Olivier DELFORGE, Atelier de Roman-nouvelle - 2ème année, Professeur Julien Annart



Le fantôme de l’héritier

Roman



            Jaime Maman. Je laime encore depuis qu'elle a récupéré son nom de jeune fille : Lise Newton. Elle ne men veut pas, elle crie seulement tout le contraire. Je suis mort. Maman  est divorcée. Elle m'en veut.

            La mater croit encore que la vie se résume à la loi de la pesanteur des corps. Jaurais pu rester de son avis, mais, depuis ma chute dans le coma, le poids du sens nest plus pareil. Les mots ne possèdent plus la même force... Ils prennent un nouveau sens, un tout petit peu plus large. Quand on meurt à mon age, être et paraître s'entrechoquent.

            Si Lise Newton s'était intéressée à la théorie de la relativité, et aux expériences de mort dominantes, alors, j'aurais peut-être mieux compris ce qui m'est arrivé cette nuit là. Vous avez remarqué que Maman possède un nom trop conséquent pour écrire une seconde légende. On ne prendrait pas Lise Newton au sérieux si elle se découvrait, du jour au lendemain, une nouvelle passion pour le travail d'un certain Albert. En ce qui me concerne, je préfère la poésie à la science.

            Oui, elle hurle. Lise est facade et tourne autour d'elle-même, faute de ne plus m'encercler. Elle enrage parce que, dans son idée, je ne la container jamais plus... Mais je reviendrai, je prend seulement des vacances de l'autre côté du miroir.

 

            Perdre son enfant déchire les entrailles d'une mère, d'autant la matrice d'une catholique. Maman se présente comme non-praticante sans jamais digérer la culture de ses ancêtres. Cette tradition silencieuse se cache suspendue dans ses épaules hautes. Je me demande vraiment si la gravité ne perd pas son sens, quand à l'approche de la mort, elle nous invite à devenir plus léger. Je suis une brume, une nuée grise retenue au sol par un taux élevé d'humidité. La voilà triste mais elle m'accuse et ne sait que sa tristesse rouge  lui vient du simple fait qu'elle me juge. Je suis à ses pied, je vais lui flanquer un rhume. Elle vit ses états d’âme et j'y consens. Ce que je regrette le plus à cet instant, le plaisir d'être seul, la masturbation.

 

            Selon ses règles, je suis en faute, j’étais irresponsable. Vous savez quoi ? Même si elle a raison,  je découvre que d'un certain point de vue, elle peut avoir tort. Je me satisfais de la voir sexprimer finalement, denfin donner du mouvement à l'idée de sa douleur. Dhabitude, en situation difficile, elle joue la femme digne et disciple, prête à endosser toute la famille Primo mais ce n'est qu'un masque, car Maman se brise d'un souffle alors ne le dites à personne. Moi, Albin, son fils, trouve aisément le point faible, j'avoue qu'on s'en donne à cœur joie, sans même penser aux conséquences.

 

            Albin Primo, fils de Lise Newton, un meurtrier! Meurtrier! Meurtrier!

           

            Seulement, cette nuit, la coupe a débordé… Me voilà à lhôpital et mal barré. Toute mère en serait désœuvrée... J'aime maman. Pourquoi le répète-t-elle sans cesse... Meurtrier, meurtrier, meurtrier! Mes  vieux se sont réuni exceptionnellement, car ils sont séparés depuis plus d'un an maintenant. La dernière rencontre familiale a lieu ici grâce à un accident béni des dieux, sans doute les accidents ne dépendent pas toujours de la fatalité... Je suis inconscient depuis aujourdhui et cela ne m'empêche pas de tout ignorer de la conscience

 

            Chacun détient le droit de tirer sa révérence. Surtout quand on se rend compte que le monde ne tourne pas seulement autour de la famille, mais qu'il en est lui même une énorme, gigantesque. J'ai déjà bien réfléchi. Je me barre ! Mais je connais pas ce qu'il y a après, au delà de la terre, une fois que j'aurai compris, je reviendrai.

            Dailleurs si vous ne partez pas vous y serai obligé, un jour où l'autre... Sans le vouloir, j'ai pris de l'avance. Maman est venue me saluer au moment où je ne pouvais pas lui répondre. Pour une fois elle m'a posé une vrai question, après avoir crié : meurtrier, meurtrier, meurtrier! Elle s'est assise essoufflée auprès de mon corps inerte.

            -           Comment ça va Albin ?

 

            Première fois de ma vie, qu'elle me pose la question. Des -je t'aime-, j'en ai eu mais des -comment ça va- je ne m'en rappelle pas. Bien sûre, comme tous les enfants, jaurais voulu que mes parents saiment. Ce fut le cas, mais pas sans haine. Ils m'ont aimé, ce n'est pas la question... Mais vous ne trouvez pas pénible que quelquun qui a mal ne le dise jamais ? Et fasse comme si la souffrance était le sens de la vie ? Que la dignité ne soit rien d'autre qu'un mur de glace ? Mes vieux à moi, eux, ils souffrent en silence. Il parait que c'est plus courageux...

            Me voilà content et heureux, ma mort l'aide à se vider les tripes. Finalement, si je n'avais jamais fais de connerie, celle qui m'a bercé, serait peut-être restée correct toute sa vie, indifférente. Tous les gens corrects sont finalement empreint d'une insupportable monotonie, une sorte de connaissance figée qui leur change l'esprit en pierre, se faisant tellement confiance, ils perdent inévitablement celle des autres dans un dialogue à sens unique. Le martyre, c'est la vie à sens unique. Garre à celui qui me fait face, je défends, le double-sens.

 

            Les gens croient que les morts ne les entendent pas, mais laissez moi vous le dire,  cela ne les dérange jamais de leur adresser la parole. Le quidam leur raconter tout et n'importe quoi d'ailleurs, sous prétexte qu'ils n'ont plus d'oreilles. On dirait que les gens sont faits pour se tromper. Certains secrets importent de vivre par soi-même. Parfois  les ignorants préfèrent même discuter avec les disparus, pour mieux éviter les vivants, ils sont plus sincères alors. Nallez pas croire qu'ils disent la vérité, trop facile, ils ravivent tout simplement la franchise de leur mensonge, en espérant qu'on ne les contredisent pas, facile, puisqu'un spectre ne dit ni oui, ni non.

 

            Pour Papa, le plus scientifique des deux, (entendez par là matérialiste) j'errerais tout simplement égaré dans un coin de mon cerveau, car Papa ne croit pas au paradis, comme personne à Saint-Martin, on en a juste vaguemment entendu parlé comme d'un vieil écho du continent.

            Depuis ma chutte, j'ai tendance à remettre en cause l'éducation que j'ai reçue. Normal, puisque le scepticisme a sauvé indirectement les sorcières de la religion, il juste de m'y rattacher. Ni l'idée d'un au delà, ni celle d'une hallucination puissante ne m'exaltait ou m'inspirait avant que je vive vraiment cette expérience qui dépasse à coup sûr le cerveau. Il y a quelque chose même au delà de l'intermédiaire où je me trouve. Mon but se fixe d'y parvenir, et mieux, d'en revenir.

           

            Après tout, j'ai encore des émotions, et qui ne vous dit pas que ce sont eux, les hallucinants, ceux qui vivent dans la réalité... Puisque finalement, j'ai beau leur tirer la langue ou baisser mon pantalon pour leur montrer mes fesses et astiquer ma bonne grosse nouille devant leurs yeux, aucune réaction de leur part prouve qu'ils puissent me voir.

            Oui, le nuage épais et humide qui fait mon spectre peut prendre la forme qu'il veut. Un âne, un pénis, un ange... Toujours de la même capacité, mais modelable Ainsi il semblerait qu'une partie du monde leur est encore caché, voilà pourquoi je les écouterai par politesse sans plus jamais les croire.

 

            Ils se disputaient souvent, et aujourd'hui encore, face à mon lit d'hôpital, ils ripostent l'un à l'autre pour des questions de bon sens ou des réponses toutes faites. De chamailles en chamailles, Maman, en aimant ses enfants, na pas découvert la joie avec Papa, où peut-être que leur joie provenait du fait qu'ils se disputaient. En tous les cas  tout est fini maintenant. Pourtant, ma sœur et moi, nous avons vu naitre entre eux, un amour certain et étonnant, comme le destin improbable qui réunirait ensemble, une souris et un éléphant. Quelques fois seulement, ils s'embrassaient...

           

            J'arrivais à la maturité et peu à peu je pouvais entendre un journal télévisé du début jusqu'à la fin. Tout cela pour plaire à Papa et comprendre un peu mieux la sphère sur laquelle habitent les humains. Ainsi, j'ai eu droit aux grandes discussions qui n'intéressent jamais que les chefs d'entreprises, et où les femmes s'éloignent à grand pas, par la trop timide sagesse qui leur est propre. Puisque au delà des cliché, qui mieux qu'un père peut parler du monde et des mœurs ? Même les mères prennent cette allure lorsqu'il s'agit de donner de l'ordre. Ou plutôt, de l'arrangement. Je n'ai que rarement osé renoncer à ce qui lui procurait tant de fierté, nous discutions longuement pendant que Maman rangeait et faisait la vaiselle tout à son honneur. Papa soliloquait avec cette étrange superstition moderne où seul le signal de la pensée cloisonnée dans un corps semble rendre les émotions acceptables.

 

            Meurtrier, meurtrier, meurtrier! Je vous jure quun jour, on me demandera pardon pour tout ce quon ma imposé à vivre. En attendant, jaccepte la haine de Maman qui se déverse sur moi depuis que Papa a quitté la pièce... Maman répète sa question, accrochée à mon lit d'hôpital.

            -           Comment ça va, Albin.

           

            Vous savez, on garde trop de biblots inutilement cachés au fond de nos caves et de nos greniers ; des caisses , et au fond de ses caisses, des foules de jouets qui nous ont satisfaits lespace dun instant seulement. Un instant. Jen possédais trop et je les jetais par la fenêtre, jen avais pas tant demander... Cela énervait Papa et Maman aimait en acheter de nouveaux pour augmenter sa râlerie, allez savoir si ils ne préférait pas se faire l'amour en se haïssant cela devait être plus sportif. Je sais, un enfant n'est pas censé s'occuper de la sexualité de ses parents, mais depuis ma chutte, je me suis persuadé qu'il se cachait derrière cet amour vache, un quelconque secret sexuel que j'aurais apprécié découvrir par mégarde pour simplement les connaître et les quitter en paix. Hélas, je connais déjà tout, seul les ignorants penssent que certaines choses sont cachées sur la terre. Avec la carte de crédit de Papa, Maman s'en donnait à cœur joie car elle n'a jamais eut de compte bancaire aussi bien arrosé que celui d'un chef d'entreprise.

            Je suis sortis de la vie, avec une seule idée en tête : mettre de lordre. Jusqu'à interroger mes armoires et me demander quels jouets mavait vraiment rendu heureux ?

           

            Je veux me concentrer sur le bonheur pour bien comprendre ce qui m'arrive. Maman ne veut jamais mettre de lordre, elle range, ou plutôt elle s'arrange, elle aime seulement les conventions, la mater veut que je range ma chambre, ainsi elle espère que les conventions pourront la rendre pleine de joie. Elle veut quon parle mais elle ne m’écoute pas, et surtout, elle ne me pose jamais de questions. Elle discute seule, tout le temps, avec ses propres idées d'un bonheur parfait, pourtant, elle est triste.

            -           Albin, comment ça va Albin ?

            Et à moi de lui répondre.

            -           Et bien, je suis mort Maman.

            Je ne ferai pas ce quelle dit, plus jamais. A moins qu'elle ne sache tordre le cou dun esprit ?  Je suis intouchable depuis que suis tombé dans le coma. J'aime cette liberté. Je t'aime, tu sais... Dis moi, pourquoi tu cries ?

 

            J’ai assite à un premier scoop ce samedi matin, Papa vient de partir : ma mère, si gentille soit-elle, fouille dans mes affaires…

            Quand elle entre, elle crie déjà, mais pas comme une enfant, maman crie comme une adulte, en silence. Le vacarme nest que dans sa tête. Un tel tapage, qu'il ne peut que se vouer à la malédiction du cancer. On ne peut pas sy tromper, Maman bout de colère, et j'en suis déjà l'objet, lair ambiant se charge d’électricité dès son entrée dans la pièce. Où est-ce moi ? En tous les cas je m'en imprègne. Maman, rappelles toi quand tu riais sur la plage. 

            Elle ne dort pas de la nuit, ainsi elle pourra dire à tout le monde qu'elle souffre, en se cachant derrière un bon diagnostique d'insomnie. Quand maman se lasse de ne pas être reconnue pour son martyre, elle regrette de ne pas mieux connaitre la religion de ses ancêtres. Seule la médecine peut encore la défendre. Tout ce quelle ressent se cache derrière un fatras d'habitudes existentielles, où ce qu'elle perçoit comme un poignard au cœur ne trouve d'exutoire que dans une rhétorique implacable. Lintérieur delle même est conçu pour ne pas en déborder, mais seulement transpirer de tout son être ce -je t'aime- qu'elle n'a jamais su dire au bon moment avec force et certitude, et qui, transpirant sans respirer fait s'éloigner d'elle ceux qu'elle chérit. Ce -je t'aime- resté coincé dans ses épaules attendant d'être embrassée plutôt que d'embrasser elle même la vie. Maman peut se reposer pendant la nuit mais elle ny  parvient pas. Je crois que sur le rôle de mère pèse le devoir du vase, celui de ne jamais se briser. Mais quand est-ce que les femmes seront-elle la source ?

           

            Sa nervosité la conduit jusqu’à moi, au pied du lit. Elle ne me demande plus comment ça va. Son rythme cardiaque s'accélère. Après les légers soins pour ma blessure au crâne et mon plâtre à la jambe cassée, elle peut saisir le marqueur que Josine a laissé sur la table de nuit. Elle envisage de me dédicacer cette fracture, un petit sourire en coin, la larme à l'oeil, en guise de sympathie, mais au lieu de ça, elle préfère maudire cet instant. Je comprends maintenant qu'on a le droit d'être faible.

            La voilà brève et concise, elle me dit qu'il n'y a rien à tirer d'un meurtrier. Et elle répète le poing tapant sur ma poitrine, ce mot décadent.

            -           Meurtrier, meurtrier, meurtrier!

 

            Josine arrive et lui demande de se calmer. Comme Lise Newton essaie de comprendre, elle cherche un objet précis qui m'inculperait. Car pour Maman les objets parlent mieux que les personnes. Savez-vous pourquoi ? Simplement, les personnalités s'amuse à modeler leurs contours, ainsi, afin de comprendre une personnalité, il fallait en faire un objet fixe dans le temps, immuable. Grave erreur. Maman par sa compréhension du monde et sa rhétorique implacable, se transformait en une pathétique incapable qui n'aurait jamais le prix Nobel. Je t'aime maman.

 

            Josiane, l'infirmière, retourne à son travail. Dun regard noir, sous ses lunettes sombres, la mater s'arrache à moi et ouvre furibonde ma large garde-robe. Elle profite de ma mort dailleurs. Lise fouille dans mes jeans et entre mes chemises. Vérifie toutes mes poches. La douce, qui jusque là, ne déborde jamais,  ne trouve rien dans la penderie, puisquil ny a rien à découvrir...

            Elle est furieuse et déterminée. Je ne sais comment elle a su. Mais Maman connait l'existence de -la clé-, elle était venue la chercher.  Rageuse, Lise referme les deux portes battantes avec maîtrise, malgré son agassement. Elle bouillonne et c'est une déferlante. Maman lache la pression.

            Je suis baptisé coquelet, puis salopard. Passant de traitre à bouffon en moins de temps quil nen faut pour le dire. Elle suffoque des mots qui ne lui ressemblent pas.  Si on troque son nom pour d'insupportables insultes, maman ne comprend pas ce qu'il se passe. Des propos mals venus et criards viennent combler son manque d'acceptation et jaillissent de sa bouche. Sauf que maman est moins douée que moi pour la vulgarité. Je l'aurait traité de putte dans ce cas si. Maman ne suporte pas le vulgaire, dhabitude elle m'interdit de tels comportements. Sous ses lunettes de soleil, Maman cachait en réalité des larmes. Les lunettes noires figurent malheureusement parmis les parures de choix de la famille Primo. Maman cache quelque chose, maintenant je sais quoi.

            Elle me frapperait encore si Josiane ne risquait pas d'entrer. Pas pour me faire mal, juste pour me réveiller, juste pour savoir où est -la clé-.  Un oiseau dans une cage, je crois que j'ai juste ouvert la cage, Lise primo n'a jamais volé de sa vie... Le petit oiseau crie coupable, du fond de sa cage, et moi, je souffle sur lui pour qu'il s'envole, mais il grelote en m'accusant. Pauvre oiseau. Alors jai chanté mon innocence depuis ma flaque humide, jai d'abord vocalisé pour quelle apprécie une voix bien placée.

            -           Je ne suis pas un meurtrier. Ce n'est pas de ma faute.

            Maman aurait du s'en rendre compte... Je ne veux pas retourner vivre avec ceux qui mappelle meurtrier. Elle a fait mine de rien, genre, je ne suis pas capable dentendre. Non, les vivants n'entendent pas les morts. Les vivants n'en font qu'à leur tête.

            Je suis à coté delle, devant elle, je danse, je virevolte, je vole mais je suis toujours invisible pour elle. Je pourrais me droguer qu'elle ne le verrait pas. Mère a ignoré toute la gamme que mon esprit lui a récité généreusement. Elle na rien répondu, rien entendu, comme si il n'y avait pas de fantôme dans la pièce et que ce corps n'appartenait à personne. Elle n'a pas prié.

            Lise trouve -la clé- dans mes chaussettes en boule, fourrées dans mes chaussures. Celle que Papa ne voulait pas quelle voie et cela m'embarrasse. Un frisson de représailles paternelles glisse le long de ma colonne comme avertissement. Elle est sensée ignorer son utilité, c'est le lien masculin qui plombe notre famille. Maman n'aurait pas du trouver cette clé. Papa va m'en vouloir.

            -           Albin, je tenais à te dire que tu nes plus mon fils. Je vais quitter Saint-Martin.                    Ne me cherche pas.

            Elle porte des lunettes noires depuis un an, quand Papa est partis habiter dans sa tour. Aujourd'hui, ils ont avoué leur séparation dans ma chambre, sans qu'ils le sachent, j'étais là. Et c'était pire. Maman ne repassera pas. Ni mes chemises, ni celles de Papa. Maman ne repassera plus.  Jamais repasser des vêtements, plus jamais, ni des objets, ni des personnes. La vie est. Elle ne se repasse pas.

 

***

 

           

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Je vis ici depuis trois jours maintenant. Je l'aurais bien suivie, celle dont tout le monde parle, mais la lumière ne s'est pas manifestée à moi. Elle est venue en chercher d'autres. Aucun tunnel, aucune allée verte ne s'est déployée sous mes yeux écarquillés...

            Le personnel soignant ne soupçonne évidemment pas ma présence volatile, excepté certains... J'erre, depuis le drame, en glissant sur les surfaces de ma chambre, des murs au plafond et du sol à la fenêtre.

            Ils nignorent pas mon corps, ils gagnent leur pain grâce à lui. La médecine fait vivre bien des gens. Biens appliqués, les hommes en blanc travaillent consciencieusement. Jentends parfois leur pensées. Depuis mon accident, jai rencontré des esprits errants dans les couloirs. Je ne suis donc pas le seul en séjour prolongé. Il en existe peut-être dautres comme moi à lhôpital où dans le monde que je perçois aujourdhui différemment. Le monde de linvisible se présente progressivement à ma toute neuve réalité, et étonnement, il ressemble trait pour trait au monde visible...

          

            Jean est vieux. Qui plus est, il sest présenté lui-même comme un prêtre. La belle foutaise... Cela pourra peut-être me rendre service, vu mon état Il quitte son corps entre deux sursaut de vie pour venir me raconter des blagues. Je trouve cela étrange, cette idée de prêtrise car il ny a pas d’église à Saint-Martin, pourtant, cela m'amuse. Mais il est comique. Il ma dit quil venait de la vallée, juste un peu plus bas. Je navais plus qu’à le croire... Sa dernière anecdote ressemblait à une devinette. Je nai pas envie de poser des questions alors je le laisse parler.

            -           Dis moi Albin, sais-tu pourquoi les moineaux sautillent alors que les pigeons                      marchent ?

            Je n'avais pas envie de me creuser la tête. Il me certifie quil revient me donner la réponse. Puis il retourne dans son corps parce que son frère vient lui rendre visite.

Lui, il reçoit de la visite. Moi, jamais plus, ma famille a décidé que si je me réveillait, ce serait seul. Je crois que pour cette raison il vient me rendre visite. Jean ressemble un peu au père Noël, à cause de sa barbe, malgré tout plus grise que blanche... Il lui manque les petites lunettes rondes et le costume de laine rouge.

 

            Javoue ne pas aimer quitter ma chambre et me sentir quelque peu casanier depuis la chutte. Je peux encore me glisser dans mon corps malgré ce quils en pensent. Je lai prouvé avec Josiane. Je ne possède plus tous mes réflexes,   comme si j’étais  aujourd'hui libéré de mes réactions ainsi je me sens près à l'action.

 

            Josiane me rassure, probablement la seule qui me plait de toute l’équipe médicale. Une femme bien en chair qui porte deux fois le nom de maman... Quand elle entre dans la chambre, toujours pleine de joie, cela me rend tellement bien ! Elle joue de bon cœur le rossignol du matin. Rien que de chanter elle me soigne. Pourtant, je ne suis pas malade, je suis seulement séparé de mon corps, une jambe cassée et quatre points au front. 

            Josiane est entrée dans ma chambre vers huit heure malgré que je sois toujours en pijama. Elle a dabord ouvert les rideaux. Linfirmière me félicitait, ce que jai trouvé étrange pour une arrivée à lhôpital.

            -           Bravo ! On vous a réservé la plus belle vue de l’étage. Vous êtes chanceux !

            Tout est relatif, c'est bien vrai... Elle rayonnait. Comment pouvoir la contredire ? La lumière envahissait la pièce et tout le village de Saint-Martin se réveillait sous mes yeux. Depuis le chemin de lusine jusqu’à l’église abandonnée, en passant par l’école, je surplombais la vue. Je mavouais que javais de la chance, finalement.

            Elle avait raison de me parler malgré mon inconscience... Car leuphorie du décès s’était estompée. Et sa bonne humeur m'imprégnait positivement. Moi-même je devenais de plus en plus morose, à ne pas regarder la mort en face.

            Josiane se dévoue toujours généreusement, elle se pose à mes côtés, entière, pour commencer ma toilette. Je la regarde quand elle se penche sur moi. Elle exécute avec soin et sans jamais sappesantir, un sourire encore arqué aux lèvres. Josiane ne caresse pas un mort ni un comateux. Elle soigne un être vivant.

            Lorsque je lai compris, jai voulu le lui faire remarquer. Jai poussé mon esprit dans mon corps. Jai rassemblé toute ma concentration pour lui faire un signe. Les machines nont rien détecté mais jai versé une larme.

            -           Te voilà propre maintenant !

            Josiane essuya la larme du pouce sans y faire attention, elle pinça ma joue et ajouta :

            -           Un beau garçon comme toi mérite d’être présentable. Je te souhaite une                          bonne journée, Albin !

            Elle avait beau mavoir rencontré pour la première fois, la douce infirmière connaissait mon prénom.

 

***

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Aujourdhui, je passe ma journée à regarder par la fenêtre. Le temps sincline radieux à Saint-Martin et me salue. Ce jour, je nirai pas à l’école, même si  nous sommes lundi.

            Parfois, je saute le mur de linstitut des ursulines un peu plus tôt. A midi, comme tous les jours de la semaine, ils commencent à ranger les invendus. Le boulanger me laisse souvent de quoi me mettre sous la dent. Je me faufile alors entre les étables pour déguster mon déjeuner sur lherbe avec Benjamin.

            Parce qu’à Saint Martin, tous les jours, il y a marché, sauf le lundi, où nous nous régalons dune soupe et dun steak, avec une part de gâteau au chocolat en dessert. La Maman de Benjamin minvite de bon cœur et elle m'accorde que ce gâteau est le meilleur  de la patisserie de l’église.

            Benjamin ne prendra pas de gâteau, aujourdhui. Je sens, au loin, mes camarades  assis dans la classe, un peu tous abattus par la mauvaise nouvelle du week-end, les uns moins que les autres... Bien quil serait capable de manger deux part à lui tout seul, Benjamin est triste de ne plus me voir. Il a perdu son appétit et se lamente plutôt que de se nourrir. Ce jeune ne fera pas de mal à sa ligne. Alors, je nirai pas à l’école aujourdhui. Je ne veux pas être le plus funeste des centres d'intérêts.

