?
(Elle se calme malgré tout et s’assied. Elle fait
alors face à sa rivale qu’elle regarde droit dans les yeux comme pour
l’hypnotiser. Il y a un long duel de regards.)
Amina : Ma pauvre vieille, tu te fais du mauvais sang pour
rien, car le mal est déjà fait. J’épouserai bel et bien ton mari.
Kossiba :
Et tu n’as donc pas honte de cet échec ?
Amina :
Honte ! Echec ! Que veux-tu dire ?
Kossiba :
Je veux dire qu’épouser un homme de l’âge de mon mari
est une honte et un échec pour une gamine comme toi. Tu n’as que l’âge de ma
benjamine.
Amina :
Ah, je vois où tu veux en venir. Mais l’amour n’ayant
pas d’âge, ne t’apitoie surtout pas sur mon sort. Bien au contraire, j’éprouve
beaucoup de plaisir dans les bras de ton mari.
Kossiba :
Mais ta naïveté ne te fait pas percevoir de quoi une
vieille Africaine est capable pour préserver son bonheur contre vents et
marées !
Amina :
L’inconvénient pour toi, Madame, c’est que tu crois
être la seule vieille Africaine du pays. Or, il se fait que moi aussi j’ai une
mère qui est vieille Africaine, un père qui est un vieil Africain, des tantes,
des oncles, des cousins, des cousines, etc. Tout ce beau monde est derrière
moi, contre toi. Cesse donc de rêver ! J’épouserai ton mari dans deux
semaines et nous ferons une fois encore l’amour dans une chambre voisine de la
tienne. Je lui ai même exigé de faire l’amour dans ton lit, mais il a refusé.
Tant pis ! Je me contenterai du lit de la chambre voisine. Mais je ferai
tout pour que tu aies les bons échos de ce qui s’y passe. Promis, juré…
Kossiba :
Tu soutiens donc la polygamie.
Amina :
Bien sûr, Madame. Nous ne sommes pas des Occidentaux.
Nous devons rester fidèles aux valeurs qui nous sont léguées par nos ancêtres.
Kossiba :
La polygamie n’est pas une valeur. C’est de la
bestialité.
Amina :
Tiens ! Je note pourtant que c’est grâce à elle
que tu existes aujourd’hui. Ton mari, pardon, mon mari m’a révélé que ta mère
était la quatrième épouse de ton père polygame !
Kossiba :
Oui, mais…
Amina :
Fais-moi grâce de tes « mais ». J’ai bien
entendu « oui », et cela me suffit pour te dire que tu es donc la
personne la plus mal placée pour critiquer la polygamie. A moins que tu ne
veuilles t’enfoncer davantage dans ta logique du « après moi le
déluge ». Non Madame, tu devrais me remercier de vouloir t’aider à tenir
ta maison, véritable paradis de la poussière et des toiles d’araignée. Regarde
un peu sur les meubles du haut…
kossiba :
Bon, tu as dit que tu as beaucoup de monde derrière
toi. Soit ! Mais ces gens seront-ils là lorsque je serais peut-être en
train de t’égorger pendant ton sommeil ?
Amina :
(Se levant brusquement). Tu me menaces de mort !
Kossiba :
(Se levant tout aussi brusquement et retrousse ses
manches en vue d’une bagarre). Tu viens m’insulter jusque chez moi et tu menaces
de détruire mon foyer.
Amina :
On n’égorge pas les gens pour ça.
Kossiba :
On devrait.
Amina :
Je me plaindrai à mon mari.
Kossiba :
Libre à toi.
Amina :
Il te chassera d’ici pour que je sois seule avec lui.
Kossiba :
Libre à lui.
Amina :
Tu es une dangereuse criminelle.
Kossiba :
(Se calmant un peu et après quelques instants de
silence) Et pourtant, la criminelle te propose un cadeau sincère.
Amina :
Un cadeau de criminelle.
Kossiba :
Oui, mais pas un cadeau criminel.
Amina :
Alors, j’écoute. (Elles se rasseyent l’une après
l’autre).
Kossiba :
Je te propose mon fils aîné comme époux.
Amina :
Tu blagues bien évidemment.
Kossiba :
Pas le moindre du monde. Laurent est jeune comme toi,
beau, intelligent et bardé de diplômes prestigieux. Il te connaît bien et m’a
d’ailleurs soufflé que tu lui plaisais.
Amina :
Oh, certes que ton Laurent est beau et bardé de
diplômes prestigieux comme tu le dis, mais je ne sais quoi faire d’un brave
chômeur sans argent.
Kossiba :
C’est donc cela ta conception de l’amour ?
