J’aime Maman. Je l’aime encore depuis qu'elle a récupéré son nom de jeune fille : Lise Newton.
Elle ne m’en
veut pas, elle crie seulement tout le contraire. Je suis mort. Maman est divorcée. Elle m'en veut.
La mater croit encore que la vie se
résume
à
la loi de la pesanteur des corps. J’aurais pu rester de son avis, mais, depuis ma chute dans le
coma, le poids du sens n’est plus pareil. Les mots ne possèdent plus la même force... Ils prennent un nouveau sens,
un tout petit peu plus large. Quand on meurt à mon age, être et paraître s'entrechoquent.
Si Lise Newton s'était intéressée à la théorie de la relativité, et aux expériences de mort dominantes, alors,
j'aurais peut-être
mieux compris ce qui m'est arrivé cette nuit là. Vous avez remarqué que Maman possède un nom trop conséquent pour écrire une seconde légende. On ne prendrait pas Lise Newton au sérieux si elle se découvrait, du jour au lendemain, une
nouvelle passion pour le travail d'un certain Albert. En ce qui me concerne, je
préfère la poésie à la science.
Oui, elle hurle. Lise est facade et
tourne autour d'elle-même,
faute de ne plus m'encercler. Elle enrage parce que, dans son idée, je ne la container
jamais plus... Mais je reviendrai, je prend seulement des vacances de l'autre côté du miroir.
Perdre son enfant déchire les entrailles
d'une mère,
d'autant la matrice d'une catholique. Maman se présente comme non-praticante sans jamais digérer la culture de ses
ancêtres.
Cette tradition silencieuse se cache suspendue dans ses épaules hautes. Je me demande vraiment si
la gravité
ne perd pas son sens, quand à l'approche de la mort, elle nous invite à devenir plus léger. Je suis une brume, une nuée grise retenue au sol
par un taux élevé d'humidité. La voilà triste mais elle
m'accuse et ne sait que sa tristesse rouge
lui vient du simple fait qu'elle me juge. Je suis à ses pied, je vais lui flanquer un rhume.
Elle vit ses états
d’âme
et j'y consens. Ce que je regrette le plus à cet instant, le plaisir d'être seul, la
masturbation.
Selon ses règles, je suis en faute, j’étais irresponsable. Vous
savez quoi ? Même
si elle a raison, je découvre que d'un certain
point de vue, elle peut avoir tort. Je me satisfais de la voir s’exprimer finalement, d’enfin donner du
mouvement à
l'idée
de sa douleur. D’habitude,
en situation difficile, elle joue la femme digne et disciple, prête à endosser toute la famille Primo mais ce
n'est qu'un masque, car Maman se brise d'un souffle alors ne le dites à personne. Moi, Albin,
son fils, trouve aisément
le point faible, j'avoue qu'on s'en donne à cœur joie, sans même penser aux conséquences.
Albin Primo, fils de Lise Newton, un
meurtrier! Meurtrier! Meurtrier!
Seulement, cette nuit, la coupe a débordé… Me voilà à l’hôpital et mal barré. Toute mère en serait désœuvrée... J'aime maman. Pourquoi le répète-t-elle sans cesse... Meurtrier,
meurtrier, meurtrier! Mes vieux se sont
réuni
exceptionnellement, car ils sont séparés
depuis plus d'un an maintenant. La dernière rencontre familiale a lieu ici grâce à un accident béni des dieux, sans doute les accidents ne
dépendent
pas toujours de la fatalité... Je suis inconscient depuis aujourd’hui et cela ne m'empêche pas de tout ignorer de la conscience…
Chacun
détient le droit de tirer sa révérence. Surtout quand on se rend compte que le
monde ne tourne pas seulement autour de la famille, mais qu'il en est lui même
une énorme, gigantesque. J'ai déjà bien réfléchi. Je me barre ! Mais je connais
pas ce qu'il y a après, au delà de la terre, une fois que j'aurai compris, je
reviendrai.
D’ailleurs si vous ne partez pas vous y
serai obligé,
un jour où
l'autre... Sans le vouloir, j'ai pris de l'avance. Maman est venue me saluer au
moment où
je ne pouvais pas lui répondre.
Pour une fois elle m'a posé une vrai question, après avoir crié : meurtrier, meurtrier, meurtrier! Elle
s'est assise essoufflée
auprès
de mon corps inerte.
- Comment
ça
va Albin ?
Première fois de ma vie, qu'elle me pose la
question. Des -je t'aime-, j'en ai eu mais des -comment ça va- je ne m'en rappelle pas. Bien sûre, comme tous les
enfants, j’aurais
voulu que mes parents s’aiment.
Ce fut le cas, mais pas sans haine. Ils m'ont aimé, ce n'est pas la question... Mais vous ne
trouvez pas pénible
que quelqu’un
qui a mal ne le dise jamais ? Et fasse comme si la souffrance était le sens de la vie ?
Que la dignité
ne soit rien d'autre qu'un mur de glace ? Mes vieux à moi, eux, ils souffrent en silence. Il
parait que c'est plus courageux...
Me voilà content et heureux, ma mort l'aide à se vider les tripes.
Finalement, si je n'avais jamais fais de connerie, celle qui m'a bercé, serait peut-être restée correct toute sa vie,
indifférente.
Tous les gens corrects sont finalement empreint d'une insupportable monotonie,
une sorte de connaissance figée qui leur change l'esprit en pierre, se faisant tellement
confiance, ils perdent inévitablement celle des autres dans un dialogue à sens unique. Le
martyre, c'est la vie à
sens unique. Garre à
celui qui me fait face, je défends, le double-sens.
Les gens croient que les morts ne les
entendent pas, mais laissez moi vous le dire,
cela ne les dérange
jamais de leur adresser la parole. Le quidam leur raconter tout et n'importe
quoi d'ailleurs, sous prétexte qu'ils n'ont plus d'oreilles. On dirait que les gens sont
faits pour se tromper. Certains secrets importent de vivre par soi-même. Parfois les ignorants préfèrent même discuter avec les disparus, pour mieux éviter les vivants, ils
sont plus sincères
alors. N’allez
pas croire qu'ils disent la vérité,
trop facile, ils ravivent tout simplement la franchise de leur mensonge, en espérant qu'on ne les
contredisent pas, facile, puisqu'un spectre ne dit ni oui, ni non.
Pour
Papa, le plus scientifique des deux, (entendez par là matérialiste) j'errerais
tout simplement égaré dans un coin de mon cerveau, car Papa ne croit pas au
paradis, comme personne à Saint-Martin, on en a juste vaguemment entendu parlé
comme d'un vieil écho du continent.
Depuis ma chutte, j'ai tendance à remettre en cause l'éducation que j'ai reçue. Normal, puisque le scepticisme
a sauvé
indirectement les sorcières
de la religion, il juste de m'y rattacher. Ni l'idée d'un au delà, ni celle d'une hallucination puissante
ne m'exaltait ou m'inspirait avant que je vive vraiment cette expérience qui dépasse à coup sûr le cerveau. Il y a
quelque chose même
au delà
de l'intermédiaire
où
je me trouve. Mon but se fixe d'y parvenir, et mieux, d'en revenir.
Après tout, j'ai encore des émotions, et qui ne vous
dit pas que ce sont eux, les hallucinants, ceux qui vivent dans la réalité... Puisque finalement,
j'ai beau leur tirer la langue ou baisser mon pantalon pour leur montrer mes
fesses et astiquer ma bonne grosse nouille devant leurs yeux, aucune réaction de leur part
prouve qu'ils puissent me voir.
Oui, le nuage épais et humide qui fait mon spectre peut
prendre la forme qu'il veut. Un âne, un pénis,
un ange... Toujours de la même capacité, mais modelable Ainsi il semblerait qu'une partie du monde leur
est encore caché,
voilà
pourquoi je les écouterai
par politesse sans plus jamais les croire.
Ils se disputaient souvent, et
aujourd'hui encore, face à mon lit d'hôpital, ils ripostent l'un à l'autre pour des questions de bon sens ou
des réponses
toutes faites. De chamailles en chamailles, Maman, en aimant ses enfants, n’a pas découvert la joie avec
Papa, où
peut-être
que leur joie provenait du fait qu'ils se disputaient. En tous les cas tout est fini maintenant. Pourtant, ma sœur et moi, nous avons vu
naitre entre eux, un amour certain et étonnant, comme le destin improbable qui réunirait ensemble, une
souris et un éléphant. Quelques fois
seulement, ils s'embrassaient...
J'arrivais à la maturité et peu à peu je pouvais entendre un journal télévisé du début jusqu'à la fin. Tout cela pour plaire à Papa et comprendre un
peu mieux la sphère
sur laquelle habitent les humains. Ainsi, j'ai eu droit aux grandes discussions
qui n'intéressent
jamais que les chefs d'entreprises, et où les femmes s'éloignent à grand pas, par la trop timide sagesse qui
leur est propre. Puisque au delà des cliché, qui mieux qu'un père peut parler du monde et des mœurs ? Même les mères prennent cette allure lorsqu'il s'agit
de donner de l'ordre. Ou plutôt, de l'arrangement. Je n'ai que rarement osé renoncer à ce qui lui procurait
tant de fierté,
nous discutions longuement pendant que Maman rangeait et faisait la vaiselle
tout à
son honneur. Papa soliloquait avec cette étrange superstition moderne où seul le signal de la
pensée
cloisonnée
dans un corps semble rendre les émotions acceptables.
Meurtrier, meurtrier, meurtrier! Je
vous jure qu’un
jour, on me demandera pardon pour tout ce qu’on m’a imposé à vivre. En attendant, j’accepte la haine de
Maman qui se déverse
sur moi depuis que Papa a quitté la pièce...
Maman répète sa question, accrochée à mon lit d'hôpital.
- Comment
ça
va, Albin.
Vous savez, on garde trop de biblots
inutilement cachés
au fond de nos caves et de nos greniers ; des caisses , et au fond de ses
caisses, des foules de jouets qui nous ont satisfaits l’espace d’un instant seulement. Un instant. J’en possédais trop et je les
jetais par la fenêtre,
j’en
avais pas tant demander... Cela énervait Papa et Maman aimait en acheter de nouveaux pour
augmenter sa râlerie,
allez savoir si ils ne préférait
pas se faire l'amour en se haïssant cela devait être plus sportif. Je sais, un enfant n'est pas censé s'occuper de la
sexualité
de ses parents, mais depuis ma chutte, je me suis persuadé qu'il se cachait derrière cet amour vache, un
quelconque secret sexuel que j'aurais apprécié découvrir par mégarde pour simplement les connaître et les quitter en
paix. Hélas,
je connais déjà tout, seul les
ignorants penssent que certaines choses sont cachées sur la terre. Avec la carte de crédit de Papa, Maman s'en
donnait à
cœur
joie car elle n'a jamais eut de compte bancaire aussi bien arrosé que celui d'un chef
d'entreprise.
Je suis sortis de la vie, avec une
seule idée
en tête
: mettre de l’ordre.
Jusqu'à
interroger mes armoires et me demander quels jouets m’avait vraiment rendu heureux ?
Je veux me concentrer sur le bonheur
pour bien comprendre ce qui m'arrive. Maman ne veut jamais mettre de l’ordre, elle range, ou
plutôt
elle s'arrange, elle aime seulement les conventions, la mater veut que je range
ma chambre, ainsi elle espère que les conventions pourront la rendre pleine de joie. Elle
veut qu’on
parle mais elle ne m’écoute
pas, et surtout, elle ne me pose jamais de questions. Elle discute seule, tout
le temps, avec ses propres idées d'un bonheur parfait, pourtant, elle est triste.
- Albin,
comment ça
va Albin ?
Et à moi de lui répondre.
- Et
bien, je suis mort Maman.
Je ne ferai pas ce qu’elle dit, plus jamais. A
moins qu'elle ne sache tordre le cou d’un esprit ? Je suis intouchable depuis que suis tombé dans le coma. J'aime
cette liberté.
Je t'aime, tu sais... Dis moi, pourquoi tu cries ?
J’ai
assite à un premier scoop ce samedi matin, Papa vient de partir : ma mère, si
gentille soit-elle, fouille dans mes affaires…
Quand elle entre, elle crie déjà, mais pas comme une enfant, maman crie
comme une adulte, en silence. Le vacarme n’est que dans sa tête. Un tel tapage, qu'il ne peut que se
vouer à
la malédiction
du cancer. On ne peut pas s’y tromper, Maman bout de colère, et j'en suis déjà l'objet, l’air ambiant se charge d’électricité dès son entrée dans la pièce. Où est-ce moi ? En tous les cas je m'en imprègne. Maman, rappelles
toi quand tu riais sur la plage.
Elle ne dort pas de la nuit, ainsi
elle pourra dire à
tout le monde qu'elle souffre, en se cachant derrière un bon diagnostique d'insomnie. Quand
maman se lasse de ne pas être reconnue pour son martyre, elle regrette de ne pas mieux
connaitre la religion de ses ancêtres. Seule la médecine peut encore la défendre. Tout ce qu’elle ressent se cache derrière un fatras d'habitudes
existentielles, où
ce qu'elle perçoit
comme un poignard au cœur
ne trouve d'exutoire que dans une rhétorique implacable. L’intérieur
d’elle
même
est conçu
pour ne pas en déborder,
mais seulement transpirer de tout son être ce -je t'aime- qu'elle n'a jamais su
dire au bon moment avec force et certitude, et qui, transpirant sans respirer
fait s'éloigner
d'elle ceux qu'elle chérit.
Ce -je t'aime- resté
coincé
dans ses épaules
attendant d'être
embrassée
plutôt
que d'embrasser elle même
la vie. Maman peut se reposer pendant la nuit mais elle n’y
parvient pas. Je crois que sur le rôle de mère pèse le devoir du vase, celui de ne jamais
se briser. Mais quand est-ce que les femmes seront-elle la source ?
Sa nervosité la conduit jusqu’à moi, au pied du lit. Elle ne me demande
plus comment ça
va. Son rythme cardiaque s'accélère.
Après
les légers
soins pour ma blessure au crâne et mon plâtre à
la jambe cassée,
elle peut saisir le marqueur que Josine a laissé sur la table de nuit. Elle envisage de me
dédicacer
cette fracture, un petit sourire en coin, la larme à l'oeil, en guise de sympathie, mais au
lieu de ça,
elle préfère maudire cet instant.
Je comprends maintenant qu'on a le droit d'être faible.
La voilà brève et concise, elle me dit qu'il n'y a
rien à
tirer d'un meurtrier. Et elle répète
le poing tapant sur ma poitrine, ce mot décadent.
- Meurtrier,
meurtrier, meurtrier!
Josine
arrive et lui demande de se calmer. Comme Lise Newton essaie de comprendre,
elle cherche un objet précis qui m'inculperait. Car pour Maman les objets
parlent mieux que les personnes. Savez-vous pourquoi ? Simplement, les
personnalités s'amuse à modeler leurs contours, ainsi, afin de comprendre une
personnalité, il fallait en faire un objet fixe dans le temps, immuable. Grave
erreur. Maman par sa compréhension du monde et sa rhétorique implacable, se
transformait en une pathétique incapable qui n'aurait jamais le prix Nobel. Je
t'aime maman.
Josiane, l'infirmière, retourne à son travail. D’un regard noir, sous ses
lunettes sombres, la mater s'arrache à moi et ouvre furibonde ma large
garde-robe. Elle profite de ma mort d’ailleurs. Lise fouille dans mes jean’s et entre mes chemises.
Vérifie
toutes mes poches. La douce, qui jusque là, ne déborde jamais, ne trouve rien dans la penderie, puisqu’il n’y a rien à découvrir...
Elle est furieuse et déterminée. Je ne sais comment
elle a su. Mais Maman connait l'existence de -la clé-, elle était venue la chercher. Rageuse, Lise referme les deux portes
battantes avec maîtrise,
malgré
son agassement. Elle bouillonne et c'est une déferlante. Maman lache la pression.
Je suis baptisé coquelet, puis salopard. Passant de
traitre à
bouffon en moins de temps qu’il n’en
faut pour le dire. Elle suffoque des mots qui ne lui ressemblent pas. Si on troque son nom pour d'insupportables
insultes, maman ne comprend pas ce qu'il se passe. Des propos mals venus et
criards viennent combler son manque d'acceptation et jaillissent de sa bouche.
Sauf que maman est moins douée que moi pour la vulgarité. Je l'aurait traité de putte dans ce cas si. Maman ne suporte
pas le vulgaire, d’habitude
elle m'interdit de tels comportements. Sous ses lunettes de soleil, Maman
cachait en réalité des larmes. Les
lunettes noires figurent malheureusement parmis les parures de choix de la
famille Primo. Maman cache quelque chose, maintenant je sais quoi.
Elle me frapperait encore si Josiane ne
risquait pas d'entrer. Pas pour me faire mal, juste pour me réveiller, juste pour
savoir où
est -la clé-. Un oiseau dans une cage, je crois que j'ai
juste ouvert la cage, Lise primo n'a jamais volé de sa vie... Le petit oiseau crie
coupable, du fond de sa cage, et moi, je souffle sur lui pour qu'il s'envole,
mais il grelote en m'accusant. Pauvre oiseau. Alors j’ai chanté mon innocence depuis ma flaque humide, j’ai d'abord vocalisé pour qu’elle apprécie une voix bien placée.
- Je
ne suis pas un meurtrier. Ce n'est pas de ma faute.
Maman aurait du s'en rendre
compte... Je ne veux pas retourner vivre avec ceux qui m’appelle meurtrier. Elle a fait mine de
rien, genre, je ne suis pas capable d’entendre. Non, les vivants n'entendent pas
les morts. Les vivants n'en font qu'à leur tête.
Je suis à coté d’elle, devant elle, je danse, je virevolte,
je vole mais je suis toujours invisible pour elle. Je pourrais me droguer
qu'elle ne le verrait pas. Mère a ignoré toute la gamme que mon esprit lui a récité généreusement. Elle n’a rien répondu, rien entendu, comme si il n'y avait
pas de fantôme
dans la pièce
et que ce corps n'appartenait à personne. Elle n'a pas prié.
Lise trouve -la clé- dans mes chaussettes
en boule, fourrées
dans mes chaussures. Celle que Papa ne voulait pas qu’elle voie et cela m'embarrasse. Un frisson
de représailles
paternelles glisse le long de ma colonne comme avertissement. Elle est sensée ignorer son utilité, c'est le lien masculin
qui plombe notre famille. Maman n'aurait pas du trouver cette clé. Papa va m'en vouloir.
- Albin,
je tenais à
te dire que tu n’es
plus mon fils. Je vais quitter Saint-Martin. Ne
me cherche pas.
Elle porte des lunettes noires
depuis un an, quand Papa est partis habiter dans sa tour. Aujourd'hui, ils ont
avoué
leur séparation
dans ma chambre, sans qu'ils le sachent, j'étais là. Et c'était pire. Maman ne repassera pas. Ni mes
chemises, ni celles de Papa. Maman ne repassera plus. Jamais repasser des vêtements, plus jamais, ni des objets, ni
des personnes. La vie est. Elle ne se repasse pas.
***
Je vis ici depuis trois jours
maintenant. Je l'aurais bien suivie, celle dont tout le monde parle, mais la
lumière
ne s'est pas manifestée
à
moi. Elle est venue en chercher d'autres. Aucun tunnel, aucune allée verte ne s'est déployée sous mes yeux écarquillés...
Le personnel soignant ne soupçonne évidemment pas ma présence volatile, excepté certains... J'erre,
depuis le drame, en glissant sur les surfaces de ma chambre, des murs au
plafond et du sol à
la fenêtre.
Ils n’ignorent pas mon corps, ils gagnent leur
pain grâce
à
lui. La médecine
fait vivre bien des gens. Biens appliqués, les hommes en blanc travaillent
consciencieusement. J’entends
parfois leur pensées.
Depuis mon accident, j’ai
rencontré
des esprits errants dans les couloirs. Je ne suis donc pas le seul en séjour prolongé. Il en existe peut-être d’autres comme moi à l’hôpital où dans le monde que je perçois aujourd’hui différemment. Le monde de l’invisible se présente progressivement à ma toute neuve réalité, et étonnement, il ressemble
trait pour trait au monde visible...
Jean est vieux. Qui plus est, il s’est présenté lui-même comme un prêtre. La belle
foutaise... Cela pourra peut-être me rendre service, vu mon état… Il quitte son corps entre deux sursaut de
vie pour venir me raconter des blagues. Je trouve cela étrange, cette idée de prêtrise car il n’y a pas d’église à Saint-Martin, pourtant, cela m'amuse.
Mais il est comique. Il m’a dit qu’il
venait de la vallée,
juste un peu plus bas. Je n’avais plus qu’à le croire... Sa dernière anecdote ressemblait à une devinette. Je n’ai pas envie de poser
des questions alors je le laisse parler.
- Dis
moi Albin, sais-tu pourquoi les moineaux sautillent alors que les pigeons marchent
?
Je n'avais pas envie de me creuser
la tête.
Il me certifie qu’il
revient me donner la réponse.
Puis il retourne dans son corps parce que son frère vient lui rendre visite.
Lui, il reçoit de la visite. Moi,
jamais plus, ma famille a décidé
que si je me réveillait,
ce serait seul. Je crois que pour cette raison il vient me rendre visite. Jean
ressemble un peu au père
Noël,
à
cause de sa barbe, malgré tout plus grise que blanche... Il lui manque les petites
lunettes rondes et le costume de laine rouge.
J’avoue ne pas aimer quitter ma chambre et
me sentir quelque peu casanier depuis la chutte. Je peux encore me glisser dans
mon corps malgré
ce qu’ils
en pensent. Je l’ai
prouvé
avec Josiane. Je ne possède plus tous mes réflexes, comme si j’étais aujourd'hui libéré de mes réactions ainsi je me sens près à l'action.
Josiane me rassure, probablement la
seule qui me plait de toute l’équipe médicale.
Une femme bien en chair qui porte deux fois le nom de maman... Quand elle entre
dans la chambre, toujours pleine de joie, cela me rend tellement bien ! Elle
joue de bon cœur
le rossignol du matin. Rien que de chanter elle me soigne. Pourtant, je ne suis
pas malade, je suis seulement séparé
de mon corps, une jambe cassée et quatre points au front.
Josiane est entrée dans ma chambre vers
huit heure malgré
que je sois toujours en pijama. Elle a d’abord ouvert les rideaux. L’infirmière me félicitait, ce que j’ai trouvé étrange pour une arrivée à l’hôpital.
- Bravo
! On vous a réservé la plus belle vue de l’étage. Vous êtes chanceux !
Tout est relatif, c'est bien vrai...
Elle rayonnait. Comment pouvoir la contredire ? La lumière envahissait la pièce et tout le village de Saint-Martin se réveillait sous mes yeux.
Depuis le chemin de l’usine
jusqu’à
l’église
abandonnée,
en passant par l’école,
je surplombais la vue. Je m’avouais que j’avais de la chance, finalement.
Elle avait raison de me parler malgré mon inconscience... Car
l’euphorie
du décès s’était estompée. Et sa bonne humeur m'imprégnait positivement.
Moi-même
je devenais de plus en plus morose, à ne pas regarder la mort en face.
Josiane se dévoue toujours généreusement, elle se pose à mes côtés, entière, pour commencer ma toilette. Je la
regarde quand elle se penche sur moi. Elle exécute avec soin et sans jamais s’appesantir, un sourire
encore arqué
aux lèvres.
Josiane ne caresse pas un mort ni un comateux. Elle soigne un être vivant.
Lorsque je l’ai compris, j’ai voulu le lui faire remarquer. J’ai poussé mon esprit dans mon
corps. J’ai
rassemblé
toute ma concentration pour lui faire un signe. Les machines n’ont rien détecté mais j’ai versé une larme.
- Te
voilà
propre maintenant !
Josiane essuya la larme du pouce
sans y faire attention, elle pinça ma joue et ajouta :
- Un
beau garçon
comme toi mérite
d’être
présentable.
Je te souhaite une bonne journée, Albin !
Elle avait beau m’avoir rencontré pour la première fois, la douce
infirmière
connaissait mon prénom.
***
Aujourd’hui, je passe ma journée à regarder par la fenêtre. Le temps s’incline radieux à Saint-Martin et me salue. Ce jour, je n’irai pas à l’école, même si
nous sommes lundi.
Parfois, je saute le mur de l’institut des ursulines
un peu plus tôt.
A midi, comme tous les jours de la semaine, ils commencent à ranger les invendus. Le
boulanger me laisse souvent de quoi me mettre sous la dent. Je me faufile alors
entre les étables
pour déguster
mon déjeuner
sur l’herbe
avec Benjamin.
Parce qu’à Saint Martin, tous les jours, il y a
marché,
sauf le lundi, où
nous nous régalons
d’une
soupe et d’un
steak, avec une part de gâteau au chocolat en dessert. La Maman de Benjamin m’invite de bon cœur et elle m'accorde que
ce gâteau
est le meilleur de la patisserie de l’église.