 

            -           Nas tu pas envie de sortir dici, Albin ?

            Cest Jean, le prêtre. (Ce que jai trouvé bizarre, je vous l'ai dit, parce quil ny pas d’église à Saint-Martin, excepté une ruine, il nexiste quune vieille chapelle abandonnée.) Lui, il traverse les murs comme un fantôme expérimenté. Moi, je décide par habitudes de passer par la porte. Tant quelle est fermée, je ne sors pas.

            -           Regarde, la saison est exceptionnelle

            Je ne lui retourne quune grimace  en guise de réponse. Il a raison, le temps est froid et lumineux comme jamais. Je ne sais pas pourquoi je n’éprouve aucune envie de sortir. Jean veux me divertir, je crois quil aurait du être comique de scène plutôt que curé.

            -           Que font les cochons la nuit quand ils dorment ?

             Même avec n'importe quoi, il peut vous construire une boussole. Il ne perd jamais le nord. Mais son cerveau à peut-être subit une inversion des pôles. Jean se vet de sa robe de chambre pour venir me voir. Il ne met plus sa soutane depuis quil voyage en esprit. Son discours me parait plus que douteux, mais cest bien ce quil ma dit.  Ici, lhabit ne fait pas le fantôme, alors je me méfie. Il présente tout simplement une bonne tête depuis ses soissante balais qui ne ferait pas confiance au père noël même en sachant qu'il n'existe pas. Puisque je nai pas dautres visites, je vais le laisser me distraire

           

            Personnellement, je me suis désincarné dans un costume qui ne me rappelle rien. Un trois pièce noir, plutôt terne et délavé… A croire que je suis inviter à un enterrement. J'espère que ce n'est pas le mien. Tout compte fait, je me suprends à hésiter... Vais-je retourner dans mon corps, rester entre deux mondes ou m'en aller encore un peu plus loin?

           

            Je me décide à lui répondre pour ne pas le laisser dans le vent de sa question. Je vous rappelle quil parlait des cochons, à savoir, ce qu'ils font la nuit quand ils dorment.

            -           Je ne sais pas. Ils rêvent, comme les chiens ?

            Ma réponse se disperse dans les airs, hors de son humour.  Je crois que Jean préfère les cochons aux chiens. Il reste perplexe. Les blagues de Jean ne me pousse pas toujours à rire... Le sommeil des cochons ne ma jamais intéressé au plus haut point, surtout depuis ce matin. Mon cœur nest pas à la devinette. Je n’éprouve aucune envie de chercher la chute de sa blague.

            Par politesse, je fais mine de demander un indice par un hochement de tête. Jean me délivre la plate solution...

            -           Ils font la même chose que le jour. Ils ronflent !

            Je ne comprend pas toujours vite. Pourtant Jean rit comme deux. Il s'épuise dans son esclaffement, semblable à un cochon, raclant son palais mou.

            -           Rrrrrrrrr !

 

            Je crois que j'avais déjà inventé cette blague à mes cinq ans, puis, j'ai oublié avec le temps à quel point mon esprit était léger à cette époque. Jean se roule déjà en se tordant par terre, plié en seize. Son regard de vieux se concentre dans ses pupilles. Quand il rit, Jean bride ses yeux et en fait jaillir des rayons de soleil. Il représente le genre de vieux que je trouve con mais attachant. Il gagne du terrain et je pince donc le coin des lèvres pour lui montrer ma sympathie, car ce matin, je ne vous le cache pas, je me suis levé du pied gauche.

           

            Jean est heureux en esprit. Il reste toujours aussi barbu, autant quil rajeunit. On dirait que Jean a découvert lexistence des trois dimensions uniquement après sa mort. Il est en même temps aux huit coins de la pièce...  Heureux et léger, les fantômes ont normalement cet avantage. 

            Je repense à Maman et à ma console de simulations de vol... Elle na pas pensé à apporter mes jeux vidéo, elle a préféré dire du mal de moi. Bien sûre, ressasser ces histoires ne me donne pas bonne mine. Laissons-la me haïr. Je la chasse de mon esprit. Je me suis retourné vers la fenêtre. Le fluide de Jean na fait quun tour.

            -           Toi, tu as envie de t’évader

            Il avait tort et raison à la fois.

            -           Non, je me suis levé un boulet au pied, cest tout.

            Jean est de nouveau plié en seize. Je ne veux pas faire de lhumour, la stricte réalité s'impose, même ailleurs. Il va comprendre ce que veut dire tirer un cadavre. Ma cheville est cadenacée à une chaine, elle-même soudée à une lourde sphère de métal. Je me déplace jusquau lit pour masseoir à mes cotés. Il me manque le drap blanc et le manoir pour me donner toute l'apparence d'un vrai cliché irlandais. 

            La boule est lourde et grince au sol à chaque pas. Son poids est relatif à elle aussi, mais ce matin, elle ne me lache plus d'une semelle et je ne supporte plus de la subir en la trainant derrière moi. Voilà ma sombre apparition face à Jean. Bien sûre, cest un boulet « spécial fantôme», il ne laisse aucune trace sur le carrelage. Mes visiteurs, ne voient ni mon esprit, ni mon boulet. Mon nouvel ami ne lâche pas un souffle car lui il est libre comme l'air à chaque fois qu'il quitte son corps...

            -           Tu ten es rendu compte ce matin?

            Évidemment, jopine de la tête. Il sinstalle à ma gauche. Je le sens qui cherche Non plus une blague, un réconfort ou peut-être une explication. Je scrute corps et âme la surprise dune remarque intéressante. Je suis triste et pendu à ses lèvres...

            -           Est ce que tu ronfles quand tu dors ?

            Pour un prêtre, la remarque nest pas sérieuse... Je boude sa désinvolture.

            -           Tu vois bien que non !

            Je lui montre mon corps avachis sur le lit. Je suis déçu de son entrée en matière. Il a faillit me comparer à un cochon. Mon cœur a très légèrement varié son rythme végétatif dans mon emportement. Les médecins le relèveront. Les machines lont relevé. Je reviendrai... Peut-être, suis-je appelé à y retourner si mon âme accepte...

 

            Non. J'ai décidé depuis vendredi que je n'y reviendrais pas! Je me détourne de Jean et avance vers la fenêtre, indécis. De un, me voilà chaîné; de deux je suis habillé de noir... A quoi bon chercher Jhésite à lui en dire plus Après tout, cet homme, qu'il soit prêtre ou maçon, cest un inconnu.

            -           Tu nas pas fait un rêve qui peux texpliquer ?

            Jean s'implique et je m'étonne de l'entendre parler de la science des rêves. Qui aurait pu croire qu'un prêtre attache de l'importance à l'oniromancie.

            -           Des rêves jen fait beaucoup, tellement que je les laisse fuir.

            Les souvenirs ne font que passer dans mon esprit. Jai oublié une bonne part de moi afin darriver à vivre après ma mort. Je sais que je me cache De qui, de quoi, je ne sais pas. De moi, c'est certain... Je ne men inquiète pas pour autant. Le présent me suffit, l'étude de l'histoire n'a jamais changé son cours. Jean reprend la discussion.

            -           Tu imagines... Un mois de sortie de corps et je nai jamais eu droit au boulet!

            -           J'atteins peut-être un grade promotionnel ?

            Jean agonise depuis presque un mois. Quand il est inconscient, il devient un esprit libre et tellement plus jeune. Je crois que dans son corps, il nest pas heureux, son corps le fait souffrir. Agoniser à toujours tuer tout le monde, bien que, pas toujours. Moi, je suis tombé dans l'inconscient dun seul coup. Je suis jaloux.

            -           Toi, tu regagnes ton corps quand tu veux

            Je ne sais si cette question était un reproche. Je viens de lui répondre très agacé comme une demi affirmation Il acquiesce. Mon cœur est tiraillé entre le retour et un nouveau départ. Je suis indécis. Tout juste ce qui lui donnerait une bonne raison pour me taquiner. Mais Jean est sympathique pour un vieux. Sans lui, je me sens bien seul.

            -           Et toi, tu ne dis pas grand chose...

            Il est vrai, Jean a raison. Mais je nai pas à parler de moi. De un, cela nintéresse personne. De deux, je dois me taire, pour ma sécurité, personne ne doit entendre parler de -cette clé-. Ni même de celle qui la détient. Motus et bouche cousue. Mon corps est bien trop vulnérable et je ne voudrais pas qu'on l'atteigne. On ne sait quelle idée pourrait la tête de Papa. Surtout en cette période de crise. Qui me dit que je peux prêter ma confiance à Jean ? Si un prêtre est au courant de quoi que ce soit, il n'hésitera pas à le dire à Dieu. Et si Dieu le sait, tôt ou tard, quelqu'un d'autre aura humer le parfum du complot familial. Plutôt mourir d'honneur que de bêtise. Un secret nest pas souvent digne du premier venu, même du dernier. Une parole nest pas toujours bien interprétée Je me tais, je protège -la clé- et son secret, Jean a tout simplement compris que je ne dirais pas un mot. Dieu est une balance.

 

            -           Jai une connaissance qui pourrais peut-être tintéresser.

            Il me gonfle. Où distribuer mes chances pour un avenir hors de cet hôpital ? Comment percer le secret ultime de la mort ? Et comment quitter ce monde et en revenir pour en témoigner, afin que les vivants arrêtent avec tout leur fatras de superstitions ? Même un bon témoin revenu dans le monde réel, ce ferais fusiller tant les humains sont fous.  Si on devais jouer au carte, je n'aurais que Jean comme partenaire. Oserais-je laisser mon corps seul, abandonné et sans surveillance ? Puis-je m'en aller, ai-je encore un devoir envers les miens ?  Qui sont-ils ? Suis-je donc obligé de m'en rappeler ?

            Ça y est, je deviens comme Maman, j'ai oublié la question de Jean parce que j'ai trop hurlé dans ma tête.

            -           Tu disais Jean ?

            Il parlait d'une connaissance qui pourrais peut-être m'intéresser.

            -           Une blanchisseuse. Une blanchisseuse en chef qui plus est !

            Jean est très fier de me lannoncer. Mais sincèrement je ne vois pas le rapport. En quoi pourrait-elle mintéresser ?

            -           Figure toi, quelle est « noire »…

            Bon d'accord. Je prend ma vie trop au sérieux et si cela continue, je risque de passer à côté de la mort. Le faux cureton avait dit ce dernier mot, noire, comme on parle dun mystère. Le noir, n'est ce pas ce qui m'a toujours fait peur ? Petit j'exigeais une veilleuse dans ma chambre. Une blanchisseuse noire, mais où va-t-il les chercher ? Cette femme pourrait apparemment m'aider, je mors à l'hameçon alors que Jean change d'idée. Celui-ci n'a qu'un seul credo me dit-il... Celui de ne jamais penser le ventre vide. Dans ce monde, il suffit de dire, à table, pour que devant vous s'étale un buffet  majestueux.

             Je me tais pour observer les toits depuis lexceptionnel plongeon sur Saint Martin, la ville de ma vie. Il me propose un croissant pur beurre que j'ai le malheur de refuser parce que je suis ballonné. Notre nourriture n'est pas la vôtre, elle ne nous apporte, ni protéine, ni vitamine mais seulement une notion de plaisir. Car tout ce à quoi nous pensons peut prendre forme devant nous.

            Tout à lheure il y avait une enfant en tutu sur le toit de laile ouest. Peut-être y est-elle encore ?

            Jean se trouve mis à mal, deux croissants dans la bouche, il pouffe de rire. Ce goinfre voit que je nadhère plus à rien, il fait tout pour me récupérer car en réalité, oui, en réalité, le pire pour un esprit, ce n'est pas de penser à rien, mais de refuser de penser. Peut-être que je suis en dépression. Je suis fuyant et liquide. J'évite toute interaction avec l'extérieur.  Même la meilleur des blagues me passe en dessous du nez, je ne partage plus rien avec personne, ni même moi-même. Je suis suspendu en pensée, mort en quelque sorte, fatigué, tellement fatigué que tout m'indiffère.

           

            Il se passe quelque chose à cette heure, j'en suis certain au point d'en perdre l'appétit qui ne m'avait pourtant jamais quitté. Jai un pressentiment pesant qui me rappelle quelques brulures à l'estomac dues au stress avant un examen. Comme si javais oublié quelque chose dimportant.

            -           Mais nous irons demain Tu nas pas lair dans ton assiette, Albin. Tu es pâle                 comme un mort, il s'esclaffe.

            -           Javais prévu de me promener en ce qui me concerne mais je vais te laisser.

 

             Lise Newton va sans doute changer de nom, Einstein pourquoi pas? Et cela suffit pour conforter mon amnésie. Oublions notre histoire, oublions nous nous-même, faisons en sorte que le monde n'existe pas.

            Maman na jamais pris le nom de Papa. Elle sest juste présentée un jour sous le nom de Primo et elle a fait partie des meubles. Ce qui arrangeait bien Papa. Mais Lise Primo, n'a jamais existé. Maman a toujours espéré quils se marient un jour. Quand elle était jeune, elle imaginait tellement la scène, quelle croyait la réaliser déjà. Elle en a trop rêvé et elle n'y a pas assez cru pour oser un jour lui faire sa demande. Papa, lui, tant qu'il rentrait à la maison, il n'y pensait pas. Elle pouvait s'appeler Primo, l'histoire Newton n'avait que peu d'importance.

            Chez moi c'est l'hôpital maintenant, mais, cela lui permettra peut-être doublier ces moulins à vents, mes parents n'ont malheureusement plus d'enfants pour s'attacher aux combats idéalistes. Ils sont aujourd'hui seuls face à eux-même, et comme par hasard, ils se sont séparé dans ma chambre d'hôpital, en ignorant ma présence. Pas étonnant que je reste dans le coma. Il ont signé un accord commun, tacite, implicite, sans fuite.

            Je songe à toute l'histoire du monde, sauf à ce que me dit Jean. Finalement, il ne sait pas comment je suis arrivé ici. Jean ne me connais pas non plus.

            -           A plus, Albin ! Et noublie pas tes prières

            Jean fait mine de sen aller. Je dois penser à cette enfant que je vois chaque nuit danser sous la lune depuis mon entrée aux urgences. Je ne connaît pas son nom mais elle joue avec un cerceau sur les toits de lhôpital. Je pense à elle et voilà quelle apparaît soudainement sous mes yeux. Elle est mignonne à croquer cette gamine...  Avoir lair bête n'empêche pas d'être mignonne. Cest le deuxième esprit après Jean, qui est venu me faire un signe spontanément. La petite fille, de sept à huit an samuse en me narguant depuis trois jours maintenant. Car il est facile, pour elle, de bouger, elle na pas de boulet au pied. Depuis la première nuit déjà, je la nomme « la petite fille au cerceau ».

            -           Tu connais « la petite fille au cerceau », Jean ?

Jean nest plus dans la pièce. Je ne lui ai même pas dit au revoir...

 

***

 

           

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

            Lhôpital Saint-Martin se dessine en forme de « L » imposant. Il se perche plus haut que le reste de la cité. Comme sil voulait cacher lusine, en amont de la ville. Devant lui, s’étale une jeune bourgade moderne sans cesse en construction. Il nexiste plus aucune saison sans grue ou bulldozer depuis sa naissance car elle est jeune de deux ans à peine. Née sous un gisement de gaz, elle devient la petite capitale mondiale du gaz hilarant ! Le monde entier nous en commande, plus tard je serai le premier distributeur au monde de ce gaz unique. Une variante, jusque là, encore inconnue, fleuron de la ville et qui nous a  aidé à prospérer, nous, la famille et les habitants de Saint Martin. Dix ans de travaux pour que démarre son expansion. Le gaz hilarant fait des émules. Une décennie s'est écoulée avant que la population s'installe.

 

            Ma chambre est située dans laile Est de linstitut savant, tout comme celle de Jean.  La mienne porte le numéro 308, Maman est au courant, elle est déjà venue. Mais ne croyez pas quelle va revenir.

            Il est 1h et mon costume sefface. Je ne comprends pas encore les lois de ce monde. Pourquoi avais-je un costume, pourquoi disparait-il? Un complet noir, version classique. Tous mes vêtements s'évaporent et me voilà nu dans ma chambre. Jai lintuition davoir loupé quelque chose dimportant cette après-midi. Plus de veston, plus de pantalon, plus de chemise. A poil mais chaussé, encore aux pieds les chaussures minspirent. Apparemment, jobtiens le droit de les garder car elles restent à mes pieds. Tant mieux pour moi car jaime bien ses mocassins. Conçu en  cuir de crocodile blanc, voici un fin travail dartisans. Je me demande comment ils ont pu chasser un crocodile albinos. Son existence suppose certainement d’être trop rare.

            Les mocassins sont restés à mes pieds pour accompagner un jean dun bleu plus commun qui remplace mon allure funèbre. J'ai passé  la robe de chambre sur mes épaules pour me mettre dans les conditions du lieu. Je nai pas compris ce qui vient de se passer... Cet habillage automatique, sans doute est-ce une folie du monde fantomatique. Je saisirai plus tard...

 

            Je mobserve. Je suis tout allongé. Goutte à goutte, je suis nourris, patient comme une plante de 17 ans. Il est 17h, mon couloir dhôpital s'éteint peu à peu. Le jour décline et les couleurs du ciel se vantent du peintre qui s'applique dans son atelier. Mes cheveux transpirent la couleur noir, le nez fin, je dors. Je tourne autour de moi et jose madmirer pour la première fois. Si mes paupières étaient levées, vous verriez ce que veut dire le vert dans mes yeux ! Ils font semblant d'être gris. Je suis pâle mais tellement présent dans ma peau. Il y a du rose là où jai froid, mes vaisseaux sanguins nuancent aux extrémités mon teint hivernal. Timides et constants, ils apportent par vagues la chaleur nécessaire à mes organes des sens hibernants.

 

            Trêve de poésie, je vois « la petite fille au cerceau » ! La gamine, avec sa petite tête blonde en forme de poire, son visage se caricature par des joues gonflées et rondes comme celle de tous les jeunes enfants... Sept ans à mon avis et ronde de tête. Quand Jean est partis, je la voyais déjà. J’espère qu’il la verra aussi, depuis sa chambre, afin de lui en toucher deux mots. Qui est-elle ? Depuis ma chute dans le coma, je dois avoir contracté une timidité aigüe du discours car j'éprouve des difficultés à parler de moi. Plus j'y pense, plus je m'enferme. Sans même savoir si il y a quelque chose à en dire.  Vivement la télépathie parfaite, du cœur à la tête !

            Et je pense beaucoup Je pense trop. Jean, il ne pense pas. Tu reçois le signal de son esprit, comme tu te branches sur une station radio. Mais, lui, cest « radio silence », à ses côtés, tu es interpellé par le calme de sa pensée, malheureusement la qualité du silence n'est jamais considérée par l'audiométrie, dans le commerce des ondes. Il m'a dit que certains esprits, transportent dans leur tête un brouhaha semblable à l'approche d'une autoroute ou d'une piste de décollage, comme si ils aspiraient un terrible vrombissement d'avion pour enfin comprendre l'essentiel.

            Il loge à cinq mur de moi daprès ce quil ma confié. Ce dont jai peur cest quil puisse lire dans mes pensées. Alors, si je pense comme un long courrier qui s'envole, je devrais être capable de brouiller les pistes...

 

            La fillette a exécuté à ma vue ses plus belles figures depuis le toit du bâtiment. Collants dappoint, et tutu blanc, son allure est acrobatique. Elle connaissait des enchaînements de premier ordre. Elle a dansé sur ce toit jusquau couché du soleil, le nez pointé vers le couchant. Une tête blonde déambulait, funambule, sur les toitures en tuiles rouges, à lancer son cerceau en lair. Il y bondissait telle une étoile blanche dans les derniers rayons, une filante, éprise de danses et de rires.

            -           Danses, jeune fille !

            Rien qu’à la voir samuser, je me réjouissais avec elle. Elle lance. Je lencourageais et cela me distrayait. Un pas, puis deux, la roue et sans fixer lobjet, saisie de la main, retour à lattitude. Elle jouait avec les formes de la gymnastique sportive. Âgée de sept à huit ans, je tire mon chapeau. Parce que je porte aussi un chapeau, lui non plus na pas disparu.   Cela ne paraissait pas dangereux pour un esprit de sa taille. Même si une tuile venait à tomber, ce serait la faute de la gravité, pas la sienne.

            « La petite fille au cerceau » s'exerce à passer à travers son jouet comme on saute à la corde. Celui-ci tourne autour delle, sous ses pieds jusquau dessus de sa tête. Elle lance une marche à répétions de ce mouvement jusqu’à la pointe de laile ouest. Ses petits pieds fous sursautent à chaque arrivée du cerceau vers le bas. Elle voit que je lobserve. Elle se retourne et me fait un clin d’œil. Je ne sais pas comment je lai vu, elle était trop éloignée pour le percevoir d'un œil humain. L’œil de lesprit nest pas semblable à celui du corps. Il voit plus loin. 

            A linstant, je ressens le besoin de lempêcher d'exécuter ce quelle va faire. Elle tiens son cerceau, à bout de bras, parallèle au vide, sur la pointe de limmeuble. Le lâchant « la petite fille au cerceau » lance sa jambe pour sauter dun pas, droite comme un piquet. Elle disparaît dans langle mort à la suite de son cerceau. Elle chute et je ne la vois plus.

            -           Elle est folle !

            Je la qualifie d’irresponsable sans quitter ma chambre, le nez à moitié dans la vitre. Je sens le froid du dehors rentrer dans mes narines et je recule à un mètre de la fenêtre.

Tout est si différent maintenant...

 

            Les lois de la physique, pour les esprits, ne sont pas identiques de celles qui régissent les corps. Je ne m’y accommode pas. Si eux, s’envolent et sautent dans le vide je dois m’afficher capable des mêmes performances. Je dois pouvoir traverser un mur, moi aussi. Pourquoi n’ai-je pas encore traversé de mur ? Je décide de réfléchir et je m’allonge à mes cotés, ceux d'Albin, mon corps ensommeillé.

            -           Où nous en sommes maintenant copain ?

            J'ai l'impression de parler à mon frère mais je n'ai jamais eu à goûter le loisir de ce lien. Je ne me relance pas et la discussion navance plus évidement. Je nappartient plus aux hommes, même plus à ma chair. Mon esprit poursuit des idées, mon corps se repose. Il ne mappartient plus non plus.  Je voudrais minterroger. Pour la première fois de ma vie, je mespionne de lextérieur. La chance de me voir comme je suis, me raconte enfin, et sans scrupules, que dormir est mon passe temps favoris.

            -           Albin, dis moi comment tu te sens aujourdhui ?

           

            Mon âme doit ressembler à un coffre secret que j’ai enterré dans ma mémoire depuis le départ de Papa. Comme tout le monde. Sous son ordre, je préservais la clé aujourd'hui volée par Maman... Ce coffre qu’il m’a donné, son héritage. Comme tout le monde. Quand mon interlocuteur ne mérite pas d’y jeter un œil, je ne l’ouvre pas. Comme tout le monde. D'ailleurs, je sais qu'il est là, je le couve, secrètement, dans la chapelle abandonnée. Un coffre qui contient le secret de la richesse, rend les gens envieux, alors je ne le montre à personne. Comme tout le monde. J’ajuste depuis trop longtemps ma démarche afin de ne pas attirer les regards. Comme tout le monde. Ce sont les joyaux de mon âme qui me rendent prudents. Des sentiments, comme personne n'en a jamais possédés. J'ai volé ces joyaux avec Papa, je suis son complice. Et cet or, illimité, restera caché. Meurtrier, meurtrier, meurtrier... Ensemble, Papa et moi avons cloisonnés les sentiments des gens de Saint-Martin.

 

            Hélas, l’argent, toujours l'argent.  Helas, l'argent est illimité. Imaginez un compte en banque qui ne se vide jamais, il annonce de lui-même, la mort du capitalisme. Et bien j'en suis l'héritier. Il inspire le décès des banques, et la fin d'un monde se déploie chassant des têtes comme des diamants quitte à leur arracher les yeux. Je peux tout arrêter. Attristé, je me déçoit de ne pas pouvoir le partager, non seulement par fatigue mais par défaite. Imaginez le nombre d'ennemi, je ferais du monde mon jardin, distribuant à ma guise et à qui de droit. Pas digne d’être riche. D’ailleurs personne ne connait la dignité tant que le monde ne l'incarne pas. Le fer, encore l’enfer de l’enfermement; et pour l'or, d'ors et déjà l'or qui dort est mort. Ce ne sont que des ronds creux comme la monnaie unique de Saint-Martin. Tant pis, nous apprécierons l'hilarité et le monde avec nous. Oublions tout.

