Avant-propos
Habitant la campagne
hennuyère, j’ai beaucoup de sympathie et de respect pour « les gens de
chez nous »
Et, c’est avec
félicité que je me suis immiscée dans la vie d’ Ernest et Georges, mes deux
personnages.
Mais en voulant
préserver l’authenticité du côté terroir, je me trouvais confrontée à la
résolution de la quadrature du cercle.
S’il fallait que
le Wallon soit crédible (merci à toi Ernest), il fallait aussi qu’il soit
compréhensible par les francophones et les francophiles.
Aussi, et je m’en
excuse auprès des puristes et des défendeurs de l’orthographe Feller, le Wallon
parlé dans ce livre est simplifié. Il n’est pas le reflet d’une seule région, il
emprunte ses expressions aux montois, aux tournaisiens, aux carolos, aux
nivellois, aux namurois.
Pour l’orthographe
j’ai choisi la phonétique dans l’espoir d’être, pour chacun, la plus
compréhensible possible.
MM
Remerciements
A mon époux pour
sa patience
A Ernest pour sa
science
Petit dictionnaire sans prétentions…
Pour faciliter
la lecture :
Dans ce livre le
‘’ je’’ se prononce ‘’dj’’
Et tous les sons
‘’en- an’’ ou ‘’ie’’se prononcent ‘’in’’ ; Rien devient rin, important
devient importint….
A
Ad’ taleur :
à tantôt
Agon,
agonne : malhonnête,
voleur
Apisser,
apissie : attraper,
attrappé(e)
Arnas : arnachement, attirail, matériel
Artoiles :
orteils
Ascuser,
ascusez : excuser,
excusez
Avos : avec
Awèr : avoir
B
Baraki : littéralement quelqu’un qui habite dans une
baraque, un forain, un gitan. Mais signifie aussi quelqu’un de pas très
correct, un peu voleur, un peu tricheur ou quelqu’un de mal habillé.
Bèdo : mouton
El berce :
le berceau
Berdouille :
littéralement, c’est de
la boue ; mais la côte de porc à l’berdouille, est une recette
typiquement montoise ; à base d’échalote, d’ail, de vin blanc et de
cornichons ( goût voisin de la béarnaise), cette sauce est un peu brune (comme
de la boue) car elle a pour base le beurre brun de cuisson de la côte de porc
(ndr à essayer, c’est délicieux !)
Berloque,
battre el berloque : breloque,
battre el berloque = avoir son cœur qui tressaute, qui bat la chamade
Berzingue : fou, dingue
Bia : beau
Bie : Bien
Bièssetries :
bêtises
Biètes : des
bêtes, des animaux.
Bine aise :
bien aise
Bo (du) : du bois ; les lunettes à grosses
montures sont appelées par dérision des lunettes de bo ( de bois)
Boquet : un peu
Bouter : Travailler.
Brin, brin de
coulon : défécation,
fiente de pigeons
C
Em’
camarade : signifie
ici mon ami. Rien à voir avec terme le camarade employé dans le monde politique
socialiste.
Caruche : prison
Cauw : un coup
Chaffes : des baffes
D’Chute :
tout’ d’chute : de
suite, tout de suite
Cinse : de l’ancien français, cense : ferme
Cisse : abréviation de saucisse
Clauws : des clous
Cliquotter :
trembloter, flageoler
Constateur : terme français, appareils servant à
constater l’heure d’arrivée des pigeons lors des concours.
Coulons : des pigeons
Coumère : une femme ou une petite amie
Crasse
pinte : une bonne
bière
Crasnez : littéralement : morveux. Ici à comprendre
comme :personne mal embouchée, méprisante
D
D’auci : ici
Desgadgie :
dégager
Desquindre,
desquindant : descendre,
descendant
Destrue,
destrur : littéralement :
détruit , détruire, à comprendre comme synonyme de suicider .
D’viser : deviser, parler
D’vez , vous
d’vez : devez, vous
devez
E
Ey adon : Et alors
Eyèt : normalement signifie ‘’et’’, ici il faut
traduire par ‘’ et alors’’.
Éwaré : idiot
F
Fier (du)
: du fer
Foc - il n’y a
foc : il n’y a que
quelque…
Fougne, avoir
fougne : faim, avoir
faim
Frumer : fermer
G
Gambe : jambe
Gayolle : cage, une belle petite gayolle :
chanson traditionnelle wallonne ;
Goyie,
Goyèt : cou
Guernie : grenier
H
I
Ieau : eau
Immanchie :
emmancher
Inlogie : enloger : enregistrer les pigeons
lors de concours .
Inradji : littéralement : enragé,
Inrâler (
s’) : s’en aller
J
K
Kièt : chien
L
Layer : laisser
Liards : ancienne monnaie, signifie ici de l’argent
Longmins :
longtemps
M
Marchau : maréchal ferrant
Mauw : mal, plus mal
Mellettoise :
bière de la région de Mellet
Mingie : manger
Mitan : moitié
Morciau : morceau
Mougnie : mangé, bouffé.
Mougneux d’
blanc : proxénète,
opportuniste, magouilleur, quelqu’un qui vit sur le compte des autres
Moujonne :
maison
Mourzouk :
butor, impoli
Mourt : mort
Moustrez,
moustrer : montrez,
montrer
Mouwèze, mouwè : mauvaise / méchante, mauvais/méchant
Muchette :
cachette
Muchie : cacher, dissimuler
N
Nareux : personne précieuse, vite dégoûtée, ici à
comprendre comme synonyme de snob
Navia, être
blanc comme un navia qu’on aurait pelé deux cauws : navet, être blanc comme un navet qu’on
aurait pelé deux fois. Synonyme de livide.
Noss : notre
Nut (el) :
la nuit
O
Ostils : outils
Oyie : oui
P
Padrie : par derrière
Paltot : manteau
Panchu : littéralement = ventru, ici à comprendre comme
gros parvenu
Papies : papiers
Pesteler :
piétiner
Pia : peau
Pidjoneux :
synonyme de couloneux :
éleveur de pigeon
(s’)pind’ :
se pendre
Plats piyes :
littéralement quelqu’un
qui a les pieds plats. A comprendre ici comme quelqu’un qui met toujours ses
pieds dans le plat.
Pouilles :
des poules
Pouyon : poussin
Prone : littéralement c’est une prune, mais avoir
une prone c’est être saoul, synonyme d’avoir une chike.
Q
Qué : vient de quérir : chercher
R
Rade : vite
Rakatter :
racheter
Rasconter :
raconter
Rastreint :
freine, réduit
Rattinte,
rattindre : attendre
Renettechie :
nettoyer
Rewaitie :
regarder
Rinfrumer : enfermer
S
Saisi : idiot
Saqwè : quelque chose
Scrire : écrire
Scroté, scroter : escroqué, dérobé, délesté, chapardé,
escroquer
Simb, simblout :
semble, semblait
Sint,
sintir : sent, sentir
Spépier : étudier attentivement, scruter, analyser
Sporon : littéralement =ergot de seigle, à
comprendre ici comme vieux copain.
Spluchie,
spulchions :
éplucher, épluchions
Stie : conjugaison du verbe être
Stranner :
étrangler
Stitchie :
flanquer
T
Taveau : tout plein de…, rempli de… ; partout
Tchère : choir, tomber
T’chmin : le chemin
Tertoute :
tout le monde, tous
Tièsse : une tête
Toudis : toujours
U
Uche, à
l’uche : porte, à la
porte
V
Vire : voir
Visine : voisine
Vîy, Vîye :
vieux , vieille
Dj’ viye :
je viens
W
Waitir,
waite,waitez : regarder,
regarde , regardez
X
Y
Yèsse : forme conjuguée d’être
Z
Zies : yeux
Pigeon vol
Chapitre I
En ce beau matin
du mois de mai, Ernest Tirtiaux, fonctionnaire retraité de la Région Wallonne, est attablé dans la cuisine devant un infâme jus de
chaussette fumant, qu’il s’entête à appeler café. Il savoure ces quelques
instants de paix et de silence, à peine troublés par le tic-tac monotone de la
grosse horloge Westminster. Les dix coups matutinaux viennent de sonner. Ernest
s’étire et sourit ; il entrevoit l’instant où il va, enfin, pouvoir s’occuper
de ses petits chéris.
Il jette un
regard alentour, la cuisine est parfaitement rangée. Le salon sent bon
l’encaustique et il en a pris la poussière, il y a un quart d’heure. Son lit
est fait, l’aspirateur est passé dans tout l’étage et la lessive sèche au
soleil.
Avec tristesse, il
songe que jusqu’il y a cinq ans, c’était sa chère maman qui s’occupait de tout
cela. Malheureusement, elle est morte il y a trois ans, deux ans après le
père. Et lorsqu’il s’est retrouvé seul, livré à lui-même, ce fut un vrai
cauchemar. En vieux garçon qu’il était, il ne s’était jamais préoccupé de rien.
Bien sûr, il donnait un coup de main pour les travaux de la ferme, mais pour
le reste, maman veillait à tout. Une carte de banque, une déclaration fiscale,
un contrat d’assurance, le ménage, tout cela lui était totalement étranger.
Aussi, bénit-il, Georges, son ami d’enfance, qui l’initia à la vie
administrative et Rose, son épouse, qui lui inculqua toutes les subtilités de
l’ art ménager.
Aujourd’hui, comme
un grand, il peut se rendre à la banque sans être ridicule, remplir haut la
main sa déclaration d’impôts. Il peut nettoyer, cirer, lessiver sans tout faire
bouillir. Il s’est même mis à la cuisine ! Le dimanche, de ses blanches mains,
il fait son pain et son cramique.
Pauvre
Rose ! En voilà encore une qui est partie trop tôt, deux ans déjà que son
ami est veuf.
- Oh là ! se dit
Ernest, il me semble que je broie du noir !
Je vais jeter un
coup d’œil à la Gazette, cela me changera peut-être les
idées !
Allons bon, encore
un nouveau scandale à Charleroi ! Bon Dieu ! Mais si ce n’est pas Dutroux, ce
sont ‘’les affaires’’, dans quel monde vivons-nous ! Y en a marre !
Rageusement, il
referme le journal, saisit sa tasse de lourde porcelaine blanche à liseré vert,
la rince sous le robinet d’eau froide et la range, soigneusement, sur la
vieille étagère de bois peint. Un dernier regard, tout est en ordre, il peut,
en toute quiétude, rejoindre ses petits.
À pas mesurés, il
sort de la cuisine. Au bord de la terrasse ombragée par une énorme glycine serpentine,
il prend une grande bouffée d’air.
- Bon Dieu !
Qu’il fait doux aujourd’hui !
Il jette un coup
d’œil au vieux thermomètre d’émail blanc et s’écrie : 21 degrés ! Mais
c’est l’été.
-Bah ! oui, tiens
! C’est une très bonne idée. Ce midi, je dîne sur la terrasse !
D’un pas
guilleret, il traverse la vieille cour aux pavés inégaux et rejoint la grange.
Il entrouvre l’énorme porte grinçante, foule le sol en terre battue, slalome
entre l’ancien tracteur de son père et les moissonneuses-batteuses rouillées,
pour arriver enfin au vieil escalier de bois. Il en gravit les marches
branlantes et arrive au palier. Là, il chausse ses vieilles pantoufles et avec
d’infinies précautions, il ouvre la porte de son pigeonnier.
Comme chaque matin,
il ressent au creux de l’estomac une légère angoisse. A mots très doux, il
appelle ses oiseaux : petits, petits, petits, montrez-vous mes tous beaux,
papa est là !
Campés sur leurs
pattes rougeaudes, la poitrine brillante, l’œil rond, vif et le port altier,
les cinquante volatiles sont tous en pleine forme.
Apaisé, il ouvre
grand la fenêtre et se dirige vers la première volière, celle où logent ses
petites chouchoutes : ses blanches colombes.
- Ah, voilà les
plus belles ! Venez mes cocottes !
Avec des gestes
très doux, il saisit un à un les oiseaux au blanc ramage. Après un affectueux
gratouillis et un bisou sur le bec, il les dépose délicatement sur l’appui de
fenêtre.
- Allez mes
fifilles, envolez-vous !
Et comme à regret,
la nuée blanche obéit, prend son essor.
Avec le regard
tendre du père surveillant sa marmaille, pendant un long moment, Ernest,
observe leur vol élégant et diaphane.
Il a toujours
admiré la grâce, l’élégance, la fragilité, de ces oiseaux. Son père, plus
prosaïque, considérait les volatiles d’Ernest comme des bouches inutiles à
nourrir.
Souvent, bourru,
il vétillait :
- Mais à quoi
servent ces biètes-là, ça gagne même pas d’ concours !
Un jour, Ernest, a
bien essayé de lui expliquer qu’une colombe, c’était beau, doux, délicat,
harmonieux, mais devant le regard incrédule de son père, il n’a plus jamais osé
aborder le sujet. Et afin de ne pas émarger au budget paternel, Ernest, le
scrupuleux, prélevait de son maigre budget d’écolier, le prix des quelques
graines de ses oiseaux de paix.
Derrière lui, les
pigeons piaulent et piétinent d’impatience…
Ernest a compris
le message, il les connaît si bien, ses petits ! Il fait jouer le loquet de
bois de la grande volière, une marée grise s’engouffre pêle-mêle dans
l’embrasure et prend son envol.
Ensuite, il vaque
à ses nombreuses occupations : nettoyer et regarnir les mangeoires, les
abreuvoirs, remettre de la paille fraîche, un fond de cage propre. Puis, il
visite les plus petites cages, vérifiant les nichoirs de Valentine et Aphrodite.
- Et non ! Soupire
t-il. Elles n’ont pas encore pondu leurs jolis petits œufs blancs. Pourtant,
je suis bien impatient de voir ce que va donner ce nouveau croisement !
D’un geste qui lui
est habituel, Ernest saisit le balai et se met à brosser énergiquement le
plancher. Mais bien vite, il s’interrompt, pour en revenir, le regard ému, au
vol puissant de ses palombes.
En professionnel,
il apprécie les circonvolutions de Minerve et d’Apollon, ses deux champions.
Dans trois jours,
ils iront concourir à Bourges. Et s’ils sont classés dans les trois premiers, il
pourra peut-être faire un profit substantiel en vendant le couple à l’un ou
l’autre acheteur japonais.
Son excellente
réputation dans le milieu et le palmarès époustouflant de ses petits chéris
méritent un bon prix :10 000 € pièce ?
Pourquoi pas ?
Et comme la Perette de la fable, Ernest se prend à rêver…
Avec cet argent,
il achètera un couple de ‘’queue de paon canadien’’ à son ami Georges. Ensuite,
il modifiera le pigeonnier. Il construira un espace douillet pour l’élevage,
une nouvelle volière, un espace infirmerie, et puis, et puis, les pensées
d’Ernest s’évadent…
Soudain, surgissant
du pied de la grange, une grosse voix l’interpelle.
- Ey ! Adon
Erness, on n’boute nin aujoud’hui !
Emergeant
brusquement du doux pays des songes, Ernest se demande quel est ce malotru qui
abrège de si belles rêveries !
- Ah ! Mais
c’est Georges. Commint qu’ça va m’ camarade ?
- Boooh ! Ça va ni
plus mauw !
Dj’ v’nais
justemint vous vire pou’l’concours de samedi.
- Bon ben, mettez-vous
su’l’ terrasse, y a del goutte dins l’armoire et des pintes au frigo.
Servez-vous, el timps que dj’ rinfrume mes coulons.
Il ajoute en riant
: il y a aussi de l’ieau au robinet, mais dje pense nin que vous en f’rez
usage !
Georges qui se
dirige vers la terrasse, le gratifie d’un sonore:
- All’z en au
diab’
-Bon ben, c’est
pas tout, où c’qui sont passés maintenant !
Petits, petits,
petits…. Rou, rou, rou
La plupart des
volatiles rentrent un à un, mais aucune trace de Minerve, ni d’ Appolon
Inquiet, Ernest scrute
l’horizon.
-Petits, petits,
petits…. Rou, rou, rou
- Nom de
bleu ! Je devrais déjà les voir revenir.
Pourvu qu’ils ne
se soient pas fait bouffer par un sale chat.
Petits, petits,
petits….. Rou, rou, rou
Ah , enfin ! les
voilà.
Bonjour Apollon,
bonjour Minerve, bonjour mes jolis.
Allez, venez chez
papa.
Ernest saisit les
oiseaux et les replace délicatement dans leur cage toute propre, garnie d’une
ration de graines vitaminées, dans laquelle il rajoute, les veilles de
concours, des graines de pollen et un peu de gelée royale, mais chuttt !
Ça c’est son petit secret, son doping à lui !
Avant de
descendre, il refait le tour des cages et avec un petit pincement au cœur, il
quitte ses précieux pigeons, referme la porte et s’en va rejoindre son ami.