Benjamin ne prendra pas de gâteau, aujourd’hui. Je sens, au loin,
mes camarades assis dans la classe, un
peu tous abattus par la mauvaise nouvelle du week-end, les uns moins que les
autres... Bien qu’il
serait capable de manger deux part à lui tout seul, Benjamin est triste de ne plus me voir. Il a
perdu son appétit
et se lamente plutôt
que de se nourrir. Ce jeune ne fera pas de mal à sa ligne. Alors, je n’irai pas à l’école aujourd’hui. Je ne veux pas être le plus funeste des centres d'intérêts.
- N’as tu pas envie de
sortir d’ici,
Albin ?
C’est Jean, le prêtre. (Ce que j’ai trouvé bizarre, je vous l'ai dit, parce qu’il n’y pas d’église à Saint-Martin, excepté une ruine, il n’existe qu’une vieille chapelle
abandonnée.)
Lui, il traverse les murs comme un fantôme expérimenté. Moi, je décide par habitudes de passer par la porte.
Tant qu’elle
est fermée,
je ne sors pas.
- Regarde,
la saison est exceptionnelle…
Je ne lui retourne qu’une grimace en guise de réponse. Il a raison, le temps est froid et
lumineux comme jamais. Je ne sais pas pourquoi je n’éprouve aucune envie de sortir. Jean veux
me divertir, je crois qu’il aurait du être comique de scène plutôt
que curé.
- Que
font les cochons la nuit quand ils dorment ?
Même avec n'importe quoi, il peut vous construire une boussole. Il
ne perd jamais le nord. Mais son cerveau à peut-être subit une inversion des pôles. Jean se vet de sa
robe de chambre pour venir me voir. Il ne met plus sa soutane depuis qu’il voyage en esprit. Son
discours me parait plus que douteux, mais c’est bien ce qu’il m’a dit.
Ici, l’habit
ne fait pas le fantôme,
alors je me méfie.
Il présente
tout simplement une bonne tête depuis ses soissante balais qui ne ferait pas confiance au père noël même en sachant qu'il n'existe pas. Puisque
je n’ai
pas d’autres
visites, je vais le laisser me distraire…
Personnellement, je me suis désincarné dans un costume qui ne
me rappelle rien. Un trois pièce noir, plutôt terne et délavé…
A croire que je suis inviter à un enterrement. J'espère que ce n'est pas le mien. Tout compte
fait, je me suprends à
hésiter...
Vais-je retourner dans mon corps, rester entre deux mondes ou m'en aller encore
un peu plus loin?
Je me décide à lui répondre pour ne pas le laisser dans le vent
de sa question. Je vous rappelle qu’il parlait des cochons, à savoir, ce qu'ils font la nuit quand ils
dorment.
- Je
ne sais pas. Ils rêvent,
comme les chiens ?
Ma réponse se disperse dans les airs, hors de
son humour. Je crois que Jean préfère les cochons aux chiens. Il reste
perplexe. Les blagues de Jean ne me pousse pas toujours à rire... Le sommeil des cochons ne m’a jamais intéressé au plus haut point,
surtout depuis ce matin. Mon cœur n’est
pas à
la devinette. Je n’éprouve
aucune envie de chercher la chute de sa blague.
Par politesse, je fais mine de
demander un indice par un hochement de tête. Jean me délivre la plate solution...
- Ils
font la même
chose que le jour. Ils ronflent !
Je ne comprend pas toujours vite.
Pourtant Jean rit comme deux. Il s'épuise dans son esclaffement, semblable à un cochon, raclant son palais mou.
- Rrrrrrrrr
!
Je crois que j'avais déjà inventé cette blague à mes cinq ans, puis, j'ai oublié avec le temps à quel point mon esprit était léger à cette époque. Jean se roule déjà en se tordant par terre, plié en seize. Son regard de
vieux se concentre dans ses pupilles. Quand il rit, Jean bride ses yeux et en
fait jaillir des rayons de soleil. Il représente le genre de vieux que je trouve con
mais attachant. Il gagne du terrain et je pince donc le coin des lèvres pour lui montrer ma
sympathie, car ce matin, je ne vous le cache pas, je me suis levé du pied gauche.
Jean est heureux en esprit. Il reste
toujours aussi barbu, autant qu’il rajeunit. On dirait que Jean a découvert l’existence des trois dimensions uniquement
après
sa mort. Il est en même
temps aux huit coins de la pièce... Heureux et léger, les fantômes ont normalement cet
avantage.
Je repense à Maman et à ma console de simulations de vol... Elle
n’a
pas pensé
à
apporter mes jeux vidéo,
elle a préféré dire du mal de moi. Bien sûre, ressasser ces
histoires ne me donne pas bonne mine. Laissons-la me haïr. Je la chasse de mon esprit. Je me suis
retourné
vers la fenêtre.
Le fluide de Jean n’a
fait qu’un
tour.
- Toi,
tu as envie de t’évader…
Il avait tort et raison à la fois.
- Non,
je me suis levé
un boulet au pied, c’est
tout.
Jean est de nouveau plié en seize. Je ne veux
pas faire de l’humour,
la stricte réalité s'impose, même ailleurs. Il va
comprendre ce que veut dire tirer un cadavre. Ma cheville est cadenacée à une chaine, elle-même soudée à une lourde sphère de métal. Je me déplace jusqu’au lit pour m’asseoir à mes cotés. Il me manque le drap blanc et le manoir
pour me donner toute l'apparence d'un vrai cliché irlandais.
La boule est lourde et grince au sol
à
chaque pas. Son poids est relatif à elle aussi, mais ce matin, elle ne me lache plus d'une semelle
et je ne supporte plus de la subir en la trainant derrière moi. Voilà ma sombre apparition face à Jean. Bien sûre, c’est un boulet « spécial fantôme», il ne laisse aucune trace sur le
carrelage. Mes visiteurs, ne voient ni mon esprit, ni mon boulet. Mon nouvel
ami ne lâche
pas un souffle car lui il est libre comme l'air à chaque fois qu'il quitte son corps...
- Tu
t’en
es rendu compte ce matin?
Évidemment, j’opine de la tête. Il s’installe à ma gauche. Je le sens qui cherche… Non plus une blague, un
réconfort
ou peut-être
une explication. Je scrute corps et âme la surprise d’une remarque intéressante. Je suis triste et pendu à ses lèvres...
- Est
ce que tu ronfles quand tu dors ?
Pour un prêtre, la remarque n’est pas sérieuse... Je boude sa désinvolture.
- Tu
vois bien que non !
Je lui montre mon corps avachis sur
le lit. Je suis déçu
de son entrée
en matière.
Il a faillit me comparer à un cochon. Mon cœur a très
légèrement varié son rythme végétatif dans mon emportement. Les médecins le relèveront. Les machines l’ont relevé. Je reviendrai... Peut-être, suis-je appelé à y retourner si mon âme accepte...
Non. J'ai décidé depuis vendredi que je n'y reviendrais
pas! Je me détourne
de Jean et avance vers la fenêtre, indécis.
De un, me voilà
chaîné; de deux je suis habillé de noir... A quoi bon
chercher…
J’hésite à lui en dire plus… Après tout, cet homme, qu'il
soit prêtre
ou maçon,
c’est
un inconnu.
-
Tu n’as
pas fait un rêve
qui peux t’expliquer
?
Jean s'implique et je m'étonne de l'entendre
parler de la science des rêves. Qui aurait pu croire qu'un prêtre attache de l'importance à l'oniromancie.
- Des
rêves
j’en
fait beaucoup, tellement que je les laisse fuir.
Les souvenirs ne font que passer
dans mon esprit. J’ai
oublié
une bonne part de moi afin d’arriver à
vivre après
ma mort. Je sais que je me cache… De qui, de quoi, je ne sais pas. De moi, c'est certain... Je ne
m’en
inquiète
pas pour autant. Le présent
me suffit, l'étude
de l'histoire n'a jamais changé son cours. Jean reprend la discussion.
- Tu
imagines... Un mois de sortie de corps et je n’ai jamais eu droit au boulet!
- J'atteins
peut-être
un grade promotionnel ?
Jean agonise depuis presque un mois.
Quand il est inconscient, il devient un esprit libre et tellement plus jeune.
Je crois que dans son corps, il n’est pas heureux, son corps le fait souffrir. Agoniser à toujours tuer tout le
monde, bien que, pas toujours. Moi, je suis tombé dans l'inconscient d’un seul coup. Je suis jaloux.
- Toi,
tu regagnes ton corps quand tu veux…
Je ne sais si cette question était un reproche. Je
viens de lui répondre
très
agacé
comme une demi affirmation… Il acquiesce. Mon cœur est tiraillé entre le retour et un nouveau départ. Je suis indécis. Tout juste ce qui lui donnerait une
bonne raison pour me taquiner. Mais Jean est sympathique pour un vieux. Sans
lui, je me sens bien seul.
- Et
toi, tu ne dis pas grand chose...
Il est vrai, Jean a raison. Mais je
n’ai
pas à
parler de moi. De un, cela n’intéresse
personne. De deux, je dois me taire, pour ma sécurité, personne ne doit entendre parler de
-cette clé-.
Ni même
de celle qui la détient.
Motus et bouche cousue. Mon corps est bien trop vulnérable et je ne voudrais pas qu'on
l'atteigne. On ne sait quelle idée pourrait la tête de Papa. Surtout en cette période de crise. Qui me dit que je peux prêter ma confiance à Jean ? Si un prêtre est au courant de
quoi que ce soit, il n'hésitera pas à le dire à Dieu. Et si Dieu le sait, tôt ou tard, quelqu'un d'autre aura humer le
parfum du complot familial. Plutôt mourir d'honneur que de bêtise. Un secret n’est pas souvent digne du premier venu, même du dernier. Une
parole n’est
pas toujours bien interprétée… Je me tais, je protège -la clé- et son secret, Jean a
tout simplement compris que je ne dirais pas un mot. Dieu est une balance.
- J’ai une connaissance qui
pourrais peut-être
t’intéresser.
Il me gonfle. Où distribuer mes chances pour un avenir
hors de cet hôpital
? Comment percer le secret ultime de la mort ? Et comment quitter ce monde et
en revenir pour en témoigner,
afin que les vivants arrêtent avec tout leur fatras de superstitions ? Même un bon témoin revenu dans le
monde réel,
ce ferais fusiller tant les humains sont fous.
Si on devais jouer au carte, je n'aurais que Jean comme partenaire.
Oserais-je laisser mon corps seul, abandonné et sans surveillance ? Puis-je m'en
aller, ai-je encore un devoir envers les miens ? Qui sont-ils ? Suis-je donc obligé de m'en rappeler ?
Ça y est, je deviens comme Maman, j'ai
oublié
la question de Jean parce que j'ai trop hurlé dans ma tête.
- Tu
disais Jean ?
Il parlait d'une connaissance qui
pourrais peut-être
m'intéresser.
- Une
blanchisseuse. Une blanchisseuse en chef qui plus est !
Jean est très fier de me l’annoncer. Mais sincèrement je ne vois pas le rapport. En quoi
pourrait-elle m’intéresser ?
- Figure
toi, qu’elle
est « noire »…
Bon d'accord. Je prend ma vie trop
au sérieux
et si cela continue, je risque de passer à côté de la mort. Le faux cureton avait dit ce
dernier mot, noire, comme on parle d’un mystère.
Le noir, n'est ce pas ce qui m'a toujours fait peur ? Petit j'exigeais une
veilleuse dans ma chambre. Une blanchisseuse noire, mais où va-t-il les chercher ? Cette femme
pourrait apparemment m'aider, je mors à l'hameçon alors que Jean change d'idée. Celui-ci n'a qu'un
seul credo me dit-il... Celui de ne jamais penser le ventre vide. Dans ce
monde, il suffit de dire, à table, pour que devant vous s'étale un buffet majestueux.
Je me tais pour observer les toits depuis l’exceptionnel plongeon
sur Saint Martin, la ville de ma vie. Il me propose un croissant pur beurre que
j'ai le malheur de refuser parce que je suis ballonné. Notre nourriture n'est pas la vôtre, elle ne nous
apporte, ni protéine,
ni vitamine mais seulement une notion de plaisir. Car tout ce à quoi nous pensons peut
prendre forme devant nous.
Tout à l’heure il y avait une enfant en tutu sur le
toit de l’aile
ouest. Peut-être
y est-elle encore ?
Jean se trouve mis à mal, deux croissants
dans la bouche, il pouffe de rire. Ce goinfre voit que je n’adhère plus à rien, il fait tout pour me récupérer car en réalité, oui, en réalité, le pire pour un esprit, ce n'est pas de
penser à
rien, mais de refuser de penser. Peut-être que je suis en dépression. Je suis fuyant et liquide. J'évite toute interaction
avec l'extérieur. Même la meilleur des blagues me passe en dessous du nez, je ne
partage plus rien avec personne, ni même moi-même. Je suis suspendu en pensée, mort en quelque
sorte, fatigué,
tellement fatigué
que tout m'indiffère.
Il se passe quelque chose à cette heure, j'en suis
certain au point d'en perdre l'appétit qui ne m'avait pourtant jamais quitté. J’ai un pressentiment pesant qui me rappelle
quelques brulures à
l'estomac dues au stress avant un examen. Comme si j’avais oublié quelque chose d’important.
- Mais
nous irons demain…
Tu n’as
pas l’air
dans ton assiette, Albin. Tu es pâle comme un mort, il s'esclaffe.
- J’avais prévu de me promener en ce
qui me concerne mais je vais te laisser.
Lise Newton va sans doute changer de nom,
Einstein pourquoi pas? Et cela suffit pour conforter mon amnésie. Oublions notre
histoire, oublions nous nous-même, faisons en sorte que le monde n'existe pas.
Maman n’a jamais pris le nom de Papa. Elle s’est juste présentée un jour sous le nom de
Primo et elle a fait partie des meubles. Ce qui arrangeait bien Papa. Mais Lise
Primo, n'a jamais existé.
Maman a toujours espéré qu’ils se marient un jour. Quand elle était jeune, elle
imaginait tellement la scène, qu’elle
croyait la réaliser
déjà. Elle en a trop rêvé et elle n'y a pas assez cru pour oser un
jour lui faire sa demande. Papa, lui, tant qu'il rentrait à la maison, il n'y pensait pas. Elle
pouvait s'appeler Primo, l'histoire Newton n'avait que peu d'importance.
Chez moi c'est l'hôpital maintenant, mais,
cela lui permettra peut-être d’oublier
ces moulins à
vents, mes parents n'ont malheureusement plus d'enfants pour s'attacher aux
combats idéalistes.
Ils sont aujourd'hui seuls face à eux-même,
et comme par hasard, ils se sont séparé
dans ma chambre d'hôpital,
en ignorant ma présence.
Pas étonnant
que je reste dans le coma. Il ont signé un accord commun, tacite, implicite, sans
fuite.
Je songe à toute l'histoire du monde, sauf à ce que me dit Jean.
Finalement, il ne sait pas comment je suis arrivé ici. Jean ne me connais pas non plus.
- A
plus, Albin ! Et n’oublie
pas tes prières…
Jean fait mine de s’en aller. Je dois penser
à
cette enfant que je vois chaque nuit danser sous la lune depuis mon entrée aux urgences. Je ne
connaît
pas son nom mais elle joue avec un cerceau sur les toits de l’hôpital. Je pense à elle et voilà qu’elle apparaît soudainement sous mes yeux. Elle est
mignonne à
croquer cette gamine... Avoir l’air bête n'empêche pas d'être mignonne. C’est le deuxième esprit après Jean, qui est venu me
faire un signe spontanément.
La petite fille, de sept à huit an s’amuse en me narguant depuis trois jours maintenant. Car il est
facile, pour elle, de bouger, elle n’a pas de boulet au pied. Depuis la première nuit déjà, je la nomme « la petite fille au cerceau ».
- Tu
connais «
la petite fille au cerceau », Jean ?
Jean n’est plus dans la pièce. Je ne lui ai même pas dit au revoir...
***
L’hôpital Saint-Martin se dessine en forme de « L » imposant. Il se perche plus haut que le
reste de la cité.
Comme s’il
voulait cacher l’usine,
en amont de la ville. Devant lui, s’étale une jeune bourgade moderne sans cesse en construction. Il n’existe plus aucune
saison sans grue ou bulldozer depuis sa naissance car elle est jeune de deux
ans à
peine. Née
sous un gisement de gaz, elle devient la petite capitale mondiale du gaz
hilarant ! Le monde entier nous en commande, plus tard je serai le premier
distributeur au monde de ce gaz unique. Une variante, jusque là, encore inconnue,
fleuron de la ville et qui nous a aidé à prospérer, nous, la famille et les habitants de
Saint Martin. Dix ans de travaux pour que démarre son expansion. Le gaz hilarant fait
des émules.
Une décennie
s'est écoulée avant que la
population s'installe.
Ma chambre est située dans l’aile Est de l’institut savant, tout
comme celle de Jean. La mienne porte le
numéro
308, Maman est au courant, elle est déjà venue. Mais ne croyez pas qu’elle va revenir.
Il est 1h et mon costume s’efface. Je ne comprends
pas encore les lois de ce monde. Pourquoi avais-je un costume, pourquoi
disparait-il? Un complet noir, version classique. Tous mes vêtements s'évaporent et me voilà nu dans ma chambre. J’ai l’intuition d’avoir loupé quelque chose d’important cette après-midi. Plus de veston,
plus de pantalon, plus de chemise. A poil mais chaussé, encore aux pieds les chaussures m’inspirent. Apparemment,
j’obtiens
le droit de les garder car elles restent à mes pieds. Tant mieux pour moi car j’aime bien ses mocassins.
Conçu
en cuir de crocodile blanc, voici un fin
travail d’artisans.
Je me demande comment ils ont pu chasser un crocodile albinos. Son existence
suppose certainement d’être
trop rare.
Les mocassins sont restés à mes pieds pour accompagner un jean d’un bleu plus commun qui
remplace mon allure funèbre.
J'ai passé la robe de chambre sur mes épaules pour me mettre
dans les conditions du lieu. Je n’ai pas compris ce qui vient de se passer... Cet habillage
automatique, sans doute est-ce une folie du monde fantomatique. Je saisirai
plus tard...
Je m’observe. Je suis tout allongé. Goutte à goutte, je suis
nourris, patient comme une plante de 17 ans. Il est 17h, mon couloir d’hôpital s'éteint peu à peu. Le jour décline et les couleurs du ciel se vantent
du peintre qui s'applique dans son atelier. Mes cheveux transpirent la couleur
noir, le nez fin, je dors. Je tourne autour de moi et j’ose m’admirer pour la première fois. Si mes paupières étaient levées, vous verriez ce que veut dire le vert
dans mes yeux ! Ils font semblant d'être gris. Je suis pâle mais tellement présent dans ma peau. Il y a du rose là où j’ai froid, mes vaisseaux sanguins nuancent
aux extrémités mon teint hivernal.
Timides et constants, ils apportent par vagues la chaleur nécessaire à mes organes des sens
hibernants.
Trêve
de poésie, je vois « la petite fille au cerceau » ! La gamine, avec sa petite
tête blonde en forme de poire, son visage se caricature par des joues gonflées
et rondes comme celle de tous les jeunes enfants... Sept ans à mon avis et
ronde de tête. Quand Jean est partis, je la voyais déjà. J’espère qu’il la
verra aussi, depuis sa chambre, afin de lui en toucher deux mots. Qui est-elle
? Depuis ma chute dans le coma, je dois avoir contracté une timidité aigüe du
discours car j'éprouve des difficultés à parler de moi. Plus j'y pense, plus je
m'enferme. Sans même savoir si il y a quelque chose à en dire. Vivement la télépathie parfaite, du cœur à la
tête !
Et je pense beaucoup… Je pense trop. Jean, il
ne pense pas. Tu reçois
le signal de son esprit, comme tu te branches sur une station radio. Mais, lui,
c’est
«
radio silence »,
à
ses côtés, tu es interpellé par le calme de sa pensée, malheureusement la
qualité
du silence n'est jamais considérée
par l'audiométrie,
dans le commerce des ondes. Il m'a dit que certains esprits, transportent dans
leur tête
un brouhaha semblable à
l'approche d'une autoroute ou d'une piste de décollage, comme si ils aspiraient un
terrible vrombissement d'avion pour enfin comprendre l'essentiel.
Il loge à cinq mur de moi d’après ce qu’il m’a confié. Ce dont j’ai peur c’est qu’il puisse lire dans mes pensées. Alors, si je pense
comme un long courrier qui s'envole, je devrais être capable de brouiller les pistes...
La fillette a exécuté à ma vue ses plus belles figures depuis le
toit du bâtiment.
Collants d’appoint,
et tutu blanc, son allure est acrobatique. Elle connaissait des enchaînements de premier
ordre. Elle a dansé
sur ce toit jusqu’au
couché
du soleil, le nez pointé
vers le couchant. Une tête
blonde déambulait,
funambule, sur les toitures en tuiles rouges, à lancer son cerceau en l’air. Il y bondissait
telle une étoile
blanche dans les derniers rayons, une filante, éprise de danses et de rires.
- Danses,
jeune fille !
Rien qu’à la voir s’amuser, je me réjouissais avec elle. Elle lance. Je l’encourageais et cela me
distrayait. Un pas, puis deux, la roue et sans fixer l’objet, saisie de la main, retour à l’attitude. Elle jouait avec les formes de
la gymnastique sportive. Âgée
de sept à
huit ans, je tire mon chapeau. Parce que je porte aussi un chapeau, lui non
plus n’a
pas disparu. Cela ne paraissait pas
dangereux pour un esprit de sa taille. Même si une tuile venait à tomber, ce serait la
faute de la gravité,
pas la sienne.
« La petite fille au cerceau » s'exerce à passer à travers son jouet comme
on saute à
la corde. Celui-ci tourne autour d’elle, sous ses pieds jusqu’au dessus de sa tête. Elle lance une marche à répétions de ce mouvement jusqu’à la pointe de l’aile ouest. Ses petits
pieds fous sursautent à
chaque arrivée
du cerceau vers le bas. Elle voit que je l’observe. Elle se retourne et me fait un
clin d’œil.
Je ne sais pas comment je l’ai vu, elle était trop éloignée
pour le percevoir d'un œil
humain. L’œil
de l’esprit
n’est
pas semblable à
celui du corps. Il voit plus loin.
A l’instant, je ressens le besoin de l’empêcher d'exécuter ce qu’elle va faire. Elle tiens son cerceau, à bout de bras, parallèle au vide, sur la
pointe de l’immeuble.
Le lâchant
«
la petite fille au cerceau » lance sa jambe pour sauter d’un pas, droite comme un piquet. Elle
disparaît
dans l’angle
mort à
la suite de son cerceau. Elle chute et je ne la vois plus.
- Elle est folle !
Je
la qualifie d’irresponsable sans quitter ma chambre, le nez à moitié dans la
vitre. Je sens le froid du dehors rentrer dans mes narines et je recule à un
mètre de la fenêtre.
Tout est si différent maintenant...
Les
lois de la physique, pour les esprits, ne sont pas identiques de celles qui
régissent les corps. Je ne m’y accommode pas. Si eux, s’envolent et sautent
dans le vide je dois m’afficher capable des mêmes performances. Je dois pouvoir
traverser un mur, moi aussi. Pourquoi n’ai-je pas encore traversé de mur ? Je
décide de réfléchir et je m’allonge à mes cotés, ceux d'Albin, mon corps
ensommeillé.
- Où nous en sommes maintenant copain ?
J'ai l'impression de parler à mon frère mais je n'ai jamais
eu à
goûter
le loisir de ce lien. Je ne me relance pas et la discussion n’avance plus évidement. Je n’appartient plus aux
hommes, même
plus à
ma chair. Mon esprit poursuit des idées, mon corps se repose. Il ne m’appartient plus non plus. Je voudrais m’interroger. Pour la première fois de ma vie, je m’espionne de l’extérieur. La chance de me voir comme je suis,
me raconte enfin, et sans scrupules, que dormir est mon passe temps favoris.
- Albin,
dis moi comment tu te sens aujourd’hui ?
Mon
âme doit ressembler à un coffre secret que j’ai enterré dans ma mémoire depuis
le départ de Papa. Comme tout le monde. Sous son ordre, je préservais la clé
aujourd'hui volée par Maman... Ce coffre qu’il m’a donné, son héritage. Comme
tout le monde. Quand mon interlocuteur ne mérite pas d’y jeter un œil, je ne
l’ouvre pas. Comme tout le monde. D'ailleurs, je sais qu'il est là, je le
couve, secrètement, dans la chapelle abandonnée. Un coffre qui contient le secret
de la richesse, rend les gens envieux, alors je ne le montre à personne. Comme
tout le monde. J’ajuste depuis trop longtemps ma démarche afin de ne pas
attirer les regards. Comme tout le monde. Ce sont les joyaux de mon âme qui me
rendent prudents. Des sentiments, comme personne n'en a jamais possédés. J'ai
volé ces joyaux avec Papa, je suis son complice. Et cet or, illimité, restera
caché. Meurtrier, meurtrier, meurtrier... Ensemble, Papa et moi avons
cloisonnés les sentiments des gens de Saint-Martin.
