|
Stéphane Magron, Atelier Théâtre, Professeur Henri Billen
Saxo
dialogue entre deux personnages
- T'as vu la tête des gens ? - Pardon ! - Tu ne trouves pas
qu'ils sont moches ? - Qui ? - Les gens pardi ! - Non. Pas vraiment.
- Mais regarde bien. C'est flagrant. - Je ne trouve pas. Franchement.
- Mais si. Là-bas. Le type avec la moustache. - Si tu le dis. - Et
c'est pas le seul. Regarde celle d'à côté. - Non. Elle ça va. -
Evidemment, c'est ton avis de femme. Moi, je te dis qu'elle est vraiment moche.
- Moins que le moustachu en tout cas. - Oui. Bien sûr. C'est la
moustache qui fait ça. C'est trop laid, elle est toute fine au- dessus de la
lèvre supérieure. Quel ridicule ! - Tu exagères. Pourquoi te moques-tu des gens
ainsi ? - A cause de leur tronche. Ils le méritent bien. Ils sont
bringuebalés de partout et leur regard est vide. Leur bouche est flasque
d'idiotie. Ils sont morts. - Ce serait plutôt la fatigue, non ? Si tu
travaillais, tu comprendrais. - Justement, je préfère faire la manche. J'ai
assez travaillé avant. Et quand je pense que j'avais la même sale gueule
qu'eux... - Tu es méchant. Tout le monde ne peut tout de même pas faire
comme toi. Sinon, qui te donnerait de l'argent ? - En tout cas, c'est pas la
beauté qui les étouffe, ceux-là. Leur laideur me rend nerveux. Je n'supporte pas
la vue de la mort. Quel but ils poursuivent ? Celui de mourir avant la fin ? Ils
s'entraînent pour ne pas être surpris quand leur heure viendra ? - Oh !
regarde. Un homme avec un saxo. Comme toi. - Qu'est-ce qu'y fout là çui-là ?
Il a pas le droit. S'il joue une seule note, je le défenestre. C'est mon wagon.
Et il le sait. - Il va jouer. - Je suis sûr qu'il joue comme un pied en
plus. Une seule note et il est mort. On a pas le droit d'ôter le pain de la
bouche des autres. Y'a des règles à respecter. - Ca y est. Il joue. - Oh
! putain. J'vais m'le faire. - Mais puisque tu ne joues pas... Laisse-le.
- C'est pas une raison. Il me prend ma monnaie. Tu comprends ? - Bon. Je
te laisse. Moi je descends là. Bonne chance. (Elle lui tend cent francs.) -
Ouais ! c'est ça. (Elle descend.) Tous les mêmes ces travailleurs. Ils pensent
se soulager de leur misère avec celle des autres. Par leur fric. (Un temps.)
Tiens, salut Marianne. T'as vu la tête des gens ? - Pardon ! - Tu ne
trouves pas qu'ils sont moches ?
Le present texte est protégé par le droit d'auteur et ne peut être diffusé
ailleurs sans autorisation.
|