Georges l’accueille
en riant :
- Dj’ nous ai
servi deux bières, mais si vous préférez de l’ieau, y da au robinet !
- Eh adon ! Em vîy
camarade, qu’est-ce que vous m’ rascontez ?
- Dj’ v’nais vire combien
d’coulons vous mettiez au concours de Bourges.
- Dj’in inscrit
seulement 12.
- Vous n’verrez ni
d’inconvénients à ce qu’ dj’ vienne avos vous ?
- Non hein
donc ! Nous d’irons à deux , à cinq heures chez Tatâve pour les inlogie et
prind les constateurs. Ça vous va ainsi ?
- Oyie, que ça
m’va !
Allez Santé ! Faut
nin laisser r’froidir les bonnes choses !
- Aaaah ! Ça
fait du bien une bonne crasse pinte. Hein Georges ?
Vous d’meurez
mindgie ène tartine avos mi ?
- C’esse t’ène
bonne idée. Dj’ retourne à m’ maison , dj’ ramenerai un morciau de pâté de chez
Firmine, pommes et calva ! Un délice, vous m’en direz des nouvelles.
Ad taleur ?
- Oyie, dj’ vais
mette el tab’ pendin c’timps là !
Chapitre 2
7h30, Marie, la
secrétaire de rédaction, prend connaissance des premières dépêches.
Tout est calme,
reposant. Son petit café à la main elle savoure ces quelques instants paisibles
avant l’agitation de la journée.
- Oh, non !
s’exclame-t’elle. Ça sonne déjà.
Pfff, ils commencent
vraiment tôt….
Allo, la rédaction
du journal ‘’ Le Matin’’, bonjour…..
Vous dites qu’il y
a encore du Rififi à Charleroi ?
C’est quoi aujourd'hui ?
Van Cau a étranglé Chastel ?
Ah bon ! Encore un
nouvel échevin inculpé.
Bien, je vous envoie
quelqu’un.
Elle se précipite
vers le bureau de verre du Rédacteur en Chef et l’apostrophe :
- Domenico ?
Il y a encore un échevin inculpé à Charleroi !
Le Rédacteur en
Chef lève le nez et s’exclame :
- Mais c’est pas
vrai, c’est tous les jours !
C’est qui cette
fois ?
- Delbic
- Delbic ! Waow,
c’est du beau linge !
- Ouais et on
envoie qui ?
- Envoie Michel et
le photographe.
Puis, se ravisant,
il rappelle sa secrétaire.
- Oh ! Marie,
appelle-les sur leurs portables, à cette heure, ils doivent déjà être sur la
route.
À petits pas
nerveux, Marie, s’en retourne vers son bureau, prend son répertoire
téléphonique et prévient les deux journalistes.
Le combiné à peine
raccroché, la sonnerie retentit à nouveau.
C’est Mademoiselle
Emeline de La Garde, l’attachée de presse du Ministre de l’Equipement
et des Sports. Celle-ci rappelle la présence de ‘’son Ministre’’, Mr Dutry,
lors de l’inauguration de la salle omnisports de Courcelles, ce soir à 18h.
Elle aimerait savoir si l’évènement sera couvert par le journal.
Marie, signale à
l’attachée de presse qu’elle en parlera à son patron.
Elle raccroche et
ronchonne : on voit que les élections ne sont pas bien loin.
Sur ces entrefaites,
sa collègue arrive.
- Salut, Jeannine.
Accroche-toi aux cocotiers, ça s’agite déjà !
- Déjà ! Qu’est-ce
qui arrive ?
- Un échevin
indélicat et Mademoiselle Emeline de La Garde, une
attachée de presse zélée qui, je le pressens, va nous pourrir la journée, pour
qu’on aille faire un article sur ‘’ son Ministre ‘’.
Le téléphone
résonne à nouveau, Marie exaspérée demande à Jeannine de prendre la
communication le temps qu’elle puisse, se resservir ‘’le petit café’’ dont elle
rêve tant.
Jeannine décroche.
Elle est abasourdie par ce qu’elle vient d’entendre.
Elle se précipite
vers la cage de verre.
-
Domenicooo ! Il y a un carambolage sur l’A54 ! Douze voitures embouties et
un camion d’acide sulfurique sur le flanc ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Décidément, se dit
Domenico, la journée démarre sur des chapeaux de roues.
- Demande à Benoît
de faire l’article et de prendre lui-même les photos.
Vers neuf heures,
dans la fourmilière du journal, les choses semblent un peu se calmer.
Benoît, est rentré
de son reportage sur l’A54. Michel, entre deux portes, revient faire un premier
point sur l’affaire de l’échevin inculpé ; avant de repartir bien vite, un coup
de fil lui signalant qu’un deuxième personnage va être entendu.
Midi : le
téléphone retentit au bureau du Rédacteur-Adjoint : Simon Maloy.
Attentivement,
Simon écoute son informateur, puis pâle et incrédule, il articule :
- Oh non ! Pas
ça, pas aujourd’hui !
Affolé, il accourt
auprès de son chef en criant : Domenico !
- Quoi encore ?
- Un site Seveso
qui crame !
- Où ?
-Où ?site Seveso qui crame !coup de fil lui signale qu'et
peu de temps aprèsconnniers sur l'- Fluide Gazeux à Charleroi.
- Benoît est
rentré ?
- Oui.
- Envoie-le,
fissa. Et qu’il prenne Hugo pour les photos.
Mais quelle journée
de merde !
D’une main
nerveuse, il décroche le téléphone pour appeler sa secrétaire.
- Marie,
pourrais-tu appeler quelques correspondants en renfort. On ne s’en sort plus.
En début d’après-midi,
Marie grappille quelques instants pour mâchouiller
son sandwich fromage-crudités.
L’accalmie est de
courte durée, car l’engin du diable se remet à tinter.
Au bout du fil,
Emeline de La Garde, chargée de communication pour le Ministre
de l’Equipement et des Sports, s’en vient aux nouvelles.
- Pouvez vous me
confirmer la présence d’un journaliste pour
ce soir ?
- Ecoutez Mademoiselle
de La Garde, nous avons eu beaucoup d’incidents sur la
région de Charleroi aujourd’hui. Tous nos journalistes sont sur le terrain.
Pour l’instant, il
nous est impossible de confirmer ou d’infirmer notre présence, mais ressonnez
un peu plus tard, on pourra faire le point.
Au revoir
Mademoiselle.
Marie claque le
téléphone.
Vouant aux
gémonies toutes les attachées de presse et tous les services communications des
Ministres, Secrétaires d’État, Bourgmestres et autres potentats locaux !
D’un pas rageur,
elle se dirige vers le bureau rédactionnel et se plante raide comme la justice
devant Domenico.
- Quelque chose ne
va pas, Marie ?
- Mademoiselle
Emeline de La Garde !
- Oui et alors ?
- Cette punaise
nous tanne pour que nous fassions un reportage sur l’inauguration de la salle Omnisports
de Courcelles, où ‘’ son Ministre’’, sera présent.
- Oups ! Je lui avais
promis d’envoyer quelqu’un.
Qui devait couvrir
l’évènement ?
- Michel
- Impossible de
l’envoyer, il est au palais de justice.
Benoît est chez Fluide
Gazeux, Jacques est au Spiroudôme.
Laurence ?
- Elle se trouve à
l’inauguration du nouveau bureau de Poste de Gilly.
- Martine ?
- Elle est à Thuin
?
- Stéphane ?
- Au lit avec la
grippe !
- Il ne reste personne ?
Même parmi nos
correspondants ?
- Il reste bien
quelqu’un.
- Qui donc ?
- Ernest Tirtiaux.
- Ernest, celui
qui écrit la rubrique du pidjoneux ?
- Ouais ! C’est
tout ce qui nous reste en rayon.
- Bon, appelle-le,
comme ça, Mademoiselle de La
Garde nous foutra peut-être la
paix !
Et que Dieu nous
préserve d’une nouvelle catastrophe !
Chapitre 3
Ernest dépose, sur
la vieille table rouillée de la terrasse, une abominable toile cirée orange à
grosses fleurs vertes.
Il dresse le
couvert et dépose au centre de la table un plateau copieusement garni d’un
assortiment de charcuteries et fromages.
Derrière lui, les
jappements profonds d’un énorme Saint Bernard se font entendre.
- Ah ! Mais c’est
ma Tara !
Tu as semé ton
maître fifille ?
Tu veux peut-être
un petit quelque chose à manger ?
Assise, les
oreilles dressées, l’œil vif, l’énorme queue touffue martelant joyeusement la
terre, la chienne lui répond par quelques ‘’woufs’’ très intéressés. Ernest lui
tend un bon gros morceau de saucisson.
- Quand je pense
que les dgins disent qu’ils ne leur manquent que la parole moi, je pense qu’ l’
nature est bien faite !
S’ils avaient la
parole, ce serait comme avec les coumères, on aurait juste le droit de se taire
!
Dans son dos la
grosse voix de Georges retentit.
- Ey, adon !
On d’vise tout seu’ ?
- Ben oui !
Depuis plus d’ soixante ans que dj’ sus célibatair’…
- Vous n’avez qu’à
vous mârier !
- Asseyez-vous, à
l’ place de dire des bièssetries. Vous avez ramené vos bon pâté ?
Georges dépose sur
le plat, une belle grosse tranche de viande délicieusement odorante, et les
deux amis attaquent de bon cœur le casse-croûte improvisé.
Tout en mangeant,
Ernest le vieux célibataire et Georges, le veuf joyeux refont le monde comme à
leur habitude.
- Qu’est ce que
vous pinsez de mon pâté ?
- Il est rudemint
bon ! C’est chez Firmine qu’on vind ça ?
- Oyie ! C’est
Louis qui m’ l’avait fait goûster. Au fait vous avez des nouvelles de Louis ?
Commint c’est qui
va, c’lâcheur !
- Y va bie ! Y
m’escrit qu’avec le soleil de Provence, il a moins mauw s’ dos et ses rhumatiss.
Y court comme un lapin , maintenint !
- Est-ce qu’i' se
plaît ?
- Ça a l’air ! Y
fait d’jà partie du club de coulons et y prind souvint l’apéro au bistrot du
coin !
- Ah, ça ! C’est
bien not’ Louis !
Au moins, y n’
voit pas tout c’est qui s’ passe ici !
Vous avez lu din
vos Gazette, qu’il y a quo un éch’vin carolo qui aurait fait des siennes ?
Mais ça n’arrêt’
nin !
- Ouais, dj’ vos
l' dit comme dj’ l’pinse, dj’suis bie contint de scrire em rubrique du
pidjoneux !
- Au fait z’allez
scrire quoi cet’ semain’ ?
- Dj’ pinsais
parler du concours à Bourges et dj comptais un peu sur vos.
- Sur mi ?
- Dj’ pinsais
scrire un papie sur vos coulons spécials, les ‘’Queues de Paon canadiens’’
- C’est vrai
qu’c’est des fameuses biètes !
Dis-donc em
camarade c’n’est nin vos téléphone qui sonne ?
Ernest se
précipite vers la cuisine et décroche le combiné.
Au bout du fil,
Marie, lui explique tous les problèmes qu’elle rencontre au bureau et lui
demande si exceptionnellement il ne peut pas la dépanner en allant à
l’inauguration de la salle Omnisports.
Tout heureux de
pouvoir rendre service, Ernest note les renseignements et après avoir salué
Marie, il rejoint son ami.
Georges, curieux
comme une pie demande :
- Ça stie l'
journal ?
- Oyie, quo ch’est
qu’ vous faites au nut ?
-Mi ? Rie.
- Ça vous dirait
de v’nir avec mi pour un reportach’ ?
Après, on boira un
verre su’l compte du Miniss’ !
- Su’ l’ compte du
Miniss ? Tout chûte !
Y aura des p’tits
fours ?
- Des p’tits
fours, dje n’ sais nin, mais des sandwichs ça c’est certain !
- Dj’ dois yèsse
prêt à quèl’ heure ?
- Dj’ vi vos qué à
sept heures.
- Bon, ben salut,
dj’ cours met’ em bia costume dit Georges en se dirigeant, vers sa petite
ferme, le Saint-Bernard sur les talons.
Chapitre 4
Dix-huit heures
quarante-cinq, Ernest ferme soigneusement la porte de la cuisine et se dirige
vers sa voiture en sifflotant, il dépose sur le siège arrière son appareil-photo
et son carnet de note, puis il démarre.
Il est ravi de
constater que devant la ferme rose, Georges l’attend déjà.
Waow, se dit
Ernest, il est tout chic ! Espérons que le costume ne sente pas trop la
naphtaline !
- Bondjour, dit
Georges en s’installant, vous avez tous vos arnas?
- Oui, quo ch’est
qu’on fait, on prind pa’ Gosselies ?
- C’est vous
l’tchauffeur, vous faites comme vous v’lot !
Au bout d’un quart
d’heure de route, Georges commence à s’agiter sur son siège.
Il fait sombre,
il ne voit rien, il ne reconnaît pas le chemin. Or, depuis sa plus tendre
enfance, sa hantise est de se perdre dans les campagnes profondes.
Même en sachant
qu’Ernest déteste parler en roulant, il n’y tient plus.
- Vous êtes bie
sûr d’ connaît’ èl tchemin ?
- Oh non !
Georges, vous n’allez nin commenchie ! Oui dj’connais l’ tchemin,
tranquilisez-vo’s !
-Y m’simb’ qu’y a
brâmint des pâtures !
Excédé, Ernest se
contente de répondre par un grognement de mépris.
Il a beau
connaître le petit travers de son ami, cela a toujours eu le don de l’énerver.
Heureusement, se
dit- il, la salle sera bientôt en vue !
Et au détour d’une
petite route sinueuse, la nouvelle salle apparaît dans toute son affligeante
banalité architecturale.
Mon Dieu, que
c’est moche, pense Ernest, ça doit encore être un fils de.., un mari de… ou un
cousin de … qui est l’auteur de cet hideux et dispendieux édifice !
Il se gare près de
la porte d’entrée, et avec une fierté un peu naïve, il prend son matériel ‘’du
parfait petit journaliste-reporter ’’.
Lorsqu’ils entrent
dans le bâtiment, leurs narines sont sauvagement agressées par quelques
indélicats fumets d’écoulements.
Hmm ! se dit
Ernest, ils ont encore lésiné sur le budget des égouts !
Toujours très
diplomate, Georges s’exclame à voix haute :
- Dj’ ne sais nin
c’que vous en pinsez, mais, mi, j’trouve que ça sint meilleur din m’ cinse !
Ernest fiche un
grand coup de coude dans les côtes de son copain.
-Hé, rastrint ! On
ne sait jamais qui c’est qui est padrie nous !
Et la voix de
derrière de commenter :
- Mi dj’ sûs
d’accord avec môssieur, ça sint aussi meilleur dins m’cinse !
Alors qu’ils pénètrent
en riant dans la grande salle Omnisports, flambant neuve, Ernest est apostrophé
bruyamment par un géant
barbu :
-Ah ! Mais, c’est
le grand journaliste du Matin !
Il se retourne et
voit son confrère de la
Dernière Heure.
Tout en se
dirigeant vers lui, il lui rétorque rieur :
- Mais c’est notre
Armand ! La plus belle plume de la
DH !
Salut, mon
vieux, tu es aussi de service ?
- Bah je suppose
que comme chez toi, il ne restait plus beaucoup de monde à la rédac ! On a donc
mis les pidjonneux à l’ouvrage.
- Ouais, c’est
aussi la panade chez nous.
Armand, je te
présente mon meilleur ami : Georges Lebrun.
- Enchanté,
Monsieur. Dis Ernest, pendant que tu travailles, j’vais d’jà occuper l’ terrain
près du buffet !
- Très bonne idée
! Mets-nous un verre de côté et sauve aussi quelques bonnes petites choses
à grignoter !
Ouf ! Je suis
content d ’être là , j’avais peur d’être en retard !
-Ne t’inquiète pas
dit Armand. Y parait que le bourgmestre sera un peu en retard et il ajoute en
riant :
- Il a eu un
vêlage difficile !
- Ah oui, c’est
vrai qu’il est vétérinaire !
Aah ! Vla le Ministre,
préparons l’attirail !
Pendant que les
stylos-billes et les carnets sortent, les appareils-photos et caméras se
mettent au point, Mademoiselle Emeline de la Garde,
très gracieuse dans son tailleur-pantalon noir veiné de blanc, distribue d’un
geste élégant les fardes de presse.
Le crayon à la
main, Ernest s’apprête à noter les saillies de Monsieur le Ministre,
lorsqu’Armand lui murmure à l’oreille :
- T’as vu ton
copain ? Il ne perd pas de temps !
Et en effet,
Ernest voit au loin, un Georges, passé de l’autre côté du bar qui drague adroitement
une accorte serveuse quinquagénaire.