Hélas,
l’argent, toujours l'argent. Helas,
l'argent est illimité. Imaginez un compte en banque qui ne se vide jamais, il
annonce de lui-même, la mort du capitalisme. Et bien j'en suis l'héritier. Il
inspire le décès des banques, et la fin d'un monde se déploie chassant des
têtes comme des diamants quitte à leur arracher les yeux. Je peux tout arrêter.
Attristé, je me déçoit de ne pas pouvoir le partager, non seulement par fatigue
mais par défaite. Imaginez le nombre d'ennemi, je ferais du monde mon jardin,
distribuant à ma guise et à qui de droit. Pas digne d’être riche. D’ailleurs
personne ne connait la dignité tant que le monde ne l'incarne pas. Le fer,
encore l’enfer de l’enfermement; et pour l'or, d'ors et déjà l'or qui dort est
mort. Ce ne sont que des ronds creux comme la monnaie unique de Saint-Martin.
Tant pis, nous apprécierons l'hilarité et le monde avec nous. Oublions tout.
Me rappeler de mon histoire me donne
le mal de mer. J'apprécie
explorer depuis ce balcon, la fin des frontières de l'espace et du temps. Comme si je
pouvais arrêter
le monde et le recommencer. Hélas à
l'instar de ma mère,
je repasse l'éternel
présent
comme un passé
immuable sans l'avenir. Il y a un an, j’aurais pu jeter -la clé- de son sale coffre, et
pourtant providentiel, dans la fontaine des vœux. Le coma m'empêche d'être responsable de la fin du monde. Papa
aurait été furieux que je m'en débarrasse ! Je regrette
de ne pas m'en être
acquitté,
peut-être
que ce boulet ne se serait pas accroché à ma cheville.
A la place de -la clé-, j’ai préféré me séparer d'un de ses ronds de fer symbolique,
de ceux qui ne me quittent jamais. Ceux que Papa me donne souvent, la monnaie
frappée
de Saint-Martin. Une pièce
creuse, depuis que je suis petit, je regarde le monde à travers...
***
Je ne rougissais pas de honte mais d’essoufflement. J’avais les mains pleines
de terre car je venais d’enterrer le coffre avec mon patriarche, sans voir vraiment ce
qu'il contenait : le cœur
symbolique d'une vierge. En l'effaçant de mon esprit, comme s'il existait des pensées javel, j'aurais
retrouvé
la paix mais je n'ai jamais réussis.
- Ne
pas t'y intéresser,
tu n'en est pas encore capable.
Papa venait de partir pour de bon,
sur cette bonne parole, en sachant qu’un jour je le retrouverais. Parfois, je
regarde en arrière
et je pense à
cette vierge. Symbole du crime parfais contre les hommes. Aujourd’hui, je réalise que ce jour, fut
aussi celui d’une
belle rencontre. Une autre vierge, qui s'est offerte à moi, non à mon père.
Je
pleurais auprès
de la fontaine des vœux.
Zoé
souhaitait m’aider
à
briser la clé,
bien peu intéressée par son mystère. J’étais triste ce jour là, plus qu’un autre jour. Rien d'étonnant, nous avions
enfermé
une force soit disant maléfique dans un coffre. Le cœur d'une vierge. Une richesse infinie.
Papa m'avais obligé
de creuser toute l'après-midi,
seul en me regardant. Je voulais en finir avec cet affreux complot, détruire cette clé c’était détruire l’affreux secret, le secret de la richesse.
Je l’avais
déjà enterré dans la chapelle de
Saint-Martin, une vieille battisse en ruine et maudite sous l'ordre de Papa.
Car Papa a refusé
tout nouvel essor de la religion à Saint-Martin. Les gens du patrimoine n'ont jamais pu restaurer
l'édifice
malgré
de multiples demandes. Ce qui aurait favoriser le tourisme.
- La
religion, c'est l'opium du peuple !
Disait le vendeur de gaz hilarant.
Mon trésor
y est resté,
bien enfouis, personne n’était au courant. Pas même Zoé, je ne voulait pas mettre en danger une
seconde femme.
Je la frappais entre deux pierres,
-la clé-,
avant que la jeune demoiselle ne m'interpelle. Le fer ne bougeait pas, mais
certaines parties furent éraflées.
Mes mains étaient
plus abimées
que cette malheureuse clé ne l’était.
J’étais
rouge, transpirant, coléreux
et égorgé de pleurs, cela n’avait pas empêcher Zoé Clerc de m’adresser la parole. Légère, joyeuse, docile en apparence. Double
sens : les apparences font du bien.
J’ignore si elle avait su pour Papa, le
patron enfermé
dans sa tour. Elle avait du entendre son discours, ce qui avait dissipé toute méfiance, le lendemain du
grand feu. Je ne veux pas m'en rappeler, pas le grand feu. On oublie tout. Plus
tard, j'en parlerai. Depuis il fait toujours le même discours « le jour de la fête de Saint-Martin ».
- Tu
as l’air
bizarre…
Je peux t’aider
?
Un cristal qui chante, le son de sa
voix vibre harmonieusement... Je sais, on ne le dit jamais, car cela fait peur,
cela peut le briser, mais à l'instant même, je l'ai aimée. Alors, je n'ai rien dit.
Il n’était pas question que je partage mon
magot, je voulais bien le détruire. Le partager ? Jamais ! Une telle épée de Damoclès, mon héritage, ne devait pas menacer plus d'une
seule vie. La mienne. Je me suis empressé d'être possessif. Instint de survie. Il me
fallait impérativement
lui faire oublier cette clé. De surcroit, m'oublier moi-même. Mon envie de connaitre Zoé allait m'aider à m'évader de cette bourbe...
Je ne m'attendait pourtant pas à la voir. Je fut étonné et suffoquait un temps,
en essayant de récupérer mes pleurs. Oui, mon
souffle crépitait
et fumait sur la braise humide. Mais
plus haut, le long de ma nuque, j’ai eu chaud, dès son approche. J’ai inspiré, j’ai
expiré
et amadoué
mon souffle…
Je me serait élancé dans ses bras si nous étions dans un monde
parfait. Mais une telle spontanéité
n'appartient qu'aux enfants, les adultes ne naissent pas dans les choux, mais
dans la rigidité
du savoir vivre, comme si vivre était un savoir.
J’étais tellement triste depuis le départ de Papa. A qui
parler, à
qui confier. Personne. Je rêvais d’être
consolé
par quelqu’un
d’heureux.
Zoé
était
toute prête
à
rayonner pour moi.
Il valait certainement mieux de d’abord cacher cette clé. J’ai marché vers l’étang, cette fontaine du parc communal. Je
me suis éloigné d’elle. Zoé n’était pas vexée que je lui tourne le dos sans lui répondre poliment. J’étais pourtant ravis qu’elle soit là, cependant agacé à l'idée même de devoir lui parler du coffre.
Finalement nous n’avons même pas abordé le sujet. Elle est restée où elle était. Moi, j’ai fixé mes larmes en pierre. Zoé méritait de voir mes yeux secs, le vert qui
dit j'espère et le gris qui amincit le regard. Je méditais en tailleur, face
à
l’eau.
Spontanée,
elle me tend :
- Tu es ravissant comme garçon, tu es
le plus ravissant !
- A
bon?
Elle
a du crier pour la distance. Ce qu’elle disait demeurait stupide dans l’air.
Cela reflue dans mon souvenir comme une exclamation trop sincère pour l’heure
mais tellement chaleureuse. Etonnement, une part de moi l’appréciait alors que
l’autre en fut vexée. J'ai sourit sincèrement. Zoé me connaissait à l’école,
aucunement au parc communal. Elle n’était jamais venu courir à mes cotés, dans
le bois. Comment dire…? Courir, jusqu’à en perdre haleine et défier la forêt !
Courir jusqu’au dernier souffle pour muer la tristesse en dignité. Courir et
hurler. Hurler aux arbres, la haine que l’on éprouve rien qu'en venant au monde
! Hurler pour naitre, courir pour revenir, finalement toujours amer mais un peu
plus fatigué qu’énervé.
Zoé s’est approchée sans que je l’entende, je me sentais obligé de lui répondre. Son ravissement
n’était
pas le mien, mais mon seul désir était
d’y
prendre part. Là,
je ne me mettais pas à
parler pour défendre
mon honneur. Je n’avais
plus d’honneur.
Papa l’avais
tué
en me rendant responsable du monde entier. Y a-t-il un quelconque honneur à annoncer la fin du
monde. Moi, j’avais
réussis
à
tuer l’honneur
pour préserver
l’espoir.
Partir et dire que c'est honorable, pour un père, quelle lâcheté ! Il ne m'a même pas félicité, alors que moi, j'ai eu le courage de
rester. J’arrachai
la fatalité
de mon cerveau pour ne pas qu’elle s’inquiète. J’allais lui raconter l’espoir. Il suffisait de
lui répondre
par un fait d’actualité. Le discours que Papa
reservait chaque fois, « le jour de la fête de Saint-Martin ».
- Un jour, dans la ville de Saint
Martin, l’usine de gaz n’a pas tourné.
- Pourquoi
ça
?
De la voir très intéressée, je continuais. Je connaissait trop bien
l'histoire.
- Parce
que les travailleurs lancèrent la grève.
- Et
alors ?
- Cela
n’a
duré
qu’un
jour !
- Dis moi
pourquoi ?
- Parce
qu’à
Saint-Martin les drames ne durent qu’un jour.
Papa
voulait consoler, apaiser c'est souvent mentir. Cela n'a pas de saveur, ni dans
sa bouche, ni même dans le fond… Les mensonge ont le goût de l'amertume.
Pourquoi ai-je répété cette ignominie, parce qu'elle apaise dit-on. La ville de
Saint Martin écoute sous sa botte, le patriarche, chef des usines où les grèves
ne durent qu’un jour.
- Je ne suis pas de Saint-Martin et
chez moi, les drames n’existent pas…
Zoé
jouait d'une répartie aussi simple que le jour qui se lève. J’imaginais qu’elle
comprenait que j’allais m’en remettre. Mais quoi penser de ce qu'elle avait
laissé s'échapper entre ses lèvres. Rien. Elle était seulement meilleure que
moi. Raison de plus pour ne pas l’inquiéter à propos du trésor. Etre riche n’a
rien de confortable, il faut ruser. Surtout que la triste clé se fasse oublier
dans le fond de ma poche...
Zoé était debout, à mes cotés, à suivre le vol d’un canard, elle me subjuguait vue d’en bas. Une fille qui
ose encore mettre des robes, c'est rare. La fin de l’été tombait, j'allais me relever. Zoé voulait profiter des dernières caresses du vent chaud, pas
directement des miennes. Ma tête était
à
la hauteur de ses cuisses, le pan de sa robe alla me fermer les yeux. Elle s’est accroupie en
rassemblant l’étoffe
légère sur elle-même. Zoé me regardait vivement.
- Confiance
!
Comment osait-elle me conseiller ?
Une campagnarde comme elle ! Malgré tout gentille... Je lui réponds alors :
- Ne
t’inquiète pas…
Je n’ai jamais aussi peu vécu mes mots. Je me désintégrais… Je ne voulais pas de pitié, ni de compassion. Ceci
me rappelle qu’il
est très
étrange
d’aimer
un instant qui vous met mal à l’aise.
- Zoé Clerc, timide assumée !
Elle s'est présentée.
- Albin
Primo, héritier
blasé...
Je devais m’incliner devant son effort. Zoé rougît. J’ai tourné la tête, après lui avoir volé son sourire. Elle ne
savait pas quoi inventer de plus pour me consoler. C'était déjà pas mal. Regardant ailleurs, elle soupira
de bon cœur,
comme si son battement devait ralentir, sa respiration gonflait sa menue poitrine entre son corps et ses
cuisses. Voilà
ce qui m'a attiré
chez elle, sa patiente présence. Depuis qu'elle était là, je n'aspirais qu'à elle.
Zoé
Clerc mesurait encore la distance, mon corps, lui, n'y comptait déjà plus... Il ne me restait plus qu’à lui parler, la flâtter :
- Toi aussi, tu es ravissante.
Dessus
ses pommettes roses, j’élucidai dans la brillance d’un reflet miroiter dans son
regard, un murmure que son âme me soufflait: si je voulais de son écoute, je
pouvais me confier… Je n'avais rien à dire, tout à faire... Je saisissai alors
la plus délicate main du monde. Une main aux proportions de rêves. Une légère
pression au poignet quand elle a voulu se la libérer, la retenir un quart
d’instant, pour que nos yeux se croisent encore. Il ne me restait qu’à tenter
une approche.
- T'aime le fromage ?
Je
préfère l'abordage dérisoire. Il ne m'arrivait que les pires idée du monde, je
le lui ai dit, elle a sourit.
- Oui,
pas à
tout heures.
- Et
ta sœur,
elle aime le fromage ?
Là, elle rigolait sincèrement.
- J'ai
pas de sœur.
Zoé Clerc était décorée de motifs de plage, imprimé sur le tissu de sa robe
: original et dépassé étaient des termes qui se mariaient à son allure. Elle ajouta
après
s'être
empêchée de rire...
- Tu as quitté la classe plus tôt ? A
dix heure, t'était partis.
- Oui
- Pourquoi
?
- Mon
père...
Heu... Je ne me sentais pas bien…
Les silences ne convenaient pas à Zoé, alors elle les combla.
- J’habite au cloître des ursulines. A l’ancien couvent, il y a
une aile réservée aux internes. Je suis
contente de revenir. Mes parents ont bien faillit ne pas joindre les deux bouts cette
année
! J’ai
eu de la chance finalement.
- Pourquoi?
- Tu
le demande encore ?
- Oui.
- Tu
ne m’aurais
pas connue…
Nous
n’étions pas dans la même section l’année précédente. A l’inverse, nous y
sommes pour celle qui s’annonce si différente. Cet été, je suis allé la voir où
elle habitait… En campagne, chez ses parents. Nous savions depuis juin que nous
rentrerions dans la même classe.
Zoé ne pose plus le pied dans cet hôpital et voilà ma plus grande désillusion depuis la
chutte. Je ne peux toujours pas accepter qu'elle ne me donne aucune nouvelle.
Son absence pèse
plus lourd que le reste de mon histoire. Aucune visite depuis l’accident. Alors ma
complice de ce soir, ma compagne criminelle, était présente la nuit du drame. C'était notre nuit. La nuit
où
elle m'a donné
sa virginité.
Pourtant, elle ne vient pas, ou elle s'est trouvé un nouvel ami. Si je reviens, c'est pour
elle.
***
Mon corps se fait masser, je fond
dans le matelas. Un homme en blanc vient mettre en mouvement mes membres
physique. Je ne l’aime
pas cet aide soignant, il s’appelle Max. Il a de drôles
d’idées dans la tête. Mon corps prend
pourtant l’air
d’apprécier ses massages. Ici,
je me branche aux grincements des ressorts pour me distraire. Cela ne dure pas
plus qu’un
petit quart d’heure
de tensions et de flexions.
Il vient à peine de fermer la porte de la chambre
308, la mienne, et je plonge à nouveau dans mon souvenir comme dans un livre ouvert. Je me
revois avec Zoé
au bord de la fontaine des vœux ; nom merveilleux de la marre communale. Rousse comme une
terre de feu, dans un autre temps, Zoé aurait été brûlée vive, ne serait-ce que pour le soupçon... Elle inspire des
allures qu’on
ne prête
plus aujourd’hui.
La croyance à
Saint Martin ne s’arrête pas aux
superstitions, mais aux discours. Synonyme de rumeurs. Et sur son compte,
aucune n’a
jamais vraiment percé,
toutes sans doute, trop farfelues.
Une sorcière ne s’habille pas en robe de plage. Zoé a d’ailleurs le mérite d’être discrète sans passer inaperçue quand elle se présente.
- Je sais, ça pue…
- Quoi
donc ?
- Les
roux.
- Mais
non...
- Si,
je t’assure
! En été plus qu’en hiver.
Je ne réagissais pas et elle a trouvé bon de perfectionner sa
dérision.
- Quand
ils font du sport, leur peau rejette une molécule de transpiration.
Cette molécule dégage une odeur puissante
qui, séchant,
s’accroche
à
la peau.
Le parfum d’une rousse en sueur a le
pouvoir d’éloigner
les parasites.
Tu le savais ?…
Cette dernière question fut très moyennement naïve.
- Je
ne vois pas le rapport.
- C’est très simple, vu ma course
pour te rattraper, d’autant
plus que tu n’as
pas fuis, à plus d’un mètre… Je sens que tu te méfies de moi, mais ; j’en conclu,
que tu n’es
pas un parasite…
Elle
ruisselait effectivement de transpiration, mais pas autant que l’annonçait la
légende. En d’autres moments j’aurais été plus avenant. Personne ne me versa
autant d’attention aussi banales dans le seul but de me distraire, il fallait
que ce soit une étrangère. Je ne savais pas sur quel pied danser alors je
répliquai bêtement.
- Mon odorat n’est pas très développé…
Sur
cette phrase non plus je n’étais pas très convaincu. J'en avais marre d'être
aussi nul avec elle, j'aurais voulu l'emporter plus loin. J’aurais même voulu
la rafraîchir et la lancer dans l'eau mais j'aurais risqué de lui déplaire.
Tant pis, je lui ai quand même jeté un peu d'eau. Elle s’échauffait.
- Puisqu’on ne se connaît pas, je te
propose un jeu.
- Quel
jeu ?
- « Le pari sur l’autre ».
Zoé
Clerc avait en réalité l’esprit très vif cette après-midi là. J’avais déjà tout
oublié de ma solitude. Son jeu, « le pari sur l’autre », elle l’inventait sur mesure
pour la situation... On y voyait
seulement son besoin de combler un vide, dans lequel, elle avait peur de me laisser tomber. Instint féminin
appréciable, bon à écouter sans excès. J'ai failli péter pour décompresser
l'atmosphère mais je me suis retenu par politesse, ce qui m'a donné mal au
ventre. J'attendais alors du premier instant qu'il m'en fasse surgir un
deuxième, et du second, un troisième, et du suivant au suivant, elle m'enivrait
de plus en plus. Le manque en réalité n’est alors rien d’autre qu’une
invitation réciproque à laquelle nous avons tous les deux répondu. J'ai lâché
le pet.
Elle
n'a pas rit, elle a levé les yeux au ciel et lancé directement « son paris
sur moi »
- Je
parie que tu te sens seul.
C'était vrai. Elle avait compris un
sacro-saint credo du marché. Isoler l’individu pour augmenter les besoins. Ce -tu te sens seul-
m'avait cloué
sur place. C'était
faux.
Mon caractère en classe penchait plutôt vers l’animation. Je
connaissait déjà le besoin de distraire
les autres pour me distraire de moi. Zoé me dévisageait sous une autre nuit.
Je remarquai que j’étais déjà les deux pieds dans son nouveau jeu. Elle
faisait allusion à
mon aplomb habituel. Ce n’était pas très difficile d’être médium.
Il lui a suffit de s’informer
sur moi. Et ce n’était
pas mièvre
de me jeter sur le coin de la gueule que je me sentais seul, alors devant tant
de franchise, j'ai décidé d'assumer.
- Tu as raison. Et alors ?
- Bien
! A ton tour, qu’est
ce que tu paries ?
Cela lui suffisait d'avoir raison même si c'était faux. J'ai toujours
eu la force de vivre seul.
- Je
parie que tu pues la rousse !
Je n’ai pas pu m’en empêcher. Je riais pour ne pas lui succomber.
- Je
vois que l’odeur
a vaincu le fantasme.
- Non.
Ça
n'y pense pas.
Elle
m'avait tendu la perche. Et maintenant, elle me saisissait le col et se bloqua
dans mon regard.
- Dis moi ce que tu imagines vraiment.
Ne me cache rien.
Ses
mains ont relâchés mon col. Zoé ne pressentait pas ce que j’allais lui dire et
moi non plus. L'inspiration m'est venue sans effort.
- Tu
dois aimer vivre dangereusement !
Zoé voulait seulement que je lui déclame un poème. Un élan qu’elle m’inspirait au vol ; ni
trop vrai, ni trop faux pour mesurer la distance. Je crois avoir comblé parfaitement son
attente. Un petit recul, sans le
vouloir. «
Le pari sur l’autre
»
était
terminé.
- Lance-la
maintenant.
- Quoi
donc ?
Elle n'avait malheureusement rien
oublié.
Mademoiselle Clerc parlait de -la clé-
- Lance-la
dans l’eau.
- Pourquoi
?
- Je
t’attend
là
bas.
Je ne me trouvais pas fin.
Absolument gros, énorme,
imposant dans ma bêtise… Je palpai ma poche. Il
y résidais
aussi une pièce
creusée
en son centre. De quoi se détacher pour permettre à l’avenir d’advenir. Préserver -la clé- paraissait indispensable, je l'ai gardée. J’ai pris la pièce creusée en son centre, un
souvenir de Papa, de la ville et de nos tristes joyaux. Zoé m’interpella.
- Pense à un vœu ! Quand tu la
lanceras. Penses-y très fort !
Je
voulais revoir Kapla, le chien de la famille. Fuir avec Zoé. Manger du popkorn.
Aller voir Paris. Le chien a fugué quand papa est partis. En y pensant
sincèrement, j’ai trouvé mon vœu ridicule.
Vouloir est une pensée ridicule.
Sans y croire, la pièce fut envoyée nonchalamment. Je ne
sais pas si un vent particulier m’est venu en aide. Toujours est-il que ma pièce tomba mystérieusement au milieu d’une pierre ronde ! On
aurait dit, une pierre de meule creusée en son centre d'un petit trou
parfaitement adapté
à
la pièce.
Un miroir de la petite monnaie en plus grand. Quelques gouttes d’eau ont jaillit de la
chute parfaite, un lancé
impecable. Cette précision
était
franchement improbable, à quinze mètres, avec une telle nonchalance. Je ne me motivais pas pour
prendre à
parti cette carpe, mais elle partagea avec moi sa stupeur en me fixant. Le
hasard... J'ai donc pensé que Kapla reviendrais.
Je
voudrais plonger dans ses grands tobogans qui parcourent le ciel. Jean m'a dit
qu'on les nommait du même nom que ceux qui existent dans les profondeurs des
océans, ses tourbillons suspendus dans le monde des esprits sont appelés les
grands-courants...
Mon esprit constate que Jean cumule
exactement 4 fois mon age. De réflexions en anecdotes je vole déjà, pour me cacher dans mon corps et ne pas
prendre froid pendant la nuit. Jean m’a dit que demain nous avions rendez-vous
avec une blanchisseuse. Il a raison Jean quand il dit que la vie est une tarte à la crème, la mauvaise farce
serait de ne pas se la prendre en pleine figure. Qui sait si j'atteindrai son
age ?
***
Si
cette nuit, je suis dans un coin de mon cerveau, je veux m'enfuir. Une vision,
une projection, une hallucination. Ma cervelle est devenue insomniaque. J'ai
beau frapper sur les parois de mon crâne, je ne peux pas m'en échapper. Mes
neurones réalisent ce soir le cauchemar le plus réaliste que je n'ai jamais
vécu.
Sous le costume d'un fantôme, je constate
seulement que la hantise existe. Les esprits ne dorment pas, ils se mettent en
veille... Je me suis activé grâce
à
sa remarquable insistance. « La petite fille au cerceau » entre dans ma
chambre. Son esprit se vivifie par l’attention que je lui porte. On dirait une somnambule. Elle
semble agir à
l'automatique. Cette fillette me colle aux basques. Comment tuer un fantôme ?
« La petite fille au cerceau », ne saute plus du haut
des toits. Elle m’apparaît trempée, de la tête au pied. Impossible
de lui parler tant elle pleure... Un flot incessant coule sur sa bouille en
poire. Mon corps semble ne pas s’en occuper, il dors comme un flan. Elle hurle et les loups du
bois lui font écho,
loin, dans le fond de la forêt... Même une flèche d'oiseaux s'élance du haut des cimes
mais tout l'hôpital
reste endormit.
Son visage transpire bleuté par le froid, sa
blondeur ternie éponge
de l’eau
qui ne cesse d’en
déborder,
froide et prête
à
geler. J'essuie littéralement
une tempête
comme si une tornade l'entourait et elle vomit un fleuve de larmes…
Sans issue de secours, je dois me
cacher finement. Ne plus me faire remarquer pour la laisser partir. Eurêka ! Entre le matelas et
le sommier, je me glisse. Je ne suis qu'un vêtement sale, chiffonné et en boule, je n'intéresse personne. Au
dessous du lit, propre et si bien tiré. Qu'il est beau ce lit. Elle ne m’a pas vu. Etre moche, ça sert à tout.
L'enfant bleu rase les surfaces dans
tous les sens. Celle-ci traverse les portes et les murs mais elle s'obstine à rôder dans ma chambre.
Bientôt, elle me découvre et fonce ensuite droit vers moi.
Zut ! Cette blondasse se faufile sous le sommier. Je me bouge de ma planque
avec angoisse. La petite fille ne me fixe pas, elle exerce sur moi une
possession sensible. Ne me scrutant pas, elle s'incruste en zombie. L’humidité de la pièce est irrespirable.
Elle flâne,
me mouille le pantalon et regarde en l'air. J'ose croire qu'elle dort toujours
debout.