Amina :
Amour ! Quelle prétentieuse, tu es Madame !
Qui t’a donc dit que j’étais amoureux de ton lardon ?
Kossiba :
Mais tu l’aimerais s’il avait de l’argent !
Amina :
Possible ! C’est un dossier à examiner comme tout
autre.
Kossiba :
Mais tu es fiancée à mon mari !
Amina :
Tu sais bien qu’entre cette bague que je porte au doigt
(elle montre la bague de fiançailles) et un cœur, la distance est grande.
Kossiba :
J’avoue que je ne savais pas ça.
Amina :
Tu as tort.
Kossiba
Tu ne t’accroches donc à mon mari que pour son
argent !
Amina :
Mais oui ! Et toi, tu l’as épousé pour
quoi ? Parce qu’il était mendiant au bord de la voie publique et que ton
cœur généreux a voulu le sauver de la misère ?
Kossiba :
Merci de m’avoir franchement fixé. Tu aimes donc
l’argent.
Amina :
Ma réponse est « oui ».
Kossiba :
Je veux t’en donner. Je veux t’en donner beaucoup.
Amina :
Pour quoi faire ?
Kossiba :
Pour que tu ne détruises pas mon foyer.
Amina :
Tu veux me donner de l’argent…
Kossiba :
Oui.
Amina :
Combien ?
Kossiba :
Dis-moi d’abord si tu es prête à jouer le jeu de la
loyauté dans les affaires. Je ne veux pas perdre mon temps et mon argent avec
quelqu’un qui ne respecte pas la parole donnée.
Amina :
Ecoute, Vieille : dans ma famille, il y a le camp
de ceux qui veulent que j’épouse ton mari, mais aussi celui de ceux qui ne
cessent de me dire qu’il est trop âgé pour moi. Contrairement à l’apparence,
mon choix définitif n’est pas encore fait.
Kossiba :
Ah Bon !
Amina
Non ! Si je trouve assez d’argent pour faire le
choix qui t’arrange, cela ne me déplairait pas. J’expliquerai à ma mère qui
n’était d’ailleurs pas très chaude pour ce mariage, que j’ai réfléchi et pris
librement ma décision d’y renoncer.
Kossiba :
Voilà qui semble raisonnable. Alors, je t’écoute.
Combien veux-tu pour ne pas détruire mon bonheur.
(Les deux femmes font des gestes qui indiquent
qu’elles négocient dur. Au bout de cinq minutes, elles semblent finalement
s’entendre et se donnent la main. Kossiba se retire dans sa chambre et revient
avec une liasse de billets. Amina vérifie et, une fois encore, les deux femmes
se donnent la main. Amina sort. Kossiba sort alors le couteau qu’elle avait
caché sous ses vêtements. Elle le regarde longuement le jette quelque part.)
CHAPITRE 2
Scène unique
Cocou :
(Il rentre furieux à la maison.) Pas possible !
Ce n’est pas possible ! Comment peut-elle me faire ça ? Elle m’a
humilié, cette fillette.
Kossiba :
(Elle accourt vers son mari au salon.) Mais Cocou, que
se passe-il ? De quelle fillette parles-tu ?
Cocou :
De cette Amina que je m’apprêtais à épouser.
Kossiba :
Mais non, n’appelle pas fillette une femme que tu vas
épouser dans quelques jours !
Cocou :
Je ne l’épouse plus, justement. Elle m’a largué !
Kossiba :
Largué, comment ? Je ne te crois pas ! Tout
est déjà prêt pour ce mariage !
Cocou :
Mieux vaut me croire ! Voici la lettre qu’elle
m’a déposée au service hier. J’ai pris cela pour une blague et je me suis rendu
chez elle. Mais ses parents m’ont confirmé qu’elle ne voulait plus de moi,
pire, qu’elle avait quitté le pays pour aller poursuivre ailleurs son
apprentissage de coiffure qu’elle avait interrompue entre-temps.
Kossiba :
(Lisant la lettre) Mon Dieu ! Je n’en crois pas
mes yeux. Quelle mouche l’a piquée ? Alors que moi je me réjouissais de
pouvoir accueillir cette petite sœur qui m’aiderait pour les travaux
ménager ! Oh, Merde ! Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Tu
vas en chercher une autre non ?
Cocou :
(Vivement) Ah non. Je ne veux pas risquer une
humiliation de plus. Ce serait insupportable pour mon âme qui souffre déjà
tant.
Kossiba :
Oh, quel dommage ? Bon, mon trésor, je te
souhaite beaucoup de courage et je retourne à la cuisine.
(Cocou tourne en rond un instant dans le salon et se
jette dans un fauteuil)
Fin
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