Le regard amusé,
il se retourne vers Armand :
- C’est un rapide
le gaillard !
Les toc- toc, les
allo-allo, les 1,2,3 dans le micro et le ‘’ tout le monde m’entend bien ?’’
rappellent les deux compères à l’ordre.
Le show va
commencer.
Après les
congratulations d’usage et son traditionnel discours mégalo-lénifiant du style ‘’c’est
moi qui ai tout fait, tout vu, tout lu et les autres je les em….’’, Monsieur
le Ministre Dutry, sourire carnassier se dirige d’un pas royal vers le cordon
inaugural.
En bon
professionnel de la com., il reste pendant une plombe avec les ciseaux prêts à
couper le ruban. Aimablement, il sourit, à gauche, au centre et à droite. Il
faut s’assurer que les reporters de toutes tendances aient le temps de prendre
une photo de son meilleur
profil !
Enfin il découpe
le galon et invite la presse au verre de l’amitié.
La nuée des
voraces se précipite au buffet. Sus, au premier qui attrapera le verre de
pétillant, tiède.
Pendant ce temps,
élections obligent, Monsieur le Ministre Dutry, le mousseux à la main (il
déteste le champagnisé, il va encore avoir le brûlant !) tel le vulgum pecus,
s’encanaille parmi les ruraux et la populace. Une poignée de main par-ci, une
promesse électorale par là, il virevolte, il sourit, l’espace de quelques
photos prises au pseudo-débotté, puis il s’éclipse promptement car il lui faut
encore honorer de son ineffable présence la distribution des labels de la tarte
al djote à Nivelles.
Ernest est
content de lui.
- Tout est dans la
boîte comme ils disent à Télé Sambre ! Je crois que les photos seront bonnes.
Et puis avec la farde de presse, on a tous les renseignements. Il ne faut donc
pas se tracasser.
On a bien le temps
de se prendre un petit rafraîchissement.
Il apostrophe son
confrère de la DH,
- On va s’en jeter
un petit ?
Difficilement,
Ernest et Armand se frayent un passage parmi la pléthore des inamovibles
pique-assiettes.
Arrivés près du
buffet, Georges leur tend un verre de bulles toutes fraîches et toutes dorées
en murmurant :
- C’est de la
cuvée du mayeur vous verrez, c’est du bon ! C’est Annie qui nous l’a servi !
Ernest tu te
souviens d’Annie ?
On était ensemble
à l’ maternelle, chez sœur Renée !
- Un peu
embarrassé il répond un vague ‘oui’, il me semble que je la reconnais !
Puis en parfaits
gentlemen, Armand et Ernest, lèvent leurs verres à la santé de cette brave
Annie qui les dorlote si bien !
Lorsqu’il n’y eut
plus de petits fours, ni de pains-surprises et que le vin du mayeur s’en vint à
manquer, les trois compères décidèrent de prendre congé de la charmante ‘’Annie
de la maternelle’’. Diplomates, Armand et Ernest quittent les lieux en premier,
histoire de laisser un petit peu de champ à l’ami Georges !
En attendant le
dragueur impénitent, les deux pidjonneux discutent concours, élevage. De loin,
ils aperçoivent leur compère, fourrer d’un geste prompt, un petit billet de
papier blanc, dans la poche.
Armand et Ernest
se regardent, puis ils se flanquent à rire :
- Sacré Georges,
il n’aura pas perdu sa soirée !
Un dernier au
revoir sur le pas de la porte et les deux amis se dirigent vers leur voiture.
A ce moment, dans
l’obscurité, un homme les interpelle : ‘’ c’est vous le grand journaliste du
Matin ?’’
Ernest se retourne
: Euh, oui, c’est moi, pour quoi ?
L’homme lui tend
une grosse farde rouge et s’enfuit.
Le dossier dans
les mains, Ernest semble changé en statue de sel.
C’est Georges qui
reprend le premier ses esprits :
- Ah ben ça alors !
dj’ai cru nous estions attaquie.
Quo ch’est qui y a
dins c’ fard’ ?
- Dj’ sais nin,
mais, à m’n aviss, y a rie d’ bon là dedins !
Vite, montez dins l’auto,
on ne sait jamais ….
Désorientés, ils
font le trajet du retour en silence.
Si Georges ne songe
qu’à prendre connaissance du contenu du classeur vermillon, Ernest, lui se pose
un tas de questions.
- Bon sang de bon
Dieu, pourquoi, moi se dit-il !
Pourquoi ce type
m’a-t-il donné cette farde ?
Et que peut-il
bien y avoir là-dedans. Pourvu que ce ne soit pas une affaire Dutroux bis.
Pour une fois que
je sors de ma rubrique habituelle !
Il ne m’arrive que
des mouscailles.
Et si, je jetais
cette maudite farde dans un buisson. Personne, n’en saurait rien. Oui, mais
d’un autre côté, si c’était important …
Pouffff ! On n’a
pas tous ces tracas avec les pigeons.
Comme disait mon
grand père : ‘’au p’us dj’ devins vîy, au p’us dj’ connais les dgins, au p’us
dj’aime mes coulons !’’
Bon, ben, nous
vl’a à l’ maison de Georges.
Petit Jésus,
faites qu’il ne me laisse pas tomber.
- Georges ?
Dj’vous dépose à vos maison ?
- Commint à
l’maison !!! Ah, mais, non !
Mi, dj’ veu vire
c’qu’y a dins l’fard’.
- Ça n’ peut nin
rattinte jusqu’à d’min ?
- Nenni, dj’
n’arriverais nin à frumer l’œil d’el nut.
On va vire ça,
maintenint, chez vous.
Mentalement
Ernest, bénit son camarade, mais pour tout l’or du monde, il n’avouerait qu’il
a la trouille.
Aussi, il lui
répond d’un ton bourru :
- Bon c’est comm’
vous v'lot !
Arrivé dans la
cour de la ferme, Ernest ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil alentour, il
n’a pas l’esprit tranquille…
En vitesse, il
ouvre la porte de la voiture, récupère son matériel, la farde, et se précipite
vers la cuisine.
Georges
s’engouffre derrière lui, referme la porte et nerveusement fait jouer la clef
dans la serrure.
D’une même voix,
les deux compères exhalent un soupir de soulagement !
Ils sont à l’abri.
La farde est là,
rutilante, inquiétante, malfaisante, posée, là, sur la table.
Ernest et Georges
sont fébriles.
Il regarde la
chose hideuse sans arriver à se décider.
Que faut-il en
faire l’ouvrir ? La brûler ?
Ernest, debout
devant la table, serre les poings de plus en plus fort, ses jointures
deviennent blanches, puis dans un élan il tend le bras vers l’objet du diable.
Georges le
retient :
- Et si c’estait
des papies sur l’affaire Dutroux.
Méfions-nous, y a
déjà eu des mourts dins s’ n’affaire là !
Et le gaillard qui
nous a stitchie ça dins les pattes, il n’avait nin l’air trop catholique.
- Misère de
Misère ! Mais quo ch’est qu’ nous z’allons faire avos cett’ affaire
là ?
C’est Georges qui dans
un énorme élan de courage, va poser le geste définitif.
D’un mouvement décidé,
il dénoue les rubans, ouvre la farde et inspecte le contenu.
Avec un soupir de
soulagement il s’assied et dit à Ernest :
-
ène vous inquiétez nin,
c’est ni grav’. Il n’y a foc des papies et
des plans d’architec’!
Ouuuf !
Comme deux vîys sots, on s’est tracassé pou rin !
- Ça m’ simb’
bizarre répond Ernest !
Moustrez mi ça !
Il feuillette à
son tour et découvre des plans cadastraux, des copies d’actes d’achats
rédigés par un certain notaire Dugoulot et quelques lettres en anglais.
Les documents
qu’il consulte lui font plutôt penser à une affaire d’héritage. Mais pourquoi,
diable, irait-on lui donner copie d’un dossier de succession ? Etrange.
- Dj’ pinse qu’y
faudrait regarder à ça d’main, après une bonne nut !
Quo ch’ est que
vous in pinsez Georges ?
- Oyie, à c’t’
heure que dj’sais c’qui y a dins l’ fard’, dj’ va bé dormir !
Allez, bonne nut !
Du pas de la
porte, taquin, Ernest crie en riant :
- Bonne nut ! Et
faites de beaux rêves avec voss n’amie Annie !
Méprisant Georges
lui rétorque : jaloux !
Et d’un même bon
cœur les deux amis se mettent à rire.
Chapitre 5
Dès 6h, Ernest est
à pied d’oeuvre. Il se prépare à rédiger son article. Sur la table de la
cuisine, il range soigneusement, devant le vieux cahier d’écolier fané qui lui
sert de brouillon, ses crayons bien taillés et une énorme gomme rose.
Pendant deux
heures, il gratte, biffe, rature. Puis estimant son article abouti, il rapporte
du salon, sa vieille machine à écrire mécanique.
Il saisit deux
feuilles de papier blanc entre lesquelles il glisse un papier carbone, puis il
introduit l’ensemble dans le rouleau de la machine.
À deux doigts,
péniblement, il martèle les touches du clavier pour transcrire son article ‘’au
propre’’.
Un peu plus tard,
habillé de frais, il se glisse dans sa petite voiture pour aller livrer sa
copie et ses photos au cœur de Charleroi.
Il est le dernier
à procéder comme cela.
Les autres
correspondants travaillent avec Internet et Domenico lui a déjà signifié qu’il
serait bien venu pour lui d’acheter un ordinateur.
- Mais, se dit-il,
acheter ‘’c’tengin là’’, pour quoi faire ? Je travaille avec mes fiches et ma
vieille Remington ! C’est écolo, ça ne consomme pas de courant et ça ne
fabrique pas de mauvaises ondes ! Et puis, le jour où ‘’Monsieur le Rédacteur
en Chef’’ m’obligera à acheter un ordinateur, moi, je lui tirerai ma révérence
et adieu le journal !
Arrivé dans la
pagaille automobile carolorégienne, Ernest est un peu tendu.
On quitte la
civilisation à Oignies et arrivé à Charleroi, c’est la horde sauvage, grogne t-il
!
Il saute sur le
frein. Voilà, encore un jeune excité avec une BMW qui me fait une
queue-de-poisson, chauffard !
De rage, Ernest
klaxonne. Mais, c’est pas vrai ! Il me fait un bras d’honneur ce petit
salopiaud !
Pfff ! y a même
plus d’ respect pour les vieux !
Péniblement
pare-chocs contre pare-chocs, il descend le boulevard Tirou.
Venant par la
gauche, une pétasse blonde, le portable à l’oreille, à bord d’un énorme 4x4
noir, lui grille la priorité.
Furieux, Ernest
s’agite comme un beau diable dans son petit aquarium rouge.
-Alors là ! C’est
le bouquet !
C’est quo ène
coumère !
Mais, c’est pas
Dieu possible ! Elle a eu son permis chez les pygmées !
Lentement,
péniblement, il approche du quai de la Sambre et enfin,
la chance lui sourit ! Une magnifique place, juste en face du journal, lui
tend les bras.
-Ouf ! Pour une
fois je n’aurai pas un quart d’heure à faire à pied.
Prudemment il
traverse, sonne à la réception, pénètre dans le sombre couloir, gravit les
marches en granito, plutôt cracra et ouvre la grande double porte blanche.
Un salut à
l’alentour, personne ne lui répond ; il est vrai qu’ils ne sont pas très
chaleureux dans cette rédaction et les petits rubricards ne méritent pas qu’on
lève le nez de son précieux travail.
- Bande de
pignoufs marmonne Ernest.
Ah voilà Marie,
mon petit soleil, comment vas-tu m’fille ?
- Ça va et
toi ? Et le buffet du Ministre, il était bon ?
- Bin, on voit que
les élections approchent ! On a eu du bon mousseux et des pains-surprises
fourrés avec de la salade de crabe et du saumon fumé ! Excusez-moi du
peu !
-Woaw dit Marie en
riant, ils ont sorti le grand jeu !
- Tiens, voilà mon
article et les photos !
Je repasserai
mardi pour te déposer celui sur le concours de coulons à Bourges.
- C’est parfait.
- Oh, Marie,
j’oublie de te dire. Quand j’étais sur le parking à Courcelles quelqu’un m’a
donné une farde avec des documents, je pense qu’il doit s’agir d’une sorte de
projet de réserve naturelle, qu’est ce que j’en fais ?
- Écoute, nous
sommes débordés avec toutes les affaires.
Alors regarde ça
et si cela vaut la peine, tu nous fais un petit papier.
- OK, on fait
comme cela. Au revoir Marie.
- Au revoir l ’pidjoneux.
Et ne déclenche
pas l’alarme en oubliant d’appuyer sur
l’ouvre-porte !
Sans omettre
d’appuyer sur le précieux sésame, il descend prudemment le sombre
escalier bordé de piles de journaux.
En sortant, il ne
peut s’empêcher de prendre une grande bouffée d’air frais.
- Pff, il fait
malsain dans ce bureau !
Je n’ai vraiment
plus l’habitude de l’air conditionné !
Rien de tel que
l’air ‘’pagne de la campure’’ se dit-il en riant.
Chapitre 6
Dès qu’il quitte
l’agglomération carolorégienne, il ouvre ses fenêtres. Heureux, il hume à
pleins poumons l’air des prairies, des petites fleurs, des veaux et des petits
cochons.
Le porche de sa
ferme franchi, il gare sa petite Panda rouge.
Il rentre, d’un
pas énergique, en sifflotant, il gravit les marches qui mènent à l’étage et
pénètre dans sa vieille chambre de garçon, à la tapisserie beigeasse, délavée,
aux meubles tristes.
Précautionneusement,
il retire sa veste, son pantalon, sa chemise blanche. Et après en avoir chassé
la poussière carolorégienne, à grands coups de brosse, il place l’ensemble sur
un cintre qu’il range méticuleusement dans l’armoire et se coule avec délice
dans son informe pantalon de velours brun et son vieux pull de tricot rouge,
confectionné par maman.
Il redescend,
enfin à l’aise, heureux à l’idée d’aller retrouver ses oiseaux.
Lorsqu’il ouvre la
porte du pigeonnier, un tintamarre de roucoulements, de piaillements
l’accueille.
- Oui les cocos !
Il y a du retard dans l’intendance ! Je sais.
Mais ne vous
inquiétez pas, papa va vite arranger cela.
Il ouvre les
volières et libère les oiseaux.
- Aujourd’hui les
petits, ce sera ‘’service minimum’’, papa a du travail.
En vitesse, il
réapprovisionne les cages, puis il redescend.
En traversant la
cour, les tiraillements et les gargouillis de son estomac lui rappellent qu’il
est bientôt l’heure du dîner.
Il s’immobilise un
instant. Que vais-je bien pouvoir manger ?
- Une bonne
omelette au lard avec une petite salade !
Ouais, ça me tente.
Je vais aller
voir, si mes fifilles ont pondu.
Dans le grand
poulailler un peu branlant, six imposantes poules rousses, au plumage luisant
et à la crête rouge recherchent avec obstination des vers de terre à tendances
suicidaires qui amélioreraient de beaucoup leur ordinaire.
Au bruit de la
porte, les six ‘’estomacs sur pattes’’ (quoique toujours répertoriés dans la
famille des gallinacés), après un rapide volte-face, foncent vers l’arrivant en
espérant l’aumône de quelques grains.
Ernest, les jambes
empêtrées dans un capharnaüm de plumes s’écrie en riant :
- Attention les
fifilles, poussez-vous, laissez passer papa !
Délicatement, il
saisit dans le pondoir généreusement garni de paille fraîche, cinq gros oeufs
et les dépose dans son vieux panier d’osier.
Dans le potager,
il prélève quelques tendres plants de salade, quelques jeunes oignons et un
brin d’estragon. Satisfait, de sa cueillette, il s’en retourne à la cuisine se pourléchant
à l’avance.
Alors qu’il fait
sauter avec application ses petits lardons, Georges par l’odeur alléché
s’encadre dans la porte :
- Hmmm ! Mais
qu’ça sint bon d’auci ! Quo ch’est que vous fristouillez là ?
-Dj’ fais une
omelette au lard, avec un boquet d’ salad’. Si vous v’lez un morciau, il est
temps d’el dire, dje vais rajouter les œufs !
- Oh ! C’est
demindé si gentillemint !
Dj peu mett’ el
tab’si vous v lez?
- Ce serait une
bonne idée. Comm’ y fait bon, j’pinsais dîner
dehors !
Tiens, vous n’êtes
nin v’nu avec vos Kièt ?
- Si, Tara doit
yèsse là.
Tara, oû t’es m’
petit?
L’impressionnante
masse blanche et cuivre, les énormes babines flottant au vent, arrive au galop.
- À te v’la ma
fifille, viens chez tonton Ernest, j’ai des petits morceaux de viande pour toi
!
