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Stéphane Magron, Atelier de Nouvelles, Professeur Wim Toebosch
Gare de l'Est
nouvelle basée sur un problème social que l'on rencontre chaque jour
- Excusez-moi, monsieur ! Vous n'auriez pas une petite
pièce ? L'homme est grand, avec une tête blanche et touffue, des yeux rouges
comme son nez, un imperméable à trous au-dessus de deux pulls à grosses mailles,
tout aussi souillés que le trottoir. - Oui, bien sûr. Et je lui tends
deux francs. - Oh ! merci, monsieur. Ça ne vous dérange pas que je vous
parle ? J'aime bien parler aux voyageurs. Vous allez loin ? - Nulle part.
J'attends des amis. La gare de l'Est est bondée de C.R.S. et de jeunes
appelés du contingent, F.A.M.A.S. en bandoulière. Ils patrouillent trois par
trois. A l'affût. - Vous êtes de Paris ? - Non, non. En vacances. Je
n'ajoute rien pour qu'il ne me pose plus de questions. S'il veut parler, qu'il
parle. Je préfère l'écouter et en apprendre un peu plus sur lui, en attendant le
train de Strasbourg. Qui sait si son histoire ne me sera pas utile ? - Ah !
les vacances, c'est... Ça marche. Il est parti. - ...et ça me rappelle
les belles années. J'ai visité plein de coins sympathiques. J'avais de l'argent
à l'époque. Il se gratte la barbe qu'il a longue d'une dizaine de
centimètres. - Ma mère était propriétaire de terrains et de deux maisons,
dont une qu'elle louait. Elle était veuve. Je n'ai jamais connu mon père. Mais
la vie s'écoulait paisiblement, sans embûches. Quand elle est morte, j'avais
vingt-et-un ans et on m'a conseillé de vendre tout, pour l'argent. Le type a dû
bien en profiter. Il a eu le tout pour une bouchée de pain. Moi, j'étais
content. J'ai pu voyager avec ça. Mais pas longtemps. Il réfléchit. Se
remémore sans doute sa vie antérieure. - Dijon, vous connaissez ? C'est une
très belle ville. Les toits des maisons sont magnifiques. Des tuiles jaunes,
rouges et vertes. Et la route des vins jusqu'à Beaune... Beaune aussi est une
belle ville. Il y a les hospices. Une merveille. J'acquiesce car,
effectivement, c'est une merveille. - Et la Bretagne, vous connaissez ?
C'est magnifique. La côte de granite rose, Paimpol, la Pointe du Raz. Et les
gens sont vraiment sympathiques. J'ai connu une crêperie où l'on pouvait faire
sa crêpe soi-même et mettre de la musique. Il y avait tout un choix de disques.
C'était comme à la maison mais c'était un restaurant. - Ah ! oui, ça devait
être chouette. - Et pas qu'un peu, jeune homme. Mais le mieux, en Bretagne,
c'est la forêt de Brocéliande. J'y ai vraiment vu des elfes. Oui, comme je vous
vois. Oh ! je sais, vous ne me croyez pas. Mais quand on est sûr d'en voir, on
en voit. - Ah ! bon. Je n'en ai jamais vu. - Vous connaissez Marseille ?
Cette fois, il attend une réponse. Je me demande s'il va passer en revue
toutes les villes de France et toutes ses régions. J'espère profondément qu'il
n'a pas fait tout le tour du pays avec l'argent de sa mère. Je réponds tout de
même. - Non. - Moi non plus. Sauvé. - Moi non plus et je pense
que je ne connaîtrai jamais. Je suis cloué à Paris maintenant. Je viens de l'Est
de la France et le maire de ma ville a généreusement offert un billet d'aller
simple à tous les clodos du coin. On était content, nous autres. Pour moi, les
voyages recommençaient. Mais maintenant, on ne peut plus repartir. On a vite vu
ce qu'était Paris. Ville de lumière, mais aussi de ténèbres. C'est comme ça.
Alors, on tourne au Beaujolais. Pour oublier tout ce cirque. Il a réussi à
m'émouvoir. Je cherche une autre pièce dans ma poche, à cause de l'émotion et
parce que le train va arriver. Je lui tends deux autres francs. - Oh !
merci, jeune homme. C'est gentil à vous. C'est rare les gens qui donnent et qui
acceptent d'écouter ce qu'on leur dit. Bon, je vous laisse, je vais acheter mon
billet de train, grâce à vous. Je vais à l'étranger. Je ne comprends pas.
- Où ça ? je lui demande. - A Marseille. - Mais c'est en France,
comme Paris. - Vous croyez ? me lance-t-il tout en s'éloignant. J'en ai
marre du Beaujolais. Je vais me mettre au Pastis. Maintenant, je suis
certain que son histoire m'a été utile.
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