Je me rassemble dans un coin, derrière la télé, au combien utile maintenant. Surtout, ne
pas faire de bruit. Elle traverse l’écran, le tube cathodique et à travers le cache arrière, je vois apparaître sa face. Ses yeux sont retournés dans leurs orbites.
Etonnant ! Elle voit où
je me place. Silencieuse et triste l’enfant me dévisage pour de bon, je suis prisonier , chiffonné dans l’ombre du coin supérieur de la pièce. Immobile, je stagne.
Elle finit de geindre et ouvre son visage à un appel désespéré, vers moi, la bouche grande ouverte. La
tronche innommable. Une déterrée,
sortie des marais. Elle vomit de la boue.
Après quelques souffles bien gaspillés par la peur... Je décide d'improviser pour établir un nouveau
contact entre elle et moi… Pacifier nos rapports.
- Tu n’as plus ton cerceau ?
Ma voix tremble. Elle geint...
- Perdu…
Je
me déchiffonne peu à peu.
- Tu l’as laissé tombé, du haut du toit
! C'est malin.
- Non!
Non! Non!
- T'as
raison c'est pas malin.
La vérité ne semble pas lui convenir, j'emploie la
diplomatie...
- Comment
expliquer les faits ?
- Perdu
!
- Qu’est ce que tu attends
pour le retrouver ?
- Ton
aide.
Je
n’aime pas sa façon de me reluquer. Se dégager vite fait semble primordial.
J'exige un plein tarif. Elle insiste et cligne des yeux.
- Bon
d'accord. Si je le vois, je le prend.
Insatisfaite, elle me prend en
otage. Elle insiste tout en m'y obligeant.
- D'accord,
j'ai dit d'accord.
J'ai pourtant horreur du chantage
mais j'accepte.
Se retournant dans la télévision, elle se l'approprie et pénètre dans l’écran. Elle veut à présent m'impressionner. Un esprit bipolaire,
gymnaste pimpante le jour et dépressive la nuit. Elle me hante… La lumière rouge s’allume, un éclair sursaute, elle devient l’actrice macabre du petit
écran.
La speakerine m'interpelle.
- Tu t’appelles Albin ?
On
voit son corps entier dans l’écran. Elle paraît toute petite, plus petite
qu'elle ne l'est déjà. Je lui réponds car elle va se mettre en colère...
- Oui, espèce de « Blondine »! Je
m'appelle Albin.
- Tu
es l'héritier
?
- C'est
exact.
Elle
a l’air encore plus déçue... Elle hurle à en faire vibrer l’image...
- Meurtrier,
meurtrier, meurtrier.
J'en profite tant qu'elle est plantée dans la télévision, elle ne peut pas saisir que j'ai déjà baissé le volume sonore à son insu. Dans le calme, je cherche un
moyen de me rasséréner. Tout délire de persécution mène à des actes irréparables. Je ne suis pas un meurtrier. Ils
ont tous fumé
du crack.
La boule de nerfs s'excite sous la
bulle de verre. Elle s'y cogne en tout sens. Je crains pour toute l'humidité qui en dégouline. Trouvons lui
vite quelques mots...
- Et toi ? Comment tu t'appelles ?
La
petite fille arrête de hurler. Je remonte le son. Elle réfléchit une
demi-seconde puis déclare.
- Blondine ! C'est mon nom.
Elle
répétait le surnom que je lui avait donné une minute plus tôt. Décidément sa
chute de tout à l’heure, lui à peut-être laissé des séquelles.
- Tu ne connais pas un autre prénom que
Blondine ?
- Si
! Je connais Juliette ou Mathilde. Françoise, Edmond, Léopoldine, Sophie…
Je n'en revenais pas...
- Tu
as oublié
ton nom ?!
- Non!
Non! Non!
Peut-être
était-elle morte depuis de nombreuses années et que tout ce temps écoulé lui avait fait perdre la
notion du temps et le souvenir de son identité.
La petite fille sans cerceau se
remet à
ruisseler de partout. Mon désarroi ne l'aide pas. Elle sort de l’écran et reprend sa taille normale. Elle s’assied sur mon lit qui
va effectivement devenir trempé. Écrasons.
J’éprouve
de légères craintes non-fondées depuis l’échange de ses quelques
mots. Bien que je sois remplis de deux envies contradictoires; soit lui offrir
ma compassion, ou soit, l'éjecter violemment de chez moi.
- C’est un très joli prénom : Blondine.
Je choisit la solution de la tempérance afin de la
consoler.
- Tu
parles ! J’aurais
pu m’appeler
Fleur ou Jessica. Cindy, Pénélope,
Suzy, Jasmine et Laetitia. Blondine, c’est vraiment moche !
Je
suis assis à coté d’elle. Je ne comprend pas son petit jeu, elle doit avoir un
petit pois dans le cerveau... Mon jean
commence à se mouiller. Elle n'est plus qu'une fontaine…
- Alors choisis-en un autre… Il y a
plein de jolis noms dans la vie.
Ma
couette est comme une éponge pleine de larmes. J'aimerais emporter Blondine
jusqu'à la fenêtre pour sauver mon lit du déluge.
- J'ai perdu mon nom...
- Ne
t'inquiète
pas Blondine, je vais te le retrouver.
- Et
mon cerceau ?
- Ton
cerceau aussi.
Blondine
est un fantôme particulièrement déprimé. Mais je refuse qu’elle fasse tomber
mon corps dans la maladie. Avec tant d’humidité, Albin va attraper la grippe.
Elle semble avoir perdu ses repères, et ce, en plus de son cerceau et de son
nom.
- Ton cerceau, où est-il ?
- On
me l’a
volé
!
L’enfant
lache de nouveau son attention, frôle toutes les surfaces à nouveau. Faisant
son Zombie, elle erre. Son regard vague et rempli d'indifférence ne m’empêche
pas de subir l’influence néfaste de sa présence dans mes appartements. Le sens
de la tête n’ayant plus aucune importance pour la circulation du fluide, elle
erre en tout sens, m^me la tête en bas. Si je l'ignorais ? Elle me fatigue
trop. Ma nuit passe. J'ai besoin de sommeil.
Son aisance d'acrobate parait révolue. Une tristesse
passagère
et forcément
nocturne. Le petit bout de dynamisme s’est complètement ramoli avec la tombée des étoiles. Un indigo
profond colore cette nuit. Cette fille est apathique au point de vous donner l’envie d’en finir. Trop tard, je
suis déjà mort. J’ose croire que l’aube apportera une
illumination à
son sujet. C’est
bientôt
le bout de la nuit.
Sa présence est dérangeante. Ses pleurs sont agaçants. Je n’ai qu’une idée : rejoindre Jean cinq murs plus loin.
Malheureusement la porte de ma chambre est fermée. Je n’imagine pas encore traverser les murs.
- Oh!
Arrête
maintenant.
Le fait de la voir tourner en rond
et circuler de long en large ne me dérange plus. Je la plains seulement.
- Tu
connais les secrets des fantômes ?
Blondine murmure des consonnes
inaudibles. Elle parle pour elle-même. Tant pis pour elle. La lumière des étoiles commence a faiblir. Je connais
l'utile. Son cerceau et son nom sont perdus. Mais qui est à la base de son malheur ? Cet enfoiré qu'on appelle Dieu ?
- Qui
? Dis-moi qui t'en veux ?
- La mort !
Je
confirme que ce mot dans la bouche d’une enfant givre toutes mes paroles.
Lentement, de ma colonne vertébrale, s'initie un frisson remontant le long de
mon sacrum jusqu'aux cervicales.
J’imagine soudain un esprit à l’apparence squelettique dont la peau fine comme
du parchemin se craquelle dans les fosses de son visage. ( Veillez, car vous ne
savez ni le jour, ni l'heure. ) J'en ai la vision d'un être maléfique et hilare
dans son habit tenant et tournant au bout de sa faucille, le cerceau rose de la
pauvre petite fille.
- Ridicule !? Comme si la mort était
une faucheuse...!
Blondine m'arrête illico.
- Ne
rigole pas.
Blondine
se retourne vers la fenêtre ne maitrisant plus ses murmures gromellants et
grandissants. Que puis faire ? Même arrogant, je suis inutile. Jean est devenu
indispensable dans cette situation, j’espère qu’il pourra quitter son corps ce
matin.
Je me demande si Jean à été formé à la pratique de l'exorcisme. J’ai peut-être tort de la laisser
dans ses messes basses, car elles sont de plus en plus nerveuses et je ne sais
comment les calmer. Sa tête me fixe à nouveau. Elle me jette un œil globuleux pour ensuite m'ordonner de le
ramasser.
- Ramasse-le ! Tu verras l'emplacement
exact du cerceau.
Cette
voix n'est pas la sienne. Je tremble et me baisse à genoux pour prendre cet œil
qu'elle vient de me lancer. Elle a été élevée à la morgue pour que tous ses
gestes soit autant morbide... Qui vous lancerais son œil dans la rue ?
Personne, ou vous vous encourriez. Mais j'ai pris mon courage en main. Même si
cela me répugnait, j'ai ramassé l’œil pour ne pas la vexer. J'aurais pu
l'écraser d'un coup de pied. L'aube n'allait pas tarder. Cinq murs à cloisons fines, je pourrais me
dépasser enfin. Je cherche finalement bel et bien un exorciste...
- Regarde dans la pupille !
- D'accord,
d'accord. Il y a pas de mal.
Je
regarde dans l'oeil et une image m'est apparue du fond de sa pupille. En un
éclair, la chair de poule. J'ai vu son cerceau dans un coin sombre plein de
toiles d'araignées. La mort laissait pourrir son jouait dans un coin
poussiéreux. Après, vous ne me croirez pas. J'ai vu Kapla, mon chien, mon ami,
revenir vers moi du fond de l'oeil.
Le mur est devant moi, j’ai l’œil serré dans ma main comme une
boule de crystal. Pour mon esprit rationnel, ma situation est incertaine.
Improbable, folle. Qui croirait, une
fois dans sa vie, passer au travers d'un mur ? Qui passe au travers d'un mur ?
Pas même
la lumière,
le son. Il faut donc aller vite, très vite. Je lui relance son œil. Elle récupère la vue. Je prend mon boulet en main et
je cours. Je cours, non plus pour oublier le malheur, mais pour le traverser.
Je cours accélérant, je ne suis plus énergie et la matière qui me compose est
plus fine que jamais. J'avance net, sans hésiter, droit vers le mur... Paf !
Je suis assomé directement ! Ouille ! Sonné comme une cloche, les étoiles tourne autour de
moi. Le bruit sourd du choc à du réveiller
tous les esprits de l'hôpital.
Ma tête
raisonne encore du carambolage, ma colonne tassée et ma taille réduite sous l'ampleur de la collision.
Blondine se tient le ventre des deux mains... Elle se tord comme un chiffon.
- Tu es un très mauvais passe-muraille
!
Même
mon corps, étendu sur son lit, a l’air d’en sourire avec nous. Blondine se
marre comme jamais. Elle se moque et m’ensevelit de ridicule couche après
couche.
Je ne savais pas qu’il y avait une école…
- J'ai
appris naturellement... Il te faudra plus d'un essai apparemment...
Je
suis heureux qu’elle puisse s’amuser car elle a enfin finit de pleurer, elle
aurait pu me dire ce qu'elle attendait, rire un bon coup !
Le matin s’annonce et Blondine reprend ses couleurs
du jour. Elle est de nouveau sèche. Son tutu récupère
lentement la forme d’une
corole blanche. Le ciel s’éclaircit légèrement.
Quelques étoiles
résistent
encore au dela de la fenêtre. Elle perd son teint bleuté pour ses petites joues rosées du matin.
- C’est donc à cause de mon boulet que
je n'ai pas pu traverser ?
- Bien
sûre
que non !
Elle
en retrouve son regard d’enfant.
- Hi
! Hi !
La porte fermée dressée face à moi est un bouc émissaire. Les murs m'ont humiliés ? Je hais les murs.
Voilà
qu'ils sont devenus mes ennemis. Je constate leur solidité avec amertume, ils semblent tous se
blinder d'orgueil, et s'épaissir pour me rendre la tâche encore plus ardue. Je crois que je
boude et Blondine frotte énergiquement mon crâne pour éviter
la bosse.
- Il
faut demander...
- Comment
ça
?
- Interpelle-le...
- Qui
?
- Le
mur. Il est vivant.
Elle
dit cela comme on dit une évidence... Je suis profondément imbécile face à son
aplomb. Demander la permission à un mur ne m’a jamais traversé l'esprit. La
lumière s’est levée et fraiche comme le jour « la petite fille sans cerceau »
est repartie sur le premier courant d'air, un souffle minuscule, sur lequel
elle a glissé, en plongeant à travers la vitre.
***
Je monte en altitude, les grands
courants sont surprenant. Ils s'allongent et s'étirent dans le ciel. D'énormes courant d’air en forme de serpents
géants
sans tête
ni queue car ils paraissent infinis. Ils emportent les êtres un peu plus loin. Mais où ?
Je vire légèrement en amorçant une belle boucle pour revenir en
douceur. Saint-Martin s’étale
sous mon esprit voyageur. La ville m’appartient. On le savait.
Les petites maisons sont bleues dans
la cité
montagnarde. Les couleurs sont vives et le temps nuageux. De grosses masses
d'ouates forment d'énormes
coussins moelleux suspendus dans l'espace azuré. Je voyage au dessus et en dessous.
La façade Nord est entièrement peinte en blanc, j'observe également les toits en
tuiles rouges de l'hôpital
qui présentent
un surprenant couvre-chef pour un parpin géant.
Je file vers la 303,
traverse la vitre et atterris. Jean m’applaudit vivement.
- Premier
vol réussit… Bravo !
- Bientôt, avec ma force, je volerai
jusqu'à un grand courant. Je leur dirai ce qu'il
se passe dans les autres galaxies. Ou au delà, toujours au delà du monde créé.
- Belle
ambition ! Un peu niaise.
- C’est la journée des exploits. Je
sens que rien ne me résiste !
- Tu
as réfléchit à ma devinette ?
De
quelle devinette parle-t-il ? Jean a tellement de mauvaise blagues que j'ai des
difficultés à m'en souvenir et pourtant, je me la remémore peu à peu...
- Oui, j’y ai réfléchis…
Il
m’inspecte du regard... Bien sûre, je n’y ai pas pensé une seconde… Il insiste
pour que je lui donne la réponse sur les pigeons et les moineaux. Je raisonne à
voix haute pour gagner du temps:
- Pourquoi les moineaux sautillent et
pourquoi les pigeons marchent, non ?
- Oui,
c’est
justement ça.
Le
vieil homme veut me faire comprendre l’enjeu de la question. Il mime, avec ses
deux doigts sur les draps, pour me le faire rentrer dans la tête.
- Le pigeon…
Son index et son majeur se suivent l’un après l’autre sur la toile blanche.
- Le
moineau…
Les deux doigts de Jean bondissent
jointe ment sur le tissu cotonneux.
- Ne
me prenez pas pour un imbécile ! Je suis moins bête qu’un cochon.
- Tu
me vouvoies ?!
Je
trouve qu’il prend un air trop supérieur, comme si mon ignorance le rendait
plus fier qu’un coq. Voilà qu’il m’a rendu grognon. Bon, c’est vrai, je suis un
petit râleur prétentieux et je n'ai pas vraiment dormis de la nuit.
- Un cochon ne ronfle pas, il grogne !
Je faisais référence à son ancienne mauvaise blague.
- Tu
as entièrement
raison.
Cela
lui apprendra à faire des blagues qui n’ont pas de sens. Les cochons n’ont
jamais ronflé. Il reprend son air sérieux, un air si sérieux que Jean
m'impressionne pour la première fois. Il prend dix ans sur le coup. Je ne
voulais pas être méchant, seulement qu'on ne m'agace pas ce matin !
Après tout, j’ai fais un sacré cauchemar cette nuit, et très réaliste. Je suis désolé que cette discussion parte en sucette. Je
n’ai
jamais aimer les sucreries, ni les blagues sur les sachets de bonbon ! J'ai les
bonbons cassés
alors pas besoin de me les sucer ou j'en fais de la poudre à cannon. Quand allait-il
comprendre que je n’aime
pas ses subtilités.
Quel caractère
hautain, il n’en
fait qu’à
sa tête
! Je ferais mieux d’aller
regarder télé-boutique avec la
vieille de la 304.
- Toi, tu t'es levé du pied gauche !
- Je
ne voulais pas rater le rendez-vous.
Nous devons rencontrer la fameuse
blanchisseuse aujourd'hui.
- Tu
verras, elle est surprenante.
Je
crois que Jean a le béguin pour elle, la preuve en est qu'il s'est habillé sur
son trente et un.
- En tout les cas, j’attends ton
exploit!
Sévère,
il me tourne le dos soudainement en claquant des talons. Quel exploits? Je
viens de lui montrer que je pouvais voler aussi bien que tous les super héros
de mon enfance. Je crois qu’il a remarqué que je n’avais pas beaucoup dormis.
Alors ce salaud doit vouloir en profiter. Dans son coin, il soupire
lamentablement sa remarque...
- Donc les devinettes ne t’intéressent
plus !
Jean
est-il véritablement faché ou se moque-t-il de moi, en me renvoyant mon reflet,
boudant à ma manière, les bras croisés... Son visage se resserre et il penche
la tête comme par déception. Je le vois parce qu’il se reflète dans le miroir,
au dessus de l’évier. Heureusement, je le connait déjà trop pour que tout cela
m'apparaisse comme une bête et simple mise en scène dont il a le secret. J’ai
peur qu’il se mette à grogner. Je ne le veux absolument pas alors je fais un
effort pour lui répondre, même si la question ne m'intéresse pas.
- Peut-être que le moineau a de trop
petites jambes alors il a développé le sautillement ! Performance
exceptionelle pour enfin rivaliser avec le pigeon. Qu’est ce que t’en dis Jean ?
Il
garde son dos comme façade et baisse la tête. Il se retourne et je le vois qui
sourit dans sa barbe. Jean est de nouveau content. Que même content, il n’est
pas satisfait. Il négative de la tête. Il lève le bras, devant lui, jusqu’à
mettre son poing en évidence. Le pouce jaillissant du poing à l’horizontale, il
joue à l’empereur. Sa sentence est proche. Jean croise son regard et tire sa
langue. Mauvaise réponse. Il fait tomber son pouce.
- Puisque tu es de mauvaise humeur. Je
te pardonne ton mauvais point.
Mais, ne te lasse jamais
de chercher ! Je te le dis, le bonheur est dans la découverte.
Donc
j'attendrai pour sa réponse débile. Il m’a caresser comme si j’étais un petit
chien. Depuis quand me donne-t-on du sucre pour avancer ? Quand il se moque de
moi, il fait le clown. Il louche et je n’aime pas sa façon de me regarder.
Cette fois-ci je ne vais pas surenchérir avec un ivrogne. Puisqu’il joue à
l’avare de ses résolutions d’énigmes bidons, je ne lui expliquerai pas ma
hantise de cette nuit. Na!
Jean est en train,
bizarrement, de déserrer une vice, celle d'une grille, sur le mur de sa
chambre, je le regarde perplexe comme pour le questionner silencieusement, il
s’excuse, sourit de sa petite feinte stupide et passe bien évidemment à travers...
-
Viens, dit-il, je connais un passage secret.
Il
est 9h45. Nous descendons par les conduits d’aération. Ne me demandez pas
pourquoi il ne nous a pas trouver plus compliquer comme chemin ! Jean est d’une
humeur décadente ce matin… Il a lancé le jeu du « plus malin » je dirais. Je
trouve que pour quelqu’un qui a passé la nuit à consoler une enfant possédée,
j’ai bonne mine, moi. Il n’a pas intérêt a me gonfler.
Tous les deux
coincés
dans le conduit, sardine contre sardine, voilà ce qu’il me trouve a redire.
- Je travaillais dans le bâtiment.
- Comment
ça,
vous n’êtes
pas prêtre
?
- Arrêtes de me vouvoyer !
Passer dans ses conduits me glace le
fluide mais j’apprécie le frisson. C’est le métal qui fait ça, le fluide réagit. Jean va me
raconter sa vie. J’ai
pas envie de le confesser de plus que je savais qu'il me mentait..
- Je
connaissais tout les secrets d’une maison.
Apparemment, il est sérieux comme du marbre et
j'apprécie
enfin sa franchise. Il n'aurait donc vraiment jamais été prêtre.
- J’aurais voulu être architecte, mais je
suis resté
ouvrier.
- Et
maintenant, tu es quoi ?
- Ouvrier.
Pas le temps pour les études.
Il fallait du pain à
la maison.
- Mais
ce n’est
pas grave...
Papa m'a toujours dit de respecter
les ouvriers car on avait bien besoin d'eux. Je fais de mon mieux.
- Vous
n'êtes
pas prêtre
alors ?
- Tutoies
moi, je te dis !
Je suis comme un salami géant entré dans la peau d’une saucisse sèche. Les tuyaux
deviennent de plus en plus étroit au fur et à mesure que l’on avance. Je le questionne…
- Mais
pourquoi vous me l’avez
fait croire ?
- Cela
me faisait rire que tu puisses croire un truc pareil ! C'est tout.
Je suis tout entièrement pressé, racrapoté alors que Jean,
lui, réussit à se faire rapetisser.
- Allons,
dépêche toi Albin ! Je lui
ai dis dix heure !
Il se moque de moi. Comment il fait
pour rapetisser de la sorte ? Et pourquoi m’a-t-il menti ?
- On
m’appelle
«
le prêtre
»
mais ce n’est
qu’un
surnom. Je suis bien plus que cela.
Et toi, tu l'a pris au pied de la lettre... N'importe qui, qui me connait un tant soit peu sait que je
dis des conneries et que c'est cela mon vrai métier. Dans
le monde de Saint-Martin, il n'y a plus de clergé depuis déjà belle lurette.
Il n'y a que toi pour tomber dans le panneau, ici, les prêtres n'existent plus.
Il
a le don pour me mettre en râle dès le début de la journée. J'ai remis les même
vêtements qu'hier. Jean est vêtu d’un costume beige très élégant mais sans
cravate, simplement chemise avec col ouvert. Jean a franchement mit trop de
parfum. Manifestement la blanchisseuse lui a vraiment tapé dans l’œil.
- Et puis, il paraît que j’ai toujours
un bon petit conseil sur la langue. Je réserve une
écoute attentive aux amis. Du moins, à la demande…
C‘est
moi le gros, c’est lui le petit. Je suis coincé, je n’avance plus, on taille
une bavette... Comme si on avait que cela à faire.
Jean est exquis dans le rôle du vieil homme qui se
prépare
au rancard. Il s’attache
un foulard de soie blanche au col. Cela lui donne un genre inattendu. Une espèce de vagabond ancestral
perdu dans le cliché
mafieux, d'un vieux film italien.
- Elle vous plait cette blanchisseuse ?
- Penses-tu
!
La voix n’y est pas. L’accent français n’a pas de saveur. Jean est à présent minuscule et il sort de sa poche, un
sac, et du sac, un genre d’énorme chaussette en patchwork. Son genre anglais doit rester
entre nous, car il est lamentablement épuisé.
- Il
est trop petit ton passage secret !
- Pas
pour moi !
Le
jeu du « petit malin » avait déjà commencer depuis au moins une vingtaine de
minutes. Tout cette préparation l’amuse. Jean continue à diminuer, il a l’air
de moins en moins impressionnant. Rien à faire, je reste pantois. Voilà encore
une performance que je vais devoir acquérir.
Il jette le plastique comme un bon
vieux pollueur. Mais puisque le sac est minuscule, on va laisser passer…
- M'abandonne pas, Jean, je suis coincé
!
- Albin,
toi, coincé
?
Il
ne craint vraiment pas le ridicule avec tous ces petits carrés de couleur sur
son minuscule sac-de-couche. Le drôle d’ami s’y glisse sans l’ombre d’une honte
comme dans une grenouillère.
- Elle m’attend ?!
- J’espère pour toi.
- Oui,
elle m’attend
!
Je
ne comprends pas. Cela lui permet-il de ressembler à un imbécile heureux ?
Pourtant, je n’ai rien contre les imbéciles. Mais si en plus ils se permettent
d’être heureux !
Je crois que j’hallucine, Jean est
vraiment amoureux. Il veut tout simplement que je ne lui tienne pas la
chandelle et que s'attende ici entre deux soupiraux. Ce cirque a assez duré, je retourne dans ma
chambre...
Il est bien sûre obligé de me faire un clin d’œil en roucoulant comme
une colombe. Ces adultes croient toujours qu’il est indispensable de gagatiser pour qu’un adolescent comprenne.
Si tu voulais un rendez vous coquin, il ne fallait pas me demander de venir.
Imbécile!
Personnellement, je crois que l’amour devrait être pris plus au sérieux par les autorités. Il faudrait faire des tests avant de prendre le volant.
- Toi, tu veux m’empêcher d’être
heureux.
- Non,
je constate seulement que tu n'as pas besoin de moi.
- Es-tu
jaloux? N’as-tu donc pas d’amoureuse ?
Il est vrai que je ne lui ai jamais
parlé
de Zoé.
- Je
vais rentrer...
- Ah
non, tu viens avec moi.