Goulûment l’animal
se rue vers l’assiette et la torche en quelques coups de langue ; puis il va se
coucher sur la terrasse aux pieds de son maître.
- Attention,
desgadgi l’ piste, j’arrive, crie Ernest.
Il dépose sa
lourde poêle de fonte noire sur la table et partage l’omelette baveuse,
crémeuse et odorante à souhait.
Après avoir
englouti ces agapes inopinées, les deux amis, les mains sur l’estomac, digèrent
au soleil.
- Mais qu’c’estoy bon
dit Georges ! Mes félicitations au chef !
- C’esto just’ ène
omelette !
- Ouais, mais une
bonne omelette, comme du timps d’m Rose !
- Ah, Ça !
c’t un complimint ! Rose c’esteut in fameux cordon bleu ! D’ailleurs c’esse
t’elle qui m’a appris l’recette.
Elle nous manqu’,
soupire Ernest !
- Et oui ! Même si
on dit du mal des coumères, faut bie l’dir’ comm’ c’est, sans elles nous estons
là comme deux vîys croûtons rassis !
- Eyèt, m’ Georges
! I m’ simbe que vous n’avez nin d’ moral audjourd'hui !
- C’est vraî
c’esse t’un jour sins…
- Et si nous
spluchions les papies d’hier !
- C’esse t’une
bonne idée ! D’ailleurs c’est pour ça que dj’ v’nais! Dj’a retrouvé dins
m’guernie des vîys livres d’escole in Inglais.
Les v’la s’exclame-t’il
Georges, tout fier, en montrant un grand sac en plastic !
- Bon, ben, dj’ vais
qué l’ fard’ rouche. Nous n’ s’rons nin trop de deux pou’ traduire ces
affaires-là !
Je n’ai plus
parlé inglais depuis mes humanités !
Et encore, c’estie
nin fameux ! J’estie à chaque fois pèté à
l’examen !
À défaut
d’comprindre, on aura p’têtre une franche partie d’ rigolad’ crie Ernest allant
rechercher le dossier dans le vieux secrétaire du salon.
Il revient les
bras chargés, et dit en baissant le ton:
- Faut qu’j’ vo’s
l’ dise au cas où…Dj’a stie faire des photocopies et dj’ai muchie les
oridginaux dans m’pigeonnie.
- Vous croyez
vraimint qu’ nous tenons là l’affaire du sièc’ ?
-Dj vous l’ dit
comme dj l’ pinse, Georges, cette affaire ne sint nin bon !
Pendant que
Georges rassemble les documents anglais, Ernest, de sa belle écriture ronde,
écrit sur la première page du vieux cahier de brouillon : ‘’Traduction des documents anglais’’.
Ensuite, il saisit
la vieille latte en bois (un cadeau de Noël 1952 de la blanchisserie,
l’étoile) et d’un coup de crayon à l’aniline, rouge sang, il souligne doublement
la phrase.
- Bon ben,
comminchons ; Donnez mi èl premier mot, suggère Ernest.
- réââl;
- Commint qu’ vous
dites ?
- Dj’ dis réââl,
comme el Réââl de Madrid, èl club de foot !
- Real,… ça veut
dire : vrai.
In aut’ !
- Essetââteu .
-Commint ?
- Mais vous
d’v’nez sourd ou quwè ! Essetââteu !
-Dj’ n’ comprinds
rin ! Laissez mè vire ça !
Ah ! Estate !
- C’est tout de
même ça que j’ disoûs.
- Ouais à peu près
!
Georges vexé :
-Commint ça à peu
près !
Dj’ n’ in peu
rie, si ces dgins là ne scrivent nin comme nous ! Waitez c’ mot là ‘’ t-h-e’’
Commint qu’ vous v’lot prononcie ça ?
Ça m’estonne nin
qu’on appelait l’Ingleterre ‘’El perfide Albion’’ faut yèsse perfid’ pour
scrire des affaires pareilles !
Deux consonnes
pou’ commincer un mot, ça n’a pas d’allure !
- Quand vous aurez
fini d’râler !
Estate cela veut
dire Terre.
Donc real estate,
ça veut dire : vraie terre !
Tout emballé
Georges rétorque :
- Ça y est !
Dj’a tout compris !
Y rakattent des
fausses terres ici et ils les r’vindent comme vraies terres aux inglais !
- Mais ne dites
nin d ’bièsteries ! Commint vôlez-vous rakatter des fôsses terres ?
Bougon, Georges
rétorque :
- Boh, c’estait
ène idée comme çà ! Mais puisque dj’n’ dis qu’ des bièstries et bin d’abord dj’
dis pu rin !
La lippe boudeuse,
les bras croisés sur la poitrine, Georges donne tous les signes extérieurs de
l’offensé.
Et Ernest qui a un
‘’petit cœur’’, ne peut supporter l’idée d’avoir chagriné son ami.
- Ascusez-mi, dj’
a stie maladroit ! Vos m’ pardonnez ?
-Bie sûûr hin !
Grand couillon ! Dit Georges dans un grand éclat de rire.
- Milliard de
Djie, vous m’avez quo eu, réplique Ernest en riant.
C’est pas tout ça,
mais je pinse avoir trouvé ène aut’ affaire. Waitie un coup, ici dins
l’dictionnaire. Real Estate Agency c’èsse t’ ène agince immobilière !
On va s’partager
el boulot, mi dj’ va essayer d’ traduire et vous, vous essayie d’ met’
del ord’ dins les tas d’ papies et d’les classer par
dates.
Pendant que
Georges classe, Ernest, tente de se focaliser sur ses traductions.
Au bout d’un long
moment, intrigué par un inhabituel silence, il lève le nez et voit son ami tout
pâle qui lit et relit un feuillet, il l’interpelle.
- Vous avez trouvé
quéqu’chose ?
- Je ne sais nin,
mais ça m’ simb’ bizarre. Pourquwè qu’i’ y aurait une copie des terrains
derrière chez nous dins un documint in Inglais ?
- Quwè ! Moustrez
mi un peu ça.
- El Blocus, el
Luthéal, el Champ Martin, milliard de Djie ! Mais c’est vrai ! y a
quéquin qui rakatte les pâtures ici derrière. Et pourquwé in Inglais, f’rait
une histoire pareille ?
- Y a quo une aut’
affaire. Comme c’estait in Inglais, on a pinsé qu’il s’agissot de l’Ingleterre,
mais c’ n’est nin ça.
- Commint c’ n’est
nin ça ! dit Ernest éberlué.
- Pas tout à fait,
waitez un cauw el nom et l’adresse de l’agince immobière.
- Ouais. Immo,
Clémentine Sint-Hélier, à Jersey in Ingleterre.
- Et non, répond
Georges. C’èsse t’à Jersey, oyi, mais dins l’île.
El paradis fiscal.
Et Sint-Hélier c’n’est nin l’ nom d’ famille d’ mamzelle Clémentine, c’èsse-t’èl
capitale.
Donc, à m’
n’aviss, c’èsse suremint une histoire de frôde !
- Commint qu’ vous
savez tout çà vos ?
- Vous vous
rappelez bin d’ Châles, Châles Smith, el pidgeonneux inglais? C’ui qu’estoût
v’nu pou’ les 20 ans du club.
-Oyie, dj’min
rappelle.
- Hébè, il estait
d’St Hélier, su’ l’île de Jersey. Et c’est li qui m’a rasconté les histoires
des gros bonnets qui v’not là pour muchie leurs liards.
- OOOH ! dit
Ernest, mais alors, c’èsse t’ ène tout aut’ affaire.
Chapitre 7
Ils lisent,
relisent, analysent les cartes. Et enfin un semblant de vérité commence à se
dessiner. Il semblerait qu’une société internationale ayant sa succursale en
Belgique, sous couvert d’écologie, rachète les terrains le long de la grand’
route. Mais fait bizarre, cette société revend ces mêmes terrains à une société
immobilière établie dans la capitale de l’île de Jersey.
-Vous voyez,
Georges, y m’ simblout bin qu’ c’estoût nin claire cet’ affaire-là !
Mais, Cint
milliard ! Pourquwè des Inglais y viendraient rakatter nos pâtures ?
- Dj’sais !
s’exclame Georges.
C’est Bryan Air
qui les rakatte pour faire un nouvia aérodrome !
- Neni, y en a
d’ja un à Charleroi ! Et puis on construit nin un aéroport comme ça ! Mais
vous avez p’être raison. Y a p’être des projets dins l’air….Faudrait d’aller
vire à l’ commun’ !
J’irai mardi !
Pour l’heur’, il
est timps de s’ préparer pou’ l’ concours de coulons.
Comme on a dit ?
Rindez-vous à cinq heures ?
- Oyie, Ad’ taleur
!
Alors que Georges
et son molosse s’éloignent, Ernest se dirige vers son pigeonnier.
Il prépare ses paniers,
y place ses champions, descend le tout dans le coffre de sa voiture et démarre.
Dans la jolie
ferme rose de Georges, il charge les précieux pigeons ‘’queue de paon’’ , puis
les deux complices se dirigent vers le local de ‘’ la Joyeuse Hirondelle’’.
C’est l’ancienne
forge de Tatâve qui sert de lieu de rendez-vous.
A peine arrivé, Ernest
est apostrophé par Nounoul, petit râblé, toujours revêtu de son impeccable
tablier gris amidonné et de sa casquette rouge à carreau. Nounoul , joyeux
octogénaire est le président du
club :
- Ah ! Vous v’la
enfin Môssieur l ’secrétaire ! Il était temps ! J’ai des crampes dins mes
doigts, à force d’écrire !
- Minteu !
Dites plûtôt que vous avez soif ! Répond Ernest en riant.
Commint qu’ ca va
Nounoul ?
- Ça va, comme à
quatre-vingt ans, da !
Vous reprenez les
écritures ?
- Oui, dj’ ne
vais pas laisser un pauv’ homme de quatre-vingt ans dins l’ soif!
Montrez-moi où
vous êtes arrivé.
- J’suis ici,
Mimile c’est fait, Dziré aussi, c’est au tour de Gusse.
- Commint qu’ cà
va Gusse, dit Ernest ? Et Mélie et les enfants ?
- Tout le monde va
bien, merci.
- Vous inscrivez
combien d’ coulons?
- 25, répond
Gusse.
- Voilà un
constateur et voyez avec Victôr pour les bagues.
Au bout d’une
heure d’inscriptions c’est Ujène qui vient prendre la relève.
Ernest circule et
discute de groupe en groupe, avant de se mettre à la recherche de Georges.
Il finit par le retrouver
attablé, avec une tripotée d’autres couloneux, buvant goulûment une trappiste
brune.
À la façon qu’il a
de trébucher sur certains mots, Ernest se rend vite compte que son ami n’en est
pas à sa première tournée !
Ah se dit Ernest
! Il va encore être beau ! Je ne lui donne pas une heure avant qu’il ne chante
‘’ Une belle petite Gayolle, el Doudou et puis Lolotte’’ et si jamais y se met
à parler flamint, là, c’est sûr, j’ suis bon pour aller le border !
Alors qu' Ernest ‘’cuisine
en douceur ‘’ Rodjï , l’ouvrier communal, pour savoir si il y a des projets
de construction dans l’air, Georges en bout de table se lève et entonne un
joyeux et sonore ‘’elle me l’avoz toudis promis….’’
Machinalement
Ernest regarde sa montre : huit heures moins quart ! Il a dix minutes d’avance
sur l’horaire !
Après quelques
considérations cadencées sur le Doudou, St Georges, les gens des remparts et
quelques chanoinesses nonchalantes qui seront privées de jambon. Georges, l’œil
humide se lance alors dans une évocation dramatico-romantique des premiers
émois d’un jeune homme pour une certaine Charlotte dites Lolotte !
Après ce florilège
de chansons wallonnes, l’ ami Georges tente de s’asseoir et vu sa réception chaotique,
Ernest songe, qu’il ne faudrait pas tarder à mettre le gaillard au lit !
Il salue ses amis
et s’approche de son camarade :
- Vous v’nez , il
est timps d’ s’inraler !
- OOOH mais, pas
op, hein, Mijnheer Tirtiaux.
Ça y est se dit
Ernest, il est cuit, il parle flamint !
-Allez v’nez, em
vi camarade, faut d’âller dîner !
Georges, debout
et grandiloquent s’exclame :
- Neen , Mijnheer
Tirtiaux, ik ‘’ne veut nin’’ naar mijn ‘’ moujonne’’gaan ! Ik will
blijven, ici, avec mes vrienden !
- Et , vot’ pauv’
petit kièt qui est là tout seu’, et qui a fougne , vous y pinsez ?
Georges s’écroule
en pleurs sur l’épaule de son ami :
- Tara, em petite
biète, vous avez raîson , dj’ sus un monstre, un mauvaîs maître ! Nos z’y
allons !
Bonne nut à
tertoute!
Avec l’aide de
Dziré, Ernest arrive à installer le picoleur dans la voiture.
A peine assis,
celui-ci s’endort et se met à ronfler bruyamment !
Bon sang, se dit
Ernest en contemplant son compère, cela va être la joie le monter dans sa
chambre !
Arrivés à la ferme
rose, Ernest ouvre la portière côté passager et s’en va ouvrir la porte de la
cuisine.
Ragaillardi par
l’air frais, Georges reprend un peu d’esprit et essaye de s’extraire de la
voiture.
Mais après six
trappistes, les choses prennent un malin plaisir à se compliquer et le centre
de gravité devient curieusement ondoyant. Dans un mouvement malhabile, il
glisse et se retrouve à quatre pattes sur le sol.
C’est à ce moment
que Tara, le Saint Bernard, très inquiète de l’état de son maître vient le renifler.
Et allez donc
savoir pourquoi, dans son cerveau brumeux naît l’idée saugrenue de se prendre
pour un chien.
À quatre pattes,
il fait un petit tour de jardin et puis en suivant la chienne, il rentre dans
la cuisine.
Après quelques
infructueux essais pour redresser son complice, Ernest capitule. Et d’une voix
forte il s’écrie : allez les chiens, au lit !
À sa plus grande
stupeur, Tara, suivie d’un Georges toujours à quatre pattes, escaladent les
escaliers. Arrivés dans la chambre, l’animal comme à son habitude se couche sur
la descente de lit. Georges épuisé par l’effort, s’écroule à côté du chien et
s’endort.
Ernest hisse son
ami sur le lit, lui enlève ses chaussures et le recouvre de son édredon rose.
Redescendu dans la
cuisine, il prépare un grand thermos de café, sort un bol de l’armoire, garnit
de croquettes la gamelle du chien et s’en retourne chez lui en riant : sacré
Georges ! Qué guinse !
Le lendemain vers
neuf heures, Ernest un peu inquiet s’en retourne à la ferme rose.
Rien ne bouge !
Il ouvre la
porte, sert un bol de café prend un tube d’aspirine et monte à l’étage.
Georges ronfle
toujours et lorsqu’ Ernest le réveille, il a beaucoup de mal à se rappeler,
pourquoi, à neuf heures, il est toujours au lit !
- J’a stie malade
? demande t’il anxieux.
- Non vous avez
just’ eu une bonne prone !
- Ne me dites nin
qu’ dj’ai chanté Lolotte !
- Oyie ! Et
Lolotte, et l’ p’tite Gayole et l’Doudou. Vous avez même parlé flamint !
- Oufty ! Là
j’astoûs bie cuit !
- À tout hasard,
j’ai monté l’aspirine !
- Bah, ça n’va nin
trop mauw ! Après une bonne jatte de café, dj’ sarai d’aplomb !
Merci d’m’avoir
ram’né ! Ç’ n’a nin stie trop difficile de m ’r’monter dins m’chambre ?
- Non, ç’a stie
comme une fleur !
- Comme une fleur
?
- Oyie, quand vous
êtes rintré, vous vous yèsse pris pou’ Tara et vous êtes monté à quat’ pattes
dins vos lit !
- Non ! C’est ni
vrai ! mais qu’es’ ce qu’on est bièsse quand on a une chike !
- Bon bin, comme
vous yèsse in forme, dj’ va m’in retourner ! Allez salut.
Chapitre 8
Mardi matin, neuf
heures, dans le couloir plein de courants d’air de l’Administration Communale
de Oignies, Ernest mal assis, sur une vilaine et inconfortable chaise de plastique
orange, attend son tour au service de l’Urbanisme.
Un ‘’ bzzzzzit’’impératif
et une petite lumière verte lui indiquent que son tour est arrivé.
Joyeux, il entre
en lançant un :
-Bonjour, Mélie,
comment allez-vous mè p'tit !
-Ernest ! Quelle
bonne nouvelle !
Qu’est ce qui vous
amène, ici ?
- C’est le
journal qui m’envoie !
Je voudrais
vérifier quelque chose sur les plans communaux.
- Vous n’écrivez
plus votre rubrique du pidjonneux ?