           

            Me rappeler de mon histoire me donne le mal de mer. J'apprécie explorer depuis ce balcon, la fin des frontières de l'espace et du temps. Comme si je pouvais arrêter le monde et le recommencer. Hélas à l'instar de ma mère, je repasse l'éternel présent comme un passé immuable sans l'avenir. Il y a un an,  jaurais pu jeter -la clé- de son sale coffre, et pourtant providentiel, dans la fontaine des vœux. Le coma m'empêche d'être responsable de la fin du monde. Papa aurait été furieux que je m'en débarrasse ! Je regrette de ne pas m'en être acquitté, peut-être que ce boulet ne se serait pas accroché à ma cheville.

            A la place de -la clé-, jai préféré me séparer d'un de ses ronds de fer symbolique, de ceux qui ne me quittent jamais. Ceux que Papa me donne souvent, la monnaie frappée de Saint-Martin. Une pièce creuse, depuis que je suis petit, je regarde le monde à travers...

 

***

 

           

 

 

            Je ne rougissais pas de honte mais dessoufflement. Javais les mains pleines de terre car je venais denterrer le coffre avec mon patriarche, sans voir vraiment ce qu'il contenait : le cœur symbolique d'une vierge. En l'effaçant de mon esprit, comme s'il existait des pensées javel, j'aurais retrouvé la paix mais je n'ai jamais réussis.

            -           Ne pas t'y intéresser, tu n'en est pas encore capable.

            Papa venait de partir pour de bon, sur cette bonne parole, en sachant quun jour je le retrouverais. Parfois, je regarde en arrière et je pense à cette vierge. Symbole du crime parfais contre les hommes. Aujourdhui, je réalise que ce jour, fut aussi celui dune belle rencontre. Une autre vierge, qui s'est offerte à moi, non à mon père.

 

           Je pleurais auprès de la fontaine des vœux. Zoé souhaitait maider à briser la clé, bien peu intéressée par son mystère. J’étais triste ce jour là, plus quun autre jour. Rien d'étonnant, nous avions enfermé une force soit disant maléfique dans un coffre. Le cœur d'une vierge. Une richesse infinie. Papa m'avais obligé de creuser toute l'après-midi, seul en me regardant. Je voulais en finir avec cet affreux complot, détruire cette clé c’était détruire laffreux secret, le secret de la richesse. Je lavais déjà enterré dans la chapelle de Saint-Martin, une vieille battisse en ruine et maudite sous l'ordre de Papa. Car Papa a refusé tout nouvel essor de la religion à Saint-Martin. Les gens du patrimoine n'ont jamais pu restaurer l'édifice malgré de multiples demandes. Ce qui aurait favoriser le tourisme.

            -           La religion, c'est l'opium du peuple !

            Disait le vendeur de gaz hilarant. Mon trésor y est resté, bien enfouis, personne n’était au courant. Pas même Zoé, je ne voulait pas mettre en danger une seconde femme.

            Je la frappais entre deux pierres, -la clé-, avant que la jeune demoiselle ne m'interpelle. Le fer ne bougeait pas, mais certaines parties furent éraflées. Mes mains étaient plus abimées que cette malheureuse clé ne l’était. J’étais rouge, transpirant, coléreux et  égorgé de pleurs, cela navait pas empêcher Zoé Clerc de madresser la parole. Légère, joyeuse, docile en apparence. Double sens : les apparences font du bien.

            Jignore si elle avait su pour Papa, le patron enfermé dans sa tour. Elle avait du entendre son discours, ce qui avait dissipé toute méfiance, le lendemain du grand feu. Je ne veux pas m'en rappeler, pas le grand feu. On oublie tout. Plus tard, j'en parlerai. Depuis il fait toujours le même discours « le jour de la fête de Saint-Martin ».

           

            -           Tu as lair bizarre Je peux taider ?

            Un cristal qui chante, le son de sa voix vibre harmonieusement... Je sais, on ne le dit jamais, car cela fait peur, cela peut le briser, mais à l'instant même, je l'ai aimée. Alors, je n'ai rien dit.

            Il n’était pas question que je partage mon magot, je voulais bien le détruire. Le partager ? Jamais ! Une telle épée de Damoclès, mon héritage, ne devait pas menacer plus d'une seule vie. La mienne. Je me suis empressé d'être possessif. Instint de survie. Il me fallait impérativement lui faire oublier cette clé. De surcroit, m'oublier moi-même. Mon envie de connaitre Zoé allait m'aider à m'évader de cette bourbe... 

            Je ne m'attendait pourtant pas à la voir. Je fut étonné et suffoquait un temps, en essayant de récupérer mes pleurs. Oui, mon souffle crépitait et fumait sur la braise humide.  Mais plus haut, le long de ma nuque, jai eu chaud, dès son approche. Jai inspiré, jai expiré et amadoué mon souffle Je me serait élancé dans ses bras si nous étions dans un monde parfait. Mais une telle spontanéité n'appartient qu'aux enfants, les adultes ne naissent pas dans les choux, mais dans la rigidité du savoir vivre, comme si vivre était un savoir.

            J’étais tellement triste depuis le départ de Papa. A qui parler, à qui confier. Personne. Je rêvais d’être consolé par quelquun dheureux. Zoé était toute prête à rayonner pour moi.

            Il valait certainement mieux de dabord cacher cette clé. Jai marché vers l’étang, cette fontaine du parc communal. Je me suis éloigné delle. Zoé n’était pas vexée que je lui tourne le dos sans lui répondre poliment. J’étais pourtant ravis quelle soit là, cependant agacé à l'idée même de devoir lui parler du coffre.

            Finalement nous navons même pas abordé le sujet. Elle est restée où elle était. Moi, jai fixé mes larmes en pierre. Zoé méritait de voir mes yeux secs, le vert qui dit  j'espère et le gris qui amincit le regard. Je méditais en tailleur, face à leau. Spontanée, elle me tend :

            -           Tu es ravissant comme garçon, tu es le plus ravissant !

            -           A bon?

            Elle a du crier pour la distance. Ce qu’elle disait demeurait stupide dans l’air. Cela reflue dans mon souvenir comme une exclamation trop sincère pour l’heure mais tellement chaleureuse. Etonnement, une part de moi l’appréciait alors que l’autre en fut vexée. J'ai sourit sincèrement. Zoé me connaissait à l’école, aucunement au parc communal. Elle n’était jamais venu courir à mes cotés, dans le bois. Comment dire…? Courir, jusqu’à en perdre haleine et défier la forêt ! Courir jusqu’au dernier souffle pour muer la tristesse en dignité. Courir et hurler. Hurler aux arbres, la haine que l’on éprouve rien qu'en venant au monde ! Hurler pour naitre, courir pour revenir, finalement toujours amer mais un peu plus fatigué qu’énervé.

           

            Zoé sest approchée sans que je lentende, je me sentais obligé de lui répondre. Son ravissement n’était pas le mien, mais mon seul désir était dy prendre part. Là, je ne me mettais pas à parler pour défendre mon honneur. Je navais plus dhonneur. Papa lavais tué en me rendant responsable du monde entier. Y a-t-il un quelconque honneur à annoncer la fin du monde. Moi, javais réussis à tuer lhonneur pour préserver lespoir. Partir et dire que c'est honorable, pour un père, quelle lâcheté ! Il ne m'a même pas félicité, alors que moi, j'ai eu le courage de rester. Jarrachai la fatalité de mon cerveau pour ne pas quelle sinquiète. Jallais lui raconter lespoir. Il suffisait de lui répondre par un fait dactualité. Le discours que Papa reservait chaque fois, « le jour de la fête de Saint-Martin ».

            -           Un jour, dans la ville de Saint Martin, l’usine de gaz n’a pas tourné.

            -           Pourquoi ça ?

            De la voir très intéressée, je continuais. Je connaissait trop bien l'histoire.

            -           Parce que les travailleurs lancèrent la grève.

            -           Et alors ?

            -           Cela na duré quun jour !

           -            Dis moi pourquoi ?

            -           Parce qu’à Saint-Martin les drames ne durent quun jour.

            Papa voulait consoler, apaiser c'est souvent mentir. Cela n'a pas de saveur, ni dans sa bouche, ni même dans le fond… Les mensonge ont le goût de l'amertume. Pourquoi ai-je répété cette ignominie, parce qu'elle apaise dit-on. La ville de Saint Martin écoute sous sa botte, le patriarche, chef des usines où les grèves ne durent qu’un jour.

            -           Je ne suis pas de Saint-Martin et chez moi, les drames n’existent pas…

            Zoé jouait d'une répartie aussi simple que le jour qui se lève. J’imaginais qu’elle comprenait que j’allais m’en remettre. Mais quoi penser de ce qu'elle avait laissé s'échapper entre ses lèvres. Rien. Elle était seulement meilleure que moi. Raison de plus pour ne pas l’inquiéter à propos du trésor. Etre riche n’a rien de confortable, il faut ruser. Surtout que la triste clé se fasse oublier dans le fond de ma poche...

           

            Zoé était debout, à mes cotés, à suivre le vol dun canard, elle me subjuguait vue den bas. Une fille qui ose encore mettre des robes, c'est rare. La fin de l’été tombait, j'allais me relever.  Zoé voulait profiter des dernières caresses du vent chaud, pas directement des miennes. Ma tête était à la hauteur de ses cuisses, le pan de sa robe alla me fermer les yeux. Elle sest accroupie en rassemblant l’étoffe légère sur elle-même. Zoé me regardait vivement.

            -           Confiance !

            Comment osait-elle me conseiller ? Une campagnarde comme elle ! Malgré tout gentille... Je lui réponds alors :

            -           Ne tinquiète pas

            Je nai jamais aussi peu vécu mes mots. Je me désintégrais Je ne voulais pas de pitié, ni de compassion. Ceci me rappelle quil est très étrange daimer un instant qui vous met mal à laise.

            -           Zoé Clerc, timide assumée !

            Elle s'est présentée.

            -           Albin Primo, héritier blasé...

            Je devais mincliner devant son effort. Zoé rougît. Jai tourné la tête, après lui avoir volé son sourire. Elle ne savait pas quoi inventer de plus pour me consoler. C'était déjà pas mal. Regardant ailleurs, elle soupira de bon cœur, comme si son battement devait ralentir, sa respiration gonflait sa  menue poitrine entre son corps et ses cuisses. Voilà ce qui m'a attiré chez elle, sa patiente présence. Depuis qu'elle était là, je n'aspirais qu'à elle.  Zoé Clerc mesurait encore la distance, mon corps, lui, n'y comptait déjà plus... Il ne me restait plus qu’à lui parler, la flâtter :

            -           Toi aussi, tu es ravissante.

            Dessus ses pommettes roses, j’élucidai dans la brillance d’un reflet miroiter dans son regard, un murmure que son âme me soufflait: si je voulais de son écoute, je pouvais me confier… Je n'avais rien à dire, tout à faire... Je saisissai alors la plus délicate main du monde. Une main aux proportions de rêves. Une légère pression au poignet quand elle a voulu se la libérer, la retenir un quart d’instant, pour que nos yeux se croisent encore. Il ne me restait qu’à tenter une approche.

            -           T'aime le fromage ?

            Je préfère l'abordage dérisoire. Il ne m'arrivait que les pires idée du monde, je le lui ai dit, elle a sourit. 

            -           Oui, pas à tout heures.

            -           Et ta sœur, elle aime le fromage ?

            Là, elle rigolait sincèrement.

            -           J'ai pas de sœur.

            Zoé Clerc était décorée de motifs de plage, imprimé sur le tissu de sa robe : original et dépassé étaient des termes qui se mariaient à son allure. Elle ajouta après s'être empêchée de rire...

            -           Tu as quitté la classe plus tôt ? A dix heure, t'était partis.

            -           Oui

            -           Pourquoi ?

            -           Mon père... Heu... Je ne me sentais pas bien

            Les silences ne convenaient pas à Zoé, alors elle les combla.

            -           Jhabite au cloître des ursulines. A lancien couvent, il y a une aile réservée                    aux internes. Je suis contente de revenir. Mes parents ont bien faillit ne pas                   joindre les deux bouts cette année ! Jai eu de la chance finalement.

            -           Pourquoi?

            -           Tu le demande encore ?

            -           Oui.

            -           Tu ne maurais pas connue

            Nous n’étions pas dans la même section l’année précédente. A l’inverse, nous y sommes pour celle qui s’annonce si différente. Cet été, je suis allé la voir où elle habitait… En campagne, chez ses parents. Nous savions depuis juin que nous rentrerions dans la même classe. 

 

            Zoé ne pose plus le pied dans cet hôpital et voilà ma plus grande désillusion depuis la chutte. Je ne peux toujours pas accepter qu'elle ne me donne aucune nouvelle. Son absence pèse plus lourd que le reste de mon histoire. Aucune visite depuis laccident. Alors ma complice de ce soir, ma compagne criminelle, était présente la nuit du drame. C'était notre nuit. La nuit où elle m'a donné sa virginité. Pourtant, elle ne vient pas, ou elle s'est trouvé un nouvel ami. Si je reviens, c'est pour elle.

           

***

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

            Mon corps se fait masser, je fond dans le matelas. Un homme en blanc vient mettre en mouvement mes membres physique. Je ne laime pas cet aide soignant, il sappelle Max. Il a de drôles  didées dans la tête. Mon corps prend pourtant lair dapprécier ses massages. Ici, je me branche aux grincements des ressorts pour me distraire. Cela ne dure pas plus quun petit quart dheure de tensions et de flexions.

            Il vient à peine de fermer la porte de la chambre 308, la mienne, et je plonge à nouveau dans mon souvenir comme dans un livre ouvert. Je me revois avec Zoé au bord de la fontaine des vœux ; nom merveilleux de la marre communale. Rousse comme une terre de feu, dans un autre temps, Zoé aurait été brûlée vive, ne serait-ce que pour le soupçon... Elle inspire des allures quon ne prête plus aujourdhui. La croyance à Saint Martin ne sarrête pas aux superstitions, mais aux discours. Synonyme de rumeurs. Et sur son compte, aucune na jamais vraiment percé, toutes sans doute, trop farfelues.

            Une sorcière ne shabille pas en robe de plage. Zoé a dailleurs le mérite d’être discrète sans passer inaperçue quand elle se présente.

            -           Je sais, ça pue…

            -           Quoi donc ?

            -           Les roux.

            -           Mais non...

            -           Si, je tassure ! En été plus quen hiver.

            Je ne réagissais pas et elle a trouvé bon de perfectionner sa dérision.

            -           Quand ils font du sport, leur peau rejette une molécule de transpiration.

             Cette molécule dégage une odeur puissante qui, séchant, saccroche à la                        peau.

                        Le parfum dune rousse en sueur a le pouvoir d’éloigner les parasites.

                        Tu le savais ?

            Cette dernière question fut très moyennement naïve.

            -           Je ne vois pas le rapport.

            -           Cest très simple, vu ma course pour te rattraper, dautant plus que tu nas                      pas fuis, à plus dun mètre Je sens que tu te méfies de moi, mais ; jen                                  conclu, que tu nes pas un parasite

            Elle ruisselait effectivement de transpiration, mais pas autant que l’annonçait la légende. En d’autres moments j’aurais été plus avenant. Personne ne me versa autant d’attention aussi banales dans le seul but de me distraire, il fallait que ce soit une étrangère. Je ne savais pas sur quel pied danser alors je répliquai bêtement.

            -           Mon odorat n’est pas très développé…

            Sur cette phrase non plus je n’étais pas très convaincu. J'en avais marre d'être aussi nul avec elle, j'aurais voulu l'emporter plus loin. J’aurais même voulu la rafraîchir et la lancer dans l'eau mais j'aurais risqué de lui déplaire. Tant pis, je lui ai quand même jeté un peu d'eau. Elle s’échauffait.

            -           Puisqu’on ne se connaît pas, je te propose un jeu.

            -           Quel jeu ?

            -           « Le pari sur lautre ».

            Zoé Clerc avait en réalité l’esprit très vif cette après-midi là. J’avais déjà tout oublié de ma solitude. Son jeu, « le pari sur l’autre », elle l’inventait sur mesure pour la situation...   On y voyait seulement son besoin de combler un vide, dans lequel, elle avait peur  de me laisser tomber. Instint féminin appréciable, bon à écouter sans excès. J'ai failli péter pour décompresser l'atmosphère mais je me suis retenu par politesse, ce qui m'a donné mal au ventre. J'attendais alors du premier instant qu'il m'en fasse surgir un deuxième, et du second, un troisième, et du suivant au suivant, elle m'enivrait de plus en plus. Le manque en réalité n’est alors rien d’autre qu’une invitation réciproque à laquelle nous avons tous les deux répondu. J'ai lâché le pet.

           

            Elle n'a pas rit, elle a levé les yeux au ciel et lancé directement « son paris sur moi »

            -           Je parie que tu te sens seul. 

            C'était vrai. Elle avait compris un sacro-saint credo du marché. Isoler lindividu pour augmenter les besoins. Ce -tu te sens seul- m'avait cloué sur place. C'était faux.

            Mon caractère en classe penchait plutôt vers lanimation. Je connaissait déjà le besoin de distraire les autres pour me distraire de moi. Zoé me dévisageait sous une autre nuit.

            Je remarquai que j’étais déjà les deux pieds dans son nouveau jeu. Elle faisait allusion à mon aplomb habituel. Ce n’était pas très difficile d’être médium. Il lui a suffit de sinformer sur moi. Et ce n’était pas mièvre de me jeter sur le coin de la gueule que je me sentais seul, alors devant tant de franchise, j'ai décidé d'assumer.

            -           Tu as raison. Et alors ?

            -           Bien ! A ton tour, quest ce que tu paries ?

            Cela lui suffisait d'avoir raison même si c'était faux. J'ai toujours eu la force de vivre          seul.

            -           Je parie que tu pues la rousse !

            Je nai pas pu men empêcher. Je riais pour ne pas lui succomber.

            -           Je vois que lodeur a vaincu le fantasme.

            -           Non. Ça n'y pense pas.

            Elle m'avait tendu la perche. Et maintenant, elle me saisissait le col et se bloqua dans mon regard.

            -           Dis moi ce que tu imagines vraiment. Ne me cache rien.

            Ses mains ont relâchés mon col. Zoé ne pressentait pas ce que j’allais lui dire et moi non plus. L'inspiration m'est venue sans effort.

            -           Tu dois aimer vivre dangereusement !

            Zoé voulait seulement que je lui déclame un poème. Un élan quelle minspirait au vol ; ni trop vrai, ni trop faux pour mesurer la distance. Je crois avoir comblé parfaitement son attente.  Un petit recul, sans le vouloir. « Le pari sur lautre » était terminé.

           

            -           Lance-la maintenant.

            -           Quoi donc ?

            Elle n'avait malheureusement rien oublié. Mademoiselle Clerc parlait de -la clé-

            -           Lance-la dans leau.

            -           Pourquoi ?

            -           Je tattend là bas.

            Je ne me trouvais pas fin. Absolument gros, énorme, imposant dans ma bêtise Je palpai ma poche. Il y résidais aussi une pièce creusée en son centre.  De quoi se détacher pour permettre à lavenir dadvenir. Préserver -la clé- paraissait indispensable, je l'ai gardée. Jai pris la pièce creusée en son centre, un souvenir de Papa, de la ville et de nos tristes joyaux. Zoé minterpella.

            -           Pense à un vœu ! Quand tu la lanceras. Penses-y très fort !

            Je voulais revoir Kapla, le chien de la famille. Fuir avec Zoé. Manger du popkorn. Aller voir Paris. Le chien a fugué quand papa est partis. En y pensant sincèrement, j’ai trouvé mon vœu ridicule.  Vouloir est une pensée ridicule.

            Sans y croire, la pièce fut envoyée nonchalamment. Je ne sais pas si un vent particulier mest venu en aide. Toujours est-il que ma pièce tomba mystérieusement au milieu dune pierre ronde ! On aurait dit, une pierre de meule creusée en son centre d'un petit trou parfaitement adapté à la pièce. Un miroir de la petite monnaie en plus grand. Quelques gouttes deau ont jaillit de la chute parfaite, un lancé impecable. Cette précision était franchement improbable, à quinze mètres, avec une telle nonchalance. Je ne me motivais pas pour prendre à parti cette carpe, mais elle partagea avec moi sa stupeur en me fixant. Le hasard... J'ai donc pensé que Kapla reviendrais.

 

            Je voudrais plonger dans ses grands tobogans qui parcourent le ciel. Jean m'a dit qu'on les nommait du même nom que ceux qui existent dans les profondeurs des océans, ses tourbillons suspendus dans le monde des esprits sont appelés les grands-courants...

            Mon esprit constate que Jean cumule exactement 4 fois mon age. De réflexions en anecdotes je vole déjà, pour me cacher dans mon corps et ne pas prendre froid pendant la nuit. Jean ma dit que demain nous avions rendez-vous avec une blanchisseuse. Il a raison Jean quand il dit que la vie est une tarte à la crème, la mauvaise farce serait de ne pas se la prendre en pleine figure. Qui sait si j'atteindrai son age ?

 

***

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Si cette nuit, je suis dans un coin de mon cerveau, je veux m'enfuir. Une vision, une projection, une hallucination. Ma cervelle est devenue insomniaque. J'ai beau frapper sur les parois de mon crâne, je ne peux pas m'en échapper. Mes neurones réalisent ce soir le cauchemar le plus réaliste que je n'ai jamais vécu.

           

            Sous le costume d'un fantôme, je constate seulement que la hantise existe. Les esprits ne dorment pas, ils se mettent en veille... Je me suis activé grâce à sa remarquable insistance. « La petite fille au cerceau » entre dans ma chambre. Son esprit se vivifie par lattention que je lui porte. On dirait une somnambule. Elle semble agir à l'automatique. Cette fillette me colle aux basques. Comment tuer un fantôme ?

            « La petite fille au cerceau », ne saute plus du haut des toits. Elle mapparaît trempée, de la tête au pied. Impossible de lui parler tant elle pleure... Un flot incessant coule sur sa bouille en poire. Mon corps semble ne pas sen occuper, il dors comme un flan. Elle hurle et les loups du bois lui font écho, loin,  dans le fond de la forêt... Même une flèche d'oiseaux s'élance du haut des cimes mais tout l'hôpital reste endormit.

 

            Son visage transpire bleuté par le froid, sa blondeur ternie éponge de leau qui ne cesse den déborder, froide et prête à geler. J'essuie littéralement une tempête comme si une tornade l'entourait et elle vomit un fleuve de larmes

            Sans issue de secours, je dois me cacher finement. Ne plus me faire remarquer pour la laisser partir. Eurêka ! Entre le matelas et le sommier, je me glisse. Je ne suis qu'un vêtement sale, chiffonné et en boule, je n'intéresse personne. Au dessous du lit, propre et si bien tiré. Qu'il est beau ce lit. Elle ne ma pas vu. Etre moche, ça sert à tout.

            L'enfant bleu rase les surfaces dans tous les sens. Celle-ci traverse les portes et les murs mais elle s'obstine à rôder dans ma chambre.

            Bientôt, elle me découvre et fonce ensuite droit vers moi. Zut ! Cette blondasse se faufile sous le sommier. Je me bouge de ma planque avec angoisse. La petite fille ne me fixe pas, elle exerce sur moi une possession sensible. Ne me scrutant pas, elle s'incruste en zombie. Lhumidité de la pièce est irrespirable. Elle flâne, me mouille le pantalon et regarde en l'air. J'ose croire qu'elle dort toujours debout.

            Je me rassemble dans un coin, derrière la télé, au combien utile maintenant. Surtout, ne pas faire de bruit. Elle traverse l’écran, le tube cathodique et à travers le cache arrière,  je vois apparaître sa face. Ses yeux sont retournés dans leurs orbites. Etonnant ! Elle voit où je me place. Silencieuse et triste lenfant me dévisage pour de bon, je suis prisonier , chiffonné dans lombre du coin supérieur de la pièce. Immobile, je stagne. Elle finit de geindre et ouvre son visage à un appel désespéré, vers moi, la bouche grande ouverte. La tronche innommable. Une déterrée, sortie des marais. Elle vomit de la boue.

            Après quelques souffles bien gaspillés par la peur... Je décide d'improviser pour établir un nouveau contact entre elle et moi Pacifier nos rapports.

            -           Tu n’as plus ton cerceau ?

            Ma voix tremble. Elle geint...

            -           Perdu

            Je me déchiffonne peu à peu.