Et
il me vole mon chapeau. Il croit donc qu'il va m'y obliger en subtilisant mon
couvre-chef. Il mord à l’hameçon mieux qu’une truite. Je voulais venir avec
lui. Cela me permettra de saboter son rendez-vous. Une minuscule truite arc en
ciel dans une chaussette anglaise, quelle honte, je ne peux pas le laisser se
présenter de la sorte. Vaille que vaille, à la lance, directement dans le
torrent, pas besoin d'appâts, je vais le transpercer en plein cœur, ce bouffon
bariolé de couleur, aussi stupide et improbable qu'un arlequin soit romantique.
- N'est
tu pas en train de cultiver ta mauvaise foi.
- Bien
sûre
que non.
- Alors,
pourquoi ne m'as tu pas simplement avoué que tu étais de mauvaise humeur ce
matin.
- Parce
que cela te plait, toi, d'être un imbécile heureux.
- Je
préfère cela à l'intelligence
malheureuse.
Au lieu de m’apprendre le manuel du parfait petit fantôme, il me fuit lâchement et je reste
coincé
dans les conduits d’aération. C’est un adulte
irresponsable, capable de rapetisser peut-être, mais complètement irresponsable !
- Pourquoi tu ne m’explique pas comment
tu fais ?
- Tu
n’auras
qu’à
mesurer la taille que tu mérites !
Il
est fatiguant, ce vieux qui m’humilie devient exaspérant. Alors, je l’imagine
sans son dentier… Voilà qui est bête
mais quitte à changer d'humeur.
- Tu suis n’importe qui, n’importe
comment, Albin!
Tes parents t'ont
surement appris à
ne pas suivre les inconnus.
- Mais,
je te connais...
- Pas
si bien Albin, pas si bien...
J'essaye de récupérer mon chapeau d'un coup de patte mais il
m'esquive d'un bond de chaussette et le lance malgré tout, loin devant, dans le tobogan, bien
qu'il soit si encombrant pour lui étant-donné sa petite taille. Mon couvre-chef dégringole dans le système de ventilation de l'hôpital et je ne l'aperçois déjà plus...
- Tu
m’excusera
mais j’ai
une déclaration
à
faire…
Jean
est un adepte de la glissade en patchwork, je ne connaissait pas la discipline
mais il a bondit d’un coup dans la descente. Je suis pourtant éblouis par sa
forme exceptionelle pour plus de trois vingtaines accumulées...
Moi je suis toujours coincé dans le diamètre de quarante centimètres, impossible d’avancer. Lui, à le voir, on croirait qu’il a joué à la luge toute sa vie chez les
lilliputiens. Il est déjà hors de ma vue, comblé de satisfaction avec
son tissu rapiécé à se moquer des autres gamins en les
montrant du doigt. A mon avis, en esprit, Jean n’a peut-être pas dix ans.
- Albin…Je t’attends en bas !
Sa
voix vient du fond du tunnel. Le tuyau d’aluminium me libère sans contrainte,
je passe au travers. Suffisait de demander. J’aurais pu rester à l’intérieur si
il le voulait. Mais me voilà enfin libre de suivre le chemin qui me plaira.
Rien à redire des murs
de briques ou de la bonne couche de beton. Je suis un passe muraille
hors-paire. Je m’y donne a cœur joie d’étages en étages. L’esprit de Jean va
m’entendre ! Je marmonne ma sentence entre les dents !
- Esprit
Malin !
Je
descends jusqu’au niveau –1 en travers des cloisons, le boulet bien au pied ce
qui me donne un genre très réaliste… Je
suis près à lui faire la peau éthérique… J’ai la sournoise envie de devenir
frappeur… Dommage que les esprits ne font que s'effleurer ! Jean n’accepterait
pas un duel, les grands esprits se rencontrent mais ne se croisent pas… Mes
pensées m’échappent et Jean reste introuvable.
Jean
me cherche, il m’appelle du bout du couloir. L’homme est de nouveau de taille
normale, je crois qu'il risque de garder son petit secret, en ce qui concerne
sa capacité à rapetisser. Après tout, les grands cuisiniers gardent toujours un
petit mystère quand ils partagent au marmiton l'une où l'autre de leurs
recettes.
- Ah, te voilà ! Chacun trouve son
chemin, alors !
Il
me remet mon chapeau. Et je me décide de faire la paix en lui serrant la main,
bien qu'on ne se soit pas disputé, je perd beaucoup d'énergie dans mon
énervement, alors que j'en ai déjà peu récupéré cette nuit.
- Il ne faudrait pas que tu manques de
mots pour ta déclaration !
- Donc,
tu viens m’inspirer
pour lui témoigner
ma flamme ?
Demande-t-il,
tout attendri… Attendrir un vieux, c'est comme faire baigner un steak de cheval
dans du jus d'ananas, cela attendri les fibres, je l'ai vu avec la vieille de
la 304 qui regardait une émission de cuisine ce matin. Et, à moi, de répondre
naïvement…
- Oui. Ce serait bête d’avoir un blanc
dans le discours !
Jean est plié en seize.
- La
blanchisseuse…
C’est
trop facile de pousser Jean à se tordre. Je n’ai même rien du faire. Il est une
salle de spectacle à lui tout seul. Il ne demande que ça.
- A première vue, tu n’avais pas besoin
de moi !
- Tu
verras, tu ne serras pas déçu de la rencontrer.
Nous
n'avions pas vu que la blanchisseuse noire nous observait déjà depuis le coin
supérieur de la salle des machines. Il ne me vient qu’un mot mais Jean le dit
en premier.
- Déesse !
Toutes
les lessiveuses s’enclenchent en même temps. La blanchisseuse se pare de suie
pour son rendez-vous et se cache sous un gros nuage épais, en nous fixant. Elle
charge son corps éthérique en une masse sombre dans notre direction. La flamme
en son centre est suffocante. Chez elle, la flamme broie du noir. Chez Jean et
moi, le cœur lumineux de notre fluide est plus radieux parce que finalement, ce
matin, on s'est bien amusé.
- Nous devons prendre soin d'elle,
Albin. C'est un cœur pur.
J’ai
presque honte d’avoir tant rit. La femme laisse apparaitre son dessin de courbe
et d’élancement. Elle est la féminité, belle jusque dans les cendres et la
crasse. La poussière qui l’accompagne est éphémère et ne salit en rien les
alentours. Elle a fait de la blanchisserie son manoir. La suie qui gravite
autour de son épais vêtement lui revient au cœur. Cette beauté de l’ombre
découvre à présent son visage du voile qu’elle portait.
Elle est triste, aussi, cette
blanchisseuse. Quand elle arrive, je constate que je suis tout autant triste,
instantanément.
Elle ne résiste pas au regard attendri de Jean le bâtisseur. Elle s’avance vers celui qui
lui dégaine
son cœur
plus vite que son ombre. Il est le corps en avant, le genoux en terre, la main
droite sous l’aisselle
gauche.
Depuis
l’arrivée de madame le spectre,
le jeu du «
plus malin »
s’est
tout naturellement estompé. Jean est sans voix face à la colone d’épaisse fumée noire d’une « bimbo apparition ». Finalement l’expérience étrange qui vient de nous arriver prouve
quelque part que dans cet univers les esprits n’ont jamais d’age.
***
Tranquille
comme l’eau qui dors, il prend soin de plier son sac-de-couche en patchwork et
le pose à terre. A peine troublé, il se rassemble après avoir déposé à coté du
sac, le poste radio qui en est sorti. De sa paluche moite, il l’a déposé près
du mur, joint à l'hideuse couverture.
Cécilia, car elle se nomme ainsi, m’apparait charmante,
pleine de vie malgré
sa couleur... Et c'est une très mauvaise blague mais qui fait tellement de bien quand on comprend que les esprits changent de couleurs
selon le pied qu'ils ont posé au sortir du lit... Je serais heureux qu'un jour, l'université puisse reconnaître la poésie comme une science
exacte. Tout en elle ne se découvre que par murmures comme Cécilia. Sur sa respiration sereine, une
voix calme et posée
s’exprime.
Elle aussi est branchée
sur radio silence. Depuis ses gestes, jusqu’au regard, sa prestance est au prolétariat la noblesse du cœur. Sale, sortie de la
mine, couverte de cendre, elle est la blanchisseuse noire. Reine des petits et
du linge blanc, elle accueille, en elle, la salissure de vouloir sans cesse se
blanchir… C’est con la poésie.
L’homme est fatigué, la bonne tête ronde et la sueur au front, il se prépare. Il prend dans ses
mains de la confiance et se la jette au visage. Un geste virile pour essuyer
son crâne,
il passe de la manche au coude pour laisser tomber le bras comme un chef. Jean
déboutonne
son veston couleur d’un
sable du nord. Il se sent l’âme de Venise pour parler à sa muse. Son regard brillant, à dix mètre à peine, me laisse
craindre le pire…
- Mais je cassait rien, et je passais
pas non plus. Ça passe ou ça casse ?
Non ! Jamais !
Toute
ma vie, j’en ai vu passer, et passer! Pour passer sans rester. Ça passaient pour passer. J’avais beau insister pour
qu’elles restent, elles me répondaient : c’est du passé.
Parfois il y en avait qui me demandait : t’as passé
? Je me rassurais : non ! Qui aimerait pour se faire dire, tabassé ? Alors,
comme elles me dépassaient, moi, je préférais leur donner mon laisser- passer.
Puisqu’elles passaient à coté de moi, je
m'inquiétais et je leur demandais
: ça passe ? Et elles me giflaient…
Alors j’ai
dit : suffit les tours de passe-passe !… Je fonce droit devant ! Une passe,
deux passes, trois passes, et de passades en passades tout y passait sans compassion. Sans passion,
nous y passions. Alors, j’ai traversé une mauvaise
passe. A tel point que j’en était arrivé au monde du passage. Passablement,
j’avais trépassé…! Surpassant tous les passant qui passaient leur temps à passer par là,
j’ai constaté que le temps s'impatientait de mon impasse. Alors j’ai pensé, que penser, on
pouvait très bien s’en passer ! Puis, je
vous ai vu repasser comme un ange et je me suis dépêcher pour m’empêcher la repêche
de pêcher cette bonne pêche… Ah ! Le
pêcheur pêche…!
Alors j’ai sortis ma canne. Et j’ai demandé : ça casse…? Et elle m’a répondu…
- …ça passe !
- Oui
! Toujours l'inverse. Ça
passe où
ça
casse ? Jamais. Ça
casse ou ça
passe.
Cécilia
s’est amusée… J'applaudis pour le spectacle. C’est sans prévoir ce qui allait
suivre. Jean est à tout moment capable d’un flop. Si je m’ennuie je n’aurai
qu’à regarder les jambes de Cécilia. Elle se réchauffe dans les yeux mouillé du
clown. Pour rire de la folie du viel homme, elle oublie un peu la sienne.
- Nous, nous connaissons ?
- Vous
me connaissez…
Cécilia
est sa partenaire. Ils sont tous les deux plus jeune qu’il ne le sont. Jean
m’éblouit tellement qu’il brule et s’illumine. Cette mise en bouche alléchante
le met en appétit, sa muse a des papillons dans le ventre et se le caresse.
Beige et marron, non plus blanc et noir, le couple m’envoute. Pour moi, elle a
mon age. Elle reste suspendue à son discours dans l’espoir de s’enflammer
autant que lui. Chacun y va de son embrasement. Ils jouent ensemble le rôle de
leur vie avec la flamme des premières fois.
- Oui, je vous connais.
A elle de répondre.
- Mais
d’où me connaissez-vous ?
- Je
vous attendais.
- Depuis
quand ?
- Avant
de naitre !
Cécilia
n’y croit pas, elle ferme les yeux. Je trouvais aussi cette réponse un peu obèse.
Elle confirme.
- Personne ne m’attend...
- Moi
non plus. Je ne vous attend pas. Vous êtes là !
Jean
caresse de sa grosse main d’enfant le visage rond de sa belle. Il lui pince sa
joue et écarte du pouce la larme cristalline, une fine goute qui s'écoule sous
son œil clos. Cécilia ouvre les yeux très doucement. Jean la soutient dans le
dos. Il la fait chavirer dans un embrassement tendre et soigné où il aime
à pencher son nez dans sa poitrine.
Leurs mains unie droit devant, ils sont en position pour un tango.
- Comment le pouvez vous ?
Je crois qu’elle parle d’aimer...
- Tout
est possible mais pas sans vous. Avec vous, je peux tout...
Cécilia
défait la pince de sa coiffe et en laisse ses innombrables cheveux épais se
défaire un à un de son chignon.
- Maestro?
Musique
! Le poste radio s’enclenche. Brusquement surpris, je constate que l'argentine
s'est dés inscrite du programme, pas de tango, cela ressemble à une valse
viennoise. Il sont manifestement très doués à la danse, pas après pas, ni
reproches, ni croche-pied, l'aisance incarnée. Ils gravitent ensemble dans
l’espace de la salle des machines. Ils s’envolent… Elles essorent… Ils dansent
en apesanteur…
Jean
ne saisit plus consciemment ce qui lui arrive, ils sont dans une bulle de
savon. Le parfum de l'adoucissant envahit la pièce. Il semble transporté dans
l’ivresse et imperturbablement consacré à cette danse.
- Continuons à valser, tu veux bien ?
La
question n’a pas de sens, leur complicité sans nulle egal, ignore innocemment
la concurrence amoureuse. Ils vivent en mouvement le balai des astres, aux
dessus des centrifugeuses tremblantes et vrombissantes.
Je me bouge jusqu’au mur pour monter le
volume. J'assiste en direct à la plus belle partie du fantôme de l'opéra. Je m’assied sur son patchwork, soigneusement
plié,
il m'apparait finalement douillet et confortable. Je tourne le bouton rond de
la radio, pour qu’ils
profitent mieux de l’orchestre,
le volume s'élève malgré le baffle unique. Les
deux amants s’épanouissent,
Jean est ému
au larme, Cecilia sourit jusqu’aux oreilles. Leurs lèvres se veulent, autant l’une que l’autre. La situation est attractive sur un
point autour duquel ils gravitent gaiement, inévitablement la sensualité l'emporte …
Je fais mine de ne pas les regarder,
en imaginant très
fort que le plafond m'intéresse. Je le scrute de fond en comble sans rien apercevoir
excepté
quelques auréoles
d'humidité.
Je ne voudrais pas voler ce petit bonheur de jeunesse retrouvée. Alors ils
s'harmonisent sur un point fixe et s'embrassent. La beauté du spectacle impose le voyeurisme mais
pas sans le malaise de l'intimité violée.
A ce stade, mon rôle est finit, j'ai débarrassé la table et les hors d'œuvres, vérifié que l'orchestre
symphonique n'allait pas s'arrêter de si tôt. Ne comptez pas sur moi pour faire le majordome toute la journée. Tout est rougis de désir dans cette
blanchisserie. Si vous voulez passer à la gosse pièce, ce n'est pas mon affaire. Je fuis.
- Faites comme si j’étais pas là ! Je
m’en vais...
Jean
m'interpelle un instant, il est déjà torse à poil. Ils me parlent mais c’est
pour lui qu’il dit...
- C’est l’occasion ! C’est l’occasion…
regarde cette beauté.
Raison
de plus pour m'en aller. Où que je regarde ils sont prêts à s’aimer. Cécilia est mieux que ravissante, je ne peux
l'expliquer, elle émane la beauté... Sauf que ses membres se densifier peu à
peu, la cendre qui gravitait autour de d'elle s'est déposée au sol. La femme
noire laisse apparaitre ses formes qui se dévoilent splendides, et à ma grande
surprise, j'aperçois sur son corps une quantité croyable d'entailles. Des
scarifications innombrables la ponctuent un peu partout... Me voilà voilà
dépité et mes yeux se mouillent de compassion en un instant.
Ils se mangent littéralement. Je me frotte les
yeux pour vérifier
si j'ai bien vu... Malheureusement, la photographie est encore plus déplaisante au second
regard.
Jean ne donne pas l'air de s'inquiéter de ses blessures
tapissant son corp de plaies. Il est certainement dans la confidence de cette affreuse
mutinerie, ou peut-être
pas. La confiance de la blanchisseuse est totale, elle lui laisse le soin de
caresser des marques de violences. Cette femme resplendit, très belle, fragile, mais
lui, cela ne m’intéresse pas de le voir nu,
vous comprenez... Le malaise s'installe, mon esprit se fige, immobile sur la
question.
Pourquoi est-elle tailladée sur sa peau, pourquoi
tout son corps qu'elle dénude m'apparait meurtris à plusieurs endroits. Des centaines et
minuscules petites entailles qui l'ont peut-être conduite jusqu'à la mort.
Ils sont jeunes et frivoles, sans
age. Il sont tous les deux nus comme aux origines, déjà sauvages et dévêtus à l'instar de la nature. Cécilia met ses mains sur
ses seins en clignant de l’œil dans ma direction. J'ose à peine répondre.
- C’est une invitation ?
Jean s'esclaffe.
- Oui,
Albin. Une invitation qui dit quoi ?
- C
'est bon j'ai compris.
- Merci
Albin.
- Je
vous laisse.
Cette réponse rapide et
clair me remet en mouvement. Il devient temps pour moi, de faire un tour pour
changer d’air. Après tout, certaines actualités ne me regarde pas, tout n'est
pas digne d'être appelé un bon scoop, même pour une bonne paye. Il est juste de
se sentir toujours plus démuni face à la violence muette, car tant qu'il n'y a
pas de plainte, il n'y a pas de bourreau, ni de meurtre. Ah ! Si les vivants
traversaient les murs qui existent ! Ceux qui nous séparent vraiment.
***
Je
me suis mis à fouiller dans cette remise de produits d’entretien. Entre les
poudres et les adoucissants, les solvants et détergents, il n’y avait pas grand
chose d’intéressant. Sauf que, derrière les balais et les raclettes, dans le
coin où on réserve tout l'outillage nécessaire au nettoyage, je découvre
involontairement un objet volé. La mort se promène-t-elle inévitablement
partout ? C'est ici qu'elle a planqué le cerceau de Blondine. Un jour, si je la
rencontre, je la provoque en duel…
J'arrache donc le cerceau de
Blondine au toiles d'araignée. Derrière
quelque sauts vides, et les serviettes humides imprégnée de poussière, il y a un coin secret dans le débarra. Une odeur de
vieux mélange,
javel et eau souillée,
cache le jouet qui avait été
masqué
entre le mur et l’armoire,
dans un coin sombre. Ridicule ! La mort redescend à nouveau dans mon estime... Dérober et planquer le
jouet d'une gamine. A croire qu'elle-même sous estime la jeunesse. Je vengerai
Blondine.
Mais lorsque je le saisit dans ma
main, le cerceau se met à trembler comme si il avait un peu peur de moi, il se débat pour s’enfuir… Le cerceau est vivant.
Il n'éprouve
aucune crainte, il se rebiffe comme un animal. Je ne vais tout de même pas le laisser partir
sans lui demander des explications. Un cerceau d'acrobatie ne devrait pas
assumer le spectacle à
lui tout seul, sans son athlète. Il n’a
pas hésité à m’interpeller violemment.
- Lâche moi, morveux !
L'objet
me subjugue, ma mâchoire tombe au sol et il parle. Comment aurais-je pu
comprendre, ou même deviner à l'avance, que du point de vue des morts, certains objets pouvaient même prendre la parole
afin de se défendre... De mon vivant, aucun objet ne m'avait jamais adressé la
parole, excepté une poupée qui riait comme Jean. J’étais, sans minimiser,
abasourdis par cette constatation, ici, les cerceaux peuvent aussi s'amuser,
chanter, danser, faire la fête, hurler, bref, refaire le monde à volonté.
- Pas n'importe quel cerceau, mon
vieux.
Je
l’avais promis à Blondine : si je le trouve, hors de question de le laisser
s’échapper, bien que je ne savais pas qu’il puisse discourir. Il possède de minuscules
petits bras croisés sur son ventre vide, face à moi, en pied de nez. Aussi de
frêles jambes qui font penser aux aiguilles à tricoter, fines et longues comme
perchées sur des échasses. Une bouche et même une minuscule moustache qui
dénote, entre ses deux yeux, sans nez, comme une tâche noire... On dirait le
regard biaisé d'une très grosse sole, assurément globuleux et écartés.
Il
possède
une telle force que je n’aurais jamais pu le maîtriser. Je le tenais du mieux que je
pouvais, mais il continuait sans s'inquiéter, à se diriger où il voulait, sans même oser me demander mon avis, et m’a envoyé sur tous les murs de la
pièce.
Les armoires sont tombées
dans un fracas tonitruant. Les potions et savons se sont répandu au sol. Je sais que les cerceaux, d'habitude,
n’ont
pas de réelle
volonté,
celui-ci avait la rage de vaincre. Pas pour vous, si vous aviez déjà vu une chaise voler, vous n'hésiteriez plus à me croire quand je vous
dit que j’ai
été bien secoué.
Autant dire que ce placard est sans
dessus-dessous à
présent.
Il faut aussi vous faire entendre, qu’à se stade, un cerceau hanté ne va plus m’impressionner.
- Qui
es-tu alors ?
Très vite, il s’est emballé, furieux, il s’est mit à glisser malgré ma poigne ferme. Dans le sens giratoire
parallèle
à ma main, il s'est mis à tourner de plus en plus vite. Je
maintenais pourtant une pression forte du poing, serré sur l'accessoire. Il a fait monté la température par accélération, jusqu’à me bruler la paume de la main pour que je
lui rende sa liberté…
- Enfoiré de cerceau !
Il riait de mon insulte. J'ai tenu
le plus longtemps possible sans m'étonner de sa force. Je ne voulais pas lui donner l'impression
d'une faiblesse de ma part. Il s’est enfui dans le couloir, par la porte coupe-feu. Le cerceau,
arrogant avait déjà réussis à me mutiler. Je tire la gueule d'un type ébahis, refusant de lui
laisser la victoire... Il repasse la courbe supérieur qui lui sert de tête en travers de la
porte.
- Tu viens, on va voir quelqu’un que tu
connais...
De
qui parle-t-il, cet évadé ? Je crois qu'il m'a fallu deux ou trois minutes,
tant la perplexité était grande, afin de me décidé à le suivre, songeusement.
Passé
l'intervalle, j'entends une conversation sourde entre la petite fantôme et ce
drôle d'objet qui s'est présenté à moi comme un sujet étrange. Blondine est de
l’autre coté du couloir en sous-sol. Elle semble au courant de l'humanisation
naturelle du cerceau. L’allée s’allonge sur une vingtaine de mètres, une porte,
celle qui donne sur la salle des machines, coupe le couloir en deux.
J’interpelle l’artiste, haute comme trois pommes.
- Qu’est ce que tu fais là maintenant ?
- Je
viens chercher mon jouet.
- Tu
sais qu’il
parle ?
Blondine,
la petite fille au cerceau, maintenant, a retrouvé son accessoire de scène.
Mieux que jamais, elle présente bonne mine et me nargue d'un houla-oop bien
maîtrisé. La chanceuse avait profité tard du fait de s'enrober toute une longue
matinée dans la graisse. Alors que moi, j'avais du assister à la déclaration de
Jean. Elle lance comme un pavé dans la marre, une moue prétentieuse jetée à mon
visage.
- Il va toujours se planquer dans le
placard à balai ! C'est son habitude.
- Donc,
tu savais où
il était
?
- T'avais
qu'à
me le demander.
- Non.
C'est toi qui m'a demandé de le chercher ? Pourquoi ?
- Pour
te revoir…
Le
cerceau s’immobilise, à la verticale, imitant le garde à vous. Je crains que de
l’attraper ne soit une mauvaise idée, car il n'a pas l'air commode et ma main
chauffe toujours, encore blessée et rougie par notre mauvaise rencontre. Afin
d'éclairer le mystère et la folie de tous ces esprits, j’invite la mignonne à
se confier davantage.
- Et pourquoi voulais-tu me revoir?
Blondine
baisse sa voix d'un ton et attrape la posture du secret, sa main accompagnant
ses mots.
- Pour te dire que la mort veut te
rencontrer.
Dans la bouche de Blondine cela me
fait toujours plus de frissons que dans ma tête.
- Encore
cette grande faucheuse, cette macabre maladie ! Je suis tombé en plein dedans, il n’y a rien a expliquer. La
mort est mise en garde et c'est bien moi
qui la provoque. Le duel ne fait que commencer. Dis-lui que si elle se présente à moi…
- Quoi
? Tu fais quoi ?
Dans une large respiration et le
doigt pointé
vers le ciel, je n'hésite
pas à
proférer
ma sentence comme la prophétie du nouveau millénaire...
- Je
la tue.
On
ne provoque pas l’héritier Primo ! La baudruche est pleine. Chercher un objet,
le trouver et puis dire qu'on savais où il était, j'appelle cela de la
moquerie. Je ne vois pas ce qu’une gamine de sept ans peut trouver d'amusant à
mener en bateau un gars comme moi…
- Sept ans et demi !
Je
me suis soudainement dégonflé en tirant sur l’arrivée d’air. Ma baudruche a sifflé stridente. Blondine venait de lire
dans mes pensées. Je m'aperçois que cette gamine vient de me reprendre sur son
age et de violer mon esprit.