- Si, mais avec
toutes les affaires de Charleroi, ils sont obligés de rappeler les couloneux en
renfort !
Voilà, je voudrais
savoir si le long de l’Grand’ route, il n’y aurait pas des projets de
construction dans l’air.
Mélie, se dirige
vers la haute armoire de tôle grise, elle saisit de longs rouleaux, qu’elle
vient étaler sur la table du bureau.
Après analyse des
documents et quelques coups de fil à différents collègues, l’épouse de Gusse en
arrive à la conclusion qu’il n’y a aucun projet dans le secteur de la N556,
il s’agit d’une zone protégée, une zone verte. Maintenant, rajoute t-elle, il
se pourrait qu’un projet soit envisagé de l’autre côté de la route. Mais là, il
s’agit d ’une autre commune et d’une autre province, le Hainaut.
- Bien, répond
Ernest, je vais aller voir à Ponceau.
Au revoir Mélie et
mes amitiés à Gusse !
À peine, revenu,
chez lui, la sonnerie du téléphone retentit.
C’est Georges qui
vient aux nouvelles. Malheureusement, sa traditionnelle curiosité se trouve
déçue des maigres renseignements glanés par Ernest.
Mais, réjoui
d’entendre que son ami n’a pas l’intention d’en rester là, il lui propose de
l’accompagner dans ses prochaines recherches.
L’objectif suivant
est fixé au lendemain. Ils iront ensemble à la commune de Ponceau.
Avant de
raccrocher il rajoute :
- Erness, pou’
d’main, n’oubliez pas d’ prind une farde ! Pou’ in journaliss, ça fait
p’u sérieux ! Allez ! À d’main !
Chapitre 9
Si la maison
communale de Ponceau est plus imposante, s’il y a plus de monde dans le
couloir, ce sont toujours les mêmes affreuses chaises de plastique orange qui
torturent les dos et fondements des pauvres administrés.
Au bout d’une
demi-heure d’attente, ils sont enfin invités à pénétrer dans l’office.
À l’accueil, une
très classique préposée à lunettes et queue-de-cheval, range nerveusement des
documents dans un dossier, lorsque jaillissent d’un local voisin des hurlements
et des rustauderies, pour le moins étonnants en ces lieux.
- Nom d’un chien,
Madame Fernelmont, ce dossier, il arrive ? Ça fait une demi-heure que
j’attends ! Si ce travail ne vous convient pas retournez à vos casseroles
!
Effrayée par les
vociférations, la jeune employée soubresaute et éparpille les documents sur le
sol.
Toujours aussi
gracieuse la voix continue :
- Et maladroite
avec ça !
Dépêchez-vous de
ramasser tout cela, empotée ! D’ici une heure, j’ai rendez-vous avec des
investisseurs Anglais.
En s’excusant
auprès de ces deux clients, l’employée, affolée, se précipite vers le bureau
directorial en balbutiant :
- Voilà Monsieur
Leley, j’arrive !
Après le tumulte,
il règne dans le bureau, un silence angoissant.
- Milliard de Djie
murmure Georges, il n’a nin l’air commod’ èl gaillard !
- Qué grossier
merle ! rajoute Ernest éberlué.
Les beuglements reprennent
de plus bel.
- Vous appelez ça
un dossier complet !
Et les plans ! Et
le relevé cadastral !
Nulle, vous êtes
nulle, Madame Fernelmont !
Une vraie godiche
!
Rectifiez-moi cela
au lieu de couiner ! Allez, zou, grouillez-vous, ou je vous fous à la
porte !
D’une toute petite
voix mourante, Madame Fernelmont répond :
- Je vous apporte
cela immédiatement, Monsieur Leley.
Le cœur serré,
Ernest et Georges observent la sortie de la pauvre petite chose aux yeux rouges
emplis de larmes.
Reniflant, les
mains tremblantes, l’employée se dirige vers l’armoire aux plans.
- Ce sont les
relevés de la N556 que vous souhaitez, Monsieur
Leley ?
- Non, ceux de la
cave du Vatican ! Attention,vos jours sont comptés, ma fille !
Madame Fernelmont,
des larmes dans les yeux apporte en trottinant les épures à son chef et d’une
voix chevrotante elle supplie :
- Ne me renvoyez
pas Monsieur je suis toute seule pour élever ma petite fille !
- Je me fous et
contrefous de vos excuses !
Je veux un travail
parfait, un point c’est tout !
Compris ?
Si quelqu’un me
demande vous répondrez que je suis en mission jusqu’à seize heures. Et, vous ne
me passez aucun coup de fil ! Aucun, vous avez bien entendu Madame ‘’dure
de la feuille ‘’!
Une porte claque
violemment.
Regardant par la
fenêtre, Ernest et Georges remarquent un homme d’âge mûr, courtaud , rougeaud,
qui rejoint à enjambées rageuses un splendide cabriolet Mercédès de couleur
or.
Livide, flageolante,
Madame Fernelmont apparaît dans l’embrasure de la porte et éclate en gros
sanglots.
- Il est parti
demande Ernest ?
D’un hochement de
la tête l’employée répond que oui.
Aussitôt, les deux
hommes se précipitent vers la jeune femme.
- Venez mon p’tit,
asseyez-vous ! Georges va chercher un verre d’eau, prenez mon mouchoir, le
vôtre est trempé !
Il est toujours
comme ça votre patron ?
- Oui, tous les
jours !
- En tout cas, dit
Georges en proposant le verre d’eau, si vous avez besoin de témoins pour votre
plainte, on est là ! Hein, Ernest ?
- Ah ! çà !
Contre un malotru pareil, moi, je témoigne tout de suite !
Et l’employée de
pleurer de plus belle !
- Merci, c’est
très gentil à vous, mais, je ne peux rien contre lui, il a le bras long et moi,
j’ai trop besoin de travailler. Vous comprenez, je suis seule pour élever ma
petite fille de quatre ans.
- Vous ne pouvez
pas demander votre mutation, demande le pidjonneux ?
- Je ne peux
quitter ce service que s’il y a quelqu’un pour me remplacer !
- Et ça ne se
bouscule nin au portillon, rétorque Georges !
- Vous croyez
qu’il y a beaucoup de monde qui souhaite travailler avec ce tyran ! Je suis la
septième nouvelle employée depuis décembre !
Se sentant mieux
Madame Fernelmont demande avec un petit sourire mouillé :
En quoi puis-je
vous aider, Messieurs ?
- On ne va pas
vous raconter des histoires dit Ernest. On a trouvé des papiers qui nous font
penser que quelqu’un rachète les prairies derrière chez nous, avec dans l’idée
de construire quelque chose, un zoning ou une affaire ainsi et vous comprenez,
cela nous inquiète.
- Vous pouvez me
montrer où vous habitez ?
- Regardez, c’est
juste là au bord de la N556.
- Je vois. Ce que
je vais vous dire doit rester entre nous car je n’ai aucune preuve.
Si je m’en tiens
au plan, c’est une zone verte et normalement on ne peut pas en changer la
destination.
Mais, il ne
m’étonnerait pas qu’il y ait des projets secrets !
Depuis quelque
temps, ces plans sont très souvent demandés, par des architectes, des avocats,
des services de la région Wallonne, de la protection des eaux et depuis deux
mois que je travaille ici, cela fait quatre fois que je photocopie ce dossier,
pour Monsieur Leley.
La farde que je
lui ai apportée tout à l’heure, c’était encore à propos de cette zone !
Notez que cela ne
veut peut-être rien dire ! Mais, moi, je trouve cela très bizarre !
- Merci m’ p’tit,
c’est bien ce que mon ami et moi craignons ! Une petite question encore, si on
a besoin d’un coup de main, on peut compter sur vous ?
- Si je peux vous
aider sans me faire renvoyer, je le ferai avec plaisir, ça sera ma vengeance !
- Merci et au
revoir Madame Fernelmont !
- Appelez-moi
Brigitte, au revoir Messieurs.
Dans la voiture,
les deux compères commentent les évènements.
- Georges, vous
avez intindu comme mi, l’inradji parler d’investisseurs inglais!
- Oyie, dj’ l’ai
intindu ôssi !
Vous pinsez c’e
qu’ j’pinse ?
- Ouais, c’t
homme-là n’est nin clair !
Demin, dj’sonne à
l’urbaniss à Charleroi pou’ prind’ in rindez vous !
-Dje vîye avec,
dit Georges belliqueux !
Chapitre 10
Arrivés au premier
étage de l’immeuble moderne qui abrite les services de l’urbanisme, Ernest se
présente à l’employée chargée de l’accueil.
- Bonjour Madame,
Ernest Tirtiaux, je suis journaliste au ‘’ Matin’’, j’ai rendez-vous à 10
heures avec Monsieur Langloy.
- Ah, oui !
Monsieur Tirtiaux.
Monsieur Langloy,
vous prie de bien vouloir l’excuser, il a pris un petit peu de retard dans ses
rendez-vous. Si vous voulez bien patienter.
- Il a beaucoup de
retard, demande Ernest légèrement inquiet ?
- Un petit quart
d’heure.
- Bien, je vais
patienter !
Dans la grande
pièce jouxtant l’accueil, autour d’une grande table ovale jonchée de prospectus
en tout genre, une vingtaine de personnes attendent résignées.
Ernest et Georges
s’asseyent près de la fenêtre.
A côté d’eux, un
jeune homme d’une trentaine d’années, affublé d’un blouson de satin noir, d’un
jeans effrangé et de vieilles chaussures de sport sans lacets, semble très
agité.
Régulièrement de
ses doigts nerveux, il pianote sur le dossier qu’il tient sur les genoux.
Au bout de
quelques minutes, il se lève comme un furieux et se dirige menaçant vers
l’employée.
- Cela fait une
heure et demie que j’attends, cela va encore durer longtemps dit-il sur un ton
agressif ?
- Monsieur,
calmez-vous, il y a encore deux personnes avant vous, cela sera peut-être très
rapide !
- Encore deux
personnes, hurle t-il ! Mais j’en ai marre moi, Madame ! Cela fait six
fois que je viens dans cette foutue boîte et chaque fois, pour des
prunes ! Ou il manque un papier, ou l’employé est absent, ou c’est mon
dossier qui est perdu ! Si les choses ne s’arrangent pas aujourd’hui, je
vous jure que je casse la baraque !
L’employée
décroche fébrilement son téléphone :
- Monsieur Langloy,
vous voulez venir s’il vous plaît, nous avons un petit souci à l’accueil !
Un peu de
patience, Monsieur, le directeur arrive.
Du couloir un long
homme maigre, dégarni, le teint gris, d’une cinquantaine d’années déboule à la
réception.
- Que se passe t-il
ici ! Pourquoi ces cris ?
C’est vous Monsieur
qui faites tout ce raffut ?
Un peu dompté par
l’arrivée du directeur, le garçon l’apostrophe et se lance dans une diatribe
des services urbanistiques. Après de longues minutes de palabres, un accord
semble trouvé et le jeune homme calmé attend sagement.
Le directeur,
lui, s’en retourne à ses consultations.
Georges a observé
minutieusement toute la scène et soudain il se tourne vers Ernest et demande à
mi-voix :
- Vous d’vez nin
faire pipi ?
- Non pourquwè ?
- Dj’ vous dit qu’
vous d’vez !
Suivez mi !
Arrivé dans les
toilettes, Georges se livre à une fouille en règle, il tient à s’assurer que
personne ne les écoute.
- Vous vous
prindez pou’ James Bond ? demande Ernest amusé.
- Non , mais dj’
a une idée !
Quind , vous s’rai
chez vot’ grand directeur, l’hômme, il aura devint lui l’ dossier.
- Probablemint
répond l’pidjonneux.
- Mais vous
n’pourrez nin mett’ vos nez dedins !
- Ah, ça, suremint
qu’ non !
- Et si comme
l’aut’barakî, dj v’nais faire du scandal’ à l’réception. El grand sclaifé
serait appelé à l’ rescousse. El dossier, lui, y sera resté sur l’ bureau et
vous, ça vous laisserait l’ timps d’ farfouiller à vos n’ aise !
Dès que vous avez
tout vu, vous me faites è signe et mi, j’arrête el représentation !
Quo ch’est qu’
vous in pinsez ?
- Génial, dit
Ernest !
Et vous z’allez
arriver à faire ça tout seu’ ?
Gonflant la
poitrine, il rétorque:
- Dj’a suivi des
cours de théât’ moi Môssieur !
- Peut’ ê’tes bin,
mais c’astoût à l’école primaire !
- Un artiste reste
un artiste !
- Au travail,
alors, l’artiste !
Lorsqu’ils
rejoignent la salle d’attente, le disgracieux individu a disparu.
- Tant mieux
murmure t-il à l’oreille d’Ernest, ça m’aurait, gênèt de r’jouer l’ même
comédie d’vint li !
-Monsieur Tirtiaux
? Monsieur Langloy vous attend !
-Comme on a dit ?
Dj’ comminse el cirque dins dix minutes !
Monsieur Langloy,
affable, accueille Ernest à la porte de son bureau.
Une poignée de
main et il l’invite à prendre place dans un confortable fauteuil de cuir
noir.
- Vous travaillez
pour quel journal Mr Tirtiaux ?
- Pour ‘’ Le
Matin’’
- Ah vous
travaillez avec Monsieur Embroglia ?
- Oui c’est mon Rédacteur
en Chef.
- Bien, en quoi
puis-je vous aider ?
- D’après
certaines sources, il y aurait des projets de zoning le long de la N556,
avez-vous des renseignements à ce sujet ?
- De mémoire, cela
ne me dit rien, mais je vais m’enquérir du dossier.
Puis-je vous
proposer un petit café, pour patienter ?
- Bien volontiers
!
Mr Langloy ouvre
une double porte et demande :
- Madame
Lemarchand, vous pouvez servir un petit café à Monsieur Tirtiaux ? Merci.
Alors qu’il sirote
le moka aimablement apporté par la secrétaire, Ernest constate avec joie que le
bureau est doté d’une photocopieuse. Ca peut toujours servir ! Je vais
peut être verifier si elle fonctionne et s’il a assez de papier, cela me fera
gagner du temps
Après quelques
minutes, Monsieur Langloy revient avec un gros dossier :
- Je ne vous ai
pas trop fait attendre ?
- Du tout, répond
poliment le pidjonneux qui commencait à s’impatienter !
- Nous allons voir
cela.
Le directeur ouvre
le dossier et commence à en prendre connaissance. Soudain des cris se font
entendre.
- C’est la journée
soupire le directeur !
L’employée affolée
ouvre la porte du bureau en criant :
- Monsieur le
directeur venez vite, il y a encore un furieux qui nous fait une scène, il
prétend qu’il est arrivé avant Monsieur Tirtiaux !
- Je viens dit le
directeur ! Vous voudrez bien m’excuser …
- Je vous en prie
répond obligeamment Ernest.
Les cris se font
entendre de plus belle et le directeur se précipite vers l’accueil.
Pendant ce temps, Ernest
se dépêche de fouiller le dossier. Il photocopie rapidement quelques documents
intéressants, en subtilise d’autres, puis, sortant du bureau, il exécute
discrètement un petit signe à l’attention de Georges.
Très énervé,
Monsieur Langloy rentre dans son bureau.
- Cet homme est
dément, raconte t-il furibond !
- On ne l’entend
plus crier, vous êtes arrivé à le maîtriser ?
- Non, il vient de
faire un petit malaise, ma secrétaire lui a donné un peu d’eau, pour prendre
ses cachets. Il semble plus calme maintenant ! A-t-on idée de se mettre dans
des états pareils quand on est cardiaque !
- Ah, il est
cardiaque !
- Oui !
- Dites donc, ce
n’est vraiment pas un bon jour pour vous, cela fait le deuxième énergumène qui
s’agite de la sorte !
- Nous avons sept
malades dans le service, nous faisons de notre mieux mais ….
- Cela ne suffit
pas !
- Eh oui ! Si vous
permettez, je vais prendre deux aspirines, tous ces évènements m’ont donné une
terrible migraine !
- Ecoutez, la
journée a été bien rude pour vous, mes recherches ne sont pas urgentes, je
propose de remettre notre rendez vous. Vous pourrez prendre un peu de repos.
- Cela ne vous
ennuie pas, rétorque Langloy en se massant les
tempes ?
- Non, pas du tout
!
Au revoir,
Monsieur Langloy !
- Au revoir et
merci Monsieur Tirtiaux, je vous suis très reconnaissant de votre
compréhension.
En passant à
l’accueil il demande :
- Il est parti le
zigomar ?
- Oui répond
l’employée, après son malaise, il a décidé de rentrer chez lui.
D’un pas souple,
Ernest, enjoué, descend l’escalier et se dirige vers le parking où Georges patiente.
- Alors ? El
pêche a stie bonne ?
- C’est domache
qu’on ne peut n’in refaire el même cauw ! Pour bie faire, c’est tout l’dossier
qu’on aurait dû r’copier!