            -           Tu l’as laissé tombé, du haut du toit ! C'est malin.

            -           Non! Non! Non!

            -           T'as raison c'est pas malin.

            La vérité ne semble pas lui convenir, j'emploie la diplomatie...

            -           Comment expliquer les faits ?

            -           Perdu !

            -           Quest ce que tu attends pour le retrouver ?

            -           Ton aide.

            Je n’aime pas sa façon de me reluquer. Se dégager vite fait semble primordial. J'exige un plein tarif. Elle insiste et cligne des yeux.

            -           Bon d'accord. Si je le vois, je le prend.

            Insatisfaite, elle me prend en otage. Elle insiste tout en m'y obligeant.

            -           D'accord, j'ai dit d'accord.

            J'ai pourtant horreur du chantage mais j'accepte.

            Se retournant dans la télévision, elle se l'approprie et pénètre dans l’écran. Elle veut à présent m'impressionner. Un esprit bipolaire, gymnaste pimpante le jour et dépressive la nuit. Elle me hante La lumière rouge sallume, un éclair sursaute, elle devient lactrice macabre du petit écran. La speakerine m'interpelle.

            -           Tu t’appelles Albin ?

            On voit son corps entier dans l’écran. Elle paraît toute petite, plus petite qu'elle ne l'est déjà. Je lui réponds car elle va se mettre en colère...

            -           Oui, espèce de « Blondine »! Je m'appelle Albin.

            -           Tu es l'héritier ?

            -           C'est exact.

            Elle a l’air encore plus déçue... Elle hurle à en faire vibrer l’image...

            -           Meurtrier, meurtrier, meurtrier.

            J'en profite tant qu'elle est plantée dans la télévision, elle ne peut pas saisir que j'ai déjà baissé le volume sonore à son insu. Dans le calme, je cherche un moyen de me rasséréner. Tout délire de persécution mène à des actes irréparables. Je ne suis pas un meurtrier. Ils ont tous fumé du crack.

            La boule de nerfs s'excite sous la bulle de verre. Elle s'y cogne en tout sens. Je crains pour toute l'humidité qui en dégouline. Trouvons lui vite quelques mots...

            -           Et toi ? Comment tu t'appelles ?

            La petite fille arrête de hurler. Je remonte le son. Elle réfléchit une demi-seconde puis déclare.

            -           Blondine ! C'est mon nom.

            Elle répétait le surnom que je lui avait donné une minute plus tôt. Décidément sa chute de tout à l’heure, lui à peut-être laissé des séquelles.

            -           Tu ne connais pas un autre prénom que Blondine ?

            -           Si ! Je connais Juliette ou Mathilde. Françoise, Edmond, Léopoldine, Sophie

            Je n'en revenais pas...

            -           Tu as oublié ton nom ?!

            -           Non! Non! Non!

            Peut-être était-elle morte depuis de nombreuses années et que tout  ce temps écoulé lui avait fait perdre la notion du temps et le souvenir de son identité.

            La petite fille sans cerceau se remet à ruisseler de partout. Mon désarroi ne l'aide pas. Elle sort de l’écran et reprend sa taille normale. Elle sassied sur mon lit qui va effectivement devenir trempé. Écrasons. J’éprouve de légères craintes non-fondées depuis l’échange de ses quelques mots. Bien que je sois remplis de deux envies contradictoires; soit lui offrir ma compassion, ou soit, l'éjecter violemment de chez moi.

            -           C’est un très joli prénom : Blondine.

            Je choisit la solution de la tempérance afin de la consoler.

            -           Tu parles ! Jaurais pu mappeler Fleur ou Jessica. Cindy, Pénélope, Suzy,                                 Jasmine et Laetitia. Blondine, cest vraiment moche !

            Je suis assis à coté d’elle. Je ne comprend pas son petit jeu, elle doit avoir un petit pois dans le cerveau...  Mon jean commence à se mouiller. Elle n'est plus qu'une fontaine…

            -           Alors choisis-en un autre… Il y a plein de jolis noms dans la vie.

            Ma couette est comme une éponge pleine de larmes. J'aimerais emporter Blondine jusqu'à la fenêtre pour sauver mon lit du déluge.

            -           J'ai perdu mon nom...

            -           Ne t'inquiète pas Blondine, je vais te le retrouver.

            -           Et mon cerceau ?

            -           Ton cerceau aussi.

            Blondine est un fantôme particulièrement déprimé. Mais je refuse qu’elle fasse tomber mon corps dans la maladie. Avec tant d’humidité, Albin va attraper la grippe. Elle semble avoir perdu ses repères, et ce, en plus de son cerceau et de son nom.

            -           Ton cerceau, où est-il ?

            -           On me la volé !

            L’enfant lache de nouveau son attention, frôle toutes les surfaces à nouveau. Faisant son Zombie, elle erre. Son regard vague et rempli d'indifférence ne m’empêche pas de subir l’influence néfaste de sa présence dans mes appartements. Le sens de la tête n’ayant plus aucune importance pour la circulation du fluide, elle erre en tout sens, m^me la tête en bas. Si je l'ignorais ? Elle me fatigue trop. Ma nuit passe. J'ai besoin de sommeil.

            Son aisance d'acrobate parait révolue. Une tristesse passagère et forcément nocturne. Le petit bout de dynamisme sest complètement ramoli avec la tombée des étoiles. Un indigo profond colore cette nuit. Cette fille est apathique au point de vous donner lenvie den finir. Trop tard, je suis déjà mort. Jose croire que laube apportera une illumination à son sujet. Cest bientôt le bout de la nuit.

            Sa présence est dérangeante. Ses pleurs sont agaçants. Je nai quune idée  : rejoindre Jean cinq murs plus loin. Malheureusement la porte de ma chambre est fermée. Je nimagine pas encore traverser les murs.

            -           Oh! Arrête maintenant.

            Le fait de la voir tourner en rond et circuler de long en large ne me dérange plus. Je la plains seulement.

            -           Tu connais les secrets des fantômes ?

            Blondine murmure des consonnes inaudibles. Elle parle pour elle-même. Tant pis pour elle. La lumière des étoiles commence a faiblir. Je connais l'utile. Son cerceau et son nom sont perdus. Mais qui est à la base de son malheur ? Cet enfoiré qu'on appelle Dieu ?

            -           Qui ? Dis-moi qui t'en veux ?

            -           La mort !       

            Je confirme que ce mot dans la bouche d’une enfant givre toutes mes paroles. Lentement, de ma colonne vertébrale, s'initie un frisson remontant le long de mon  sacrum jusqu'aux cervicales. J’imagine soudain un esprit à l’apparence squelettique dont la peau fine comme du parchemin se craquelle dans les fosses de son visage. ( Veillez, car vous ne savez ni le jour, ni l'heure. ) J'en ai la vision d'un être maléfique et hilare dans son habit tenant et tournant au bout de sa faucille, le cerceau rose de la pauvre petite fille.

            -           Ridicule !? Comme si la mort était une faucheuse...!

            Blondine m'arrête illico.

            -           Ne rigole pas.

            Blondine se retourne vers la fenêtre ne maitrisant plus ses murmures gromellants et grandissants. Que puis faire ? Même arrogant, je suis inutile. Jean est devenu indispensable dans cette situation, j’espère qu’il pourra quitter son corps ce matin.

            Je me demande si Jean à été formé à la pratique de l'exorcisme. Jai peut-être tort de la laisser dans ses messes basses, car elles sont de plus en plus nerveuses et je ne sais comment les calmer. Sa tête me fixe à nouveau. Elle me jette un œil globuleux pour ensuite m'ordonner de le ramasser.

            -           Ramasse-le ! Tu verras l'emplacement exact du cerceau.

            Cette voix n'est pas la sienne. Je tremble et me baisse à genoux pour prendre cet œil qu'elle vient de me lancer. Elle a été élevée à la morgue pour que tous ses gestes soit autant morbide... Qui vous lancerais son œil dans la rue ? Personne, ou vous vous encourriez. Mais j'ai pris mon courage en main. Même si cela me répugnait, j'ai ramassé l’œil pour ne pas la vexer. J'aurais pu l'écraser d'un coup de pied. L'aube n'allait pas tarder.  Cinq murs à cloisons fines, je pourrais me dépasser enfin. Je cherche finalement bel et bien un exorciste...

            -           Regarde dans la pupille !

            -           D'accord, d'accord. Il y a pas de mal.

            Je regarde dans l'oeil et une image m'est apparue du fond de sa pupille. En un éclair, la chair de poule. J'ai vu son cerceau dans un coin sombre plein de toiles d'araignées. La mort laissait pourrir son jouait dans un coin poussiéreux. Après, vous ne me croirez pas. J'ai vu Kapla, mon chien, mon ami, revenir vers moi du fond de l'oeil.

           

            Le mur est devant moi, jai l’œil serré dans ma main comme une boule de crystal. Pour mon esprit rationnel, ma situation est incertaine. Improbable, folle.  Qui croirait, une fois dans sa vie, passer au travers d'un mur ? Qui passe au travers d'un mur ? Pas même la lumière, le son. Il faut donc aller vite, très vite. Je lui relance son œil. Elle récupère la vue. Je prend mon boulet en main et je cours. Je cours, non plus pour oublier le malheur, mais pour le traverser. Je cours accélérant, je ne suis plus énergie et la matière qui me compose est plus fine que jamais. J'avance net, sans hésiter, droit vers le mur... Paf !

 

            Je suis assomé directement ! Ouille ! Sonné comme une cloche, les étoiles tourne autour de moi. Le bruit sourd du choc à du réveiller tous les esprits de l'hôpital. Ma tête raisonne encore du carambolage, ma colonne tassée et ma taille réduite sous l'ampleur de la collision. Blondine se tient le ventre des deux mains... Elle se tord comme un chiffon.

            -           Tu es un très mauvais passe-muraille ! 

            Même mon corps, étendu sur son lit, a l’air d’en sourire avec nous. Blondine se marre comme jamais. Elle se moque et m’ensevelit de ridicule couche après couche.

Je ne savais pas qu’il y avait une école…

            -           J'ai appris naturellement... Il te faudra plus d'un essai apparemment...

            Je suis heureux qu’elle puisse s’amuser car elle a enfin finit de pleurer, elle aurait pu me dire ce qu'elle attendait, rire un bon coup !

            Le matin sannonce et Blondine reprend ses couleurs du jour. Elle est de nouveau sèche. Son tutu récupère lentement la forme dune corole blanche. Le ciel s’éclaircit légèrement. Quelques étoiles résistent encore au dela de la fenêtre. Elle perd son teint bleuté pour ses petites joues rosées du matin.

            -           C’est donc à cause de mon boulet que je n'ai pas pu traverser ?

            -           Bien sûre que non !

            Elle en retrouve son regard d’enfant.

            -           Hi ! Hi !

            La porte fermée dressée face à moi est un bouc émissaire. Les murs m'ont humiliés ? Je hais les murs. Voilà qu'ils sont devenus mes ennemis. Je constate leur solidité avec amertume, ils semblent tous se blinder d'orgueil, et s'épaissir pour me rendre la tâche encore plus ardue. Je crois que je boude et Blondine frotte énergiquement mon crâne pour éviter la bosse.

            -           Il  faut demander...

            -           Comment ça ?

            -           Interpelle-le...

            -           Qui ?

            -           Le mur. Il est vivant.

            Elle dit cela comme on dit une évidence... Je suis profondément imbécile face à son aplomb. Demander la permission à un mur ne m’a jamais traversé l'esprit. La lumière s’est levée et fraiche comme le jour « la petite fille sans cerceau » est repartie sur le premier courant d'air, un souffle minuscule, sur lequel elle a glissé, en plongeant à travers la vitre.

 

***

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Je monte en altitude, les grands courants sont surprenant. Ils s'allongent et s'étirent dans le ciel. D'énormes courant dair en forme de serpents géants sans tête ni queue car ils paraissent infinis. Ils emportent les êtres un peu plus loin. Mais où ?

            Je vire légèrement en amorçant une belle boucle pour revenir en douceur. Saint-Martin s’étale sous mon esprit voyageur. La ville mappartient. On le savait.

            Les petites maisons sont bleues dans la cité montagnarde. Les couleurs sont vives et le temps nuageux. De grosses masses d'ouates forment d'énormes coussins moelleux suspendus dans l'espace azuré. Je voyage au dessus et en dessous.

            La façade Nord est entièrement peinte en blanc, j'observe également les toits en tuiles rouges de l'hôpital qui présentent un surprenant couvre-chef pour un parpin géant.

            Je file vers la 303, traverse la vitre et atterris. Jean m’applaudit vivement.

            -           Premier vol réussit Bravo !

            -           Bientôt, avec ma force, je volerai jusqu'à un grand courant. Je leur dirai ce               qu'il se passe dans les autres galaxies. Ou au delà, toujours au delà du                                monde  créé.

            -           Belle ambition ! Un peu niaise.

            -           C’est la journée des exploits. Je sens que rien ne me résiste !

            -           Tu as réfléchit à ma devinette ?

            De quelle devinette parle-t-il ? Jean a tellement de mauvaise blagues que j'ai des difficultés à m'en souvenir et pourtant, je me la remémore peu à peu...

            -           Oui, j’y ai réfléchis…

            Il m’inspecte du regard... Bien sûre, je n’y ai pas pensé une seconde… Il insiste pour que je lui donne la réponse sur les pigeons et les moineaux. Je raisonne à voix haute pour gagner du temps:

            -           Pourquoi les moineaux sautillent et pourquoi les pigeons marchent, non ?

            -           Oui, cest justement ça.

            Le vieil homme veut me faire comprendre l’enjeu de la question. Il mime, avec ses deux doigts sur les draps, pour me le faire rentrer dans la tête.

            -           Le pigeon…

            Son index et son majeur se suivent lun après lautre sur la toile blanche.

            -           Le moineau

            Les deux doigts de Jean bondissent jointe ment sur le tissu cotonneux.

            -           Ne me prenez pas pour un imbécile ! Je suis moins bête quun cochon.

            -           Tu me vouvoies ?!

            Je trouve qu’il prend un air trop supérieur, comme si mon ignorance le rendait plus fier qu’un coq. Voilà qu’il m’a rendu grognon. Bon, c’est vrai, je suis un petit râleur prétentieux et je n'ai pas vraiment dormis de la nuit.

            -           Un cochon ne ronfle pas, il grogne !

            Je faisais référence à son ancienne mauvaise blague.

            -           Tu as entièrement raison.

            Cela lui apprendra à faire des blagues qui n’ont pas de sens. Les cochons n’ont jamais ronflé. Il reprend son air sérieux, un air si sérieux que Jean m'impressionne pour la première fois. Il prend dix ans sur le coup. Je ne voulais pas être méchant, seulement qu'on ne m'agace pas ce matin !

             Après tout, jai fais un sacré cauchemar cette nuit, et très réaliste. Je suis désolé que cette discussion parte en sucette. Je nai jamais aimer les sucreries, ni les blagues sur les sachets de bonbon ! J'ai les bonbons cassés alors pas besoin de me les sucer ou j'en fais de la poudre à cannon. Quand allait-il comprendre que je naime pas ses subtilités. Quel caractère hautain, il nen fait qu’à sa tête ! Je ferais mieux daller regarder télé-boutique avec la vieille de la 304.

            -           Toi, tu t'es levé du pied gauche !

            -           Je ne voulais pas rater le rendez-vous.

            Nous devons rencontrer la fameuse blanchisseuse aujourd'hui.

            -           Tu verras, elle est surprenante.

            Je crois que Jean a le béguin pour elle, la preuve en est qu'il s'est habillé sur son trente et un.

            -           En tout les cas, j’attends ton exploit!

            Sévère, il me tourne le dos soudainement en claquant des talons. Quel exploits? Je viens de lui montrer que je pouvais voler aussi bien que tous les super héros de mon enfance. Je crois qu’il a remarqué que je n’avais pas beaucoup dormis. Alors ce salaud doit vouloir en profiter. Dans son coin, il soupire lamentablement sa remarque...

            -           Donc les devinettes ne t’intéressent plus !

            Jean est-il véritablement faché ou se moque-t-il de moi, en me renvoyant mon reflet, boudant à ma manière, les bras croisés... Son visage se resserre et il penche la tête comme par déception. Je le vois parce qu’il se reflète dans le miroir, au dessus de l’évier. Heureusement, je le connait déjà trop pour que tout cela m'apparaisse comme une bête et simple mise en scène dont il a le secret. J’ai peur qu’il se mette à grogner. Je ne le veux absolument pas alors je fais un effort pour lui répondre, même si la question ne m'intéresse pas.

            -           Peut-être que le moineau a de trop petites jambes alors il a développé le                            sautillement ! Performance exceptionelle pour enfin rivaliser avec le pigeon.                       Qu’est ce que t’en dis Jean ?

            Il garde son dos comme façade et baisse la tête. Il se retourne et je le vois qui sourit dans sa barbe. Jean est de nouveau content. Que même content, il n’est pas satisfait. Il négative de la tête. Il lève le bras, devant lui, jusqu’à mettre son poing en évidence. Le pouce jaillissant du poing à l’horizontale, il joue à l’empereur. Sa sentence est proche. Jean croise son regard et tire sa langue. Mauvaise réponse. Il fait tomber son pouce.

            -           Puisque tu es de mauvaise humeur. Je te pardonne ton mauvais point.

                        Mais, ne te lasse jamais de chercher ! Je te le dis, le bonheur est dans la                            découverte.

            Donc j'attendrai pour sa réponse débile. Il m’a caresser comme si j’étais un petit chien. Depuis quand me donne-t-on du sucre pour avancer ? Quand il se moque de moi, il fait le clown. Il louche et je n’aime pas sa façon de me regarder. Cette fois-ci je ne vais pas surenchérir avec un ivrogne. Puisqu’il joue à l’avare de ses résolutions d’énigmes bidons, je ne lui expliquerai pas ma hantise de cette nuit. Na!

            Jean est en train, bizarrement, de déserrer une vice, celle d'une grille, sur le mur de sa chambre, je le regarde perplexe comme pour le questionner silencieusement, il s’excuse, sourit de sa petite feinte stupide et passe bien évidemment à travers...

            -           Viens, dit-il, je connais un passage secret.

            Il est 9h45. Nous descendons par les conduits d’aération. Ne me demandez pas pourquoi il ne nous a pas trouver plus compliquer comme chemin ! Jean est d’une humeur décadente ce matin… Il a lancé le jeu du « plus malin » je dirais. Je trouve que pour quelqu’un qui a passé la nuit à consoler une enfant possédée, j’ai bonne mine, moi. Il n’a pas intérêt a me gonfler.

Tous les deux coincés dans le conduit, sardine contre sardine, voilà ce quil me trouve a redire.

            -           Je travaillais dans le bâtiment.

            -           Comment ça, vous n’êtes pas prêtre ?

            -           Arrêtes de me vouvoyer !

            Passer dans ses conduits me glace le fluide mais japprécie le frisson. Cest le métal qui fait ça, le fluide réagit. Jean va me raconter sa vie. Jai pas envie de le confesser de plus que je savais qu'il me mentait..

            -           Je connaissais tout les secrets dune maison.

            Apparemment, il est sérieux comme du marbre et j'apprécie enfin sa franchise. Il n'aurait donc vraiment jamais été prêtre.

            -           Jaurais voulu être architecte, mais je suis resté ouvrier.

            -           Et maintenant, tu es quoi ?

            -           Ouvrier. Pas le temps pour les études. Il fallait du pain à la maison.

            -           Mais ce nest pas grave...

            Papa m'a toujours dit de respecter les ouvriers car on avait bien besoin d'eux. Je fais de mon mieux.

            -           Vous n'êtes pas prêtre alors ?

            -           Tutoies moi, je te dis !

            Je suis comme un salami géant entré dans la peau dune saucisse sèche. Les tuyaux deviennent de plus en plus étroit au fur et à mesure que lon avance. Je le questionne

            -           Mais pourquoi vous me lavez fait croire ?

            -           Cela me faisait rire que tu puisses croire un truc pareil ! C'est tout.

            Je suis tout entièrement pressé, racrapoté alors que Jean, lui,  réussit à se faire rapetisser.

            -           Allons, dépêche toi Albin ! Je lui ai dis dix heure !

            Il se moque de moi. Comment il fait pour rapetisser de la sorte ? Et pourquoi ma-t-il menti ?

            -           On mappelle « le prêtre » mais ce nest quun surnom. Je suis bien plus que                 cela. Et toi, tu l'a pris au pied de la lettre... N'importe qui, qui me connait un                       tant soit peu sait que je dis des conneries et que c'est cela mon vrai métier.                       Dans le monde de Saint-Martin, il n'y a plus de clergé depuis déjà belle                             lurette. Il n'y a que toi pour tomber dans le panneau, ici, les prêtres n'existent                   plus.

            Il a le don pour me mettre en râle dès le début de la journée. J'ai remis les même vêtements qu'hier. Jean est vêtu d’un costume beige très élégant mais sans cravate, simplement chemise avec col ouvert. Jean a franchement mit trop de parfum. Manifestement la blanchisseuse lui a vraiment tapé dans l’œil.

            -           Et puis, il paraît que j’ai toujours un bon petit conseil sur la langue. Je réserve                     une écoute attentive aux amis. Du moins, à la demande…

            C‘est moi le gros, c’est lui le petit. Je suis coincé, je n’avance plus, on taille une bavette... Comme si on avait que cela à faire.

            Jean est exquis dans le rôle du vieil homme qui se prépare au rancard. Il sattache un foulard de soie blanche au col. Cela lui donne un genre inattendu. Une espèce de vagabond ancestral perdu dans le cliché mafieux, d'un vieux film italien.

            -           Elle vous plait cette blanchisseuse ?

            -           Penses-tu !

            La voix ny est pas. Laccent français na pas de saveur. Jean est à présent minuscule et il sort de sa poche, un sac, et du sac, un genre d’énorme chaussette en patchwork. Son genre anglais doit rester entre nous, car il est lamentablement épuisé.

            -           Il est trop petit ton passage secret !

            -           Pas pour moi !

            Le jeu du « petit malin » avait déjà commencer depuis au moins une vingtaine de minutes. Tout cette préparation l’amuse. Jean continue à diminuer, il a l’air de moins en moins impressionnant. Rien à faire, je reste pantois. Voilà encore une performance que je vais devoir acquérir.

            Il jette le plastique comme un bon vieux pollueur. Mais puisque le sac est minuscule, on va laisser passer

            -           M'abandonne pas, Jean, je suis coincé !

            -           Albin, toi, coincé ?

            Il ne craint vraiment pas le ridicule avec tous ces petits carrés de couleur sur son minuscule sac-de-couche. Le drôle d’ami s’y glisse sans l’ombre d’une honte comme dans une grenouillère.

            -           Elle m’attend ?!

            -           Jespère pour toi.

            -           Oui, elle mattend !

            Je ne comprends pas. Cela lui permet-il de ressembler à un imbécile heureux ? Pourtant, je n’ai rien contre les imbéciles. Mais si en plus ils se permettent d’être heureux !

Je crois que jhallucine, Jean est vraiment amoureux. Il veut tout simplement que je ne lui tienne pas la chandelle et que s'attende ici entre deux soupiraux. Ce cirque a assez duré, je retourne dans ma chambre...

            Il est bien sûre obligé de me faire un clin d’œil en roucoulant comme une colombe. Ces adultes croient toujours quil est indispensable de gagatiser pour quun adolescent comprenne. Si tu voulais un rendez vous coquin, il ne fallait pas me demander de venir. Imbécile! Personnellement, je crois que lamour devrait être pris plus au sérieux par les autorités. Il faudrait faire des tests avant de prendre le volant. 

            -           Toi, tu veux m’empêcher d’être heureux.

            -           Non, je constate seulement que tu n'as pas besoin de moi.

            -           Es-tu jaloux?  Nas-tu donc pas damoureuse ?

            Il est vrai que je ne lui ai jamais parlé de Zoé.

            -           Je vais rentrer...

            -           Ah non, tu viens avec moi.

            Et il me vole mon chapeau. Il croit donc qu'il va m'y obliger en subtilisant mon couvre-chef. Il mord à l’hameçon mieux qu’une truite. Je voulais venir avec lui. Cela me permettra de saboter son rendez-vous. Une minuscule truite arc en ciel dans une chaussette anglaise, quelle honte, je ne peux pas le laisser se présenter de la sorte. Vaille que vaille, à la lance, directement dans le torrent, pas besoin d'appâts, je vais le transpercer en plein cœur, ce bouffon bariolé de couleur, aussi stupide et improbable qu'un arlequin soit romantique.

            -           N'est tu pas en train de cultiver ta mauvaise foi.