- Et oui, mon gars, la mort, c’est moi
!
Le cerceau me sidère, parce qu'il se prétend
lui-même, la mort en personne. N'importe quoi ! Il aurait donc réussit à
percevoir ma réelle volonté d'en finir avec lui. Et cela veut dire que depuis le placard à balai, le duel avait
déjà commencé. Blondine, jouait donc sur le toit avec sa version officielle de
la mort, un cerceau rose.
- Mon
cul ! La mort n'est pas un cerceau rose.
- Laisse-moi
l'anéantir
Blondine.
On aurait dit la voix de Cerbère, cela m'a quand-même fait moins rire.
Il s'avèrerait finalement plausible que je sois égaré dans ce labyrinthe de connexions
nerveuses qu'on appelle le cerveau. Plus pertinente, plus logique, comme déduction, enfin,
simplement scientifique. Suis-je en train de dormir debout ? Les rêves sont parfois
surprenants de véracité. La gelée de mon crane frise la
surchauffe, où
bien, au lieu d'être
mort, ai-je été interné en psychiatrie ? Peut-être suis-je dans mon
propre délire
? Quoiqu'il en soit, je suis toujours à côté de la blanchisserie, mais je crains que
ces deux-là
ne se moquent de moi, ou aient tout simplement abusé sur les anxiolytiques, ou qu'ils m'aient
forcé
à
en prendre une dose féroce
? Alors, afin de ne pas me laisser piéger et malgré tout, laisser libre cours à leurs élucubrations, je me méfie en dressant les
oreilles, comme aux aguets, je renifle l'air malfaisant du complot... Elle a le mérite de me surprendre en flagrante pensée incorrecte, c'est
vrai. Mais le petit machin en plastic rose non dégradable, il n'a pas encore gagné. Non mais, un cerceau
rose à
la place d'Anubis !
- Alors comme ça, la mort ,n’est pas ce
que je crois ?!
- Est-ce
que cela rend sourd d’être
fasciné
par mon emprise ?
Il
rit encore. Cela me rappelle vaguement quelqu'un, d'ignorer mes questions en y
répondant par des blagues qui flottent au ras des pâquerettes. Cela m'aurait
plu d'être simplement bovin, de brouter de l'herbe toute la journée,
mâchouiller des bêtise, devenir un âne. Cela doit être reposant.
Le cerceau claque des doigts devant
mes yeux pour récupérer mon attention qui s'échappait quelque peu...
- Toi ? La mort ? Un simple cerceau?
Pfft !
Il
se tait et gromelle, comme si je lui avait demandé de répondre à une extorsion
de fond. Je ne suis pas un criminelle, je suis un chasseur de tête depuis que
le cerceau en a une, même si elle est aplatie comme celle d'une sole. Facile
d’éviter les questions, à croire que dans les sociétés fantomatiques, tout se suce
du pouce, comprendre d'un jet et du premier coup d'œil ! Ces deux là font
monter la pression entre mes tempes, mon cerveau siffle tant il bout. Pourquoi
la mort ne serait-elle pas cette hideuse image commune d'un squelette – ce
serait plus simple - ( Nulle ne sait ni le jour, ni l'heure ) peut on dire,
maigre et élancée, sous une cape de laine noire et l'arme toujours prête à
s'abattre...
- Pourquoi j’ai un boulet au pied… ?
Hein !
Cette
énigme devrait suspendre pendant quelques instants leurs vilaines manières.
Mais le cerceau funèbre et sans couronne de fleur, décide de répondre, par quelque tour sur lui même.
Vraiment stupide une toupie en guise de réponse. Le bout de plastic rose
m'avoue enfin l'origine de cette chaine cadenacée qui m'alourdit depuis le
troisième jour de mon arrivée. Ce putain de boulet !
- C’est moi qui te l’ai mis au pied !
J'avais
justement besoin d'une victime directement sous la main. Je m’élance de tout
mon corps étherique pour aller le plaquer au sol. Mais la mort m’évite. Hop!
D'un coup de hanche. Je m'aplatit la tête à mon tour. Le mur en pleine face
comme cela ne m'était plus arrivé depuis la nuit d'hier. Je n’ai pas eu le
temps de demander la permission à la cloison qui résonna sous l'impact de mon
crâne fracassé.
- Je t’ai mis un boulet au pied, pour
que tu sois sur la terre. Tu n'as rien a faire ici,
c'est ça que tu n'as pas compris.
La
terre ferme. Rien ni personne ne m’appelle à revenir sur la planète bleue
depuis mon arrivée. Je ne vais pas me laisser dicter mon comportement par ce
machin. J'y suis déjà sans y être. J'hésitais depuis quelques jours. Avais-je
vraiment choisis de venir ici. Sa réponse me convient sans me plaire.
- Dois-je revenir chez les mien ?
A Blondinette de me répondre.
- Oui.
Retournes-y Albin.
Elle me propose juste d’y penser mais cela me
met en rogne. Comment veut-elle que j'y retourne.
- Fais-le
pour ta Maman.
Je
ne sais où Blondine veut en venir. Rien pour Maman. Seulement Zoé. Elle reste
la seule pour qui je reviendrais. Et puis, comment la connait-elle ? Mais sa
remarque me rappelle que sur cette terre, j'ai caché un trésor, trop précieux,
dont personne ne veut me débarrasser. Même Maman, elle a simplement subtilisé
la clé pour en finir avec cet histoire d'héritage. Je ne sais pas non plus si
cela me rend responsable de quoi que ce soit...
- Ton boulet t’empêche de retourner
chez toi. Et t'empêche aussi d'aller un peu plus
loin.
Le cerceau s'enquiert de la
discussion.
- Je
dirais que tu as encore le choix. Les boulets que nous offrons aux fantômes ne leur servent qu'à faire la paix avec eux
même
et avec leur histoire.
- Personne
ne m’aime
sur terre. Tout le monde m’envie.
- Je
t’aimerai
partout, où
que tu sois. Mais vas-y.
Blondinette
me fend le cœur. Pour de telles petites attentions sincères je suis capable
d'aller jusqu'en enfer.
- Comment puis-je me débarrasser de ce
boulet ?
- En
étant
patient. En comprenant le sens de ta vie.
Elle
est vraiment gentille cette blondinette. Depuis ma mort, j’ai plusieurs bonne
raison d’exister. Un rapport à l’espace d’une créativité hors norme. Un ami
comme Jean. Plus d’école. Ni le problème de savoir ce que je veux devenir plus
tard. Mon avenir est tout tracé là bas. Voilà ce qui me gène. Ici, plus de
contraintes. Une liberté de choix et d’action que personne, enfin, ne pouvait
me reproche. J'ai peut-être une tâche en dehors des traces de mon père : guider
Saint-Martin vers une évolution.
- Et
toi, tu ne dois pas retourner là bas ?
- Non,
moi je vais ailleurs.
- Tu
crois l’avoir
mérité ?
Je
sous-entend bien sûre, l'idée de paradis. Même si elle est dépassée cela nous
intrigue toujours.
- Tout le mérite est de rester sur
terre.
- Pourquoi
tu n’y
reviens pas ?
- Parce
que je n’ai
plus de corps. Le tien, lui, est presque intact.
Elle a raison, mon corps, tel que je
le connais n'aura qu'une seule vie. Autant que je le fasse vivre. Si Albin
Primo n'a pas dit son dernier mot, alors, qu'il vive !
- Je
ne saisirai jamais les humains, moi j'ai eu droit à un simple cerceau comme véhicule spacio-temporel.
Eux, ils ont une tête,
un cœur,
et même
de quoi se reproduire,
je ne comprends pas ce qui les empêche d'aimer la vie.
La mort en cerceau entammait un
soliloque insoupçonné. Je n'aurais jamais
imaginé
la mort empreinte de compassion.
- Alors,
la mort c’est
quoi ?
Blondine est perplexe.
- C’est quoi, quoi ?
- Que
ce passe-t-il après
? Loin, quand on prend les grands courants.
Le partenaire de gymnastique rétorque fièrement.
- Pour
cela, il faudra me passer sur le corps !
Je comprends que ces deux la veulent
me protéger.
J'accepte. Saint-Martin nécessite mes compétences...
- Je
les guiderai vers l'évolution
!
- Bien
dit gamin.
Il
prononce cette phrase sérieusement. J’entends bien.
- Bravo
!
Pour une seule,
simple et bonne raison, je ne prendrai pas de grands-courant mais je reviendrai
sur terre car si je vais plus loin, je ne pourrai plus rire de moi…
***
Je suis riche, trop riche. Ils se
mettront en travers de mon chemin. Tu es
une menteuse Blondine ! Je connais ton vrai nom. Tu te présente sous un faux nom pour me trahir. Toi
aussi, tu veux ma peau. Je te l'ai caché, tu me l'as caché. Alors, que faire d'un tel trésor ?
Tant pis. Je n’irai pas. Je préfère rester ici et errer pour l'éternité jusqu'à ce que moi aussi j'en
perde mon propre prénom.
Je veux m'oublier, oublier ma vie, oublier mon temps. Oublier mon compte.
- Tu t’es mentis, Albin.
Je
sais à quoi elle pense, elle pense à qui je suis : un meurtrier. Comme c'est
facile de décrire une personne en un seul mot, tant qu'il mette d'accord tout
le monde. La puissance de l’or me rend inévitablement prédateur. J’aime la
différence, voilà ce que j’aime le plus au monde, ce que je suis de
particulier. La pauvreté est tellement banale. Et comme tous les pauvres, elle
mendie. Blondine mendie son propre nom.
- Dis moi, mon vrai nom et je pourrai
m’en aller. Arrête Albin. S'il te plait
- Quel
nom ? Ton nom ? Je ne le connais pas.
Voilà
une mendiante, une crève-la-faim qui comme toutes les autres crève à la fin.
L’argent intéresse tout le monde qu’importe sa provenance. Blondine ne veut
pas d’argent elle veut ma mort pour se
partager l'héritage. Même si aujourd'hui dans la famille Primo, on ne dénombre
plus aucune descendance. Tant mieux, je serai seul gagnant. Je n’ai peur que
d’un événement, celui où les autres ont peur de moi. Blondine veut un nom. Et
ainsi, ils ne veulent pas me connaître…
- Le mien, celui que tu gardes et dont
tu ne veux pas te rappeler.
- Qui
es-tu ?
- Je
te le demande…
Répond-moi.
La
richesse va de paire avec la conscience. J’ai vu plus d’événements à produire
sur terre que nulle part ailleurs. Mon argent pourrait les réaliser. Ne plus
être humain me libère d’un grand poids. Tout l’or que j’ai amassé pourrais,
tant il est précieux, littéralement changer le monde. Je dis vrai, Papa m’a
laissé une fortune énorme sans rien en dire à personne. Le cœur d'une vierge.
Il est inestimable.
- Tu t’appelles Gab. Gabrielle.
- Gabrielle.
C'est merveilleux ! Tu t'en rappelles.
C'est
certainement de sa faute si Lise m'a enfanté.
- Qu'elle
le paye !
- Tu
ne peux pas dire ça
Albin.
Les gens veulent l’or mais pas le
changement. Qui veut faire de sa mère une mère
heureuse ? Les veulent des enfants qui ne remettent pas en questions leur
propre personnalité,
ils éduquent,
les éduqués. Mais qui éduquera les éduqués ? Ils veulent du
pouvoir mais sans responsabilité. Moi je voulais ma petite sœur sans son prénom.
Pour fuir, mais quoi ?
- Meurtrier,
meurtrier, meurtrier. Je ne suis pas un meurtrier Gabrielle.
- Je
sais Albin, Maman n'y peut rien. La mater, tous le monde la déteste.
Quel avenir pour la cité, sans la famille Primo.
Gabrielle, la blondinette au cerceau, de sept ans et demi, est décédé par ma faute dans la rivière la nuit de l’accident. Maman a voulu
nous effacé
de son esprit alors ma petite sœur et moi, on a faillit rester dans les limbes, sans passer ni
de l'un, ni de l'autre coté de l'empire des âmes errantes.
- Tu es morte pour de bon ?
- Oui,
Albin. Tu te dois de l'accepter. Ma tombe existe.
- Quelle
tombe ?
- La
mienne ! Celle de Gabrielle Primo.
Oui,
Blondine n’est autre que Gabrielle, morte le premier du mois, la nuit de
vendredi à samedi, celle de mon entrée dans le coma. J’ai évité l’enterrement
tout comme j’ai évité de salir mes splendides mocassins en crocodile albinos.
Papa porte les même, l'esthétique masculine plane, la mater crève de douleur.
La sensibilité qui bande ne vaut rien sans caresses. Je dois comprendre que je
ne peux décemment pas tracer une croix sur ma vie passée. Je suis responsable
de Saint-Martin, Papa a fuit dans sa tour, je dois l'en sortir. Je suis pourtant
resté, il y a quelques jours, à admirer mes chaussures sans me déplacer
jusqu’au cimetière. Le costume noir, c'était Dieu qui s'effaçait après la
cérémonie.
- Quand je suis triste, je bois.
- A
ton age ?
- J’ai bu un lac, je l’ai déversé dans
ta chambre, parce que j'errais au dessus de ma
tombe, sans identité. Les gens présents à la cérémonie étaient des inconnus pour moi.
J'avais une mission.
- C’était quoi ?
- Je
devais te réveiller
pour que t'y retourne.
Je
l'ai serrée fort dans mes bras. Cela nous réchauffait, parler de nos souvenirs.
Ce nom perdu, ce nom exigé perdu, et dont l'égarement m’avait permis d’oublier
qui je suis : un misérable parmi tant d'autre. On a le droit d'être faible. La
scène est familière bien que je renoue peu à peu avec cette illusion, ce
sentiment déplaisant.
- As-tu souffert Gabi ? La chute, elle
t'a fait mal ?
- Je
ne m’en
rappelle pas.
Je
repense au troisième jour de mon arrivée. Le jour du costume noir. J’étais donc
convié à un enterrement, le sien, Gabrielle… L’apparition soudaine de tels
signes, comme le costume et les mocassins, n’était autre qu’une invitation à la
reconnaître morte. On est bien dans ses pantoufles.
Je ne ressens pas le besoin d’être sentimental, l’heure et la déclaration apparaissent
grave dans le relief de ma venue en ce monde même si je suis toujours entre deux mondes.
L'évolution
! Gabrielle incarne la hantise d’une culpabilité criminelle et d’une fausse rancune. Il faut que je le lui dise.
- Je ne t’en veux pas.
- De
quoi ?
- D’être morte, ce soir là.
- Je
peux enfin m’en
aller…
- Chançarde, tu vas goûter aux grands courants.
Le cerceau se met à bondir sur lui-même. Ils sautille pour
rebondir sur la porte de la salle des machines. Il frappe en trois coups,
heureux comme un pinson. On ouvre. La mort en plastique rose entre dans la pièce ou Jean et Cécilia ont finis l’un dans l’autre. Le cercle
acrobatique semble les avoir interrompu plus tôt que l’habillage. Décidément Cécilia a toujours mon age. Ils ramassent
rapidement leurs vêtements,
tout en s’étonnant
d’un
cerceau volant non identifié et suspendu dans les airs, rose comme la couleur osée de leur union.
Je m’approche de l’enfance meurtrie et pourtant libre, je lui
prend la main avant de lui donner un baiser sur le front. Elle me salue d’une courbette élégante. Cette ravissante et exceptionnelle
gymnaste n’est
autre que ma petite sœur.
- Tu pars ? Gabrielle…
- Oui.
Salut, Blondin.
Jean,
un peu bête, en s'avançant vers nous.
- T'as
les cheveux noir Albin. On peut pas t'appeler Blondin.
Puisque Gab s’en va ailleurs, je m'efforcerai de
retourner sur terre pour témoigner de son départ. Jean semble ému, sa blanchisseuse noire est en partance pour un au-delà bien réel. La douce femme le
regarde mais ne faiblit pas. Jean lui ouvre les bras. Ils s’en remettent à parier que cette étreinte n’est pas la dernière.
- Ne t’inquiète pas Albin…
- Tu
me précèdes Gabi.
Cécilia
n'est plus couverte de cette cendre étrange qui gravitait autour d'elle tout à
l'heure, même le sol parait s'en être débarrassé, car aucune trace de cette
poussière n'a pu persisté pour une raison mystérieuse que j'ignore.
Elle est propre, sa peau bientôt entièrement lisse et ses yeux
sont aussi verts que les miens. Devant moi, à la vitesse ou je vous parle, Cécilia est en train de
cicatriser. Est-ce mon regard qui me joue des tours ? Que puis-je encore croire
si mes yeux me mentent aussi... ?
Elle se vet de son pantalon, dos à nous, et je n'ai pu
m'en défaire,
elle aussi constate avec joie cette réconciliation, cette guérison avec elle-même. Depuis la cheville,
jusqu'au mollet puis vers la cuisse, les minuscules entailles s'effacent pour
bientôt
disparaitre une à
une... Elle a ramassé
le textile de coton bleu et le tire vers le haut, sur toute la longueur de sa jambe, je vois se glisser deux
belles pastèques,
dessinant à
la perfection les courbes charnues et gracieuses d'une rondeur postérieure née dans le grand-sud. Je
pense à
Zoé
tendrement et bien que j'apprécie le spectacle à sa valeur saine, je n'ai rien à envier car j'accepte de me suffire à moi-même et à ma vérité sauvage pour un instant.
Ces blessures de Cécilia ont le don de
m'omnibuler, car je les voit réellement, comme si j'étais le seul à les voir changer, chacune à leur tour comme pour rendre à ce corps une beauté vierge et oubliée parce qu'elle a été masquée par la violence. Vu l'ivresse qui
jaillit calmement du fond de ses yeux, le reflet brillant provenant de son
regard, le déhanchement
maladroit de sa marche et l'équilibre frêle de l'étourdissement,
Cécilia
avance vers nous, nouvellement amoureuse, ce qui augmente le charme de sa haute
et noble prestance. Jean, proche de la septentaine, fut apparemment, malgré son age, irréprochable dans son étreinte.
La grande dame finit de s'habiller,
naturellement, comme si mon corps réagissait depuis la chambre 308, mes hormones ne parviennent pas à détourner leur regard, elle se penche et
ramasse son soutient-gorge, pour garnir ses deux belles poires au galbe rebondis
qui pendent et murissent au soleil, car elle les recouvre aussi, bien au
chaud d'une dentelle rouge passée aux épaules et agrafée dans son dos.
Cécilia s'approche de moi et de ma petite sœur. Gabrielle la
surprend pour la première
fois dans cette réalité-ci mais elle semble
l'avoir déjà rencontrée dans l'autre.
- Je t'ai déjà vu toi ?
- Oui
ma petite. Chez toi.
- Maman
était
fâchée contre toi.
- C'est
vrai. Ton Papa m'a aimée,
mais plutôt
mal.
Un
grand frisson me parcourt dans le dos, serait-ce la fameuse compagne de Papa ?
Serais-ce elle la vierge ? Décidément, mon Père m'aura tout caché durant sa
vie. Je bouche les oreilles de ma petite
sœur qui mérite bien de penser à autre chose.
- C'est moi qui ait votre cœur.
- Prends-en
soin.
Je
débouche les oreilles de Gabrielle abasourdis. Elle se retourne vers Cécilia.
- Qu'est-ce
qu'il a dit ?
- Je
te le raconterai. Presciente un peu.
Ensuite, elle se penche au creu de
mon oreille, comme pour me confier une découverte de la plus haute importance,
l'information restera maigre, à peine suffisante, alléchante.
- Il y a un secret qui rode à
Saint-Martin. Tu es né pour le dévoiler.
Elle
parlait de mon secret, apparemment elle savait tout. Son cœur de vierge, mon
trésor. Jean et moi allons encore vivre alors des aventures. La femme noire et
la jeune enfant blanche se prennent la main. Ma petite sœur est en partance. Le
cerceau se racle la gorge avant d’annoncer :
- Madame, jeune fille, êtes vous prêtes
au départ ?
- Moi.
je le suis. Et toi ?
- Ce
n’est
pas trop dangereux ?
Gabrielle
excitée par la nouvelle attraction des grands courants, s'inquiète un peu.
« La petite fille au cerceau » me jette un dernier regard que je
grave parmi tous mes souvenirs les plus puissants.
- Bien sûre que non ! Vous n’avez rien
à faire, je m’occupe de tout…
Répond
donc le cerceau qui tourne, tant et tant, que tourner, n’est plus qu’un
rayonnement pour lui. Peu à peu le cercle devient énergie. Il appelle un grand
courant qui, sans mal, traverse les parois de l'immeuble comme un monumental
courant d’air. Le souffle coupé, je suis complètement décoiffé malgré le sacré
de l’instant. Une foule de curieux se penche au balcon pour assister à la
scène. Bien qu’il n’y ai pas de balcon, je sens des présences. Le cerceau s’ouvre
et s’élargit pour rendre la pièce incandescente. Lorsque la lumière ne nous
éblouit plus et qu’elle s’apaise, les voix et les cris de joie semblent s’être
estompé. Le silence est maintenu. Il n’y a plus que nous. Comme si rien de tout
cela n’avait existé. Hallucinés, Jean et moi rions d’enfin savoir que nous ne
savions pas grand chose.
***
Le lent retour des souvenirs se
bousculent, portés
par la brise dans ma petite tête. Les amertumes remontent et jouent avec mes pires angoisses.
J’ai
le sourire. Vais-je apprendre un jour à laver mon linge sale ?
Dire que Jean ne me pose jamais de questions. Que dois-t-on réellement garder pour soi
?
- Je peux te raconter une histoire
triste ?
- Sans
blagues ?
- Oui,
sans blagues !
- Compte
sur moi.
Voici
comment, après la mi journée paresseuse, je finis par me confier. Rare et
précieux sont ses instants où les amis font toujours un peu partie de la
famille. Ce ne sont pas mes quatre vérités que je lui annonce, puisqu’il n’y a
qu’un seul pilier au malheur : et si la vie n'était qu'un accident ?
- Je ne suis pas un meurtrier.
- Je
n’en
ai jamais douté.
Pour
moi, le doute était l’ami fidèle. Le monde que l’on m’avait fait lire ne me
ressemblait pas. Mais je ne pouvais pas me détacher de l’idée qu’ils l'avaient
tissé ensemble rien que pour moi. Partir ou rester, continuer à tisser ou
rendre le métier, je doutais de tout.
- Si tu en étais . Je t’aurais déjà
vexé.
Tout
le monde me vexait sans arrêt. Ce n'était pas nouveau. Chaque rencontre était programmée sur mesure.
Personne ne m’accostait naturellement. Depuis mon plus jeune age, je fut
invariablement présenté, comme un futur roi. Cela forge un certain
caractère et nourrit aussi quelques
angoisses.
- Les meurtriers se vexent ?
- Les
meurtriers sont fiers.
- Je
n'en suis pas.
- Rarement
disons.
Aujourd’hui,
je me suis défait d’une colère ténue. Qui dit: je suis innocent, est coupable
de conscience. Il a fallu tomber dans l'inconscience. N’y aurait-il plus de
défis, si nous étions déjà parfaits ?
- Je suis innocent.
- Et
à
part ça,
elle commence quand ton histoire ?
J’invite Jean à me suivre.
- Viens
!
- Où ça ?
- Jusqu’au cimetière.
Nous
nous sommes télé transporté. Où plutôt, j’ai transporté Jean directement au
cimetière. Il m’a suffit de penser au lieu pour y apparaître instantanément à
ses cotés. Jean a relevé mon pouvoir de décision. Je ne fut pas mécontent. Cela
m’a pourtant semblé très naturel même si c'était la première fois.
La pierre est déjà posée, lourde, sur la terre humide. Le nom de
ma sœur
est gravé
dedans comme pour l’éternité : Gabrielle Primo git
donc sous cette grosse dalle et partout ailleurs. Gab est partie hors du monde
et c’est
irréversible.
Nous sommes debout devant la grosse pierre de marbre fleurie. J'ai apporté des Lys fantomatiques
car je sais qu'elle appréciait leur parfums.
Je trouve soudainement que la
situation est légère et absurde de voir là deux esprits plantés face à la tombe d’un autre esprit. L’évènement nous a instantanément habillé pour l’occasion. J’ai retrouvé mon costume sombre.
Jean attends des explications.
- J'ai
aimé
une femme, Zoé
Clerc
La simple prononciation de son nom,
nous enmène
dans la forêt
sombre qui longe la ville. Voici un nouveau type de transport en temps réel : les pensées profondes. Notre rêverie nous transporte à l’intérieur du feuillage de Saint-Martin. Zoé court.
- Alors, c’est elle ?
Derrière
le cimetière, l’école et l’internat des ursulines, elle court à ma place. Elle
court pour oublier. C'est fou ce que la distance fait fantasmer. Le coffre est-il toujours enterré dans la
chapelle abandonnée ? Je plonge au plus profond de ma personne, mon intuition
est formelle : tout est en place. Personne ne sera brûlé vif. Papa ne sortira pas de sa tour, il ne se
dérangera plus.