- On peut quo l’
voler !
- L'voler comme
vous y allez ! Im simb’ que vos représintation vous a donné du cœur à
l’ouvrache!
- Ouais ! Et pou’
fêter ça, c’est mi qui invite. Ce soir, dj mettrai des bulles au frais !
- Oh ! Mais ça n'
se refuse nin !
Mi, j’rapporte el
vin ! J’irais vire dins l’ cave d’em pa, y doit quo rester une ou deux bonnes
petites z affaires !
Chapitre 11
Rentré chez lui,
Ernest met à profit son temps libre.
Il analyse les
documents qu’il a détournés et copie soigneusement dans un cahier tout ce qu’il
a lu dans le dossier. Le doute n’est plus permis. L’échevin, Leley, essaye bien
de faire changer l’affectation d’une grande zone de part et d’autre de la N556
et de la transformer en zoning industriel.
Mais pourquoi ?
Pour l’unique
gloire de la Wallonie ? Ernest éprouve, un léger
doute !
Reste l’hypothèse
d’une commission qui lui serait rétrocédée. Mais, cela reste à prouver.
Les coudes sur la
table, Ernest tourne et retourne le problème dans tous les sens. Et soudain, la
lumière !
- Le Journal ! Le
Moniteur Belge ! C’est là que l’année passée, on a rentré les statuts du club
de coulons ! Avec un peu de chance, on y trouvera quelque chose !
Quelle heure
est-il ? Quatre heures.
On peut encore
téléphoner.
- Allo, Le
Moniteur Belge ?
Bonjour, Madame,
je souhaiterais examiner certains documents chez vous comment puis-je faire ?
….
Bien, je
comprends, comme je n’ai pas Internet, je dois me rendre à la Bibliothèque Royale. Merci pour les informations, au revoir, Madame.
Et bien voilà une
bonne chose de faite ! Demain, on éternuera parmi les feuillets poussiéreux !
D’un geste qui lui
est habituel, Ernest, jette un rapide coup d’œil à sa montre.
- Il est peut-être
temps de descendre choisir le vin se dit-il.
Dans la cuisine,
il ouvre la porte de la cave et avec précaution, il descend la quinzaine de
marches de pierre bleue et foule le sol en terre battue de la vieille cave à voussettes .
La réserve
vinicole de son père est riche d’une centaine de bouteilles parfaitement
alignées et recouvertes de paille.
Planté devant
tant de prodigalités, Ernest reste perplexe. Que
choisir ?
Je n’y connais
rien.
Un Pommard ?
Le nom a déjà
l’air sympathique ! Je vais toujours en choisir une autre au cas où…
Celle-ci ?
Une Vosnes
Romanée. Jamais entendu ce nom-là !
Il ne me reste
qu’à espérer que ce ne soit pas de la piquette, sinon l’ami Georges va me
sonner les cloches !
Avec précaution,
il remonte les deux bouteilles, qu’il époussette avant de se laver les mains et
de se donner un coup de peigne.
Voilà se dit-il en
se regardant dans le petit miroir de la cuisine, tout beau tout propre, je peux
y aller.
Le panier à
provisions à la main, il longe la grande prairie fleurie séparant les deux fermes.
Des vaches blanches et rousses y broutent délicatement de tendres brins
d’herbes et de délicates pâquerettes. L’air est doux, il embaume le printemps,
Ernest s’arrête un instant et contemple heureux ce spectacle pastoral.
Si la maison
d’Ernest est propre et fonctionnelle, la fermette de Georges est toute mignonne,
chaleureuse et coquette.
Lorsque le
pidjoneux pénètre dans le petit salon, Georges a déjà préparé les flûtes à
champagne et les petits accompagnements.
-OOh s’écrie
Ernest vous avez mis les p’tits plats dins les grands !
Dites donc ça sint
rudemint bon, quo ch’est qu’ vous nous faites de bon ?
- Une vieille recette
montoise !
Une d’èm mam’ !
D’ailleurs, c’est
bé simp’e n’y a qu ’ça que j’sais faire !
- Et c’est quoi,
l’ recette de vos mam’ ?
- Une côte de porc
à l’ berdouille!
- Beeurk ! À l’
berdouille!
- Mais ni avos del
vrai berdouille, hin, innocint !
On appelle ça à
l’berdouille pa’ce que l’ sauce ell’ èsse un peu
brune ! Dj’ n’
vais nin vous empoisonner ! Avos qui que d j’ m’ disput’roûs ?
Vos pouvez servir
el mousseux, mi, dj’ m’in r ‘tourne à mes casseroles !
Si vous v’lot met’
el TV, pou’ vous t’nir compagnie ne vous gênez
nin !
D’une main ferme,
Ernest débouche la bouteille et remplit les verres.
Puis il s’installe
dans le confortable canapé de cuir vert émeraude, prend la télécommande et se
branche sur les informations régionales.
D’une oreille
distraite, il écoute les infos locales : le compte-rendu du match Courcelles
contre l ’Etoile de Frasnes , un extrait du spectacle des ‘’ Joyeux Turlupins
''de Gosselies, et un reportage sur une exposition féline à Fleurus.
Agréablement installé, bercé par le ronron télévisuel, Ernest glisse dans une
douce somnolence.
Soudain, tendu
comme un arc, il se dresse et appelle son ami :
- Venez vite, y
parle de Leley dins l’ poste !
Surgissant de la
cuisine en tablier rose et cuillère en bois à la main, Georges s’écrie :
- Quo ch’est qui
disent ?
- Leley vient d’
êt’e nommé vice-présidint du ZIREC (Zoning Industriel Recherche d’Espaces Constructibles)
!
Abasourdi, Georges
se laisse tomber dans le fauteuil.
- On est
foutu ! Avec c’ti là aux commandes, on est bon pour un zoning derrière nos
maisons !
Et soudain il se
met à pleurer à gros sanglots !
- Quo ch’est
qu’ils vont manger mes pauv’s p’tits vias ? D’el herb’ impoisonnée !
Y sont si
bias !
Vous vous rappelez
on estait allé al’ foir’ de Libramont pou choisir des belles Normandes ! On
avait quo stie avos l’camion d’ Louis.
Y vont m’ les fair’crever
avos toutes leurs cochonneries !
Et mi, je ne veux
nin que mes petites biètes elles ressimb’nt à l’ vach’ des chocolats Milka,
avos des ieyes rouches qui clignotent et des pustules, dit-il en pleurant de
plus belle !
C’ n’est nin
possib’e ! Em vie est finie !
Dj’ va m’ pind’e,
il m’ reste que ça à fair’è !
R’joindre èm Rose
!
Les layer les là
avos leurs fumées et toutes leurs saloperies, hoquette t-il en pleurant de
plus belle !
Ernest qui était
retombé dans le canapé sous le coup de la nouvelle, se redresse à nouveau.
- Non, dit-il en
se relevant énergiquement ! On n’est pas encore foutu !
On peut quo s’
battre !
Et on va l’ faire,
cré milliard de Dji !
Demain, dj’ va au
‘’ Moniteur Belge’’ essayer de vire qui c’est qui est derrière ces sociétés. Et
je ne lâcherais nin l’ morciau avant de connaît’e el nom du crasnez qui tire
les fichelles !
La détermination
d’Ernest a raison des larmes de son ami.
Georges, à son
tour, se lève du fauteuil, brandit la cuillère en bois et lance martial :
- Vos avez raison
! On va les attaquie !
Milliard, mes
côtelettes !
J’espère qu’elles
ne seront pas cramées !
Je vais vire ça et
p’is j’arrive pou’ l’apéro.
C’est avec le
sourire qu’il revient .
-Tout va bin.
Tu veux un p’tit
morciau d’ ‘cisse ?
- Volontiers. Ah
j’oubliais, j’ai ramené l’ vin.
Il tend la besace
contenant les bouteilles.
Tout en prenant
celle-ci, Georges ne peut s’empêcher de
grommeler :
- J’espère que ce
ne sera pas comme l’aut’fois !
Un vin juste bon à
assaisonner el salade !
Voyons ça ! Waow !
un Pommard et une Vosnes Romanée, il avait bon goût, vos pa, c’ n’est nin comme
vous !
Cette fois, dj’
crois qu’ c’est prêt !
Mettez-vous à tab’e
!
De la cuisine,
Georges amène, fièrement deux belles assiettes garnies d’une imposante côte de
porc nappée d’une alléchante sauce crémée et d’une généreuse portion de frites.
- Allez, dit-il,
goûtez-moi cette berdouille, vous m’in direz des novelles !
Un peu méfiant,
Ernest, prend une première bouchée et dans son palais explose une symphonie
d’estragon, ail, d’échalottes et de vin blanc.
La bouche pleine,
il ne peut s’empêcher de féliciter le cuistot.
- Cint milliard !
C’esse t’un délice, c’tte affaire-là ! Vous m’avez réconcilié avos l’
berdouille. Chapeau !
Après la bouteille
de Pommard, les deux compères accompagent le fromage d’une petite Vosnes.
Si bien, qu’en fin
de soirée, les esprits sont quelque peu échauffés.
Georges,
belliqueux veut la peau de l’échevin.
- Dj’ va
l’apissie po’ l’ goyie, lui fout' des chaffes jusqu'à ce qu’il intinde sonner
les cloches, lui pesteler ses artoiles, el stranner avoz du fil de fier
barbelé, c’ crasnez, c’ mougneux d’blanc ! Hurle t-il.
Ernest, plus
posé, lui se contenterait de lui faire cracher les dents et de le traîner
en justice.
Tous deux se
mettent d’accord pour se rendre à Bruxelles, le lendemain.
Avant de se
quitter, devant la ferme, les deux amis pompettes, se font tapageusement la
promesse qu’ils auront l’ pia du crasnez de Leley ! Et c’est en chantant
à tue tête, le ‘’ah, ça ira, ça ira les aristocrates à la lanterne …’’
qu’Ernest d’un pas quelque peu embrouillé rentre lui.
Chapitre 12
Le lendemain à 7h59
les deux compères montent dans le train de Nivelles, direction, Bruxelles, la
grande ville !
De la Gare
Centrale, bousculés par de
nombreux indifférents pressés, ils s’orientent vers la Bibliothèque Royale.
Perdus, dans
l’immense cage de verre du hall d’entrée, ils s’adressent au comptoir d’accueil
afin de s’enquérir de la marche à suivre.
Lorsque munis de
leurs précieux ‘’Sésame’’, ils reçoivent les journaux demandés, le préposé leur
signale qu’ils doivent aussi consulter le moniteur.be.
Tout en le
remerciant chaleureusement, Ernest et Georges se dirigent vers le lieu de
lecture.
Silencieuse,
immense, haute de plafond, la salle a de quoi impressionner les deux compères.
Et c’est dans un
murmure, que très intimidés, ils s’asseyent à l’une des énormes tables, juste à
côté d’un jeune étudiant très studieux.
- Vous avez
compris ce qu’il a dit avec ‘’son moniteur point B.E.’’ dit Georges à mi-voix.
- Non. Et dj’ n’ai
nin osé deminder d’explications, d’ peur de passer pou’ in éwaré.
- Nous vla bien !
On va toujours
commincer à r’garder dins les journaux, pt’ête qu’on verra quèchose.
Alors que Georges
et Ernest mettent au point leur stratégie de recherches. Kevin , leur jeune
voisin de table, qui a l’ oreille aussi affûtée que l’antenne satellite de
Lessive, ne peut s’empêcher de rire en voyant ces deux papys, bien gentils,
rechercher le site Internet du Moniteur Belge, dans un journal papier.
Mais comme tout
jeune qui se respecte, il rit et ne s’en mêle pas.
Au bout de deux
heures de recherches, tous les journaux ont été lus.
- Bé ! Vla, qu’ ça
s’arrête en 2003 dit Ernest !
Il faut p’être
aller deminder el rest. En bougez nin, dj’ va qué les aut’es gazettes.
Quelques instants
plus tard Ernest revient l’air déconfit.
- Quo ch’est qui
vous a dit, demande ?
- Ben, toudis l’
même. Il a quo parlé du moniteur point B.E.
Ernest jette un
regard alentour ;
- Vous voyez
quéquin qui aurait l’air d’un moniteur dins c’salle ?
Mi dj’ vois rin !
Après avoir
regardé à son tour, Georges décide de demander à son jeune voisin.
- PSSST, jeune
homme, c’est qui el moniteur dans cette salle ?
Kevin, au bord du
fou rire lui répond poliment.
- Il n’y a pas de
moniteur ici Monsieur. Vous recherchez quoi exactement ?
- On cherchait les
coordonnées d’une société dans les journaux, mais ils ne vont que jusqu’en 2003
dit Ernest.
- Je comprends
répond Kevin d’un air un peu arsouille.
C’est sur Internet
que vous devez chercher la suite.
La version papier
du Moniteur s’est arrêtée en 2003.
- Mon Dieu mè p’tit,
s’exclame Georges, catastrophé. Sur Internet ! Mais, nous ne connaissons
rien à tout cela. Vous ne pourriez pas nous aider ?
-Bon,
expliquez-moi votre problème dit Kevin.
- Voilà expose
Ernest. Derrière chez nous, il y a une société qui rachète toutes les prairies
et nous soupçonnons une arnaque immobilière.
- Waow, du
scandale, de la magouille ! J’adore ça, je fais mes études de journaliste.
Allez, j’allume la
bécane et je vous jure que je vais lui faire cracher tout ce qu’elle sait sur
votre société fantôme.
Debout derrière
Kevin, ils contemplent fascinés les doigts agiles du jeune homme pianoter sur
ce qui leur parait être l’engin du diable.
Des signes
kabbalistiques, des images, défilent sur l’écran devant leurs yeux émerveillés.
Puis après avoir
tapoté de longues minutes sur son clavier, Kevin l’air satisfait, appuie sur
une ultime touche avant de dire avec un sourire :
- Voilà, on a tout
!
Georges et Ernest ébaubis
regardent Kevin et s’exclament ,
en chœur :
- Commint ! Déjà !
-Et oui répond
fièrement Kevin. On a tous les pedigrees, de la maison mère, de la succursale
et de l’agence immobilière. Meadows- France a comme président un certain Jean
Méounes, paysagiste, originaire de La Fontaine dans le Var et Meadows Belgique est dirigé par un certain J. Abraham,
avocat,domicilié à Londres.
Il me semble que
vous êtes tombés sur un beau panier de crabes, les papys ! Ça sent mauvais,
votre affaire et croyez-moi j’ai du flair !
- Vous croyez
qu’on risque notre vie demande Georges, effrayé.
- Non tout de même
pas. Ce n’est pas un réseau mafieu, mais je crois que vous avez mis le doigt
sur un beau scandale.
- Mais on ne peut
tout de même pas se laisser berner comme cela, rétorque Ernest. Que nous
suggérez-vous ?
- L’ennemi de ces
gens-là, c’est la publicité.
Dévoiler les
choses, ce sera votre seule arme.
Maintenant, ils
vont pas se laisser faire les cocos et ils disposent probablement d’une tripotée
d’avocats.
Si j’étais vous,
les papys, je foncerais, vous n’avez rien à perdre !
- Pour vous
r’mercier, mè p’tit, on peut vous offrir une jatte de quelque chose ?
- Avec plaisir,
je ferais bien volontiers une petite pause.
Par l’ascenseur,
ils montent jusqu'à la cafétéria.
Attablés devant
une tasse de café fumant, ils discutent.
- Comment vous
appelez-vous mè p’tit ? Demande Georges, toujours aussi curieux.
- Kevin. Et vous ?
- Moi, c’est
Ernest, j’écris une toute petite rubrique colombophile dans le journal ‘’Le
Matin’’ et voici mon ami Georges, il était agriculteur mais il a pris sa retraite.
Et, où habitez-vous Kevin ?
- J’habite à
Rèves. Un petit village dans le Hainaut.
- Rèves,
s’écrient les deux compagnons.
Mais nous
connaissons bien ! Nous y avons été à l’école ! Et où habitez-vous mè
p’tit ?
- Rue d’
Bruxelles. Mais vous connaissez peut-être mon grand-père, c’est lui qui tient
la quincaillerie.
- Vous êtes le
petit-fils du Marchau ? s’exclame Georges.
Mais bien sûr
qu’on connaît votre grand-père !
C’est toujours
chez lui, qu’on va chercher nos clauws, nos visses et tout le matériel pour nos
pigeons.
Ah bin, ça m’fait
bien plaisir de connaître son petit-fils.
D’autant plus que
sans vous, on n’aurait rien trouvé.
- Bon, ben, les
papys, c’est pas que j’ m’ennuie avec vous, mais il faut que je prépare mes
examens. Merci pour le café. Et si vous avez encore besoin de moi, vous savez
où j’crèche.
- Au revoir Kevin
et mes amitiés au marchau !
- Qué brave gamin
dit Georges.