            -           Bien sûre que non.

            -           Alors, pourquoi ne m'as tu pas simplement avoué que tu étais de mauvaise                        humeur ce matin.

            -           Parce que cela te plait, toi, d'être un imbécile heureux.

            -           Je préfère cela à l'intelligence malheureuse.

            Au lieu de mapprendre le manuel du parfait petit fantôme, il me fuit lâchement et je reste coincé dans les conduits daération. Cest un adulte irresponsable, capable de rapetisser peut-être, mais complètement irresponsable !

            -           Pourquoi tu ne m’explique pas comment tu fais ?

            -           Tu nauras qu’à mesurer la taille que tu mérites !

            Il est fatiguant, ce vieux qui m’humilie devient exaspérant. Alors, je l’imagine sans son dentier…  Voilà qui est bête mais quitte à changer d'humeur.

            -           Tu suis n’importe qui, n’importe comment, Albin!

                        Tes parents t'ont surement appris à ne pas suivre les inconnus.

            -           Mais, je te connais...

            -           Pas si bien Albin, pas si bien...

            J'essaye de récupérer mon chapeau d'un coup de patte mais il m'esquive d'un bond de chaussette et le lance malgré tout, loin devant, dans le tobogan, bien qu'il soit si encombrant pour lui étant-donné sa petite taille. Mon couvre-chef dégringole dans le système de ventilation de l'hôpital et je ne l'aperçois déjà plus...

            -           Tu mexcusera mais jai une déclaration à faire

            Jean est un adepte de la glissade en patchwork, je ne connaissait pas la discipline mais il a bondit d’un coup dans la descente. Je suis pourtant éblouis par sa forme exceptionelle pour plus de trois vingtaines accumulées...

            Moi je suis toujours coincé dans le diamètre de quarante centimètres, impossible davancer. Lui, à le voir, on croirait quil a joué à la luge toute sa vie chez les lilliputiens. Il est déjà hors de ma vue, comblé de satisfaction avec son tissu rapiécé à se moquer des autres gamins en les montrant du doigt. A mon avis, en esprit, Jean na peut-être pas dix ans.

            -           Albin…Je t’attends en bas !

            Sa voix vient du fond du tunnel. Le tuyau d’aluminium me libère sans contrainte, je passe au travers. Suffisait de demander. J’aurais pu rester à l’intérieur si il le voulait. Mais me voilà enfin libre de suivre le chemin qui me plaira.

            Rien à redire des murs de briques ou de la bonne couche de beton. Je suis un passe muraille hors-paire. Je m’y donne a cœur joie d’étages en étages. L’esprit de Jean va m’entendre ! Je marmonne ma sentence entre les dents !

            -           Esprit Malin !

            Je descends jusqu’au niveau –1 en travers des cloisons, le boulet bien au pied ce qui me donne un genre très réaliste…  Je suis près à lui faire la peau éthérique… J’ai la sournoise envie de devenir frappeur… Dommage que les esprits ne font que s'effleurer ! Jean n’accepterait pas un duel, les grands esprits se rencontrent mais ne se croisent pas… Mes pensées m’échappent et Jean reste introuvable.

 

            Jean me cherche, il m’appelle du bout du couloir. L’homme est de nouveau de taille normale, je crois qu'il risque de garder son petit secret, en ce qui concerne sa capacité à rapetisser. Après tout, les grands cuisiniers gardent toujours un petit mystère quand ils partagent au marmiton l'une où l'autre de leurs recettes.

            -           Ah, te voilà ! Chacun trouve son chemin, alors !

            Il me remet mon chapeau. Et je me décide de faire la paix en lui serrant la main, bien qu'on ne se soit pas disputé, je perd beaucoup d'énergie dans mon énervement, alors que j'en ai déjà peu récupéré cette nuit.

            -           Il ne faudrait pas que tu manques de mots pour ta déclaration !

            -           Donc, tu viens minspirer pour lui témoigner ma flamme ?

            Demande-t-il, tout attendri… Attendrir un vieux, c'est comme faire baigner un steak de cheval dans du jus d'ananas, cela attendri les fibres, je l'ai vu avec la vieille de la 304 qui regardait une émission de cuisine ce matin. Et, à moi, de répondre naïvement…

            -           Oui. Ce serait bête d’avoir un blanc dans le discours !

            Jean est plié en seize.

            -           La blanchisseuse

            C’est trop facile de pousser Jean à se tordre. Je n’ai même rien du faire. Il est une salle de spectacle à lui tout seul. Il ne demande que ça.

            -           A première vue, tu n’avais pas besoin de moi !

            -           Tu verras, tu ne serras pas déçu de la rencontrer.

            Nous n'avions pas vu que la blanchisseuse noire nous observait déjà depuis le coin supérieur de la salle des machines. Il ne me vient qu’un mot mais Jean le dit en premier.

            -           Déesse !

            Toutes les lessiveuses s’enclenchent en même temps. La blanchisseuse se pare de suie pour son rendez-vous et se cache sous un gros nuage épais, en nous fixant. Elle charge son corps éthérique en une masse sombre dans notre direction. La flamme en son centre est suffocante. Chez elle, la flamme broie du noir. Chez Jean et moi, le cœur lumineux de notre fluide est plus radieux parce que finalement, ce matin, on s'est bien amusé.

            -           Nous devons prendre soin d'elle, Albin. C'est un cœur pur.

            J’ai presque honte d’avoir tant rit. La femme laisse apparaitre son dessin de courbe et d’élancement. Elle est la féminité, belle jusque dans les cendres et la crasse. La poussière qui l’accompagne est éphémère et ne salit en rien les alentours. Elle a fait de la blanchisserie son manoir. La suie qui gravite autour de son épais vêtement lui revient au cœur. Cette beauté de l’ombre découvre à présent son visage du voile qu’elle portait.

            Elle est triste, aussi, cette blanchisseuse. Quand elle arrive, je constate que je suis tout autant triste, instantanément.

            Elle ne résiste pas au regard attendri de Jean le bâtisseur. Elle savance vers celui qui lui dégaine son cœur plus vite que son ombre. Il est le corps en avant, le genoux en terre, la main droite sous laisselle gauche.

           Depuis larrivée de madame le spectre, le jeu du « plus malin » sest tout naturellement estompé. Jean est sans voix face à la colone d’épaisse fumée noire dune « bimbo apparition ». Finalement lexpérience étrange qui vient de nous arriver prouve quelque part que dans cet univers les esprits nont jamais dage.

 

***

 

           

 

 

 

 

 

 

 

            Tranquille comme l’eau qui dors, il prend soin de plier son sac-de-couche en patchwork et le pose à terre. A peine troublé, il se rassemble après avoir déposé à coté du sac, le poste radio qui en est sorti. De sa paluche moite, il l’a déposé près du mur, joint à  l'hideuse couverture.

            Cécilia, car elle se nomme ainsi, mapparait charmante, pleine de vie malgré sa couleur... Et c'est une très mauvaise blague mais qui fait tellement de bien quand on  comprend que les esprits changent de couleurs selon le pied qu'ils ont posé au sortir du lit... Je serais heureux qu'un jour, l'université puisse reconnaître la poésie comme une science exacte. Tout en elle ne se découvre que par murmures comme Cécilia. Sur sa respiration sereine, une voix calme et posée sexprime. Elle aussi est branchée sur radio silence. Depuis ses gestes, jusquau regard, sa prestance est au prolétariat la noblesse du cœur. Sale, sortie de la mine, couverte de cendre, elle est la blanchisseuse noire. Reine des petits et du linge blanc, elle accueille, en elle, la salissure de vouloir sans cesse se blanchir  Cest con la poésie.

            Lhomme est fatigué, la bonne tête ronde et la sueur au front, il se prépare. Il prend dans ses mains de la confiance et se la jette au visage. Un geste virile pour essuyer son crâne, il passe de la manche au coude pour laisser tomber le bras comme un chef. Jean déboutonne son veston couleur dun sable du nord. Il se sent l’âme de Venise pour parler à sa muse. Son regard brillant, à dix mètre à peine, me laisse craindre le pire

            -           Mais je cassait rien, et je passais pas non plus. Ça passe ou ça casse ?

                        Non ! Jamais !

                        Toute ma vie, j’en ai vu passer, et passer! Pour passer sans rester. Ça                                passaient pour passer. J’avais beau insister pour qu’elles restent, elles me                                    répondaient : c’est du passé. Parfois il y en avait qui me demandait : t’as                            passé ? Je me rassurais : non ! Qui aimerait pour se faire dire, tabassé ?                                   Alors, comme elles me dépassaient, moi, je préférais leur donner mon laisser-                        passer. Puisqu’elles  passaient à coté de moi, je m'inquiétais et je leur                            demandais : ça passe ? Et elles me giflaient…

                        Alors j’ai dit : suffit les tours de passe-passe !… Je fonce droit devant ! Une                        passe, deux passes, trois passes, et de passades en passades tout y passait                   sans compassion. Sans passion, nous y passions. Alors, j’ai traversé une                                    mauvaise passe. A tel point que j’en était arrivé au monde du passage.                              Passablement, j’avais trépassé…! Surpassant tous les passant qui passaient                     leur temps à passer par là, j’ai constaté que le temps s'impatientait de mon                      impasse. Alors j’ai pensé, que penser, on pouvait très bien s’en passer ! Puis,               je vous ai vu repasser comme un ange et je me suis dépêcher pour                          m’empêcher la repêche de pêcher cette bonne pêche… Ah !  Le pêcheur                          pêche…! Alors j’ai sortis ma canne. Et j’ai demandé : ça casse…? Et elle m’a                      répondu…

            -           …ça passe !

            -           Oui ! Toujours l'inverse. Ça passe où ça casse ? Jamais. Ça casse ou ça passe. 

            Cécilia s’est amusée… J'applaudis pour le spectacle. C’est sans prévoir ce qui allait suivre. Jean est à tout moment capable d’un flop. Si je m’ennuie je n’aurai qu’à regarder les jambes de Cécilia. Elle se réchauffe dans les yeux mouillé du clown. Pour rire de la folie du viel homme, elle oublie un peu la sienne.

            -           Nous, nous connaissons ?

            -           Vous me connaissez

            Cécilia est sa partenaire. Ils sont tous les deux plus jeune qu’il ne le sont. Jean m’éblouit tellement qu’il brule et s’illumine. Cette mise en bouche alléchante le met en appétit, sa muse a des papillons dans le ventre et se le caresse. Beige et marron, non plus blanc et noir, le couple m’envoute. Pour moi, elle a mon age. Elle reste suspendue à son discours dans l’espoir de s’enflammer autant que lui. Chacun y va de son embrasement. Ils jouent ensemble le rôle de leur vie avec la flamme des premières fois.

            -           Oui, je vous connais.

            A elle de répondre.

            -           Mais doù me connaissez-vous ?

            -           Je vous attendais.

            -           Depuis quand ?

            -           Avant de naitre !

            Cécilia n’y croit pas, elle ferme les yeux. Je trouvais aussi cette réponse un peu obèse. Elle confirme.

            -           Personne ne m’attend...

            -           Moi non plus. Je ne vous attend pas. Vous êtes là !

            Jean caresse de sa grosse main d’enfant le visage rond de sa belle. Il lui pince sa joue et écarte du pouce la larme cristalline, une fine goute qui s'écoule sous son œil clos. Cécilia ouvre les yeux très doucement. Jean la soutient dans le dos. Il la fait chavirer dans un embrassement tendre et soigné où il aime à  pencher son nez dans sa poitrine. Leurs mains unie droit devant, ils sont en position pour un tango.

            -           Comment le pouvez vous ?

            Je crois quelle parle daimer...

            -           Tout est possible mais pas sans vous. Avec vous, je peux tout...

            Cécilia défait la pince de sa coiffe et en laisse ses innombrables cheveux épais se défaire un à un de son chignon.

            -           Maestro?

            Musique ! Le poste radio s’enclenche. Brusquement surpris, je constate que l'argentine s'est dés inscrite du programme, pas de tango, cela ressemble à une valse viennoise. Il sont manifestement très doués à la danse, pas après pas, ni reproches, ni croche-pied, l'aisance incarnée. Ils gravitent ensemble dans l’espace de la salle des machines. Ils s’envolent… Elles essorent… Ils dansent en apesanteur…

 

            Jean ne saisit plus consciemment ce qui lui arrive, ils sont dans une bulle de savon. Le parfum de l'adoucissant envahit la pièce. Il semble transporté dans l’ivresse et imperturbablement consacré à cette danse.

            -           Continuons à valser, tu veux bien ?

            La question n’a pas de sens, leur complicité sans nulle egal, ignore innocemment la concurrence amoureuse. Ils vivent en mouvement le balai des astres, aux dessus des centrifugeuses tremblantes et vrombissantes.

            Je me bouge jusquau mur pour monter le volume. J'assiste en direct à la plus belle partie du fantôme de l'opéra. Je massied sur son patchwork, soigneusement plié, il m'apparait finalement douillet et confortable. Je tourne le bouton rond de la radio, pour quils profitent mieux de lorchestre, le volume s'élève malgré le baffle unique. Les deux amants s’épanouissent, Jean est ému au larme, Cecilia sourit jusquaux oreilles. Leurs lèvres se veulent, autant lune que lautre. La situation est attractive sur un point autour duquel ils gravitent gaiement, inévitablement la sensualité l'emporte

            Je fais mine de ne pas les regarder, en imaginant très fort que le plafond m'intéresse. Je le scrute de fond en comble sans rien apercevoir excepté quelques auréoles d'humidité. Je ne voudrais pas voler ce petit bonheur de jeunesse retrouvée. Alors ils s'harmonisent sur un point fixe et s'embrassent. La beauté du spectacle impose le voyeurisme mais pas sans le malaise de l'intimité violée.

            A ce stade, mon rôle est finit, j'ai débarrassé la table et les hors d'œuvres, vérifié que l'orchestre symphonique n'allait pas s'arrêter de si tôt. Ne comptez pas sur moi pour faire le majordome toute la journée. Tout est rougis de désir dans cette blanchisserie. Si vous voulez passer à la gosse pièce, ce n'est pas mon affaire. Je fuis.

            -           Faites comme si j’étais pas là ! Je m’en vais...

            Jean m'interpelle un instant, il est déjà torse à poil. Ils me parlent mais c’est pour lui qu’il dit...

            -           C’est l’occasion ! C’est l’occasion… regarde cette beauté.

            Raison de plus pour m'en aller. Où que je regarde ils sont prêts à s’aimer.  Cécilia est mieux que ravissante, je ne peux l'expliquer, elle émane la beauté... Sauf que ses membres se densifier peu à peu, la cendre qui gravitait autour de d'elle s'est déposée au sol. La femme noire laisse apparaitre ses formes qui se dévoilent splendides, et à ma grande surprise, j'aperçois sur son corps une quantité croyable d'entailles. Des scarifications innombrables la ponctuent un peu partout... Me voilà voilà dépité et mes yeux se mouillent de compassion en un instant.

            Ils se mangent littéralement. Je me frotte les yeux pour vérifier si j'ai bien vu... Malheureusement, la photographie est encore plus déplaisante au second regard.

            Jean ne donne pas l'air de s'inquiéter de ses blessures tapissant son corp de plaies. Il est certainement dans la confidence de cette affreuse mutinerie, ou peut-être pas. La confiance de la blanchisseuse est totale, elle lui laisse le soin de caresser des marques de violences. Cette femme resplendit, très belle, fragile, mais lui, cela ne mintéresse pas de le voir nu, vous comprenez... Le malaise s'installe, mon esprit se fige, immobile sur la question.

            Pourquoi est-elle tailladée sur sa peau, pourquoi tout son corps qu'elle dénude m'apparait meurtris à plusieurs endroits. Des centaines et minuscules petites entailles qui l'ont peut-être conduite jusqu'à la mort.

            Ils sont jeunes et frivoles, sans age. Il sont tous les deux nus comme aux origines, déjà sauvages et dévêtus à l'instar de la nature. Cécilia met ses mains sur ses seins en clignant de l’œil dans ma direction. J'ose à peine répondre.

            -           C’est une invitation ?

            Jean s'esclaffe.

            -           Oui, Albin. Une invitation qui dit quoi ?

            -           C 'est bon j'ai compris.

            -           Merci Albin.

            -           Je vous laisse.

            Cette réponse rapide et clair me remet en mouvement. Il devient temps pour moi, de faire un tour pour changer d’air. Après tout, certaines actualités ne me regarde pas, tout n'est pas digne d'être appelé un bon scoop, même pour une bonne paye. Il est juste de se sentir toujours plus démuni face à la violence muette, car tant qu'il n'y a pas de plainte, il n'y a pas de bourreau, ni de meurtre. Ah ! Si les vivants traversaient les murs qui existent ! Ceux qui nous séparent vraiment.

***

            Je me suis mis à fouiller dans cette remise de produits d’entretien. Entre les poudres et les adoucissants, les solvants et détergents, il n’y avait pas grand chose d’intéressant. Sauf que, derrière les balais et les raclettes, dans le coin où on réserve tout l'outillage nécessaire au nettoyage, je découvre involontairement un objet volé. La mort se promène-t-elle inévitablement partout ? C'est ici qu'elle a planqué le cerceau de Blondine. Un jour, si je la rencontre, je la provoque en duel…

            J'arrache donc le cerceau de Blondine au toiles d'araignée. Derrière quelque sauts vides, et les serviettes humides imprégnée de poussière, il y a un coin secret dans le débarra. Une odeur de vieux mélange, javel et eau souillée, cache le jouet qui avait été masqué entre le mur et larmoire, dans un coin sombre. Ridicule ! La mort redescend à nouveau dans mon estime... Dérober et planquer le jouet d'une gamine. A croire qu'elle-même sous estime la jeunesse. Je vengerai Blondine.

            Mais lorsque je le saisit dans ma main, le cerceau se met à trembler comme si il avait un peu peur de moi, il se débat pour senfuir Le cerceau est vivant. Il n'éprouve aucune crainte, il se rebiffe comme un animal. Je ne vais tout de même pas le laisser partir sans lui demander des explications. Un cerceau d'acrobatie ne devrait pas assumer le spectacle à lui tout seul, sans son athlète. Il na pas hésité à minterpeller violemment.

            -           Lâche moi, morveux !

            L'objet me subjugue, ma mâchoire tombe au sol et il parle. Comment aurais-je pu comprendre, ou même deviner à l'avance, que du point de vue des morts,  certains objets pouvaient même prendre la parole afin de se défendre... De mon vivant, aucun objet ne m'avait jamais adressé la parole, excepté une poupée qui riait comme Jean. J’étais, sans minimiser, abasourdis par cette constatation, ici, les cerceaux peuvent aussi s'amuser, chanter, danser, faire la fête, hurler, bref, refaire le monde à volonté.

            -           Pas n'importe quel cerceau, mon vieux.

            Je l’avais promis à Blondine : si je le trouve, hors de question de le laisser s’échapper, bien que je ne savais pas qu’il puisse discourir. Il possède de minuscules petits bras croisés sur son ventre vide, face à moi, en pied de nez. Aussi de frêles jambes qui font penser aux aiguilles à tricoter, fines et longues comme perchées sur des échasses. Une bouche et même une minuscule moustache qui dénote, entre ses deux yeux, sans nez, comme une tâche noire... On dirait le regard biaisé d'une très grosse sole, assurément globuleux et écartés.

           Il possède une telle force que je naurais jamais pu le maîtriser. Je le tenais du mieux que je pouvais, mais il continuait sans s'inquiéter, à se diriger où il voulait, sans même oser me demander mon avis, et ma envoyé sur tous les murs de la pièce. Les armoires sont tombées dans un fracas tonitruant. Les potions et savons se sont répandu au sol. Je sais que les cerceaux, d'habitude, nont pas de réelle volonté, celui-ci avait la rage de vaincre. Pas pour vous, si vous aviez déjà vu une chaise voler, vous n'hésiteriez plus à me croire quand je vous dit que jai été bien secoué.

            Autant dire que ce placard est sans dessus-dessous à présent. Il faut aussi vous faire entendre, qu’à se stade, un cerceau hanté ne va plus mimpressionner.

            -           Qui es-tu alors ?

            Très vite, il sest emballé, furieux, il sest mit à glisser malgré ma poigne ferme. Dans le sens giratoire parallèle à  ma main, il s'est mis à tourner de plus en plus vite. Je maintenais pourtant une pression forte du poing, serré sur l'accessoire. Il a fait monté la température par accélération, jusqu’à me bruler la paume de la main pour que je lui rende sa liberté…      

            -           Enfoiré de cerceau !

            Il riait de mon insulte. J'ai tenu le plus longtemps possible sans m'étonner de sa force. Je ne voulais pas lui donner l'impression d'une faiblesse de ma part. Il sest enfui dans le couloir, par la porte coupe-feu. Le cerceau, arrogant avait déjà réussis à me mutiler. Je tire la gueule d'un type ébahis, refusant de lui laisser la victoire... Il repasse la courbe supérieur qui lui sert de tête en travers de la porte.

            -           Tu viens, on va voir quelqu’un que tu connais...

            De qui parle-t-il, cet évadé ? Je crois qu'il m'a fallu deux ou trois minutes, tant la perplexité était grande, afin de me décidé à le suivre, songeusement.

 

            Passé l'intervalle, j'entends une conversation sourde entre la petite fantôme et ce drôle d'objet qui s'est présenté à moi comme un sujet étrange. Blondine est de l’autre coté du couloir en sous-sol. Elle semble au courant de l'humanisation naturelle du cerceau. L’allée s’allonge sur une vingtaine de mètres, une porte, celle qui donne sur la salle des machines, coupe le couloir en deux. J’interpelle l’artiste, haute comme trois pommes.

            -           Qu’est ce que tu fais là maintenant ?

            -           Je viens chercher mon jouet.

            -           Tu sais quil parle ?

            Blondine, la petite fille au cerceau, maintenant, a retrouvé son accessoire de scène. Mieux que jamais, elle présente bonne mine et me nargue d'un houla-oop bien maîtrisé. La chanceuse avait profité tard du fait de s'enrober toute une longue matinée dans la graisse. Alors que moi, j'avais du assister à la déclaration de Jean. Elle lance comme un pavé dans la marre, une moue prétentieuse jetée à mon visage.

            -           Il va toujours se planquer dans le placard à balai ! C'est son habitude.

            -           Donc, tu savais où il était ?

            -           T'avais qu'à me le demander.

            -           Non. C'est toi qui m'a demandé de le chercher ? Pourquoi ?

            -           Pour te revoir

            Le cerceau s’immobilise, à la verticale, imitant le garde à vous. Je crains que de l’attraper ne soit une mauvaise idée, car il n'a pas l'air commode et ma main chauffe toujours, encore blessée et rougie par notre mauvaise rencontre. Afin d'éclairer le mystère et la folie de tous ces esprits, j’invite la mignonne à se confier davantage.

            -           Et pourquoi voulais-tu me revoir?

            Blondine baisse sa voix d'un ton et attrape la posture du secret, sa main accompagnant ses mots.

            -           Pour te dire que la mort veut te rencontrer.

            Dans la bouche de Blondine cela me fait toujours plus de frissons que dans ma tête.

            -           Encore cette grande faucheuse, cette macabre maladie ! Je suis tombé en                        plein dedans, il ny a rien a expliquer. La mort est mise en garde et c'est bien                 moi qui la provoque. Le duel ne fait que commencer. Dis-lui que si elle se                     présente à moi

            -           Quoi ? Tu fais quoi ?

            Dans une large respiration et le doigt pointé vers le ciel, je n'hésite pas à proférer ma sentence comme la prophétie du nouveau millénaire...

            -           Je la tue.

            On ne provoque pas l’héritier Primo ! La baudruche est pleine. Chercher un objet, le trouver et puis dire qu'on savais où il était, j'appelle cela de la moquerie. Je ne vois pas ce qu’une gamine de sept ans peut trouver d'amusant à mener en bateau un gars comme moi… 

            -           Sept ans et demi !

            Je me suis soudainement dégonflé en tirant sur l’arrivée d’air. Ma baudruche  a sifflé stridente. Blondine venait de lire dans mes pensées. Je m'aperçois que cette gamine vient de me reprendre sur son age  et de violer mon esprit.

            -           Et oui, mon gars, la mort, c’est moi !

             Le cerceau me sidère, parce qu'il se prétend lui-même, la mort en personne. N'importe quoi ! Il aurait donc réussit à percevoir ma réelle volonté d'en finir avec lui. Et cela veut dire  que depuis le placard à balai, le duel avait déjà commencé. Blondine, jouait donc sur le toit avec sa version officielle de la mort, un cerceau rose.