Zoé pleure dans sa course. Je suis ému car elle s'essouffle,
soupirante. Elle ne doit pas sentir bon. Cependant, elle ne s’arrête pas de courir, elle avance.
- Zoé Clerc vient d’une belle et simple
famille paysanne, sa nature sincère m’avait séduite. Avant que sa
volonté de me connaître n’enclenche mon premier
pas.
Nous étions à notre cachette
habituelle : la cabane. A l’extérieur
de la ville de Saint
Martin, s’éloignait
la conduite de gaz . La production de l’usine pouvait
ainsi être
distribuée
sur d’autres
terres et collaborer à
notre richesse.
Ce tuyau d’acier
traverse toute une montagne en sa base. Avant d’y pénétrer, le pine-pline se jette comme un
pont, au dessus de la rivière ou plutôt du gros torrent dégringolant depuis les
neiges blanches du sommet.
Nous avions beaucoup de
plaisir à
traverser par ce chemin Zoé et moi. Parce que
de l’autre
coté,
vers la forêt
et par delà
la rivière,
commençait
la vie que nous avions
vraiment choisie, celle qui nous attendait sans qu’on puisse la prévoir : la cabane.
Nos
jeux de rôles
incessants se donnaient libre-cour pour nous étonner. Sans arrêts, nous avons mimé des chutes et des
tentatives de poussées
dans le vide. Elle
savait ma crainte de l’eau
qui ruisselait sous l’armature
d’acier.
Nous ne pensions jamais à l’accident sauf pour nous rapprocher l’un de l’autre…
Cette soirée d’automne, jouissait encore de la douceur de
l’été. C’était l’heure du crépuscule, une heure où Maman finissait toujours devant la télévision.
Zoé m’a fait porter ce soir là, un bandeau sur les
yeux. Le but : traverser le pine-pline
en lui réservant
ma confiance aveugle.
Elle m’a guidé par ses petites mains
enserrées
sur ma taille. La mélodie
de l’eau, qui s’écoulait plus bas,
augmentait ma crainte. Son souffle, dans ma nuque,
ranimait l’envie
de la dépasser.
Mes pas incertains s’enhardirent
pour accélérer la cadence. Elle l'a dit : « fou ». Elle m’avait lâche et je l'ai devancée. Je courrais jusqu’à la terrasse, sans rien
voir, et j’y
suis arrivé,
fier et funambule.
Ayant traversé, je retirais déjà le bandeau de mes yeux. Elle riait et me
fit des reproches par tendresses. Je l’ai embrassée.
Jean me taquine.
- Je
savais que tu avais une amoureuse.
- J'étais pas obligé de te le dire.
- Continue.
- Des
dizaines de bougies illuminaient déjà
la terrasse. Zoé avait préparé le repas
comme elle dit. Un gâteau
au chocolat déposé sur une couverture accompagnait de
fruits variés.
Un dessert acheté,
la cuisine de Zoé.
J’avais
apporté une bouteille de vin. Elle avait prévu les gobelets, le
tire-bouchon, quelques
coussins qu'elle me confia avant de me prévenir qu’elle allait se préparer.
Elle est entrée dans le cabanon pour
en sortir un poste de musique. Elle se détacha les cheveux langoureusement. Zoé se déroba de ma vue et
m'invita à
patienter.
Je m’allongeai sur le dos et
je constatai que les étoiles
étaient
du même
avis que moi. J’étais chouchouté et la filante acquiesçait. Toutes mes expériences passées battaient de l’aile en comparaison de l’enchantement qui
ruisselait sur nous ce
soir là.
Elle m’aimait.
Elle n’avait
plus de vêtements,
étendue
dans la cabane.
- Jusqu'à présent, ce n'est pas si triste.
- Attends
de voir.
- Ok.
Continue.
J’ai entendu son cri et je me suis réveillé. Gabrielle, ma petite sœur venait de tomber du pine-pline. Elle nous
avait suivi. Je suis sortis de la cabane. J’ai sauté par instint, comme un
inconscient. J'ai perdu connaissance arrivé en bas.
J'observais déjà la scène, assis et dépité sur le pine-pline. Mon
corps était
dans l'eau. Zoé a vite compris l’enchainement des évènements. Je
l'ai vu sortir à
son tour. elle jeta un œil
hagard sur le flot de la rivière. Elle m’affolait tant s’affolant elle même, bien qu’elle fut plus prudente que moi. Ne voyant pas nos corps, la belle décidait alors de passer par le feuillage pour s’agripper dans la
descente ; elle s'essayait à un sauvetage
improvisé
dans des conditions difficiles, sans harnais ni mousqueton. Jamais, je ne
l’avais
vue aussi audacieuse que dans la peine. Les affaires
sont toutes restées
là,
étalées devant la cabane. Les
bougies étaient
encore allumées dans l’humidité de la nuit. Le vin que
personne n’eut
jamais bu
finalement était
renversé
là,
sur la couverture et les coussins.
Jean compatit.
- Wouaw...
- Tu
l'as dit.
Zoé pleurait comme une possédée en écartelant mon nom dans sa gorge. Sa main
droite s’accrochait
à
un arbre, l’autre
au carénage
du pine-pline. A cet endroit,
les roches descendent à
pic. Heureusement qu’elle ne s’était pas jetée directement. On l'aurait cochée troisième au tableau de chasse.
Zoé
pendait dans le vide.
Une dizaine de mètre
la séparait
encore de la rivière
glacée. Le bras s’élança pour attraper la branche d’un autre jeune feuillu
bien tordu en
amont. Les fibres plièrent
et l’écorce
se rida. Elle reniflait. Ses doigts abîmés me faisaient déjà mal pour elle. Les jambes pendues dans le vide, elle se balançait vers le flanc graveleux. J’aurais voulu lui porter
soutient. La branche
cassa. Elle s’est
étalée et j’ai eu pitié de son corps abîmé. Elle gisait à coté de moi, car j’avais échoué là sur les cailloux.
Elle caressait mon
visage et j’aurais
voulu qu’elle
prenne soin d’elle.
Elle était
rougie,
arrachée
de tous les côtés, griffée entièrement sur le flanc
droit de la hanche au
genoux, de l’épaule
au front. Elle me redressa. Elle a poussé un hurlement,
un râle
comme un poignard au cœur
: « à
l'aide ».
Soudain quelques lumières ont parcouru les
eaux. Une voix forte l’interpella.
Un voisin du bas de la
rue. L'homme était
bien sûre
arrivé
le premier, les curieux
ensuite. L’événement allumait les
maisons des alentours. Saint-Martin vécu un drame la nuit du
premier novembre. « L'héritier
est mort ! »,
« sa
petite sœur aussi... », « mais que va-t-on
devenir ? »
Papa
a été prévenu, il est venu nous voir au urgence. Je
serai son successeur.
Il m'obligeait
à revenir de mon coma.
Nous revenons au cimetière, Zoé termine sa course dans
le bois.
- Ne
t’inquiète pas Albin. Elle est
heureuse où
elle est.
- Je
ne m’inquiète plus.
Je
dépose les Lys au pied de la sépulture.
Une fine silhouette sort de la forêt. En training blanc
comme la neige, Zoé
défait
sa capuche pour relâcher
sa crinière
de braise et de bronze. Elle se dirige vers la maison communale à pas tranquille pour se
détendre
de son effort. Je comprends qu’elle traversera le petit parc, celui de la fontaine des vœux. Le temps d’emporter Jean dans mon désir et nous retournons au point d'eau, aussi vite que le
vent.
La cuve asséchée, aucune goutte à l’intérieur du bassin, uniquement des pièces lancées par les espérant. La mienne a du rester là, à l’intérieur de la pierre creuse, cette pierre de
meule. Je décide
d’aller
voir au centre, j’y
suis, ma pièce
brille effectivement du fond du trou. Apparemment je n’étais pas le seul à avoir effectué ce résultat exceptionnel. D'autres pièces étaient tombées au centre de cette
pierre. Que des devises étrangères.
Seuls les touristes font des vœux.
Zoé, face à moi, s’empare des pièces qui sont restées dans le creu taillé. Elle saisit la mienne sans se gêner. Elle met les autres
dans sa poche. D'avantage de devises apparaissent finalement frappées à l'effigie de Saint-Martin. Elle cherche celles qui ont le plus de
valeur. Zoé
ramasse les quelques prières. Les vœux de quelques dizaines de personnes sont dérobés sous nos yeux par mademoiselle Clerc. Je
la croyais incapable d’un
tel geste.
- Espérons qu’elle en fasse bon usage !
- Tu
l'as dit !
Zoé
ne pressent finalement pas du tout, la force des vœux. Je suis ravi de la voir,
de plus, elle a traversé mon corp éthérique. Impression agréable, pleine de
pétillements et de chatouilles. Je suis frustré. L'effet ne dure pas...
Elle s’en va, je la regarde s'éloigner, et sifflotant,
les yeux coureurs pour se distraire, Zoé a récupéré son souffle.
- Penses-tu
qu'elle veut m'oublier ?
- Je
ne sais pas Albin, je ne sais pas
***
Rassuré par la présence du vieil homme, mieux que par celle
de mon propre père, il est amusant.
- Sais-tu
comment les hommes parviennent enfin à la paix ?
Bien sûre, comme toutes les devinettes du vieux
bonhomme, je mime d'habitude la recherche d'une réponse jusqu'à ce qu'il me la donne. Mais Jean se plait
définitivement
à
ne proposer aucune solution, tant que mon visage ou ma voix, ne marque pas
d'intérêt pour la question. Si
je ne cherche pas, il reste muet. Je le soupçonne de regretter certains choix de carrière. Comme je vous l'ai
dis plus tôt,
il aurait excellé
sur la scène
d'un grand théâtre.
Etrangement, plus comédien
que tragédien...
Comme d'habitude, je ne lui réponds pas, je lui
partage mon sentiment.
- Aujourd'hui,
je me sens apaisé...
- Parce
que tu as accepté
la grande loi de l'univers.
- Laquelle
?
- La
loi de la contradiction universelle !
- Les
chinois disent que tout est né de cette loi : je veux, je veux pas.
Sûr de mon coup, je répond sans hésiter.
- Je
veux !
- Alors
tu n'auras rien.
- Bien,
pourquoi ?
- Parce
que tu dois allier le positif au négatif, les chinois disent que toute nouvelle
forme est née
de ce beau principe : je veux, je veux pas. Au même moment.
Je rit parce que je ne comprend pas
tout de suite. A quoi sert cette idée ? Lui, reste calme respirant l'air pure de cette belle réalité pleine de formes.
- Là, par exemple si tu as
rit, c'est parce que tu voulais.
- Non,
je ne voulais rien.
- Si,
justement. Et tu n 'as rien demandé...
Comment ça, je n'ai rien demandé, je reste perplexe.
Pourtant, il a gardé
son calme, le petit sourire en coin, les yeux dans l'au delà... Il était sérieux pour la première fois depuis que
j'avais appris à
me confier. Je lui avoue quand-même.
- C'est
vrai, je me suis demandé
à
quoi servait cette idée
: je veux, je veux pas.
- Ce
n'est pas qu'une idée,
c'est une force qui te mène au plus haut de toi même. C'est la force de la vie.
Alors que gens ouvrait la conserve
de cassoulet et préparait
le réchaud,
il me proposa de lui raconter la vie à la maison.
- Histoire
familiale difficile ? Qui d'abord ?
- Toi,
vas-y, je t'écoute.
- Chacun
tire son boulet derrière
lui tout en croyant qu'il est le seul à profiter du
malheur. Et moi ? Et toi ? Pire pour
l'un, et mieux pour l'autre, dans tous les
domaines... Alors la question est
de savoir : qui n'est pas a plaindre ?
Maman est une femme
merveilleuse, mais j'ai flairé un grain de sable dans la machinerie très récemment.
Quel gamin oserait s'avouer que celle qui l'enfanta resta caduque ? Quel héritier reprocherait à son père de ne pas avoir assez préparé son avenir ? Beaucoup, énormément. Mort, je m'égalise. Que tu veux ou que tu veux pas, ta
famille est la meilleure.
Papa, le maire de la
ville, la notoriété familiale, toujours
trop occupé.
Point positif, l'humour, un comique des bas quartiers quand il
s'y risque. Rire gras. Mais
qu'est ce que nous étions
polis, et habitué
aux cérémonies classique, nous
n'osions interpeller personne autour de la table. Nous mangions en silence sans
vraiment remarquer que nous étions tous pleins de secrets plus avouables. Maintenant, avec le recul, je crois
que nous connaissions intuitivement
tout sur chacun. Nos questions évasives reflétaient nos actes manqués d'amour. Mais de quoi
nous protègerions-nous
? Des réponses
claires par peur des représailles, reflex automatique et bien intégrés de nos cérémonies classiques.
Maman est une femme de ménage, une véritable repasseuse, elle
repasse ce qui passe mal.
Et pourtant c'est une conteuse hors-paire, nous finissions dans une bulle
de rêves
lorsqu'elle venait nous border. Maman a
du naître
avec un fer à repasser à la place du cerveau
mais pas à
la place du cœur.
Arrêtons-nous un petit peu
sur ce fer à
repasser qui plombe bien des cervelles
dans de nombreux foyers.
Maman
combat la poussière, au
moins, elle incarne l'évidence du
plein emploi. Maman aime tellement les
poissons rouges qu'elle leur parle toute la journée pendant son ménage. Un poisson rouge par bocal,
la règle restera
la règle. N'essayez pas de les faire
s'accoupler, Titi n'aime pas Capuchon et Zigi préfère Gertrude à Chenapan. Sans dessert, la soirée se passera dans votre chambre à compter les mouches écrasées au plafond. Heureusement que maman ne regarde jamais le plafond
de ma chambre. Parler avec ses poissons rouges à longueur de journée, crier et se justifier auprès de sa poiscaille.
Rituel de famille classique, jusqu'à aujourd'hui.
Heureusement que Jean
m'a fait comprendre que l'hérédité était relative, car sinon pourquoi parler d'évolution ? Maman aime pourtant ses
poissons rouges
mais elle serait bien incapable de relâcher sa petite marée dans son milieu naturel. Au moins eux, ils la comprennent.
A posséder fièrement un nombre réduit de malheur on
contracte les muscles de
notre importance ignorée
par tous et surtout par soi-même. Gonflé d'air, on
grossit orgueilleusement comme des baudruches voulant sans cesse nourrir
l'unique angoisse, celle d'éclater. Mais quand on éclate, dans l'éclatement, on impose aux autres qu'on a été la plus résistante.
Les soirées à table n'étaient pas forcément amusantes à la maison. La télévision était certainement plus drôle que nous. Bien sûre, chaque mobilier de la maison était situé bien à sa place, comme je vous
l'ai dit, mais sur notre chaise,
nous nous sentions toujours mal assis. Pour ma sœur et moi, l'ordre était notre pire ennemi, avec qui nous devions pourtant apprendre
à
cohabiter.
Maman reprochait toujours à Papa de mettre sa veste n'importe où, et, à
peine arrivé,
elle le poussait à
la mauvaise humeur. Je suis fatigué des coupables du monde, ou plutôt, de l'importance qu'on
leur donne, quand
d'un seul malheur, comme une veste sur un fauteuil, on peut mieux vanter son propre régime de foire.
Chez la famille Primo,
des souvenirs et des biblots, plus laids les uns que les autres,
il y en a beaucoup. Qu'on aime ou qu'on aime pas, ils sont toujours sur nos armoires malgré qu'ils ne nous
rappellent personne. Ils se gonflent, importants
sur nos étagères et le bonheur se
fige en un instant, à
l'instar d'une étoile raidie quand ils
nous fixent, bien à
leur place. Gabrielle et moi avancions
à
pas inquiets quand nous étions petits, pour ne pas les vexer et saluer avec respect les ombrageuses formes dont on
croyait si bien connaître
les contours et
l'emplacement parfait. Mais Maman nous corrigeait toujours, dans
notre enfance, jusqu'à
ce que Gabrielle et moi, nous avons entendu un jour,
les broutilles murmurer dans notre demeure. Chacun à leur tour, ils nous provoquaient, il mettaient en
doute l'amour même
de Maman.
- Elle nous préfère
à
toi ! A vous deux !
Et aux poissons de répondre.
- Bien non, c'est nous qu'elle préfère.
Nous nous regardions,
effaré
par cette découverte.
Savoir que ma sœur
vivait le
cauchemar identique était
étrangement
rassurant. Alors, nous éprouvions une solitude
semblable, nous nous consolions mutuellement. Et quand nous arrivions à oublier cette angoisse, en mettant de la
musique, nous
jouions beaucoup plus que n'importe quels enfants, puisque la voix des objets était habituellement murmurante, les
quelques mélodies
nous permettaient de nous oublier enfin.
Ils ont pourtant encore élevé la voix pour
stopper notre course effrénée
et joyeuse, mais tellement mauvaise pour la
laine du tapis oriental. Nous augmentions le son jusqu'à ce que Maman sorte de ses gons et que tous ces objets ricanent
encore de plus belle. Les bibelots
étaient
nos bourreaux, Maman était
leur matronne.
Heureusement, quand
notre père
ne rentrait pas trop tard, nous avions parfois la chance de penser à autre chose qu'au
repassage de Maman. J'avais moins
de quatorze ans à
l'époque,
et Maman débarrassait
la table car tout le monde
avait finit son repas. Alors
s'installait toujours un silence que je ne comprenais
pas mais que je sentais affreusement douteux. Papa lisait le journal et nous
patientions avant la permission ignorés par nos deux parents.
Ce soir là après le repas, Toni notre père, était revenu à la maison avec un œil au beurre noire. Nous avions ris, car
il disait s'être
battu avec une pancarte
et nous nous moquions de lui car la pancarte avait gagné. Gabrielle
et moi nous sommes accrochés à
son cou pour l'obliger à
se pencher afin
qu'on l'embrasse. A cette époque il finissait de mettre de grands panneaux publicitaire pour la ville de Saint-Martin,
car l'entreprise économique de la région allait bientôt démarrer et nous cherchions du personnel.
Beaucoup de jeunes gens et d'immigrés eurent tôt fait d'accepter une
vie meilleure, à
salaire moyen, tout de même supérieur
à
la précarité des grandes villes. Il me saluait
déjà à l'époque comme un futur patron.
Je vous avoue, la réaction de Jean est démesurée.
- Le
salaud !
Il s'est brulé en goutant le cassoulet ? Non. Il a un
secret. Il tape du poing sur la table de
sa chambre. Il doit se confier maintenant, il en trop dit. On insulte le père de quelqu'un de plus
amples explications.
- Désolé Albin, je me suis laissé emporté.
- Pourquoi
?
- Cécilia.
- Je
le savais, explique moi tout.
- Cécilia est une des premières femmes arrivant à Saint-Martin, elle débarqua avec toute sa famille dont le
père,
qui avait déjà l'idée de rafler une bonne partie de l'immobilier en
vogue sur les hauteurs. Ils avait les billets pour...
Je n'ai jamais travaillé pour autre homme à Saint-Martin que le
vieux patriarche de la famille Krops, la
famille de Cécilia.
Je restaurait les villas de la haute
et titré
par conséquent
« responsable
de maintenance du quartier chic ». J'ai craqué tout de suite,
vagabond, en la voyant, j'ai su que je voulait me
fixer. La démarche
féline
de cette belle femme, me donnait du courage pour
avancer dans mon labeur, elle me faisait signe de la main quand elle se promenait par là, sur un chantier.
Cécilia ne se doutait pas qu'elle poussait à vibrer tous les cœurs d'hommes comme
des tambours battants. Nous dirons qu'elle était trop innocente pour comprendre. Il n'en était pas un, à Saint-Martin, qui ne se
retournait en rue pour voler
quelques secondes de son déhanchement hypnotique. Si ingénue et si naïve, comme elle se
plaisait d'apparaitre pour parader. Et vu que
ton père
avait les moyens, ton Papa achetait des roses à Cécilia, ce qui la mettait mal à l'aise, puis des tulipes ou des bégonias...
Jean était très fier de m'expliquer que Cécilia n'avait jamais
craqué
pour le riche Primo. Il se félicitait et il induisit sous sa barbe que pour un ouvrier, ce n'était pas aisé d'attirer une princesse
de l'Afrique noire. Il confirmait d'ailleurs, qu'au début de leur relation, ils ne se voyaient
qu'en cachette à
la tombée
de la nuit. C'était
très
excitant, me confia-t-il du haut de sa grosse soixantaine.
Papa eut alors le malheur de
rencontrer Jean, quand il voulu un soir, dans l'ombre d'une rue, forcer la main
de sa fantasmatique maitresse, Cécilia, qui elle, ne l'aimait pas du tout. Monsieur Krops, son père, insistait souvent
auprès
de sa fille d'accepter ses avances. Toni, mon père pour une seule nuit, aurait offert à monsieur Krops des prix
avantageusement bas sur les maisons chics des hauteurs de Saint-Martin. Le père Krops semblait
particulièrement
dégoutant
à
en entendre les dire de Jean qui ne mâchait pas ses mots pour le décrire. Mais il essaya de
se rattraper. Ce soir la Jean récupéra
Cécilia
et il firent l'amour pour la première fois.
- Il l'avait mérité son œil au beurre
noir, tu sais ?
- Je
n'en doute pas.
Je n'avais pas envie de pitié dans le regard de Jean,
alors pour l'en empêché, j'ai ri.
- Non mais ! Je n'ai rien contre
l'argent, mais l'aimer d'avantage que l'amour, et
en plus, croire qu'il peut nous en apporter sans effort, cela mérite une bonne droite sévère
et bien placée.
Il est aussi amusant quand il est
vulnérable.
***
Une vieille femme de la vallée lui a laissé le cassoulet dont nous
nous sommes régalés ce midi. La recette
vaut le détour… Bien sûr, les esprits ne
mangent pas, mais ils apprécient le repas. La conserve est restée sur la petite table de nuit de la 303 en
attendant le réveil
de Jean dans son corp. Qu'est il souffre son corp. Nous nous sommes pourtant régalé à souhait, en admirant la vue, depuis le
toit de l'hôpital.
Manger les lettres du mot cassoulet suffisait pour nous procurer un peu d’énergie.
Je ne sais pour quelle
raison, il m’arrive de parler de moi maintenant.
- Un
jour, dans la ville de Saint-Martin, les ouvriers n’ont pas travaillé.
- Pourquoi
pas?
Jean s’inquiète calmement même si lui faisait partie des grévistes.
- Parce
qu’ils
faisaient la grève.
- Oui,
je me souviens. Qu’est
ce qu’ils
réclamaient
encore ?
- Ils
réclamaient
un jour de repos.
- Que
s’est-il
passé
alors ?
Jean connait
cette histoire…
Il veut connaître
mon point de vue.
- La
grève
n’a
duré
qu’un
jour.
- Comment
est-ce possible ?
Il aime assurément jouer les ignorants. Mais nous prononçons la sentence d’une seule voix et de bon
cœur.
- A
Saint-Martin les drames ne durent qu’un jour !
Classique
des classique. Nous avons ris. Tout le monde connaissait ce dicton. Papa est
comme le fondateur de la ville. Il est devenu maire par élection naturelle. Il
était le seul exposé sur les pancartes, monsieur Krops s'est plaint d'un
déficit d'image. Tout le monde a écouté, personne n'a rien proposé, monsieur
Krops est resté dans l'immobilier.
Papa, sur les traces du grand père, a dirigé l’exploitation du gisement, dessiné et vérifié l'agencement de la
ville dans son aspect architectural, préparé soigneusement et avec soin chaque
chantier durant la décennie,
ce qui le propulsa automatiquement et d'évidence en haute sphère.
Son père, mon grand-père, l’avait déjà préparé à cette idée: batir Saint-Martin et inonder le marché de ce gaz unique au
monde, dont nous devions absolument profiter. Il aurait pu lui rappeler de
conquérir
Maman de temps en temps… Grand-Papa ne nous aurait pas fait de tord en
y pensant.
Le gaz fut déclaré inoffensif et médicalement intéressant. Mais l’intérêt de la famille était ailleurs que dans la bonne conscience
médicale.
Il est utilisé
aujourd’hui
pour procurer des «
bonnes pressions »,
parce que les cœurs
à
notre époque
sont tous un peu déprimés, ce qui est
logiquement du à
des «
mauvaises pressions »
je suppose. Son usage étant
vanté
par la santé
public, il est vaporisé
dans certains endroits privés pour procurer de la joie vive et une envie puissante de s'intégrer en société, il fait fureur dans les grandes villes.
Et sa valeur monte en profit car elle est en rapport avec sa rareté. Saint-Martin est désormais connu du monde
entier pour son exploitation. Et la ville protège bien son projet. Papa s'occupe de la
ville, mais je sais qu’il
s'affaire d’abord
à
l'industrie car l'ordre légal en sa demeure, c'est l'industrie, la ville, puis sa famille.
Partout,
l’homme cherche à trouver de nouveaux gisements de ce gaz, mais il n’en
découvrira aucun. Papa les a peut-être déjà tous cartographié grâce à son
satélite, il aurait acheté les terrains, puisqu'il dit à tout le monde que sa
production est l'unique fruit de Saint-Martin et que personne ne peut nous
voler ce secret parce que c'est le cadeau de la montagne. Il est malgré tout étrange
de croire que ce gaz n'existe qu'ici, bien que ce soit probable. Il existe
d'autres montagnes dans le monde, je crois que Papa cache bien son secret quand
il dit que Saint-Martin est unique.