C’est ni tout ça,
mais mi dj’ voudrait bie aut’ chose qu’une boisson d’ galopin.
Dj’ suppos’ que
c’n’est nie d’auci que nous trouverons ça.
À quelle heure
qu’on a un train ?
- A l’heure ou
bien à la d’mi.
- On a l’ timps d’ abord. Dj’ vous invite à boire une crasse pinte,
su’ l’ Grand Place de Bruxelles. Y a bien longmin que dj’ a stie là-bas !
- Mais qué bonne
idée ! Y fait bon, on pourra s’asseoir à l’ terrasse.
Tout en descendant
la rue de la Madeleine, ils contemplent en badauds les vitrines
des antiquaires, puis ils bifurquent sur la Grand Place et s’installent confortablement, au soleil, à la
terrasse du ‘’ Roy d’ Espagne’’ d’où ils observent, la cohorte des touristes en
sirotant une bière d’abbaye.
- Ça fait
seul’mint dix minutes que nous astons là et on doit bien être sur cinquante
photos d’ japonais ! Avos leurs appareils qui vous envoient des éclairs dins l'
visage, pour finir dj a les zyes qui clignotent !
Dites Erness, vous
avez vu le prix des affaires dins les vitrines des antiquaires ? Dj’
pourrais faire fortune avos tous les cliquotias qu’ y a dins m’ guernie !
- Vous avez vu les
vîyes barattes toutes mougnies pa’ les vièrs !
Et les vîys
ostils ! Y z’osent deminder jusqu’à 100 € pou’ ça !
, nous avons une
fortune dins nos guernies et dins nos granges ! El’ jour où on aura besoin
d’liards ! On y ira akater 5litres de Sidol chez l’ marchau ! Puis on
viendra tout vinte d’auci !
- Quo ch’est qu’on
fait avos les renseignemints que l’ gamin à
trouvés ?
- Hier, avant d'
venir souper chez vos, dj’ a scrit dins m’p’tit carnet tous les noms des dgins
qu’ dj’a trouvé dins tous les papies. On va r’garder si y a des noms communs.
Avec un peu d’chance…
- D’el chance ?
Jusqu'à présint, on n’ da pon eu beaucauw.
Vous croyez, qu’
c’est dingereux ?
- Vous avez
intindu l’ gamin, mis à part des problèmes avos les avocats, on n’ risque rin.
Mais comme on agira seul’mint si on est sûr et si on n’a des preuv’… Les
avocats, ils l’auront dins l’ baba !
Vous r’prenez
qu’chose ?
- Bof ! Je
préferais m’in r’tourmer.
Dj’ sait nin,
mais dj’ trouve que c’est nin aussi bia qu’ dins mes souvenirs.
Y a trop d’ mond’
et pis dj’ trouve que ça sint l’essence tout
Partout.
Dj’ préferais
prind , une boisson roborative à l’ place de Nivelles, quo ch’est qu’ vous in
pinsez ?
- Pour mi c’est
bon, répond Ernest en regardant sa montre.
Y nous reste vingt
minutes pour r’monter à l’aise jusqu’ el gare.
Chapitre 13
Arrivés en gare de
Nivelles, Ernest et Georges descendent du train et se dirigent vers le parking
pour reprendre leur voiture.
Ernest au
volant, amorce sa descente vers la grand’place à un train de sénateur.
- Nous d’allons où
? demande Ernest.
-Dj propose el Taverne
Finlandaise. C’est m’ copain Roger qu’est serveur et avos ‘’el Djean d’
Nivelles’’ y nous donne toudis une belle ration d’ cubes de fromadge.
- Va pou’l’ Taverne
Finlandaise !
En habitué des
lieux, Georges entre le premier dans le troquet et s’installe dans un coin
calme de l’établissement.
- C’est bin
biau d’auci! commente Ernest en s’asseyant à son tour.
- Vous n’astiz
jamais v’nu ?
- Non. Mi, quand
dj’ v’nait, c’éstait avec Louis et on allait au café du coin chez s’bia-frère.
- C’est vrai, que
c’est plus chic ici ! Et vous d’allez vire el portion fromadge que nous
d’allons avouère !
Ah voilà m’
camarade Roger ! Commint qu’ vous allez ?
Dj’ vous présinte,
Erness, em meilleur ami, on s’ connaît depuis l’ berce !
- Enchanté
Monsieur Ernest, que puis-je vous servir ?
- Tu nous mets
deux d’Jean d’ Nivelles bie froides, avos une belle portion d’ fromadge,
hein ! dit Georges en faisant un clin d’œil au garçon.
In rattindint, mi
dj’ va fai’e comme les italiens ‘’ Pipo aux lavabis’’!
Revenu du lieu
d’aisance, il fait signe à Ernest de se rapprocher.
- Quo ch’est qui
s’passe ?
- Chuuttt !
Fait Georges en murmurant ! Dj’ vous l’ donne in mille qui c’est qui yèsse
assis derrière nous !
- Vous savez que
dj’ suis nin fort in d’vinettes ? El maïeur ?
- Non Leley ! Et
avoz s’ coumère !
Puis il fait
signe Au serveur.
-Roger, v’nez un
cauw.
- Quo ch’est qui
a, vous n’avez nin assez d’fromadge ?
- Non, répond- il,
pour ça vous nous avez gâtés.
Mais là-bas
derrière, dj’a bie vu, c’est Leley avoz s’ coumère ?
- Oui, ils
viennent tous les jeudis. Elle, c’est une Anglaise.
- Une Inglaise,
s’étonnent les deux compères ?
- Oui répond
Roger, mais elle parle bien l’ français.
Cependant, y faut
faire attention, c’esse t’ une agonne finie. Si elle peut vous scroter d’un
Euro, elle ne le ratera pas.
- Et y viennent
tous les jeudis ? S’informe Ernest, très intéressé.
- Ouais, c’est
réglé comme du papier à musique. Tous les jeudis de 2 à 4 et toudis à la même
table.
- Roger, on peut
vous offrir une saqwè ? demande Ernest.
- C’est gentil,
j’ai terminé mon service et ma femme m’attend dans l’ auto pour aller
rechercher le gamin à l’école, mais une autre fois, volontiers.
- Avint d’ vous
inrâler r’mettez nous l’ même chose …
- Avec une belle
portion de fromage rajoute Roger, moqueur.
- Dj su’s r’péré
dit Georges en riant.
C’n’est nin tout
ça, mais y faut mett’e’ èl timps d’el deuxième chopine à profit pou’ espionner les
deux aut’es.
- Quo ch’est qui
disent ?
- Dj’n’ sais nin y
n’arrête nin s’embrassiye. À leur âdge !
- Dites mè, dins
c’ qu’on a reçu du petit Kevin on parlait d’une feumme, d’une inglaise.
- Oyie, répond
Georges.
- Dj’ m' d’minde
si nous ne faisons nin fausse route. On pinsait que Leley touchait des pots d’
vin. Mais si s’estait li qui tirait les fichelles in prenant s’coumère comme
paravent.
- Mais vous savez
que ça se tient vot’e idée, mon cher Sherlock Holmes !
Tenèt ! La voilà
qui est d’allée qué s’ mouchoir dins s’paltot pour mi, elle braie.
Ernest en
continuant son raisonnement :
- Y faudrait trouver un moyen pou’ connaître, el nom d’
s’ coumère.
- On vol s’pal'tot
!
-Mais non ! C’esse
t’ une feumme et vous savouz bie qu’elles ne mettent rie dins leurs paltots,
elles fourent toudis tout dins leurs sacoches.
L’œil pétillant,
Georges réplique en ôtant son veston et retroussant ses manches :
-Dj' a p’ête une
idée.
Vous m’ donnez,
vot’ bouteille de bière. Il in rest’ el moitié ça suffira.
Ascoutez, mi,
quand l’ garçon sera dins l’cuisine vous prindrez m’ veston et vous z’irez
pâyie. Tenez bie vos clefs d’ voiture en main car ça va d’ aller rad’.
- Et vous quo
c’est qu’vous d’ allez faire ?
- N' vous
inquiétez nin pour mi !
- Ça y est !
el garçon vient d’ partir.
- À mi d’jouer
s’exclame-t’il.
Vif comme
l’éclair, il se précipite au comptoir, prend le plateau jette une serviette sur
le sol et s’empare de la bouteille de bière.
Puis il houspille
Ernest qui prend la fuite et se dirige vers la caisse.
Tenant le plateau
d’une main, Georges, fait semblant de trébucher sur la serviette et il en
profite pour verser un peu de bière sur le manteau de ‘’la dame de cœur ‘’ de Monsieur
Leley.
-À qui appartient
ce manteau demande t-il d’une voix navrée ?
- Oh, mais c’est
mon manteau s’écrie la dame.
Vous avez renversé
de la bière sur mon cachemire tout neuf ! Maladroit !
- Que Madame
veuille bien m’excuser dit Georges en tamponnant le manteau. Je vais
immédiatement aller le déposer à nos frais chez le teinturier de la rue de
Namur et si cela vous convient, je viendrai vous le ramener demain à votre
convenance ?
- Demain à cinq
heures , répond la gracieuse créature en tendant sa carte de visite.
- Merci Madame,
encore toutes mes excuses.
Et si ces Messieurs-Dames,
me le permettent, la maison offre les consommations.
- C’est le moins
qu’on puisse faire rétorque sèchement Leley !
- Excusez-moi
encore Messieurs-Dames !
Après s’être
reculé obséquieusement, Georges dépose le plateau sur le comptoir, il éponge
avec une serviette les quelques traces de bière sur le sol, il saisit le
manteau et se dirige à pas vifs vers la sortie.
En passant, il
tend l’addition de Leley à Ernest, prend les clefs de voiture et quitte
rapidement l’établissement.
Lorsqu’ Ernest
rejoint son ami dans la voiture, Georges à la mine d’un chat devant une tasse
de crème !
- Commint vous
m’avez trouvé demande t-il fièrement ?
- Alors là, vous
estie royal ! Y a pas d’aut’ mot ! Pou’ l’ prochaine représintation, c’esse t’
aux Théat’e des Galeries qu’ vous d’vez d’ allez !
- Bah ! Dj’ avoue
que dj comminche à y prind goût.
‘’Chauffeur,
direction la teinturie où nous allons porter le précieux cachemire de Madame
Clémentine Abraham’’.
- Clémentine
Abraham ?
- Oyie, Clémentine
comme l’agince immobilière et Abraham comme l’homme qu’est président d’l’
succursale de Belgique !
Chapitre 14
Le lendemain après
un détour par la teinturerie, la petite voiture rouge d’Ernest se gare devant
l’immeuble cossu de Madame Abraham, rue du Monde à Nivelles.
Sortant de la
voiture le manteau sur le bras, Georges pénètre dans l’immeuble et gravit les
marches jusqu’au palier du premier étage.
Il sonne et attend
patiemment.
La lourde porte
blindée s’ouvre sur une Madame Abraham aux cheveux blonds décolorés, au maquillage
outrancier au bronzage à la limite du pathologique. Elle porte une pâle copie
de tailleur Chanel rose sur lequel pendouille une
surabondance d’imbuvables colifichets.
- Ah vous voilà,
enfin ! Ce n’est pas trop tôt ! dit-elle les lèvres pincées .
Donnez-moi cela
que je vérifie, si vos exploits n’ont pas ruiné mon cachemire !
Debout devant la
porte, les pieds sur le paillasson, Georges en profite pour jeter un coup d’œil
à l’appartement.
Wouah se dit–il,
ce n’est pas de la gnognotte ! Apercevant sur un guéridon quelques photos
d’un jeune homme en toge de collégien, il demande :
- C’est votre
fiston qu’on voit là dans la photo, avec ène robe de curé et une galette sus
tièsse ?
- Un peu vexée, la
dame répond, oui c’est mon fils James et ce n’est pas une robe de curé.
- Il est Américain ?
- Américain ?
Non pourquoi ?
- Parce que dins
les feuilletons américains, on voit toudis des jeunes déguisés avec des
longues robes noires qui font voler leurs t’chapias pa’-d’ssus leurs tièsses.
- Nous ne sommes
pas Américains, répond sèchement le sapin de Noël chanelisé. Nous sommes de
Jersey ! Mon fils a fait ses études d’avocat à Oxford et il excerce à Londres.
De plus, il n’est pas déguisé comme vous le dites si pittoresquement, il porte
sa toge d’avocat !
- Oxford, ah, ça
je connais ! C’est là qui font des concours de petits batiaux !
- De plus en plus agacée,
Madame Abraham rétorque avec hauteur :
ce ne sont pas de
‘’ petits bateaux’’, ce sont des épreuves d’aviron, de 8 avec barreur ! Et
mon fils a gagné la coupe il y a deux ans !
- Félicitations,
donc vous êtes Inglaise !
- Non, Monsieur,
assène la dame en se dressant devant le malotru, nous habitons l’île anglo
normande de Jersey, en face de la
Normandie !
- Ah bon, répond
Georges tout penaud. Excusez-moi j’ n’ savais pas !
Votre manteau a
été bien nettoyé ?
- Oui, cela peut
aller. Je ne vous retiens pas, Monsieur, au plaisir de ne plus vous revoir dit-elle
en lui claquant sèchement la porte au nez.
- Pfff, gracieuse,
el coumère, marmonne-t-il en se dirigeant vers la sortie.
Arrivé à hauteur
de la petite Panda rouge, Georges ouvre la porte mais n’entre pas.
- Vous v’nez dit
Ernest impatient de connaître la suite de l’histoire.
- Non, j’ai rindez-vous
su’l’ place de Nivelles.
-Vous avez rindez-vous !
Ce n’ serait nin avos Annie, par hasard ?
- Dj’ sui
pincie ! J’avoue ! C’èsse t’ avec Annie ! Et nous d’allons au
restaurint chinois !
- Et mi dj’ va
ratindre comme un vy navia pour savoir quwè ? Vous yèsse vraimint cruel !
- Dj ‘ ne s’rais
nin long. Je rint’e pa l’ bus de dix heures et dj repasserais vous
rasconter !
Ad taleur !
- Ad taleur ,
Casanova !
Alors que Georges
s’éloigne d’un pas guilleret, Ernest met le contact et décide de profiter de
son passage ‘’ à la ville’’ pour déposer son ordonance chez Monsieur Ravez, l’opticien
de la rue de Namur, qu’il connaît depuis des années.
En pénétrant dans
le magasin le pidjoneux est ravi, il n’y a personne.
Détaché, il prend
place s’attendant à voir arriver la haute silhouette bonhomme de Monsieur
Ravez.
Aussi, sa
déconvenue est grande lorsqu’une jeune poupée blonde en tailleur bleu marine,
vient s’enquérir de ses souhaits.
- Monsieur Ravez
n’est pas là ? demande Ernest mal à l’aise.
- Non,
malheureusement, il s’est cassé la jambe et il en a pour un mois à rester
immobile. Cela pose un problème ?
- Non, non,
simplement je le connais depuis des années ! Cela me fait un peu bizarre
qu’il ne soit pas là. Mais vous lui transmettrez mes vœux de prompt
rétablissement ! Tirtiaux , Ernest Tirtiaux.
- Ce sera fait.
Que puis- je pour vous Monsieur Tirtiaux ?
- Y’m faudrait des
nouvelles lunettes. Voici mon ordonnance.
- Parfait, nous
allons choisir une monture.
- Comment s’exclame
t-il stupéfait, je ne peux pas garder la mienne. Il n’y a pas si longtemps que
je l’ai achetée, elle a quoi, quinze, seize ans ? Ce n’est tout de même pas si
vieux !
- Embarrassée, la
jeune vendeuse, dit en regardant les lourdes lunettes à larges bords d’écailles,
look seventies, je crains que techniquement vos nouveaux verres ne puissent se
placer dans ce type de monture.
- Bon grommelle
Ernest, si ça ne va pas, ça ne va pas ! Mais tout de même ! Si c’est
pas malheureux, elles sont encore impeccables, même pas usées !
- Elles sont
peut-être un peu lourdes suggère diplomatiquement la vendeuse .
- Justement, je
trouve cela très bien, au moins je sais qu’elles sont posées sur mon nez.
Se rendant compte
de la déconvenue de la jeune dame, il rajoute :
Excusez-moi
mademoiselle je ne suis qu’un vieil ours.
Choisissez, moi je
ne saurais pas quoi prendre.
- Vous me faites
confiance ?
- Totalement,
répond Ernest en retirant ses grosses lunettes.
La vendeuse lui
propose d’essayer de fines lunettes à bords métalliques bleu foncé, assortis
aux yeux du pidjoneux.
Et lorsque qu’il
se regarde dans la glace, il a un peu de mal à se reconnaître.
Puis ravi, il
s’exclame :
- Milliard, j’ai
l’air d’avoir dix ans de moins. C’est bien vrai que c’était vilain ces lunettes
de bo’s.