            -           Mon cul ! La mort n'est pas un cerceau rose.

            -           Laisse-moi l'anéantir Blondine.

            On aurait dit la voix de Cerbère, cela m'a quand-même fait moins rire.

            Il s'avèrerait finalement plausible que je sois égaré dans ce labyrinthe de connexions nerveuses qu'on appelle le cerveau. Plus pertinente, plus logique, comme déduction, enfin, simplement scientifique. Suis-je en train de dormir debout ? Les rêves sont parfois surprenants de véracité. La gelée de mon crane frise la surchauffe, où bien, au lieu d'être mort, ai-je été interné en psychiatrie ? Peut-être suis-je dans mon propre délire ? Quoiqu'il en soit, je suis toujours à côté de la blanchisserie, mais je crains que ces deux-là ne se moquent de moi, ou aient tout simplement abusé sur les anxiolytiques, ou qu'ils m'aient forcé à en prendre une dose féroce ? Alors, afin de ne pas me laisser piéger et malgré tout, laisser libre cours à leurs élucubrations, je me méfie en dressant les oreilles, comme aux aguets, je renifle l'air malfaisant du complot...  Elle a le mérite de me surprendre en flagrante pensée incorrecte, c'est vrai. Mais le petit machin en plastic rose non dégradable, il n'a pas encore gagné. Non mais, un cerceau rose à la place d'Anubis !

            -           Alors comme ça, la mort ,n’est pas ce que je crois ?!

            -           Est-ce que cela rend sourd d’être fasciné par mon emprise ?

            Il rit encore. Cela me rappelle vaguement quelqu'un, d'ignorer mes questions en y répondant par des blagues qui flottent au ras des pâquerettes. Cela m'aurait plu d'être simplement bovin, de brouter de l'herbe toute la journée, mâchouiller des bêtise, devenir un âne. Cela doit être reposant.

            Le cerceau claque des doigts devant mes yeux pour récupérer mon attention qui s'échappait quelque peu...

            -           Toi ? La mort ? Un simple cerceau? Pfft !

            Il se tait et gromelle, comme si je lui avait demandé de répondre à une extorsion de fond. Je ne suis pas un criminelle, je suis un chasseur de tête depuis que le cerceau en a une, même si elle est aplatie comme celle d'une sole. Facile d’éviter les questions, à croire que dans les sociétés fantomatiques, tout se suce du pouce, comprendre d'un jet et du premier coup d'œil ! Ces deux là font monter la pression entre mes tempes, mon cerveau siffle tant il bout. Pourquoi la mort ne serait-elle pas cette hideuse image commune d'un squelette – ce serait plus simple - ( Nulle ne sait ni le jour, ni l'heure ) peut on dire, maigre et élancée, sous une cape de laine noire et l'arme toujours prête à s'abattre...

            -           Pourquoi j’ai un boulet au pied… ? Hein !

            Cette énigme devrait suspendre pendant quelques instants leurs vilaines manières. Mais le cerceau funèbre et sans couronne de fleur, décide de  répondre, par quelque tour sur lui même. Vraiment stupide une toupie en guise de réponse. Le bout de plastic rose m'avoue enfin l'origine de cette chaine cadenacée qui m'alourdit depuis le troisième jour de mon arrivée. Ce putain de boulet !

            -           C’est moi qui te l’ai mis au pied !

            J'avais justement besoin d'une victime directement sous la main. Je m’élance de tout mon corps étherique pour aller le plaquer au sol. Mais la mort m’évite. Hop! D'un coup de hanche. Je m'aplatit la tête à mon tour. Le mur en pleine face comme cela ne m'était plus arrivé depuis la nuit d'hier. Je n’ai pas eu le temps de demander la permission à la cloison qui résonna sous l'impact de mon crâne fracassé.

            -           Je t’ai mis un boulet au pied, pour que tu sois sur la terre. Tu n'as rien a faire                      ici, c'est ça que tu n'as pas compris.

            La terre ferme. Rien ni personne ne m’appelle à revenir sur la planète bleue depuis mon arrivée. Je ne vais pas me laisser dicter mon comportement par ce machin. J'y suis déjà sans y être. J'hésitais depuis quelques jours. Avais-je vraiment choisis de venir ici. Sa réponse me convient sans me plaire.

            -           Dois-je revenir chez les mien ?

            A Blondinette de me répondre.

            -           Oui. Retournes-y Albin.

            Elle me propose juste dy penser mais cela me met en rogne. Comment veut-elle que j'y retourne.

            -           Fais-le pour ta Maman.

            Je ne sais où Blondine veut en venir. Rien pour Maman. Seulement Zoé. Elle reste la seule pour qui je reviendrais. Et puis, comment la connait-elle ? Mais sa remarque me rappelle que sur cette terre, j'ai caché un trésor, trop précieux, dont personne ne veut me débarrasser. Même Maman, elle a simplement subtilisé la clé pour en finir avec cet histoire d'héritage. Je ne sais pas non plus si cela me rend responsable de quoi que ce soit... 

            -           Ton boulet t’empêche de retourner chez toi. Et t'empêche aussi d'aller un peu                     plus loin.

            Le cerceau s'enquiert de la discussion.

            -           Je dirais que tu as encore le choix. Les boulets que nous offrons aux fantômes                  ne leur servent qu'à faire la paix avec eux même et avec leur histoire.   

            -           Personne ne maime sur terre. Tout le monde menvie.

            -           Je taimerai partout, où que tu sois. Mais vas-y.

            Blondinette me fend le cœur. Pour de telles petites attentions sincères je suis capable d'aller jusqu'en enfer. 

            -           Comment puis-je me débarrasser de ce boulet ?

            -           En étant patient. En comprenant le sens de ta vie.

            Elle est vraiment gentille cette blondinette. Depuis ma mort, j’ai plusieurs bonne raison d’exister. Un rapport à l’espace d’une créativité hors norme. Un ami comme Jean. Plus d’école. Ni le problème de savoir ce que je veux devenir plus tard. Mon avenir est tout tracé là bas. Voilà ce qui me gène. Ici, plus de contraintes. Une liberté de choix et d’action que personne, enfin, ne pouvait me reproche. J'ai peut-être une tâche en dehors des traces de mon père : guider Saint-Martin vers une évolution.

            -           Et toi, tu ne dois pas retourner là bas ?

            -           Non, moi je vais ailleurs.

            -           Tu crois lavoir mérité ?

            Je sous-entend bien sûre, l'idée de paradis. Même si elle est dépassée cela nous intrigue toujours.

            -           Tout le mérite est de rester sur terre.

            -           Pourquoi tu ny reviens pas ?

            -           Parce que je nai plus de corps. Le tien, lui, est presque intact.

            Elle a raison, mon corps, tel que je le connais n'aura qu'une seule vie. Autant que je le fasse vivre. Si Albin Primo n'a pas dit son dernier mot, alors, qu'il vive !

            -           Je ne saisirai jamais les humains, moi j'ai eu droit à un simple cerceau comme                  véhicule spacio-temporel. Eux, ils ont une tête, un cœur, et même de quoi se                      reproduire, je ne comprends pas ce qui les empêche d'aimer la vie.

            La mort en cerceau entammait un soliloque insoupçonné. Je n'aurais jamais imaginé la mort empreinte de compassion.

            -           Alors, la mort cest quoi ?

            Blondine est perplexe.

            -           Cest quoi, quoi ?

            -           Que ce passe-t-il après ? Loin, quand on prend les grands courants.

            Le partenaire de gymnastique rétorque fièrement.

            -           Pour cela, il faudra me passer sur le corps !

            Je comprends que ces deux la veulent me protéger. J'accepte. Saint-Martin nécessite mes compétences...

            -           Je les guiderai vers l'évolution !

            -           Bien dit gamin.

            Il prononce cette phrase sérieusement. J’entends bien.

            -           Bravo !

Pour une seule, simple et bonne raison, je ne prendrai pas de grands-courant mais je reviendrai sur terre car si je vais plus loin, je ne pourrai plus rire de moi

 

                                                                       ***

 

           

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Je suis riche, trop riche. Ils se mettront en travers de mon chemin.  Tu es une menteuse Blondine ! Je connais ton vrai nom. Tu te présente sous un faux nom pour me trahir. Toi aussi, tu veux ma peau. Je te l'ai caché, tu me l'as caché. Alors, que faire d'un tel trésor ?

            Tant pis. Je nirai pas. Je préfère rester ici et errer pour l'éternité jusqu'à ce que moi aussi j'en perde mon propre prénom. Je veux m'oublier, oublier ma vie, oublier mon temps. Oublier mon compte.

            -           Tu t’es mentis, Albin.

            Je sais à quoi elle pense, elle pense à qui je suis : un meurtrier. Comme c'est facile de décrire une personne en un seul mot, tant qu'il mette d'accord tout le monde. La puissance de l’or me rend inévitablement prédateur. J’aime la différence, voilà ce que j’aime le plus au monde, ce que je suis de particulier. La pauvreté est tellement banale. Et comme tous les pauvres, elle mendie. Blondine mendie son propre nom.

            -           Dis moi, mon vrai nom et je pourrai m’en aller. Arrête Albin. S'il te plait

            -           Quel nom ? Ton nom ? Je ne le connais pas.

            Voilà une mendiante, une crève-la-faim qui comme toutes les autres crève à la fin. L’argent intéresse tout le monde qu’importe sa provenance. Blondine ne veut pas  d’argent elle veut ma mort pour se partager l'héritage. Même si aujourd'hui dans la famille Primo, on ne dénombre plus aucune descendance. Tant mieux, je serai seul gagnant. Je n’ai peur que d’un événement, celui où les autres ont peur de moi. Blondine veut un nom. Et ainsi, ils ne veulent pas me connaître…

            -           Le mien, celui que tu gardes et dont tu ne veux pas te rappeler.

            -           Qui es-tu ?

            -           Je te le demande Répond-moi.

            La richesse va de paire avec la conscience. J’ai vu plus d’événements à produire sur terre que nulle part ailleurs. Mon argent pourrait les réaliser. Ne plus être humain me libère d’un grand poids. Tout l’or que j’ai amassé pourrais, tant il est précieux, littéralement changer le monde. Je dis vrai, Papa m’a laissé une fortune énorme sans rien en dire à personne. Le cœur d'une vierge. Il est inestimable.

            -           Tu t’appelles Gab. Gabrielle.

            -           Gabrielle. C'est merveilleux ! Tu t'en rappelles.

            C'est certainement de sa faute si Lise m'a enfanté.

            -           Qu'elle le paye !

            -           Tu ne peux pas dire ça Albin.

            Les gens veulent lor mais pas le changement. Qui veut faire de sa mère une mère heureuse ? Les veulent des enfants qui ne remettent pas en questions leur propre personnalité, ils éduquent, les éduqués. Mais qui éduquera les éduqués ? Ils veulent du pouvoir mais sans responsabilité. Moi je voulais ma petite sœur sans son prénom.  Pour fuir, mais quoi ?

            -           Meurtrier, meurtrier, meurtrier. Je ne suis pas un meurtrier Gabrielle.

            -           Je sais Albin, Maman n'y peut rien. La mater, tous le monde la déteste.

            Quel avenir pour la cité, sans la famille Primo. Gabrielle, la blondinette au cerceau, de sept ans et demi, est décédé par ma faute dans la rivière la nuit de laccident. Maman a voulu nous effacé de son esprit alors ma petite sœur et moi, on a faillit rester dans les limbes, sans passer ni de l'un, ni de l'autre coté de l'empire des âmes errantes.

            -           Tu es morte pour de bon ?

            -           Oui, Albin. Tu te dois de l'accepter. Ma tombe existe.

            -           Quelle tombe ?

            -           La mienne ! Celle de Gabrielle Primo.

            Oui, Blondine n’est autre que Gabrielle, morte le premier du mois, la nuit de vendredi à samedi, celle de mon entrée dans le coma. J’ai évité l’enterrement tout comme j’ai évité de salir mes splendides mocassins en crocodile albinos. Papa porte les même, l'esthétique masculine plane, la mater crève de douleur. La sensibilité qui bande ne vaut rien sans caresses. Je dois comprendre que je ne peux décemment pas tracer une croix sur ma vie passée. Je suis responsable de Saint-Martin, Papa a fuit dans sa tour, je dois l'en sortir. Je suis pourtant resté, il y a quelques jours, à admirer mes chaussures sans me déplacer jusqu’au cimetière. Le costume noir, c'était Dieu qui s'effaçait après la cérémonie.

            -           Quand je suis triste, je bois.

            -           A ton age ?

            -           J’ai bu un lac, je l’ai déversé dans ta chambre, parce que j'errais au dessus de                  ma tombe, sans identité. Les gens présents à la cérémonie étaient des                         inconnus pour moi. J'avais une mission.

            -           C’était quoi ?

            -           Je devais te réveiller pour que t'y retourne.

            Je l'ai serrée fort dans mes bras. Cela nous réchauffait, parler de nos souvenirs. Ce nom perdu, ce nom exigé perdu, et dont l'égarement m’avait permis d’oublier qui je suis : un misérable parmi tant d'autre. On a le droit d'être faible. La scène est familière bien que je renoue peu à peu avec cette illusion, ce sentiment déplaisant.

            -           As-tu souffert Gabi ? La chute, elle t'a fait mal ?

            -           Je ne men rappelle pas.

            Je repense au troisième jour de mon arrivée. Le jour du costume noir. J’étais donc convié à un enterrement, le sien, Gabrielle… L’apparition soudaine de tels signes, comme le costume et les mocassins, n’était autre qu’une invitation à la reconnaître morte. On est bien dans ses pantoufles.

            Je ne ressens pas le besoin d’être sentimental, lheure et la déclaration apparaissent grave dans le relief de ma venue en ce monde même si je suis toujours entre deux mondes. L'évolution ! Gabrielle incarne la hantise dune culpabilité criminelle et dune fausse rancune. Il faut que je le lui dise.

            -           Je ne t’en veux pas.

            -           De quoi ?

            -           D’être morte, ce soir là.

            -           Je peux enfin men aller

            -           Chançarde, tu vas goûter aux grands courants.

           

            Le cerceau se met à bondir sur lui-même. Ils sautille pour rebondir sur la porte de la salle des machines. Il frappe en trois coups, heureux comme un pinson. On ouvre. La mort en plastique rose entre dans la pièce ou Jean et Cécilia ont finis lun dans lautre. Le cercle acrobatique semble les avoir interrompu plus tôt que lhabillage. Décidément Cécilia a toujours mon age. Ils ramassent rapidement leurs vêtements, tout en s’étonnant dun cerceau volant non identifié et suspendu dans les airs, rose comme la couleur osée de leur union.

            Je mapproche de lenfance meurtrie et pourtant libre, je lui prend la main avant de lui donner un baiser sur le front. Elle me salue dune courbette élégante. Cette ravissante et exceptionnelle gymnaste nest autre que ma petite sœur.

            -           Tu pars ? Gabrielle…

            -           Oui. Salut, Blondin.

            Jean, un peu bête, en s'avançant vers nous.

            -           T'as les cheveux noir Albin. On peut pas t'appeler Blondin.

            Puisque Gab sen va ailleurs, je m'efforcerai de retourner sur terre pour témoigner de son départ. Jean semble ému, sa blanchisseuse noire est en partance pour un au-delà bien réel. La douce femme le regarde mais ne faiblit pas. Jean lui ouvre les bras. Ils sen remettent à parier que cette étreinte nest pas la dernière.

            -           Ne t’inquiète pas Albin…

            -           Tu me précèdes Gabi.

            Cécilia n'est plus couverte de cette cendre étrange qui gravitait autour d'elle tout à l'heure, même le sol parait s'en être débarrassé, car aucune trace de cette poussière n'a pu persisté pour une raison mystérieuse que j'ignore.

            Elle est propre, sa peau bientôt entièrement lisse et ses yeux sont aussi verts que les miens. Devant moi, à la vitesse ou je vous parle, Cécilia est en train de cicatriser. Est-ce mon regard qui me joue des tours ? Que puis-je encore croire si mes yeux me mentent aussi... ?

            Elle se vet de son pantalon, dos à nous, et je n'ai pu m'en défaire, elle aussi constate avec joie cette réconciliation, cette guérison avec elle-même. Depuis la cheville, jusqu'au mollet puis vers la cuisse, les minuscules entailles s'effacent pour bientôt disparaitre une à une... Elle a ramassé le textile de coton bleu et le tire vers le haut, sur toute la  longueur de sa jambe, je vois se glisser deux belles pastèques, dessinant à la perfection les courbes charnues et gracieuses d'une rondeur postérieure née dans le grand-sud. Je pense à Zoé tendrement et bien que j'apprécie le spectacle à sa valeur saine, je n'ai rien à envier car j'accepte de me suffire à moi-même et à ma vérité sauvage pour un instant.

            Ces blessures de Cécilia ont le don de m'omnibuler, car je les voit réellement, comme si j'étais le seul à les voir changer, chacune à leur tour comme pour rendre à ce corps une beauté vierge et oubliée parce qu'elle a été masquée par la violence. Vu l'ivresse qui jaillit calmement du fond de ses yeux, le reflet brillant provenant de son regard, le déhanchement maladroit de sa marche et l'équilibre frêle de l'étourdissement, Cécilia avance vers nous, nouvellement amoureuse, ce qui augmente le charme de sa haute et noble prestance. Jean, proche de la septentaine, fut apparemment, malgré son age, irréprochable dans son étreinte.

            La grande dame finit de s'habiller, naturellement, comme si mon corps réagissait depuis la chambre 308, mes hormones ne parviennent pas à détourner leur regard, elle se penche et ramasse son soutient-gorge, pour garnir ses deux belles poires au galbe rebondis qui pendent et murissent au soleil, car elle les recouvre aussi, bien au chaud  d'une dentelle rouge passée aux épaules et agrafée dans son dos.

            Cécilia s'approche de moi et de ma petite sœur. Gabrielle la surprend pour la première fois dans cette réalité-ci mais elle semble l'avoir déjà rencontrée dans l'autre.

            -           Je t'ai déjà vu toi ?

            -           Oui ma petite. Chez toi.

            -           Maman était fâchée contre toi.

            -           C'est vrai. Ton Papa m'a aimée, mais plutôt mal.

            Un grand frisson me parcourt dans le dos, serait-ce la fameuse compagne de Papa ? Serais-ce elle la vierge ? Décidément, mon Père m'aura tout caché durant sa vie.  Je bouche les oreilles de ma petite sœur qui mérite bien de penser à autre chose.

            -           C'est moi qui ait votre cœur.

            -           Prends-en soin.

            Je débouche les oreilles de Gabrielle abasourdis. Elle se retourne vers Cécilia.

            -           Qu'est-ce qu'il a dit ?

            -           Je te le raconterai. Presciente un  peu.

            Ensuite, elle se penche au creu de mon oreille, comme pour me confier une découverte de la plus haute importance, l'information restera maigre, à peine suffisante,  alléchante.

            -           Il y a un secret qui rode à Saint-Martin. Tu es né pour le dévoiler.

           

            Elle parlait de mon secret, apparemment elle savait tout. Son cœur de vierge, mon trésor. Jean et moi allons encore vivre alors des aventures. La femme noire et la jeune enfant blanche se prennent la main. Ma petite sœur est en partance. Le cerceau se racle la gorge avant d’annoncer :

            -           Madame, jeune fille, êtes vous prêtes au départ ?

            -           Moi. je le suis. Et toi ?

            -           Ce nest pas trop dangereux ?

            Gabrielle excitée par la nouvelle attraction des grands courants, s'inquiète un peu. « La petite fille au cerceau » me jette un dernier regard que je grave parmi tous mes souvenirs les plus puissants.

            -           Bien sûre que non ! Vous n’avez rien à faire, je m’occupe de tout…

            Répond donc le cerceau qui tourne, tant et tant, que tourner, n’est plus qu’un rayonnement pour lui. Peu à peu le cercle devient énergie. Il appelle un grand courant qui, sans mal, traverse les parois de l'immeuble comme un monumental courant d’air. Le souffle coupé, je suis complètement décoiffé malgré le sacré de l’instant. Une foule de curieux se penche au balcon pour assister à la scène. Bien qu’il n’y ai pas de balcon, je sens des présences. Le cerceau s’ouvre et s’élargit pour rendre la pièce incandescente. Lorsque la lumière ne nous éblouit plus et qu’elle s’apaise, les voix et les cris de joie semblent s’être estompé. Le silence est maintenu. Il n’y a plus que nous. Comme si rien de tout cela n’avait existé. Hallucinés, Jean et moi rions d’enfin savoir que nous ne savions pas grand chose.

           

***

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Le lent retour des souvenirs se bousculent, portés par la brise dans ma petite tête. Les amertumes remontent et jouent avec mes pires angoisses. Jai le sourire.  Vais-je apprendre un jour à laver mon linge sale ? Dire que Jean ne me pose jamais de questions. Que dois-t-on réellement garder pour soi ?

            -           Je peux te raconter une histoire triste ?

            -           Sans blagues ?

            -           Oui, sans blagues !

            -           Compte sur moi.

            Voici comment, après la mi journée paresseuse, je finis par me confier. Rare et précieux sont ses instants où les amis font toujours un peu partie de la famille. Ce ne sont pas mes quatre vérités que je lui annonce, puisqu’il n’y a qu’un seul pilier au malheur : et si la vie n'était qu'un accident ?

            -           Je ne suis pas un meurtrier.

            -           Je nen ai jamais douté.

            Pour moi, le doute était l’ami fidèle. Le monde que l’on m’avait fait lire ne me ressemblait pas. Mais je ne pouvais pas me détacher de l’idée qu’ils l'avaient tissé ensemble rien que pour moi. Partir ou rester, continuer à tisser ou rendre le métier, je doutais de tout.

            -           Si tu en étais . Je t’aurais déjà vexé.

            Tout le monde me vexait sans arrêt. Ce n'était pas nouveau.  Chaque rencontre était programmée sur mesure. Personne ne m’accostait naturellement. Depuis mon plus jeune age, je fut invariablement présenté, comme un futur roi. Cela forge un certain caractère  et nourrit aussi quelques angoisses.

            -           Les meurtriers se vexent ?

            -           Les meurtriers sont fiers.

            -           Je n'en suis pas.

            -           Rarement disons.

            Aujourd’hui, je me suis défait d’une colère ténue. Qui dit: je suis innocent, est coupable de conscience. Il a fallu tomber dans l'inconscience. N’y aurait-il plus de défis, si nous étions déjà parfaits ?

            -           Je suis innocent.

            -           Et à part ça, elle commence quand ton histoire ?

             J’invite Jean à me suivre.

            -           Viens !

            -           Où ça ?

            -           Jusquau cimetière.

           

            Nous nous sommes télé transporté. Où plutôt, j’ai transporté Jean directement au cimetière. Il m’a suffit de penser au lieu pour y apparaître instantanément à ses cotés. Jean a relevé mon pouvoir de décision. Je ne fut pas mécontent. Cela m’a pourtant semblé très naturel même si c'était la première fois.

            La pierre est déjà posée, lourde, sur la terre humide. Le nom de ma sœur est gravé dedans comme pour l’éternité : Gabrielle Primo git donc sous cette grosse dalle et partout ailleurs. Gab est partie hors du monde et cest irréversible. Nous sommes debout devant la grosse pierre de marbre fleurie. J'ai apporté des Lys fantomatiques car je sais qu'elle appréciait leur parfums. 

            Je trouve soudainement que la situation est légère et absurde de voir là deux esprits plantés face à la tombe dun autre esprit. L’évènement nous a instantanément habillé pour loccasion. Jai retrouvé mon costume sombre. Jean attends des explications.

            -           J'ai aimé une femme, Zoé Clerc

            La simple prononciation de son nom, nous enmène dans la forêt sombre qui longe la ville. Voici un nouveau type de transport en temps réel : les pensées profondes. Notre rêverie nous transporte à lintérieur du feuillage de Saint-Martin. Zoé court. 

            -           Alors, c’est elle ?

            Derrière le cimetière, l’école et l’internat des ursulines, elle court à ma place. Elle court pour oublier. C'est fou ce que la distance fait fantasmer.  Le coffre est-il toujours enterré dans la chapelle abandonnée ? Je plonge au plus profond de ma personne, mon intuition est formelle : tout est en place. Personne ne sera brûlé vif.  Papa ne sortira pas de sa tour, il ne se dérangera plus.

            Zoé pleure dans sa course. Je suis ému car elle s'essouffle, soupirante. Elle ne doit pas sentir bon. Cependant, elle ne sarrête pas de courir, elle avance.

           

            -           Zoé Clerc vient d’une belle et simple famille paysanne, sa nature sincère                             m’avait séduite. Avant que sa volonté de me connaître n’enclenche mon                              premier pas.