Le
couvent des ursulines fut, en vérité, totalement désaffecté. Le père de mon
père réhabilita seul les vestiges abandonnés. Car il y a cinquante ans, mon
grand-père fit renaitre des ruines, une auberge. La pratique de la religion
continuait son inexistence à Saint-Martin depuis ses débuts de cité industrielle. Les discours de papa mystifiaient la montagne
et laissait, dans tous les esprits, planer un doute énorme qui augmentait le
mystère sans empêcher les ragots.
Le petit cloitre n’eut pas de mal à se reconvertir. La
chapelle fut même
une cabane à
outil pendant un temps. Notre légende suffisait. Tout le domaine, a été finalement aménagé pour une école, un internat, une maison de la ville,
le parc et la fontaine, sans oublier le cimetière qui était déjà là. Voilà deux ans et demi maintenant que le
village de Saint-Martin est devenu une ville industrielle. La chapelle n'a pas
bougé,
les outils ont juste déménagé.
- C’était finalement très rapide ?
- Exact.
Mais après
dix ans de travaux.
Papa
en avait envie depuis longtemps. Car avant cette époque urbaine encore
insoupçonnée, nous avons découvert par une simple balade en famille dans la
verdure du lieu, que la montagne soufflait.
Avec Papa, qu'on appelait le petit Toni,
en première ligne, Il fut si heureux de sa découverte qu’il courra, ivre
de joie, rejoindre les promeneurs pour leur annoncer la nouvelle.
- La montagne souffle...
Tous
eurent tôt fait de rire et de se moquer du garçon que personne ne voulait croire. Le petit Toni a alors grandit
dans son coin, sans plus jamais rechercher l’attention des siens. La montagne souffle et tout le monde s'en
fout. Alors après le repas du soir, aussitôt mon père s’isolait, et il allait
se consoler auprès du souffle de la montagne, qui elle, avait bien du mal à
supporter de voir un petit enfant pleurer à ses pieds.
Le petit Toni savait au fond de lui
que la montagne était
magique et il insista encore pour de longues promenades en famille. Car au plus
profond de sa personne, il aurait bien voulu que son père accepte la montagne qui soufflait bel
et bien. Grand-Papa n’eut
pas le temps de voir venir la richesse du pays, car il a compris trop tard.
Mais lors d’une
belle après-midi
de printemps, il se promenèrent entre père et fils, car le fils avait grandit. D’ailleurs, il était fiancé. Le fils avait un fils et le premier
allait lui reparler de la montagne pour lui en montrer le souffle, auprès duquel il s'était déjà consolé mainte fois, faute d'être accueillis chez soi.
C’est alors que son père, qui était justement triste, respira une bonne
bouffée
d'air de la montagne, et ragaillardi, il eut l’idée maussade de conditionner le bonheur. La
montagne fut déçue
car elle soufflait sur ceux qu'elle aimait depuis des milliers d'années et sans s'en plaindre
ou exiger quoi que ce soit d'eux, que leur réconfort. Car il était tellement triste qu’il eu l’idée diabolique, l'intuition affreuse de
croire que le bonheur pouvait se vendre. Dès que le grand-père attesta la découverte, toute la famille se rassembla
autour de lui, mais il déclara que le petit Toni, devenu grand et patriarche deviendrait
l’héritier de cette affaire.
Nous allions dorénavant
vivre du souffle de la montagne.
La
ville commençait à peine à se bâtir que toutes les jalousies pesaient déjà sur
les épaules de mon père. Il est longtemps resté le maitre d’œuvre, il fut
l'entrepreneur et l’expérimentateur du gaz. C’est lui qui détermina la petite
bouteille légendaire dans laquelle les gens pourraient le consommer
individuellement. Lorsque les deux générations en ont découvert la source, il
voulu s’assurer lui-même, de l’importance du projet. Il eut la force de trouver
des investisseurs et monta son rêve avec un courage certain.
Papa me raconta un jour une histoire
étrange
dont je n’ai
aucun souvenir dans la réalité
car paraît-il
j’étais,
endormis…
Ce que j’ai
regretté
plus-tard.
Jean est impatient de l’entendre.
La
moitié des habitants sont immigrés, et se sont déjà emparé des lieux à cette
époque. La démographie florissante de Saint-Martin ne doit son équilibre qu’à
leur arrivée en masse. Cette nuit là, la moitié de la ville avait déjà
déménager et envahit ses quartiers respectifs, mais ils furent tous spectateur
du grand feu dont parlèrent les journaux.
Lors du forage, après les analyses et les
projets de construction, les ouvriers tombèrent dans une crevasse inattendue. Une
grotte, une cavité
étroite
dans le ventre de la terre qu’ils n’avaient
pas prévu
de rencontrer. L’étrangeté de l’histoire mène aux ouvriers accidentés. Certains moururent
mais d’autres
n’étaient
pas vraiment meurtris par leur chute mais ils furent brulés fortement. On dit que c’est une lampe torche qui
aurait provoqué
l’explosion.
Beaucoup parmi les familles déjà
installées
à
cette époque
virent sur le flanc de la montagne un feu violent et intense qui illumina la
vallée
pour quelques heures. Le village, ou la ville en devenir, n’eut plus jamais de nuit
aussi agitée,
ni ébahie.
D’ailleurs
le cœur
de grand-papa a cessé
de battre cette nuit-là.
Il a eut trop peur, je crois. Trop peur que tout s’effondre, désirant tant le bonheur des autres en le
distribuant pour de bon.
Tout
le monde fut d’accord
pour dire que l’explosion
de ce gaz était
pour le moins surprenante. Puisqu’aucune explosion n’avait tonné dans la vallée. Le flamboiement fut spontané. Seul, la découverte de cette caverne lumineuse,
propagea la rumeur d’une
fuite du gaz et de son embrasement. Le filon lumineux de la lampe torche
expliquait à
lui seul le déclenchement
de la scène
et personne ne chercha plus loin. Car c’était la thèse première avancée par les autorités. Le bruit des sirènes fut vraiment douloureux pour la
population mais atténué dès le levé du soleil.
En réalité, les autorités de père et mère, encore soudée à l’époque grâce à la population docile et maitrisée, ne concluaient
pourtant pas l’affaire.
Car il ne s'agissait pas d’arrêter
un feu mais une lumière.
Tant que la presse était
muselée
par de bonne explications, mon père filtrait les informations et utilisait son influence afin de
brouiller les pistes. Devant les caméras, il fut impitoyablement carré et responsable, assumant l’entière responsabilité des évènements, il évoqua un dramatique accident survenu lors
de forage de l'équipe
de nuit. Une équipe
spéciale
engagée
par l’industrie
arriva rapidement sur le terrain.
Les autorités envoyèrent finalement deux agents en combinaison
très
spéciales
pour approcher de la source. Tous deux devinrent aveugles mais réussirent à contrôler la situation. La
pierre, si gonflée
d’énergie
et de force, si riche, semblable à un soleil d’or qui coule et laisse répandre sa lave jaune et brillante était en train de mettre à mal, toute
l'entreprise. Ils enfermèrent alors ce que les sources officieuse dévoilent comme « une pierre du soleil en fusion » , « une lave incandescente survenue lors de
l'inflammation du gaz » et les officiels, une superstition identitaire qui créera la légende de la ville. Tout
ce que j'ai vraiment remarqué c'est que depuis cet incident citadin, Papa et Maman porte des
lunettes noires.
Toujours est-il que je n’ai jamais vu cette
pierre. Ils l'ont scellé
dans un coffre. Papa l’a
pourtant analysé
dans le plus grand secret. Elle m’est promise et inaccessible en même temps. La seule preuve de son existence
se témoigne
par -cette clé-
que j’ai
reçu
en héritage.
Cette clé
qui ouvre le coffre contenant le cœur d'une vierge. Jean constata.
- Le
cœur
de Cécilia.
- Parfaitement.
Papa gardait le coffre dans lequel il a enfermé la pierre la plus rare
du monde inconnue de tous sauf lui et moi. Maman ne fut pas déshéritée car ils n’étaient pas mariés.
- Mais
elle portait des lunettes noires.
Les pièces du puzzel se rassemblaient. Et Papa s’isola dans sa tour avec
ses mocassins en cuir de crocodile blanc, il m'acheta les mêmes et Maman récupéra
ses sabots de ménagère et portait dorénavant des lunettes noires.
- Tu
as raison, elle devait être
au courant.
Cette pépite incandescente fascinait trop mon père et m'inquiétait aussi au plus haut
point. Il en avait l'oeil mélancolique. Déglutissant, il m’en a dit ceci :
- Ce secret est à nous.
Je
lui ai demandé simplement à quoi cela pouvait bien nous servir alors que je ne
savais pas me représenter en esprit ce qu'on appelle une pierre de soleil,, en
réalité, un cœur de vierge.
- Cela se compare à de l’or.
Répond-t-il. De l’or dont la richesse
est illimitée…
C’est alors que je n’ai plus jamais rien compris à l’or. Et je lui ai demandé :
- De
l’or
plus qu’il
n’en
faudrait ?
Il
m’a répondu oui sans le dire, et a partir de ce jour papa se donna corps et
âmes à son véritable amour, son travail. Je ne l'ai plus jamais vu sourire, ni
s'amuser depuis cette histoire que je n'ai jamais vécue puisque je dormais.
Elle me fut racontée à mon réveil. Leur séparation fut officielle après
l'accident même si mes parents n'étaient pas mariés. Il l'a évoqué dans son
discours avec une telle dignité de façade que toute la population s'ajusta à la
mesure de son désarrois avoué.
Nous n’avions plus besoin de travailler. Pour
moi, on aurait pu imaginer un nouveau monde ensemble puisqu’on avait les moyens de
le vivre. Maman ne l’inspire
plus depuis cet événement, ni moi, ni
Gabrielle d’ailleurs.
Jusqu’à
ce qu'il vienne me voir à l'hôpital
cette semaine, après
l’accident
de la rivière.
Il a fait de moi son complice avant
de s’en
aller. Il m’a
donné
la clé
du coffre maudit. Il m’a
dit de prendre garde et de tenir le secret car cela ruinerait le monde et notre
maison si quelqu’un
-qui que ce soit- s’en
emparait. C'est à
partir de ce jour que j'ai commencé mes mensonges avec Maman. Je ne voulais pas me sentir
responsable d'une ville entière, surtout pas à mon age, car je n'avais que seize ans à l'époque !
- Tu es l’héritier. L’héritier du
trésor qui doit rester caché.
Nous
étions donc riche sans pouvoir en profiter. Pendant un an, mon père s’est
totalement voué au rayonnement industriel de Saint-Martin. Il ne venait plus
manger à la maison. Les soirées se déroulaient entre Maman et Gabrielle, ce qui
ne me réjouissait pas à l’époque. Jusqu’au jour où, l’anniversaire de
l'officielle explosion de gaz approchait. Papa résistait aux pressions des
syndicats qui réclamaient un jour de repos en commémoration de l’événement
tragique et fondateur de l’usine. En réalité, il a du réfléchir à sa stratégie
pendant les quatre saisons. Il voulait attendre jusqu'à l’heure du scandale
pour annoncer son discours fameux, que j'ai pourtant trouvé vide de sens.
Papa vanta l'exceptionnelle
efficacité
des secours déployés en vingt-quatre heure
seulement. C’est
ainsi qu’est
né
la légende
de Saint-Martin. La sentence raisonne aujourd’hui dans le cœur de tous et termine le chapitre,
invariablement clos. Même
la presse, dans la vallée,
ne cesse de nous le rappeler. Tous l’ont accepté comme l'unique slogan ayant réponse à tout : à Saint-Martin les drames ne durent qu’un jour.
C’est ainsi que Papa, inventa, à la surprise de tous « le jour de
Saint-Martin ». Ce jour est devenu un jour de festivité et de repos bien mérité. Date où tous les ouvriers de l’usine descendent dans la
vallée.
Exceptionnelle journée
de mixité
entre citoyens et chacun des habitants de Saint-Martin y est toujours réellement respecté et reconnu. Les hommes
font des enfants à
leurs femmes. La vie est célébrée car si les drames ne
durent qu’un
jour à
Saint-Martin, les célébrations se cadrent à la même mesure. Ces fêtes restent
malheureusement calculées
comme les plus courtes de l'année car elles passent trop vite selon les dires des citoyens qui
reprennent aussi rapidement le travail.
Jean
est pensif. Je lui explique que Papa s’est ensuite exilé dans la tour de
l’industrie. Et que beaucoup ont fondu dans les pas du héros. Ils reviennent du
travail tard dans la nuit et commencent leur besogne aux aurores. Son bureau
est au sommet, le petit Toni qui aimait
tant les ballades dans la verdure n’en sort plus jamais. D’ailleurs, il est considéré comme l’homme le
plus dévoué de la ville. Toni l'industriel. Tout le monde honore son courage et
certaines femmes viennent déposer au bas de la tour, depuis la confirmation de
son célibat, des fleurs fraichement cueillies, un soutient que j'ai toujours
trouvé plein de dévotion macabre. Maman en a toujours été jalouse sans
l'avouer. Je crois qu'elle en avait vraiment marre que ce soit encore lui le
héros, elle a donc rompu leur relation sans demander son reste.
Depuis qu’ils sont séparés, mes parents, portent tous les deux des
lunettes de soleil et se disputent à chaque fois qu'ils se voient pour s'assurer de bien avoir
comparé
les paires afin de ne pas se les échanger malencontreusement. Papa dit qu’à Saint-Martin les drames ne durent qu’un jour. Maman dit que
dans le cœur
de Papa elle s'est arrangée pour qu'ils existent plus longtemps que ça.
Moi je préfère la version de Zoé et je tente peu à peu de m’y glisser.
- Quelle est-elle ?
Demande Jean et à moi de lui répondre.
- D’où je viens les drames n’existent pas…
Papa
a une vie ennuyeuse, je vais devoir la lui refuser car il veut me la donner. Je
ne suis pas alors je suis.
***
Ils viennent alors que je ne m'y
attendais plus. Une semaine après la dispute, le septième jour suivant la chute. Mes parents
poussent la porte main dans la main. Toni décroche les lunettes noirs de son nez et récupère celles de maman Lise pour les glisser
dans sa poche. Ils se regardent dans les yeux. Plus de malaise.
Une émotion palpable investit l'espace annonçant un nouveau moment.
Leurs cœurs
sont de sable, le chateau s'est érodé
sous les lèches
de la marée.
Ils s'asseyent au bout du lit. Ils parlent calmement. On discute enfin. Papa
active de nouvelles pensées plus réconfortante, il aime s'imaginer un monde naissant.
Maman l'a peut-être sensibilisé à -la clé- et à son secret. Papa, volubile à une année et plus de retenue,
lui a tout déballé. Le cœur de vierge. Le compte
en banque. Le fol avenir des héritiers primo. Maman a du lui avouer qu'elle était finalement contente
de ne jamais avoir été mariée. Ils ont sûrement bu un coup de
rouge la veille pour tout relativiser un bon coup et se rêvé pour une nuit un peu plus Einstein que
Newton.
- J'ai
envie de lancer une vision de l'argent un peu différente.
Maman sourit. Je me suis intéressé, j'ai écouté avec attention. Un pour
soi, un pour les autres. Un argent à recevoir, un argent à donner. Un véritable, un virtuel.
- Peut-on
dire que l'amour est virtuel, tant on serait sur terre pour apprendre à aimer ?
Maman Lise répond.
- Oui
mais pour aimer il faut le prouver.
- Peut-on
dire que les moines, si on restaurait leur statut à Saint-Martin, ne vivraient que de la seconde fortune de l'humanité.
- Ce
serait alors une fortune calculable...
- Bien
sûr,
parfaite copie, semblable en tout calcul à la première sauf qu'elle va sur un autre compte, un compte virtuel. Celui a qui
on donnerait beaucoup serait
comme un honorable de ce qu'on lui donne puisqu'on le lui donne.
- Ce
serait un compte de sagesse ?
- Oui.
Oui. Où
plutôt,
un droit au nomadisme.
Cette idée me semblait ravissante. Mon esprit se
cache derrière
la télévision alors que mon
corps commence à
s'amuser. Papa a des problèmes. Les ouvriers sont en grève, ils ont hué son discours. Le problème perdure depuis
trente-six heures maintenant. Les mots de papa ont dissipé leurs effet sur les habitants de
Saint-Martin. Maman rigole.
- Nous
avons besoin d'un nouveau visage pour Saint-Martin.
- Nous
avons pensé
à
toi.
Alors que papa termine sa sentence,
la plus petite main du monde agrippe la poignée. Elle tourne verrou et pousse la porte,
Zoé
a accepté
de venir. Mes parents se lèvent et je décale ma tête pour mieux voir la vivante apparition. Mademoiselle Clerc
illumine la pièce
vu du monde des morts. Pourquoi viennent-ils tous au même moment ?
Zoé entretient une pensée. Elle a une idée sur le feu.
- Alors
Albin, tu reviens maintenant ?
En un regard, ils l'ont tous
compris. Maman fait un hochement de tête. Toni a la mine interrogative. Zoé est secrète, émoussée et bondissante, elle
tient autour de sa main un cordon rouge.
- J'ai
trouvé
un membre de votre famille.
Derrière elle, une boule de poil géante. Kapla, ou plutôt, une copie conforme.
Le chien de la maison. Mais c'est comme si c'était le même. Il me saute au visage, il me lèche en sauvage... Sa
queue frétille,
les coins de la pièce
n'ont plus aucun secrets pour lui. Il revient sur le lit me lèche les joues et la
bouche. Je suis trempé.
C'est Kapla. Il lui ressemble tellement. Je sort de ma planque sous la télévision. Je vais embrasser Zoé qui m'avait tellement
manqué.
Je crois qu'elle l'a senti. Tout monde
rigole. Le chien s'excite. Papa sort le coffre, maman sort -la clé-. Je retiens mon
souffle.
Maman Lise est au courant, elle semble
assagie et rajeunie. C'est elle qui s'occupe d'ouvrir la boite de Pandore. Le cœur de vierge va
s'intensifier, il va nous toucher et nous allons nous transformer en statue
d'or blanc... Tout Saint-Martin va finir orné par sa force, jusqu'à ce que l'océan arrête le maléfice... Remarquez, on viendra sans doute
visiter la ville pour une autre raison que notre fameux gaz hilarant. « La roche en or » serait le nom de
baptême
de notre petit ilot montagneux. Dix milles habitants sur un petits cailloux
auraient étés statufiées vivantes.
Ils n'ont pas l'air de rire. Ils
vont l'ouvrir. Ils n'ont pas l'air de s'inquiéter non plus. Zoé suspend l'instant en proposant un petit
poème.
- Peut-être que nous n'auront
pas besoin d'ouvrir cette boite.
Papa est récupéré par ses vieux démons.
- C'est
un coffre, pas une boite.
Maman insiste pour entendre Zoé. Elle lui pose
doucement la main sur le genoux.
- Qu'importe.
- Je
voudrais lui lire ceci... Où plutôt
lui chanter !
Elle parle à un animal qu'on voudrait calmer, elle
ralentit son souffle, accompagne quelques dernier relents et murmure ensuite.
La bête
suspend son râle
et écoute
attentivement, il recherchait le manque creusé par l'homme, le partage. Zoé écarte Kapla. Elle se pose au creu de
l'oreille de mon corps comateux. Elle me chante une berceuse en éveillant mon sang.
- Prout,
prout, prout…Que
je t’aime…
Viens ici
mon petite ami !
J’ai un secret à te dire dans l’oreille…
C’est que je t’aimerai toujours à la folie.
Youpie
!
C'est à cet instant que mon corps a enfin bougé.
On a arrangé mes affaires, complété les sacs, Josiane m'a dit au revoir. Max
non. J'ai retrouvé
mon corps et sa chaleur sans dommages. Le médecin dit que je suis hors de danger.
Kapla me fait une fête
d'enfer. Ce n'est pas Kapla, mais je ne me suis permis de repenser à la pièce jetée dans la marre
comunale. Il est « comme » revenu. Et puis non,... Il est revenu. Il mange les bonbons
comme Kapla en se dressant sur ses deux pattes arrières... C'est Kapla.
La famille m'a devancée dans le couloir, il
sont même
descendu pendant que je disais au revoir au personnel soignant. Josiane m'a dit
de faire attention et de me ménager pendant quelques jours... Le médecin, je l'ai à peine rencontré. Il ne m'a rien dit...
Je passe vérifier si Jean est en bonne posture avant
de rejoindre le parking. J'ai un peu mal au cœur en poussant la porte. Son corps gît tout seul dans un lit.
Personne à
son chevet pour lui chanter une chanson. Le cassoulet qu'on avait pas mangé se trouve toujours sur
sa table de nuit en attente d'un réveil. Mais Jean est très endormi, tout les tubes qui l'aident à vivre me remplissent de
sentiments contraires. J'ai peu d'espoir pour son retour. Je m'approche un peu
timide et ne risquant rien. Je lui prend la main, inerte mais chaude. Tout dans
son corps est ramoli sauf ses yeux et leur contours. Même dans l'agonie, Jean semble conserver à l'instar du cassoulet
sa bonne humeur. Les rayons au bord des yeux, ses rides se pincent encore.
Comme pour tire...
- T'inquiète pas...
Je l'embrasse empli de
reconnaissance pour ce vécu brumeux dont je ne me rappelle que de vagues réminiscences. Soudain, au
moment où
je me relève...
Une carte à
côté du cassoulet avec un
dessin de pigeon et de moineau. Elle m'intrigue. Sur la carte une annonce en
devinette est inscrite : pourquoi est-ce que les pigeons marchent alors que les
moineaux sautillent ? Comme par une bouffée incontrôlable, je suis submergé d'émotions... Quelques flashs revécus et contemplés par bribes; les
tourments dans la tuyauterie, le passage de la blanchisseuse noire dans l'autre
monde, l'envie furieuse de manger ce cassoulet en contant un tas
d'histoires. Et la réponse d'énigme bidon : les
pigeons marchent alors les moineaux sautillent... pour avancer !
C'était bien un final qui lui ressemblait, si
j'avais moins réfléchis, j'aurais pu
trouver la solution plus tôt. Mais j'ai trop pensé à une raison hautement scientifique qu'à un principe simple et évident. Pour avancer,
tout le monde marche pour avancer, après tout, on s'en fout de savoir comment ils
s'arrangent... Je garde la carte et je trace ma route en souhaitant à Jean de rencontrer au
plus tôt
un très
grand courant. Salut mon pote.
Arrivé en haut, ayant dépassé les villas de l'amont, nous nous
approchons de la tour. La cérémonie
prévoit
d'être
moins sophistiquée
que les dernières.
Papa est en sandales, maman se coiffe d'un chapeau de paille. Tous saluent le
couple d'entrepreneur et moi-même avec de grandes distinctions et des sourires pincés. Les ouvriers ont déjà positionné les explosifs pour en terminer avec ce
symbole de l'usine. Papa place au centre le coffre et son effroyable présent. Il en est mieux de
ce destin. J'y adhère.
Le décors de l'usine était d'une arnaque inacceptable... Un musée du cinéma hollywoodien, de
grands panneau sans perspective pour donner l'apparence d'une bâtisse. Dire que chacun
des ouvriers jouait à
affirmer travailler dans une usine véritable. Derrière la façade
en carton pâte
étaient
disposés
des dizaines de tables pour le jeu de carte. Voilà pourquoi les ouvriers n'y sont pas
loquaces, ils sont complices... Plus loin des centaines de palettes semblent prêtes à être emportées par les camions. Les conserves sont
rempli d'air à
peine arrivées
à
Saint-Martin, on les ferment simplement en altitude. L'étiquette stylisée qui nous présente la montagne soufflante suffit à l'évidence du label de qualité. Le gaz hilarant n'est
autre qu'un extrait de l'air des montagnes, coutant bien plus cher en centre
ville que dans les campagnes environnantes. Le pine-pline aussi est délaissé par tout attirail, son
tuyau béant
avale l'air ambiant sans compression ni même autre système de rechargement en air...
La détonation fait le tour de l'île. Le sourd écho de l'explosion répercute le son tout
autour de nous. Les poussières de bétons s'écroulent avec les restes
d'acier et de pierres... Papa n'a plus de tour. Il ne s'y cachera plus. La
toiture s'est brisée,
le coffre est engloutit. Tous les habitants ont applaudis l'instant puis ils se
sont tous retourné
vers moi avec un regard interpellant. Papa Toni m'a poussé un peu vers l'avant pour improviser un
discours. Je ne savais pas quoi dire. Ma maman Lise m'a sourit. J'ai commencé ainsi :
- A
Saint-Martin, les drames durent tous les jours...
Il y a un sursaut dans les pensées des représentants de classes...
Je ne reprends pas la suite illico. Ils se regardent. L'un d'eux commence à applaudir et la masse
entière
révère par un soulèvement général le discours nouveau... Je répète donc...
- A
Saint-Martin, dès
à
présent,
les drames durent tous les jours...
***