                        Nous étions à notre cachette habituelle : la cabane. A lextérieur de la ville de                   Saint Martin, s’éloignait la conduite de gaz . La production de lusine                               pouvait ainsi être distribuée sur dautres terres et collaborer à notre                               richesse. Ce tuyau dacier traverse toute une montagne en sa base. Avant dy                     pénétrer, le pine-pline se jette comme un pont, au dessus de la rivière ou                    plutôt du gros torrent dégringolant depuis les neiges blanches du sommet.

                        Nous avions beaucoup de plaisir à traverser par ce chemin Zoé et moi. Parce                   que de lautre coté, vers la forêt et par delà la rivière, commençait la vie que                nous avions vraiment choisie, celle qui nous attendait sans quon puisse la              prévoir : la cabane.

                       Nos jeux de rôles incessants se donnaient libre-cour pour nous étonner. Sans                    arrêts, nous avons mimé des chutes et des tentatives de poussées dans le                        vide. Elle savait ma crainte de leau qui ruisselait sous larmature dacier. Nous                  ne pensions jamais à laccident sauf pour nous rapprocher lun de lautre

                        Cette soirée dautomne, jouissait encore de la douceur de l’été. C’était lheure                        du crépuscule, une heure où Maman finissait toujours devant la télévision.

                       Zoé ma fait porter ce soir là, un bandeau sur les yeux. Le but : traverser le                        pine-pline en lui réservant ma confiance aveugle.

                        Elle ma guidé par ses petites mains enserrées sur ma taille. La mélodie de                    leau, qui s’écoulait plus bas, augmentait ma crainte. Son souffle, dans ma                      nuque, ranimait lenvie de la dépasser. Mes pas incertains senhardirent pour                 accélérer la cadence. Elle l'a dit : « fou ». Elle mavait lâche et je l'ai devancée.                 Je courrais jusqu’à la terrasse, sans rien voir, et jy suis arrivé, fier et                                     funambule.

                        Ayant traversé, je retirais déjà le bandeau de mes yeux. Elle riait et me fit des                    reproches par tendresses. Je lai embrassée.

           

            Jean me taquine.

            -           Je savais que tu avais une amoureuse.

            -           J'étais pas obligé de te le dire.

            -           Continue.

            -           Des dizaines de bougies illuminaient déjà la terrasse.  Zoé avait préparé le                       repas comme elle dit. Un gâteau au chocolat déposé sur une couverture                            accompagnait de fruits variés. Un dessert acheté, la cuisine de Zoé. Javais              apporté une bouteille de vin. Elle avait prévu les gobelets, le tire-bouchon,                     quelques coussins qu'elle me confia avant de me prévenir quelle allait se                      préparer. 

                        Elle est entrée dans le cabanon pour en sortir un poste de musique. Elle se                        détacha les cheveux langoureusement. Zoé se déroba de ma vue et m'invita à                  patienter.

                        Je mallongeai sur le dos et je constatai que les étoiles étaient du même avis                   que moi. J’étais chouchouté et la filante acquiesçait. Toutes mes expériences                        passées battaient de laile en comparaison de lenchantement qui ruisselait                 sur nous ce soir là. Elle maimait. Elle navait plus de vêtements, étendue dans                       la cabane.

 

            -           Jusqu'à présent, ce n'est pas si triste.

            -           Attends de voir.

            -           Ok. Continue.

                        Jai entendu son cri et je me suis réveillé. Gabrielle, ma petite sœur venait              de tomber du pine-pline. Elle nous avait suivi. Je suis sortis de la cabane. Jai             sauté par instint, comme un inconscient. J'ai perdu connaissance arrivé en              bas. J'observais déjà la scène, assis et dépité sur le pine-pline.                                         Mon corps était dans l'eau.  Zoé a vite compris lenchainement des                                    évènements. Je l'ai vu sortir à son tour. elle jeta un œil hagard sur le flot de la                      rivière. Elle maffolait tant saffolant elle même, bien quelle fut plus                                  prudente que moi.  Ne voyant pas nos corps, la belle décidait alors de                         passer par le             feuillage pour sagripper dans la descente ; elle s'essayait à un                       sauvetage improvisé dans des conditions difficiles, sans harnais ni                                             mousqueton. Jamais, je ne lavais vue aussi audacieuse que dans la peine. Les                      affaires sont toutes restées là, étalées devant la cabane. Les bougies étaient                        encore allumées dans lhumidité de la nuit. Le vin que personne neut jamais                        bu finalement était renversé là, sur la couverture et les coussins.

            Jean compatit.

            -           Wouaw...

            -           Tu l'as dit.

                        Zoé pleurait comme une possédée en écartelant mon nom dans sa gorge.  Sa                 main droite saccrochait à un arbre, lautre au carénage du pine-pline. A cet                  endroit, les roches descendent à pic.    Heureusement quelle ne s’était pas                 jetée directement. On l'aurait cochée troisième au tableau de chasse. Zoé                   pendait dans le vide. Une dizaine de mètre la séparait encore de la rivière              glacée. Le bras s’élança pour attraper la branche dun autre jeune feuillu bien                         tordu en amont. Les fibres plièrent et l’écorce se rida. Elle reniflait. Ses doigts                  abîmés me faisaient déjà mal pour elle. Les  jambes pendues dans le vide, elle               se balançait vers le flanc graveleux. Jaurais voulu lui porter soutient. La                            branche cassa. Elle sest étalée et jai eu pitié de son corps abîmé. Elle gisait à                     coté de moi, car javais échoué là sur les cailloux.

                        Elle caressait mon visage et jaurais voulu quelle prenne soin delle. Elle était                rougie, arrachée de tous les côtés, griffée entièrement sur le flanc droit de la                     hanche au genoux, de l’épaule au front. Elle me redressa. Elle a poussé un                  hurlement, un râle comme un poignard au cœur : « à l'aide ».

                        Soudain quelques lumières ont parcouru les eaux. Une voix forte linterpella.                     Un voisin du bas de la rue. L'homme était bien sûre arrivé le premier, les                      curieux ensuite. L’événement allumait les maisons des alentours. Saint-Martin                      vécu un drame la nuit du premier novembre. « L'héritier est mort ! », « sa                                 petite sœur aussi... », « mais que va-t-on devenir ? »

                       Papa a été prévenu, il est venu nous voir au urgence. Je serai son successeur.

                        Il m'obligeait à revenir de mon coma.

            Nous revenons au cimetière, Zoé termine sa course dans le bois.

            -           Ne tinquiète pas Albin. Elle est heureuse où elle est.

            -           Je ne minquiète plus.

            Je dépose les Lys au pied de la sépulture.

            Une fine silhouette sort de la forêt. En training blanc comme la neige, Zoé défait sa capuche pour relâcher sa crinière de braise et de bronze. Elle se dirige vers la maison communale à pas tranquille pour se détendre de son effort. Je comprends quelle traversera le petit parc, celui de la fontaine des vœux. Le temps demporter Jean dans mon désir et nous  retournons au point d'eau, aussi vite que le vent.

            La cuve asséchée, aucune goutte à lintérieur du bassin, uniquement des pièces  lancées par les espérant. La mienne a du rester là, à lintérieur de la pierre creuse, cette pierre de meule. Je décide daller voir au centre, jy suis, ma pièce brille effectivement du fond du trou. Apparemment je n’étais pas le seul à avoir effectué ce résultat exceptionnel. D'autres pièces étaient tombées au centre de cette pierre. Que des devises étrangères. Seuls les touristes font des vœux.

           

            Zoé, face à moi, sempare des pièces qui sont restées dans le creu taillé. Elle saisit la mienne sans se gêner. Elle met les autres dans sa poche. D'avantage de devises apparaissent finalement frappées à l'effigie de Saint-Martin.  Elle cherche celles qui ont le plus de valeur. Zoé ramasse les quelques prières. Les vœux de quelques dizaines de personnes sont dérobés sous nos yeux par mademoiselle Clerc. Je la croyais incapable dun tel geste.

            -           Espérons qu’elle en fasse bon usage !

            -           Tu l'as dit !

            Zoé ne pressent finalement pas du tout, la force des vœux. Je suis ravi de la voir, de plus, elle a traversé mon corp éthérique. Impression agréable, pleine de pétillements et de chatouilles. Je suis frustré. L'effet ne dure pas...

            Elle sen va, je la regarde s'éloigner, et sifflotant, les yeux coureurs pour se distraire, Zoé a récupéré son souffle.

            -           Penses-tu qu'elle veut m'oublier ?

            -           Je ne sais pas Albin, je ne sais pas

 

***

 

           

            Rassuré par la présence du vieil homme, mieux que par celle de mon propre père,  il est amusant.

            -           Sais-tu comment les hommes parviennent enfin à la paix ?

            Bien sûre, comme toutes les devinettes du vieux bonhomme, je mime d'habitude la recherche d'une réponse jusqu'à ce qu'il me la donne. Mais Jean se plait définitivement à ne proposer aucune solution, tant que mon visage ou ma voix, ne marque pas d'intérêt pour la question. Si je ne cherche pas, il reste muet. Je le soupçonne de regretter certains choix de carrière. Comme je vous l'ai dis plus tôt, il aurait excellé sur la scène d'un grand théâtre. Etrangement, plus comédien que tragédien...

            Comme d'habitude, je ne lui réponds pas, je lui partage mon sentiment.

            -           Aujourd'hui, je me sens apaisé...

            -           Parce que tu as accepté la grande loi de l'univers.

            -           Laquelle ?

            -           La loi de la contradiction universelle !

            -           Les chinois disent que tout est né de cette loi : je veux, je veux pas.

            Sûr de mon coup, je répond sans hésiter.

            -           Je veux !

            -           Alors tu n'auras rien.

            -           Bien, pourquoi ?

            -           Parce que tu dois allier le positif au négatif, les chinois disent que toute                               nouvelle forme est née de ce beau principe : je veux, je veux pas. Au même                       moment.

            Je rit parce que je ne comprend pas tout de suite. A quoi sert cette idée ? Lui, reste calme respirant l'air pure de cette belle réalité pleine de formes.

            -           Là, par exemple si tu as rit, c'est parce que tu voulais.

            -           Non, je ne voulais rien.

            -           Si, justement. Et tu n 'as rien demandé...

            Comment ça, je n'ai rien demandé, je reste perplexe. Pourtant, il a gardé son calme, le petit sourire en coin, les yeux dans l'au delà... Il était sérieux pour la première fois depuis que j'avais appris à me confier. Je lui avoue quand-même.

            -           C'est vrai, je me suis demandé à quoi servait cette idée : je veux, je veux pas.

            -           Ce n'est pas qu'une idée, c'est une force qui te mène au plus haut de toi                             même. C'est la force de la vie.

           

            Alors que gens ouvrait la conserve de cassoulet et préparait le réchaud, il me proposa de lui raconter la vie à la maison.

            -           Histoire familiale difficile ? Qui d'abord ?

            -           Toi, vas-y, je t'écoute.

            -           Chacun tire son boulet derrière lui tout en croyant qu'il est le seul à profiter              du malheur.  Et moi ? Et toi ? Pire pour l'un, et mieux pour l'autre, dans tous                       les domaines... Alors la question             est de savoir : qui n'est pas a plaindre ?

                        Maman est une femme merveilleuse, mais j'ai flairé un grain de sable dans la                     machinerie très récemment.  Quel gamin oserait s'avouer que celle qui                               l'enfanta resta caduque ? Quel héritier reprocherait à son père de ne pas                               avoir assez préparé son avenir ? Beaucoup, énormément. Mort, je m'égalise.               Que tu veux ou que tu veux pas, ta famille est la meilleure.

                        Papa, le maire de la ville, la notoriété familiale, toujours trop occupé. Point                         positif, l'humour, un comique des bas quartiers quand il s'y risque. Rire gras.                      Mais qu'est ce que nous étions polis, et habitué aux cérémonies classique,                     nous n'osions interpeller personne autour de la table. Nous mangions en                                    silence sans vraiment remarquer que nous étions tous pleins de secrets plus                avouables. Maintenant, avec le recul, je crois que  nous connaissions                                    intuitivement tout sur chacun. Nos questions évasives reflétaient nos actes                         manqués d'amour. Mais de quoi nous protègerions-nous ? Des réponses                          claires par peur des représailles, reflex automatique et bien intégrés de nos                      cérémonies classiques.

                        Maman est une femme de ménage, une véritable repasseuse, elle repasse ce                  qui passe mal. Et pourtant c'est une conteuse hors-paire, nous finissions                                   dans une bulle de rêves lorsqu'elle venait nous border. Maman  a du naître                    avec un fer à repasser à la place du cerveau mais pas à la place du cœur.                              Arrêtons-nous un petit peu sur ce fer à repasser qui plombe bien des                              cervelles dans de nombreux foyers.

   

                        Maman combat la poussière, au moins, elle incarne l'évidence du plein                                 emploi. Maman aime tellement les poissons rouges qu'elle leur parle toute la                      journée pendant son ménage. Un poisson rouge par bocal, la règle restera la                        règle. N'essayez pas de les faire s'accoupler, Titi n'aime pas Capuchon et Zigi              préfère Gertrude à Chenapan. Sans dessert,  la soirée se passera dans votre                     chambre à compter les mouches écrasées au plafond. Heureusement que              maman ne regarde jamais le plafond de ma chambre. Parler avec ses                                 poissons rouges à longueur de journée, crier et se justifier auprès de sa                               poiscaille. Rituel de famille classique, jusqu'à aujourd'hui.

                        Heureusement que Jean m'a fait comprendre que l'hérédité était relative, car                    sinon pourquoi parler d'évolution ? Maman aime pourtant ses poissons                             rouges mais elle serait bien incapable de relâcher sa petite marée dans son              milieu naturel. Au moins eux, ils la comprennent.

 

                        A posséder fièrement un nombre réduit de malheur on contracte les muscles                     de notre importance ignorée par tous et surtout par soi-même. Gonflé d'air,                 on grossit orgueilleusement comme des baudruches voulant sans cesse                                   nourrir l'unique angoisse, celle d'éclater. Mais quand on éclate, dans                                l'éclatement, on impose aux autres qu'on a été la plus résistante.

                        Les soirées à table n'étaient pas forcément amusantes à la maison. La                              télévision était certainement plus drôle que nous. Bien sûre, chaque mobilier                    de la maison était situé bien à sa place, comme je vous l'ai dit, mais sur notre                   chaise, nous nous sentions toujours mal assis. Pour ma sœur et moi, l'ordre                         était notre pire ennemi, avec qui nous devions pourtant apprendre à                                  cohabiter. Maman reprochait toujours à Papa de mettre sa veste n'importe                   où, et, à peine arrivé, elle le poussait à la mauvaise humeur. Je suis fatigué                       des coupables du monde, ou plutôt, de l'importance qu'on leur donne,                                  quand d'un seul malheur, comme une veste sur un fauteuil, on peut mieux                         vanter son propre régime de foire.

                        Chez la famille Primo, des souvenirs et des biblots, plus laids les uns que les                     autres, il y en a beaucoup. Qu'on aime ou qu'on aime pas, ils sont toujours              sur nos armoires malgré qu'ils ne nous rappellent personne. Ils se gonflent,                    importants sur nos étagères et le bonheur se fige en un instant, à l'instar                            d'une étoile raidie quand ils nous fixent, bien à leur place. Gabrielle et moi                    avancions à pas inquiets quand nous étions petits, pour ne pas les vexer et                    saluer avec respect les ombrageuses formes dont on croyait si bien connaître                  les contours et l'emplacement parfait. Mais Maman nous corrigeait toujours,                  dans notre enfance, jusqu'à ce que Gabrielle et moi, nous avons entendu un                       jour, les broutilles murmurer dans notre demeure. Chacun à leur tour, ils nous                  provoquaient, il mettaient en doute l'amour même de Maman.

                        -           Elle nous préfère à toi ! A vous deux !

                        Et aux poissons de répondre.

                        -           Bien non, c'est nous qu'elle préfère.

                        Nous nous regardions, effaré par cette découverte. Savoir que ma sœur                              vivait le cauchemar identique était étrangement rassurant. Alors, nous                               éprouvions une solitude semblable, nous nous consolions mutuellement. Et                   quand nous arrivions à oublier cette angoisse, en mettant de la musique,                          nous jouions beaucoup plus que n'importe quels enfants, puisque la voix des                     objets était habituellement murmurante, les quelques mélodies nous                                    permettaient de nous oublier enfin. Ils ont pourtant encore  élevé la voix                               pour stopper notre course effrénée et joyeuse, mais tellement mauvaise pour                    la laine du tapis oriental. Nous augmentions le son jusqu'à ce que Maman                     sorte de ses gons et que tous ces objets ricanent encore de plus belle. Les                bibelots étaient nos bourreaux, Maman était leur matronne.

             

                        Heureusement, quand notre père ne rentrait pas trop tard, nous avions                                parfois la chance de penser à autre chose qu'au repassage de Maman. J'avais                 moins de quatorze ans à l'époque, et Maman débarrassait la table car tout le              monde avait finit son repas.  Alors s'installait toujours un silence que je ne                  comprenais pas mais que je sentais affreusement douteux. Papa lisait le                                 journal et nous patientions avant la permission ignorés par nos deux parents.

                        Ce soir là après le repas, Toni notre père, était revenu à la maison avec un                       œil au beurre noire. Nous avions ris, car il disait s'être battu avec une                                  pancarte et nous nous moquions de lui car la pancarte avait gagné.                             Gabrielle et moi nous sommes accrochés à son cou pour l'obliger à se                         pencher afin qu'on l'embrasse. A cette époque il finissait de mettre de grands                  panneaux publicitaire pour la ville de Saint-Martin, car l'entreprise                                         économique de la région allait bientôt démarrer et nous cherchions du                                personnel. Beaucoup de jeunes gens et d'immigrés eurent tôt fait d'accepter                 une vie meilleure, à salaire moyen, tout de même supérieur à la précarité des                   grandes villes. Il me saluait déjà à l'époque comme un futur patron.

           

            Je vous avoue, la réaction de Jean est démesurée.

            -           Le salaud !

            Il s'est brulé en goutant le cassoulet ? Non. Il a un secret. Il  tape du poing sur la table de sa chambre. Il doit se confier maintenant, il en trop dit. On insulte le père de quelqu'un de plus amples explications.

            -           Désolé Albin, je me suis laissé emporté.

            -           Pourquoi ?

            -           Cécilia.

            -           Je le savais, explique moi tout.

            -           Cécilia est une des premières femmes arrivant à Saint-Martin, elle débarqua                    avec toute sa famille dont le père, qui avait déjà l'idée de rafler une bonne                       partie de l'immobilier en vogue sur les hauteurs. Ils avait les billets pour...

                        Je n'ai jamais travaillé pour autre homme à Saint-Martin que le vieux                                    patriarche de la famille Krops, la famille de Cécilia. Je restaurait les villas de la                 haute et titré par conséquent « responsable de maintenance du quartier                           chic ». J'ai craqué tout de suite, vagabond, en la voyant, j'ai su que je voulait                   me fixer. La démarche féline de cette belle femme, me donnait du courage                   pour avancer dans mon labeur, elle me faisait signe de la main quand elle se                   promenait par là, sur un chantier.

                        Cécilia ne se doutait pas qu'elle poussait à vibrer tous les cœurs d'hommes                        comme des tambours battants. Nous dirons qu'elle était trop innocente pour                       comprendre. Il n'en était pas un, à Saint-Martin, qui ne se retournait en rue              pour voler quelques secondes de son déhanchement hypnotique. Si                               ingénue et si naïve, comme elle se plaisait d'apparaitre pour parader. Et vu              que ton père avait les moyens, ton Papa achetait des roses à Cécilia, ce qui la                         mettait mal à l'aise, puis des tulipes ou des bégonias... 

 

            Jean était très fier de m'expliquer que Cécilia n'avait jamais craqué pour le riche Primo. Il se félicitait et il induisit sous sa barbe que pour un ouvrier, ce n'était pas aisé d'attirer une princesse de l'Afrique noire. Il confirmait d'ailleurs, qu'au début de leur relation, ils ne se voyaient qu'en cachette à la tombée de la nuit. C'était très excitant, me confia-t-il du haut de sa grosse soixantaine.

            Papa eut alors le malheur de rencontrer Jean, quand il voulu un soir, dans l'ombre d'une rue, forcer la main de sa fantasmatique maitresse, Cécilia, qui elle, ne l'aimait pas du tout. Monsieur Krops, son père, insistait souvent auprès de sa fille d'accepter ses avances. Toni, mon père pour une seule nuit, aurait offert à monsieur Krops des prix avantageusement bas sur les maisons chics des hauteurs de Saint-Martin. Le père Krops semblait particulièrement dégoutant à en entendre les dire de Jean qui ne mâchait pas ses mots pour le décrire. Mais il essaya de se rattraper. Ce soir la Jean récupéra Cécilia et il firent l'amour pour la première fois.

            -           Il l'avait mérité son œil au beurre noir, tu sais ?

            -           Je n'en doute pas.

            Je n'avais pas envie de pitié dans le regard de Jean, alors pour l'en empêché, j'ai ri.

            -           Non mais ! Je n'ai rien contre l'argent, mais l'aimer d'avantage que l'amour,                        et en plus, croire qu'il peut nous en apporter sans effort, cela mérite une                            bonne droite sévère et bien placée.

            Il est aussi amusant quand il est vulnérable.

           

***

           

           

 

 

            Une vieille femme de la vallée lui a laissé le cassoulet dont nous nous sommes régalés ce midi. La recette vaut le détour Bien sûr, les esprits ne mangent pas, mais ils apprécient le repas. La conserve est restée sur la petite table de nuit de la 303 en attendant le réveil de Jean dans son corp. Qu'est il souffre son corp. Nous nous sommes pourtant régalé à souhait, en admirant la vue, depuis le toit de l'hôpital. Manger les lettres du mot cassoulet suffisait pour nous procurer un peu d’énergie.

            Je ne sais pour quelle raison, il m’arrive de parler de moi maintenant.

            -           Un jour, dans la ville de Saint-Martin, les ouvriers nont pas travaillé.

            -           Pourquoi pas?

            Jean sinquiète calmement même si lui faisait partie des grévistes.

            -           Parce quils faisaient la grève.

            -           Oui, je me souviens. Quest ce quils réclamaient encore ?

            -           Ils réclamaient un jour de repos.

            -           Que sest-il passé alors ?

Jean connait cette histoire Il veut connaître mon point de vue.

            -           La grève na duré quun jour.

            -           Comment est-ce possible ?

            Il aime assurément jouer les ignorants. Mais nous prononçons la sentence dune seule voix et de bon cœur.

            -           A Saint-Martin les drames ne durent quun jour !

            Classique des classique. Nous avons ris. Tout le monde connaissait ce dicton. Papa est comme le fondateur de la ville. Il est devenu maire par élection naturelle. Il était le seul exposé sur les pancartes, monsieur Krops s'est plaint d'un déficit d'image. Tout le monde a écouté, personne n'a rien proposé, monsieur Krops est resté dans l'immobilier.

            Papa, sur les traces du grand père, a dirigé lexploitation du gisement, dessiné et vérifié l'agencement de la ville dans son aspect architectural, préparé soigneusement et avec soin chaque chantier durant la décennie, ce qui le propulsa automatiquement et d'évidence en haute sphère.

            Son père, mon grand-père,  lavait déjà préparé à cette idée: batir Saint-Martin et inonder le marché de ce gaz unique au monde, dont nous devions absolument profiter. Il aurait pu lui rappeler de conquérir Maman de temps en temps  Grand-Papa ne nous aurait pas fait de tord en y pensant.

            Le gaz fut déclaré inoffensif et médicalement intéressant. Mais lintérêt de la famille était ailleurs que dans la bonne conscience médicale. Il est utilisé aujourdhui pour procurer des « bonnes pressions », parce que les cœurs à notre époque sont tous un peu déprimés, ce qui est logiquement du à des « mauvaises pressions » je suppose. Son usage étant vanté par la santé public, il est vaporisé dans certains endroits privés pour procurer de la joie vive et une envie puissante de s'intégrer en société, il fait fureur dans les grandes villes. Et sa valeur monte en profit car elle est en rapport avec sa rareté. Saint-Martin est désormais connu du monde entier pour son exploitation. Et la ville protège bien son projet. Papa s'occupe de la ville, mais je sais quil s'affaire dabord à l'industrie car l'ordre légal en sa demeure, c'est l'industrie, la ville, puis sa famille.

 

            Partout, l’homme cherche à trouver de nouveaux gisements de ce gaz, mais il n’en découvrira aucun. Papa les a peut-être déjà tous cartographié grâce à son satélite, il aurait acheté les terrains, puisqu'il dit à tout le monde que sa production est l'unique fruit de Saint-Martin et que personne ne peut nous voler ce secret parce que c'est le cadeau de la montagne. Il est malgré tout étrange de croire que ce gaz n'existe qu'ici, bien que ce soit probable. Il existe d'autres montagnes dans le monde, je crois que Papa cache bien son secret quand il dit que Saint-Martin est unique.

           

            Le couvent des ursulines fut, en vérité, totalement désaffecté. Le père de mon père réhabilita seul les vestiges abandonnés. Car il y a cinquante ans, mon grand-père fit renaitre des ruines, une auberge. La pratique de la religion continuait son inexistence à Saint-Martin depuis ses débuts de cité industrielle.  Les discours de papa mystifiaient la montagne et laissait, dans tous les esprits, planer un doute énorme qui augmentait le mystère sans empêcher les ragots.

            Le petit cloitre neut pas de mal à se reconvertir. La chapelle fut même une cabane à outil pendant un temps. Notre légende suffisait. Tout le domaine, a été finalement aménagé pour une école, un internat, une maison de la ville, le parc et la fontaine, sans oublier le cimetière qui était déjà là. Voilà deux ans et demi maintenant que le village de Saint-Martin est devenu une ville industrielle. La chapelle n'a pas bougé, les outils ont juste déménagé.

            -           C’était finalement très rapide ?

            -           Exact. Mais après dix ans de travaux.

            Papa en avait envie depuis longtemps. Car avant cette époque urbaine encore insoupçonnée, nous avons découvert par une simple balade en famille dans la verdure du lieu, que la montagne soufflait.  Avec Papa, qu'on appelait le petit Toni,  en première ligne, Il fut si heureux de sa découverte qu’il courra, ivre de joie, rejoindre les promeneurs pour leur annoncer la nouvelle.

            -           La montagne souffle...

            Tous eurent tôt fait de rire et de se moquer du garçon que personne ne  voulait croire. Le petit Toni a alors grandit dans son coin, sans plus jamais rechercher l’attention des siens.  La montagne souffle et tout le monde s'en fout. Alors après le repas du soir, aussitôt mon père s’isolait, et il allait se consoler auprès du souffle de la montagne, qui elle, avait bien du mal à supporter de voir un petit enfant pleurer à ses pieds.

            Le petit Toni savait au fond de lui que la montagne était magique et il insista encore pour de longues promenades en famille. Car au plus profond de sa personne, il aurait bien voulu que son père accepte la montagne qui soufflait bel et bien. Grand-Papa neut pas le temps de voir venir la richesse du pays, car il a compris trop tard. Mais lors dune belle après-midi de printemps, il se promenèrent entre père et fils, car le fils avait grandit. Dailleurs, il était fiancé. Le fils avait un fils et le premier allait lui reparler de la montagne pour lui en montrer le souffle, auprès duquel il s'était déjà consolé mainte fois, faute d'être accueillis chez soi.

            Cest alors que son père, qui était justement triste, respira une bonne bouffée d'air de la montagne, et ragaillardi, il eut lidée maussade de conditionner le bonheur. La montagne fut déçue car elle soufflait sur ceux qu'elle aimait depuis des milliers d'années et sans s'en plaindre ou exiger quoi que ce soit d'eux, que leur réconfort. Car il était tellement triste quil eu lidée diabolique, l'intuition affreuse de croire que le bonheur pouvait se vendre. Dès que le grand-père attesta la découverte, toute la famille se rassembla autour de lui, mais il déclara que le petit Toni, devenu grand et patriarche deviendrait lhéritier de cette affaire. Nous allions dorénavant vivre du souffle de la montagne.

           

            La ville commençait à peine à se bâtir que toutes les jalousies pesaient déjà sur les épaules de mon père. Il est longtemps resté le maitre d’œuvre, il fut l'entrepreneur et l’expérimentateur du gaz. C’est lui qui détermina la petite bouteille légendaire dans laquelle les gens pourraient le consommer individuellement. Lorsque les deux générations en ont découvert la source, il voulu s’assurer lui-même, de l’importance du projet. Il eut la force de trouver des investisseurs et monta son rêve avec un courage certain.

            Papa me raconta un jour une histoire étrange dont je nai aucun souvenir dans la réalité car paraît-il j’étais, endormis Ce que jai regretté plus-tard.

 

            Jean est impatient de lentendre.

            La moitié des habitants sont immigrés, et se sont déjà emparé des lieux à cette époque. La démographie florissante de Saint-Martin ne doit son équilibre qu’à leur arrivée en masse. Cette nuit là, la moitié de la ville avait déjà déménager et envahit ses quartiers respectifs, mais ils furent tous spectateur du grand feu dont parlèrent les journaux.

            Lors du forage, après les analyses et les projets de construction, les ouvriers tombèrent dans une crevasse inattendue. Une grotte, une cavité étroite dans le ventre de la terre quils navaient pas prévu de rencontrer. L’étrangeté de lhistoire mène aux ouvriers accidentés. Certains moururent mais dautres n’étaient pas vraiment meurtris par leur chute mais ils furent brulés fortement. On dit que cest une lampe torche qui aurait provoqué lexplosion. Beaucoup parmi les familles déjà installées à cette époque virent sur le flanc de la montagne un feu violent et intense qui illumina la vallée pour quelques heures. Le village, ou la ville en devenir, neut plus jamais de nuit aussi agitée, ni ébahie. Dailleurs le cœur de grand-papa a cessé de battre cette nuit-là. Il a eut trop peur, je crois. Trop peur que tout seffondre, désirant tant le bonheur des autres en le distribuant pour de bon.

           Tout le monde fut daccord pour dire que lexplosion de ce gaz était pour le moins surprenante. Puisquaucune explosion navait tonné dans la vallée. Le flamboiement fut spontané. Seul, la découverte de cette caverne lumineuse, propagea la rumeur dune fuite du gaz et de son embrasement. Le filon lumineux de la lampe torche expliquait à lui seul le déclenchement de la scène et personne ne chercha plus loin. Car c’était la thèse première avancée par les autorités. Le bruit des sirènes fut vraiment douloureux pour la population mais atténué dès le levé du soleil.

            En réalité, les autorités de père et mère, encore soudée à l’époque grâce à la population docile et maitrisée, ne concluaient pourtant pas laffaire. Car il ne s'agissait pas darrêter un feu mais une lumière. Tant que la presse était muselée par de bonne explications, mon père filtrait les informations et utilisait son influence afin de brouiller les pistes. Devant les caméras, il fut impitoyablement carré et responsable, assumant lentière responsabilité des évènements, il évoqua un dramatique accident survenu lors de forage de l'équipe de nuit. Une équipe spéciale engagée par lindustrie arriva rapidement sur le terrain.

            Les autorités envoyèrent finalement deux agents en combinaison très spéciales pour approcher de la source. Tous deux devinrent aveugles mais réussirent à contrôler la situation. La pierre, si gonflée d’énergie et de force, si riche, semblable à un soleil dor qui coule et laisse répandre sa lave jaune et brillante était en train de mettre à mal, toute l'entreprise. Ils enfermèrent alors ce que les sources officieuse dévoilent comme « une pierre du soleil en fusion » , « une lave incandescente survenue lors de l'inflammation du gaz » et les officiels, une superstition identitaire qui créera la légende de la ville. Tout ce que j'ai vraiment remarqué c'est que depuis cet incident citadin, Papa et Maman porte des lunettes noires.

            Toujours est-il que je nai jamais vu cette pierre. Ils l'ont scellé dans un coffre. Papa la pourtant analysé dans le plus grand secret. Elle mest promise et inaccessible en même temps. La seule preuve de son existence se témoigne par -cette clé- que jai reçu en héritage. Cette clé qui ouvre le coffre contenant le cœur d'une vierge. Jean constata.

            -           Le cœur de Cécilia.

            -           Parfaitement.

             Papa gardait le coffre dans lequel il a enfermé la pierre la plus rare du monde inconnue de tous sauf lui et moi. Maman ne fut pas déshéritée car ils n’étaient pas mariés.

            -           Mais elle portait des lunettes noires.

            Les pièces du puzzel se rassemblaient. Et Papa sisola dans sa tour avec ses mocassins en cuir de crocodile blanc, il m'acheta les  mêmes et Maman récupéra ses sabots de ménagère et portait dorénavant des lunettes noires.

            -           Tu as raison, elle devait être au courant.

            Cette pépite incandescente fascinait trop mon père et m'inquiétait aussi au plus haut point. Il en avait l'oeil mélancolique. Déglutissant, il men a dit ceci :

            -           Ce secret est à nous.

            Je lui ai demandé simplement à quoi cela pouvait bien nous servir alors que je ne savais pas me représenter en esprit ce qu'on appelle une pierre de soleil,, en réalité, un cœur de vierge.

            -           Cela se compare à de l’or. Répond-t-il.  De l’or dont la richesse est illimitée…

            Cest alors que je nai plus jamais rien compris à lor. Et je lui ai demandé :

            -           De lor plus quil nen faudrait ?

            Il m’a répondu oui sans le dire, et a partir de ce jour papa se donna corps et âmes à son véritable amour, son travail. Je ne l'ai plus jamais vu sourire, ni s'amuser depuis cette histoire que je n'ai jamais vécue puisque je dormais. Elle me fut racontée à mon réveil. Leur séparation fut officielle après l'accident même si mes parents n'étaient pas mariés. Il l'a évoqué dans son discours avec une telle dignité de façade que toute la population s'ajusta à la mesure de son désarrois avoué. 

            Nous navions plus besoin de travailler. Pour moi, on aurait pu imaginer un nouveau monde ensemble puisquon avait les moyens de le vivre. Maman ne linspire plus depuis cet événement, ni moi, ni Gabrielle dailleurs. Jusqu’à ce qu'il vienne me voir à l'hôpital cette semaine, après laccident de la rivière.

            Il a fait de moi son complice avant de sen aller. Il ma donné la clé du coffre maudit. Il ma dit de prendre garde et de tenir le secret car cela ruinerait le monde et notre maison si quelquun -qui que ce soit- sen emparait. C'est à partir de ce jour que j'ai commencé mes mensonges avec Maman. Je ne voulais pas me sentir responsable d'une ville entière, surtout pas à mon age, car je n'avais que seize ans à l'époque !

            -           Tu es l’héritier. L’héritier du trésor qui doit rester caché.

 

            Nous étions donc riche sans pouvoir en profiter. Pendant un an, mon père s’est totalement voué au rayonnement industriel de Saint-Martin. Il ne venait plus manger à la maison. Les soirées se déroulaient entre Maman et Gabrielle, ce qui ne me réjouissait pas à l’époque. Jusqu’au jour où, l’anniversaire de l'officielle explosion de gaz approchait. Papa résistait aux pressions des syndicats qui réclamaient un jour de repos en commémoration de l’événement tragique et fondateur de l’usine. En réalité, il a du réfléchir à sa stratégie pendant les quatre saisons. Il voulait attendre jusqu'à l’heure du scandale pour annoncer son discours fameux, que j'ai pourtant trouvé vide de sens.

            Papa vanta l'exceptionnelle efficacité des secours déployés en vingt-quatre heure seulement. Cest ainsi quest né la légende de Saint-Martin. La sentence raisonne aujourdhui dans le cœur de tous et termine le chapitre, invariablement clos. Même la presse, dans la vallée, ne cesse de nous le rappeler. Tous lont accepté comme l'unique slogan ayant réponse à tout : à Saint-Martin les drames ne durent quun jour.

            Cest ainsi que Papa, inventa, à la surprise de tous « le jour de Saint-Martin ». Ce jour est devenu un jour de festivité et de repos bien mérité. Date où tous les ouvriers de lusine descendent dans la vallée. Exceptionnelle journée de mixité entre citoyens et chacun des habitants de Saint-Martin y est toujours réellement respecté et reconnu. Les hommes font des enfants à leurs femmes. La vie est célébrée car si les drames ne durent quun jour à Saint-Martin, les célébrations se cadrent à la même mesure. Ces fêtes restent malheureusement calculées comme les plus courtes de l'année car elles passent trop vite selon les dires des citoyens qui reprennent aussi rapidement le travail.

           

            Jean est pensif. Je lui explique que Papa s’est ensuite exilé dans la tour de l’industrie. Et que beaucoup ont fondu dans les pas du héros. Ils reviennent du travail tard dans la nuit et commencent leur besogne aux aurores. Son bureau est au sommet, le petit  Toni qui aimait tant les ballades dans la verdure n’en sort plus jamais.  D’ailleurs, il est considéré comme l’homme le plus dévoué de la ville. Toni l'industriel. Tout le monde honore son courage et certaines femmes viennent déposer au bas de la tour, depuis la confirmation de son célibat, des fleurs fraichement cueillies, un soutient que j'ai toujours trouvé plein de dévotion macabre. Maman en a toujours été jalouse sans l'avouer. Je crois qu'elle en avait vraiment marre que ce soit encore lui le héros, elle a donc rompu leur relation sans demander son reste.

            Depuis quils sont séparés, mes parents, portent tous les deux des lunettes de soleil et se disputent à chaque fois qu'ils se voient pour s'assurer de bien avoir comparé les paires afin de ne pas se les échanger malencontreusement. Papa dit qu’à Saint-Martin les drames ne durent quun jour. Maman dit que dans le cœur de Papa elle s'est arrangée pour qu'ils existent plus longtemps que ça.

            Moi je préfère la version de Zoé et je tente peu à peu de my glisser.

            -           Quelle est-elle ?

            Demande Jean et à moi de lui répondre.

            -           Doù je viens les drames nexistent pas

            Papa a une vie ennuyeuse, je vais devoir la lui refuser car il veut me la donner. Je ne suis pas alors je suis.

 

***

           

           

 

 

 

 

 

 

 

            Ils viennent alors que je ne m'y attendais plus. Une semaine après la dispute, le septième jour suivant la chute. Mes parents poussent la porte main dans la main. Toni décroche les lunettes noirs de son nez et récupère celles de maman Lise pour les glisser dans sa poche. Ils se regardent dans les yeux. Plus de malaise.

            Une émotion palpable investit l'espace annonçant un nouveau moment. Leurs cœurs sont de sable, le chateau s'est érodé sous les lèches de la marée. Ils s'asseyent au bout du lit. Ils parlent calmement. On discute enfin. Papa active de nouvelles pensées plus réconfortante, il aime s'imaginer un monde naissant.

            Maman l'a peut-être sensibilisé à -la clé- et à son secret. Papa, volubile à une année et plus de retenue, lui a tout déballé. Le cœur de vierge. Le compte en banque. Le fol avenir des héritiers primo. Maman a du lui avouer qu'elle était finalement contente de ne jamais avoir été mariée. Ils ont sûrement bu un coup de rouge la veille pour tout relativiser un bon coup et se rêvé pour une nuit un peu plus Einstein que Newton. 

            -           J'ai envie de lancer une vision de l'argent un peu différente.

            Maman sourit. Je me suis intéressé, j'ai écouté avec attention. Un pour soi, un pour les autres. Un argent à recevoir, un argent à donner. Un véritable, un virtuel.

            -           Peut-on dire que l'amour est virtuel, tant on serait sur terre pour apprendre à                       aimer ?

Maman Lise répond.

            -           Oui mais pour aimer il faut le prouver.

            -           Peut-on dire que les moines, si on restaurait leur statut à Saint-Martin, ne                vivraient que de la seconde fortune de l'humanité.

            -           Ce serait alors une fortune calculable...

            -           Bien sûr, parfaite copie, semblable en tout calcul à la première sauf qu'elle va                   sur un autre compte, un compte virtuel. Celui a qui on donnerait beaucoup              serait comme un honorable de ce qu'on lui donne puisqu'on le lui donne.

            -           Ce serait un compte de sagesse ?

            -           Oui. Oui. Où plutôt, un droit au nomadisme.

            Cette idée me semblait ravissante. Mon esprit se cache derrière la télévision alors que mon corps commence à s'amuser. Papa a des problèmes. Les ouvriers sont en grève, ils ont hué son discours. Le problème perdure depuis trente-six heures maintenant. Les mots de papa ont dissipé leurs effet sur les habitants de Saint-Martin. Maman rigole.

            -           Nous avons besoin d'un nouveau visage pour Saint-Martin.

            -           Nous avons pensé à toi.

            Alors que papa termine sa sentence, la plus petite main du monde agrippe la poignée. Elle tourne verrou et pousse la porte, Zoé a accepté de venir. Mes parents se lèvent et je décale ma tête pour mieux voir la vivante apparition. Mademoiselle Clerc illumine la pièce vu du monde des morts. Pourquoi viennent-ils tous au même moment ?

Zoé entretient une pensée. Elle a une idée sur le feu.

            -           Alors Albin, tu reviens maintenant ?

            En un regard, ils l'ont tous compris. Maman fait un hochement de tête. Toni a la mine interrogative. Zoé est secrète, émoussée et bondissante, elle tient autour de sa main un cordon rouge.

            -           J'ai trouvé un membre de votre famille.

            Derrière elle, une boule de poil géante. Kapla, ou plutôt, une copie conforme. Le chien de la maison. Mais c'est comme si c'était le même. Il me saute au visage, il me lèche en sauvage... Sa queue frétille, les coins de la pièce n'ont plus aucun secrets pour lui. Il revient sur le lit me lèche les joues et la bouche. Je suis trempé. C'est Kapla. Il lui ressemble tellement. Je sort de ma planque sous la télévision. Je vais embrasser Zoé qui m'avait tellement manqué. Je crois qu'elle l'a senti.  Tout monde rigole. Le chien s'excite. Papa sort le coffre, maman sort -la clé-. Je retiens mon souffle.

            Maman Lise est au courant, elle semble assagie et rajeunie. C'est elle qui s'occupe d'ouvrir la boite de Pandore. Le cœur de vierge va s'intensifier, il va nous toucher et nous allons nous transformer en statue d'or blanc... Tout Saint-Martin va finir orné par sa force, jusqu'à ce que l'océan arrête le maléfice... Remarquez, on viendra sans doute visiter la ville pour une autre raison que notre fameux gaz hilarant. « La roche en or » serait le nom de baptême de notre petit ilot montagneux. Dix milles habitants sur un petits cailloux auraient étés statufiées vivantes.

            Ils n'ont pas l'air de rire. Ils vont l'ouvrir. Ils n'ont pas l'air de s'inquiéter non plus. Zoé suspend l'instant en proposant un petit poème.

            -           Peut-être que nous n'auront pas besoin d'ouvrir cette boite.

            Papa est récupéré par ses vieux démons.

            -           C'est un coffre, pas une boite.

            Maman insiste pour entendre Zoé. Elle lui pose doucement la main sur le genoux.

            -           Qu'importe.

            -           Je voudrais lui lire ceci... Où plutôt lui chanter !

             Elle parle à un animal qu'on voudrait calmer, elle ralentit son souffle, accompagne quelques dernier relents et murmure ensuite. La bête suspend son râle et écoute attentivement, il recherchait le manque creusé par l'homme, le partage. Zoé écarte Kapla. Elle se pose au creu de l'oreille de mon corps comateux. Elle me chante une berceuse en éveillant mon sang.

            -           Prout, prout, proutQue je taime

                        Viens ici mon petite ami !

                        Jai un secret à te dire dans loreille

                        Cest que je taimerai toujours à la folie.

                        Youpie !

            C'est à cet instant que mon corps a enfin bougé.

 

            On a arrangé mes affaires, complété les sacs, Josiane m'a dit au revoir. Max non. J'ai retrouvé mon corps et sa chaleur sans dommages. Le médecin dit que je suis hors de danger. Kapla me fait une fête d'enfer. Ce n'est pas Kapla, mais je ne me suis permis de repenser à la pièce jetée dans la marre comunale. Il est « comme » revenu. Et puis non,... Il est revenu. Il mange les bonbons comme Kapla en se dressant sur ses deux pattes arrières... C'est Kapla.

            La famille m'a devancée dans le couloir, il sont même descendu pendant que je disais au revoir au personnel soignant. Josiane m'a dit de faire attention et de me ménager pendant quelques jours... Le médecin, je l'ai à peine rencontré. Il ne m'a rien dit...

            Je passe vérifier si Jean est en bonne posture avant de rejoindre le parking. J'ai un peu mal au cœur en poussant la porte. Son corps gît tout seul dans un lit. Personne à son chevet pour lui chanter une chanson. Le cassoulet qu'on avait pas mangé se trouve toujours sur sa table de nuit en attente d'un réveil. Mais Jean est très endormi, tout les tubes qui l'aident à vivre me remplissent de sentiments contraires. J'ai peu d'espoir pour son retour. Je m'approche un peu timide et ne risquant rien. Je lui prend la main, inerte mais chaude. Tout dans son corps est ramoli sauf ses yeux et leur contours. Même dans l'agonie, Jean semble conserver à l'instar du cassoulet sa bonne humeur. Les rayons au bord des yeux, ses rides se pincent encore. Comme pour tire...

            -           T'inquiète pas...

            Je l'embrasse empli de reconnaissance pour ce vécu brumeux dont je ne me rappelle que de vagues réminiscences. Soudain, au moment où je me relève... Une carte à côté du cassoulet avec un dessin de pigeon et de moineau. Elle m'intrigue. Sur la carte une annonce en devinette est inscrite : pourquoi est-ce que les pigeons marchent alors que les moineaux sautillent ? Comme par une bouffée incontrôlable, je suis submergé d'émotions... Quelques flashs revécus et contemplés par bribes; les tourments dans la tuyauterie, le passage de la blanchisseuse noire dans l'autre monde, l'envie furieuse de manger ce cassoulet en contant un tas d'histoires.  Et la réponse d'énigme bidon : les pigeons marchent alors les moineaux sautillent... pour avancer !

            C'était bien un final qui lui ressemblait, si j'avais moins réfléchis, j'aurais pu trouver la solution plus tôt. Mais j'ai trop pensé à une raison hautement scientifique qu'à un principe simple et évident. Pour avancer, tout le monde marche pour avancer, après tout, on s'en fout de savoir comment ils s'arrangent... Je garde la carte et je trace ma route en souhaitant à Jean de rencontrer au plus tôt un très grand courant. Salut mon pote.

 

            Arrivé en haut, ayant dépassé les villas de l'amont, nous nous approchons de la tour. La cérémonie prévoit d'être moins sophistiquée que les dernières. Papa est en sandales, maman se coiffe d'un chapeau de paille. Tous saluent le couple d'entrepreneur et moi-même avec de grandes distinctions et des sourires pincés. Les ouvriers ont déjà positionné les explosifs pour en terminer avec ce symbole de l'usine. Papa place au centre le coffre et son effroyable présent. Il en est mieux de ce destin. J'y adhère.

            Le décors de l'usine était d'une arnaque inacceptable... Un musée du cinéma hollywoodien, de grands panneau sans perspective pour donner l'apparence d'une bâtisse. Dire que chacun des ouvriers jouait à affirmer travailler dans une usine véritable. Derrière la façade en carton pâte étaient disposés des dizaines de tables pour le jeu de carte. Voilà pourquoi les ouvriers n'y sont pas loquaces, ils sont complices... Plus loin des centaines de palettes semblent prêtes à être emportées par les camions. Les conserves sont rempli d'air à peine arrivées à Saint-Martin, on les ferment simplement en altitude. L'étiquette stylisée qui nous présente la montagne soufflante suffit à l'évidence du label de qualité. Le gaz hilarant n'est autre qu'un extrait de l'air des montagnes, coutant bien plus cher en centre ville que dans les campagnes environnantes. Le pine-pline aussi est délaissé par tout attirail, son tuyau béant avale l'air ambiant sans compression ni même autre système de rechargement en air...

            La détonation fait le tour de l'île. Le sourd écho de l'explosion répercute le son tout autour de nous. Les  poussières de bétons s'écroulent avec les restes d'acier et de pierres... Papa n'a plus de tour. Il ne s'y cachera plus. La toiture s'est brisée, le coffre est engloutit. Tous les habitants ont applaudis l'instant puis ils se sont tous retourné vers moi avec un regard interpellant. Papa Toni m'a poussé un peu vers l'avant pour improviser un discours. Je ne savais pas quoi dire. Ma maman Lise m'a sourit. J'ai commencé ainsi :

            -           A Saint-Martin, les drames durent tous les jours...

            Il y a un sursaut dans les pensées des représentants de classes... Je ne reprends pas la suite illico. Ils se regardent. L'un d'eux commence à applaudir et la masse entière révère par un soulèvement général le discours nouveau... Je répète donc...

            -           A Saint-Martin, dès à présent, les drames durent tous les jours...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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