Et vous aviez
raison, celles-ci sont bien plus confortables. Merci m’ p’tit.
- Vous êtes
certain qu’elles vous plaisent, demande la vendeuse un peu éberluée par le
rapide enthousiasme de son client.
- Oui, ne vous
inquiétez pas dj suis ravi, je les prends.
Dites-moi
simplement quand je peux venir les chercher.
- Dans une semaine
ce sera prêt, répond la jeune opticienne.
- Alors, à dans
une semaine, répond Ernest en quittant le magasin.
En se dirigeant
vers sa voiture, il se dit que lui aussi, se ferait bien un bon petit dîner.
Je vais aller
chercher une pizza quatre saisons sur la place Emile Delalieux se dit -il, là,
elles sont bonnes .
En repassant par la Grand’
Place Ernest voit son ami en terrasse en tendre conversation avec Annie. Sacré
Georges se dit-il , je ne sais pas comment il fait pour trouver des coumères.
Déjà à la maternelle, il avait sa copine Renée qui lui portait son cartable et
le défendait contre les plus grands, après je ne compte plus les Thérèse,
Julie, Monique, Eglantine, Sophie, etc… qui ont croisé sa route ! Avec Rose, il
s’est assagi. Faut dire que la vie ne les a pas épargnés, la perte de leur fils
de seize ans les a profondément marqués.
Et si Annie peut
lui redonner un peu de bonheur, tant mieux pour lui. Moi je suis vacciné.
Les coumères on n’en parle plus, c’est fini ! Je suis parfaitement bien
tout seul, avec mes pigeons.
Lorsqu’il rentre
chez lui, Ernest met la pizza au chaud, puis il se sert un petit porto. On n'
va pas se laisser abattre tout de même, plaisante t-il.
Puis, il ramène
sur la table du salon, face à la télévision, un plateau garni de la
croustillante ‘’ quatre saisons'' et d’ un petit verre de Chianti.
Tout lui semble
bon, la pizza est copieusement garnie et le petit vin gouleyant à souhait.
Après son festin, il
s’installe confortablement dans le fauteuil, bien calé par les coussins de
crochet rose confectionnés par sa mère. Ravi, il se dispose à revoir pour la
nième fois, « le gendarme de Saint Tropez » sur FR3. Mais, il
ne faut pas longtemps pour que le bien-être, la chaleur et le Chianti aient
raison de sa vigilance .
C’est la grosse
voix de Georges qui le réveille à dix heures-quart
:
- Ey adon,
Ernest ! On roupille ?
- Ah c’est toi ?
dit-il en émergeant des brumes ensommeillées.
Et alors vot’
soirée a stie bonne ?
- Ah ça,
oui ! Annie, elle est charmante et dj’ai appris plein de choses sur Leley.
- Sur Leley ,
vous avez stie à un rindez-vous galant pou’ parlez d’ Leley ?
-On peut faire les
deux. Mais ascoutez bie ça.
Comminchons pa’ l’
délicieuse Madame Abraham.
Dj a appris que s’
fils esse t’ avocat à Jersey et qui s’appelle James.
Donc ça pourrait
bie yèsse noss « J. Abraham » du conseil d’administration.
Mais y a quo p’u intéressint.
Y faut d’abord
savoir que l’ mari d’ Annie estait Inglais, et y travaillaient tous les deux
comme concierches à l’Imbassade d’Ingleterre.
Donc Annie, même
si c’esse t’ène nettoyeuse, elle connaît bie l’ langue.
Quand s’ n’ homme
est mort, elle est venue habiter par ‘ci . Elle travaille quelques heures à l’
Commune de Charleroi et quelques heures au soir à Ponceau.
Alors tu pinses,
Leley, elle connaît bie ! C’èsse t’in grossier merle et il l’a d’jà
menacie del fout’ à l’uche.
C’est dire qu’
elle n’l’ porte nin dins s’cœur.
D’ailleurs
s’cousin Bernard, vous savez bie Bernard Francotte, èl fils du petit magasin
de Rèves et bè , il a d'ja intindu des conversations. Leley d’mindait des
d’ssous d’ tab’e, à des intrepreneurs pou’ proposer , les marchés à l’ commune.
Mais c’est nin
tout, comme Annie esse juste ‘’qu’ène pauv’ nettoyeuse’’ , èl soir, quand
Leley èsse-t’au téléphone et qui parle in inglais , y s’ méfie nin.
Et Annie l’ d’jà
intindu parler de rakatter les prairies derrière chez nous et de les revind’
avos des gros bénéfices comme terre à Zoning.
Ça fait des mois
qu’il essaye d’imminchie tout ça in indvintant tout é système, de muchettes
et d ‘ pirouettes .
Mais elle m’a
aussi dit que l’ gaillard est dins l’ collimateur des contributions.
Ça fait déjà trois
cauws qu’ i’ essayent del pincie !
Aujourd’hui y a
quo des dgins qui vérifient ses comptes et
ses papies !
Pou’ l’instant y
n’ont quo rie trouvé.
Mais, y a un
mois, juste avant l’ contrôle fiscal, Bernard a stie appellé chez Leley. Y
falloût accrochie deux tableaux dins « l’ bureau d’ Môssieur »
Bernard est v’nu
avos s’ martiau et ses clauws, pou’ pind’e soi disant deux copies d’ Magritte.
Mais quand il a
comminchie, ç’a stie tout un dalage.
Y fallot nin met
del poussière su’ l’toile, y fallot faire attintion de nin les laichiye tomber,
y faisot une crise dès qui voyait un clauw à moins de vingt cintimèt’es .
Tant et si bien
qu’ Bernard a dit en riant à l’échevin :
-Bè heureusemint
qu’ c’est des copies ! c’aurait stie des vrais vous n’auriez pas été plus
inquiet.
Y paraît qu’
Leley, il est devenu aussi blanc qu’un navia qu’on aurait pélé deux cauws.
Puis, il est
devenu tout rouge, y s’est fâché , il a dit que c’éstait vraimint des copies et
il a foutu Bernard à l’uche en braillant qu' c’éstait èn incapab’, é bon à
rie, é maladroit, et qu’i terminerait el travail li-même .
Évidemmint Bernard
, y n’ a nin trouvé ça très catholique.
Il a stie vire sur
Internet, puis, il en a parlé à Annie.
Et au soir, comme
c’éstait l’Conseil Communal y en ont profitè pour aller rewaitie les tableaux .
Y avait quo c’ ui
qui n’éstait nin pindu sul tab’ et y zont spépié ça d’ plus près.
Annie rewaitait
l’toile et Bernard comparait avos ses papies d’Internet.
Y avos bie des
différences : des plumes d’oiseaux d’une aut’ couleur et el signature qu’
estait de l’ aut’ costè.
Tout à coup,
voilà, noss Annie, qui esse t’ allergique, qui s’ met à sternie tout plein.
Y en avos taveau
l’ tableau.
Elle a pris s’ mouchoir
pou’ renettechie, tout doucemint, pa’c’qu’i n’fallot nin abîmer.
Mais y n’avos pond
d’ problème, el peinture, tenait bie.
Quand elle esse t’
arrivée dins l'bas à droite, el peinture à comminchie à fond’e et ène aut’e
signature Magritte a moustré s’ nez.
Et Bernard a vu
qu’l’ peinture c’estait ène sort’de gouache.
Donc, c’estoyt
bie des vrais Magritte, mais camouflés.
Et Leley les avait
probablemint mis là, pour rescaper des dgins des contributions. Et oui, em
fi ! Tous les liards qu’il avos scrotés, Monsieur l’Echevin les avoz muchi
dins deux tableaux.
- Faut d’jà yèsse
franc pour indvinter une affaire ainsi, dit Ernest éberlué.
Et commint s’ qu’i
zont fait pou’ arringie les bidons ?
- Bin, y zont
stie prind un boquet d’ peinture dins l’ local de bricolage des è’ffants et y
zont r’peint l’ bazar in quatrième vitesse.
- Sint Milliard
de Djou, si on pouvait yèsse sûr de ça ! On pourrait l’ coinchie èl véreux.
- Justemint !
Annie a dit que si vous v’lot , mardi c’est l’ Conseil Communal et elle veut
bie nous moustrer les peintures.
- Oyie, qu’on va
d’aller ! Vous direz è grand merchi à Annie. Qué brave feumme. Dieu l’
bénisse !
Chapitre 15
Le mardi suivant,
Annie nettoie avec application les alentours du cabinet de Leley, elle se
dirige vers la porte du bureau échevinal, toque discrètement.
Un aboiement lui
répond :
- Qu’est-ce que
c’est encore ?
- Je venais voir
si je pouvais faire votre bureau, Monsieur.
- Vous savez bien
que le mardi, c’est le jour du Conseil.
Bon sang !
Vous n’avez qu’à attendre que je sois parti.
Ce n’est pas bien
compliqué, même pour une nettoyeuse !
Et je vous signale
que mardi passé, le nettoyage n’était pas fameux.
Alors tachez de
faire mieux et vite car j’ai encore du travail après ma réunion.
Et si je
dois encore vous faire une remarque, je me ferai un plaisir de vous
virer !
- Bien Monsieur
Leley, tout sera en ordre pour quand vous arrivez. Bonne soirée Monsieur.
- M’ff grommelle
l’échevin.
Annie referme la
porte, puis elle s’attaque à l’époussetage du bureau voisin.
Dix minutes plus
tard, elle voit disparaître, le disgracieux personnage en direction du vieil
escalier ouvragé qui dessert la salle du Conseil.
Annie, ouvre le
local, allume, elle attend quelques minutes.
Elle vérifie que
le tableau se trouve toujours sur la petite table à côté du frigo.
Puis elle s’en va
ouvrir la lourde porte d’entrée en chêne et fait pénétrer le pidjoneux et son
compère.
- Chttt, il reste
peut-être encore l’un ou l’autre conseillé.
Voilà, les
tableaux sont ici.
Regardez dit-elle,
en frottant un coton-tige mouillé sur la partie inférieure droite.
Vous voyez la
signature, c’est un vrai Magritte.
- Nom d’un bèdo,
s’exlame Ernest ! C’est formidable, on peut l’ coinchie el gaillard.
Georges, vous avez
vu ?
- Oyie, qu’ j’ai
vu. On va enfin l’avoir !
Vous n’ pouvez nin
savoir c’ que dj su’s bine aise de savoir, que c’ gros panchu finira ses
jours in caruche.
J’offre un verre à
l’ maison.
- Mais je dois
encore travailler, dit Annie toute penaude.
- Dins combie d’
timps vous aurez fini ?
- D’ici une
vingtaine de minutes.
- Bon bin, ce ne
sera p’être pas le champagne, mais on vous rattind au bistrot du coin pour un
bon verre !
- D’ accord. Je
vous raccompagne, avant qu’ils ne reviennent.
À tantôt !
C’est tout
guilleret, que les deux amis entrent ‘’ à la Bigorne’’.
- Salut Paul,
s’écrie Georges en habitué.
- Cint Milliard,
mais c’est l’ami Georges s’écrie le patron. Commint qu’ ca va, viy
sporon !
- Audjourd’hui, ça
va bie. Mettez-nous deux Mellettoises, avos….
-…. Ène belle
portion d’ fromadge ! Je sais, termine Paul en riant.
- Ah !
Ernest, em camarade, on comminche enfin à vire el bout d’ nos misères. On a
p’êt’e une chance que ce foutu zoning à salopries ne se fasse pas .
- Oui, maintenint
j’y crois.
Vous estimez qu’
Annie accepterait de témoigner ?
- Dj’ pinse bin
qu’ oui. Comme elle a une maladie d’ cœur , elle prind s’ pinsion dans un mois.
Leley n’ peut p’u l’attaquie. Il est cuit.
Ah, voilà Annie !
Commint qu’ ça va
m’ petit cœur ? Vous n’avez nin eut d’ennuis ?
- Non, ils sont
encore en réunion.
- Quo ch’ est qu’
vous prenez ?
- Une ‘’ Jean
de Nivelles ‘’ bien froide.
- Paul va nous
apporter ça…
- Madame Annie, il
faut que je vous remercie pour votre aide, c’est formidable ce que vous faites.
- Vous savez moi,
Leley, si je peux aider à l’épingler ce sera avec un réel plaisir. Depuis l’
affaire des tableaux, il cherche des noises à Bernard ; il y a une heure,
il a encore menacé de me renvoyer et je suis à un mois de ma pension. Il a
aussi viré mes deux meilleures amies. On peut dire, que je l’aime cet homme-là
!
- Oyie, dit
Georges, rien qu’ à voir son visage ‘’ chaleureux’’, on a déjà envie de l’
étrangler. Y respire tellement l’ sympathie, l’ franchise ce coco-là .
- Ce n’est pas
tout ça dit Ernest, mais maintenant qu’on a tous les renseignements comment
faire pour le coincer.
- Ecrivez un
article, dit Annie.
- Je ne me sens
pas de taille à faire ça.
- Milliard de Dji,
Ernest ! Vous avez une belle plume et pas seulement pour parler des
coulons.
Vous estiez toudis
l’ premier in rédaction.
- Mais, c’estait à
l’escole primaire !
- Allez
donc ! Vous avez quo scrit pour noss petit djournal del ‘’Joyeuse
Hirondelle’’.
Demindez l’avis d’
vot Rédacteur in Chef, moustrez lui les papies . Y vous dira bie quoi.
Et pis rapp’lez
vous c’ que Kevin a dit , èl seule chose qui pourrait faire capoter l’ projet
c’èst d’ faire del publicité.
- Ouais, vous avez
raison, demain, dj’ scrit tout ça et dj’ va pousser une pointe jusqu'à
Charleroi vire Domenico.
Chapitre 16
Il noircit des
pages et des pages, en recopie des extraits afin d’en arriver à rassembler la
quintessence de sa pensée, l’élixir de sa rage et de son indignation.
Le pas martial,
remonté comme une pendule, il monte dans sa voiture et prend la direction du
journal.
Lorsqu’il pénètre
dans la cage de verre, Domenico, n’est encore pas là.
Zut, se dit
Ernest, j’ai débarqué trop tôt. La conférence de presse n’est pas encore
achevée.
Un quart d’heure
plus tard, un brouhaha de conversations se fait entendre .
Ah voilà Domenico,
pas trop tôt !
Je suis tellement
énervé avec cet article que j’ai l’impression d’avoir avalé un feu d’artifice
en pleine pétarade !
-Ah l’ pidjoneux
s’exclame, très surpris, le Rédacteur en Chef .
Que puis-je pour
toi ?
- Bonjour,
Domenico, je viens parce que j’ai un avis à te demander.
- Fais vite car
j’ai une tonne de coups de fil à donner et j’ai rendez-vous à 11 heures.
- Marie, t’en a
certainement parlé, j’ai reçu, à l’inauguration de la salle omnisports, une
farde contenant des documents.
J’ai tout creusé,
décortiqué, analysé et j’en suis arrivé à la conclusion que l’Echevin des
Travaux de Ponceau essaye de se faire un pont d’or en rachetant des prairies
derrière chez moi et en faisant transformer cette zone pour l’instant ‘’zone
verte’’ en zoning industriel.
- Non, c’est vrai
dit le journaliste ? Tu as des preuves de ça ?
- Voilà la farde,
dit fièrement le pidjoneux !
Ernest explique
tout : ses recherches, ses trouvailles, présente ses documents, parle des
Magritte et dépose devant son supérieur, son article.
Domenico, tel un
chien de chasse, furète partout, à gauche à droite, il revient sur un document
, inspecte les signatures.
Les yeux brillants
d’espoir Ernest le regarde faire.
Soudain Domenico ,
tape des poings sur son bureau jure comme un charretier.
Il appelle Amaury
le juriste, lui montre l’article, les preuves ….
-Et enfin, le
verdict tombe, c’est inutilisable !
- Comment ? dit
Ernest abasourdi.
- Désolé Ernest,
tout ce qu’on peut faire c’est un vague article parlant d’un projet de
zoning, mais c’est tout.
- Et mes
preuves !
- Ce ne sont que
des copies et l'on n’en connaît pas la provenance, il faut être prudent
explique le juriste, on risque le procès.
- Et les
toiles !
- Avant la sortie
de presse, je connais un tas d’ouvriers à l’imprimerie qui se feront un plaisir
de prévenir ton échevin espérant une substantielle rémunération.
Tu penses que le
jour où l’article sort, les toiles, elles auront disparu depuis belle
lurette !
-Non dit Ernest désenchanté,
ce n’est pas possible, on a toutes les cartes en main !
-Et oui dit le Rédac’
Chef, on a toutes les cartes en main et on ne peut pas les jouer. Ça me rend
dingue ! Ernest , on peut photocopier ton dossier ? On ne sait jamais
que de notre côté on puisse dégoter les originaux ou trouver d’autres preuves.
- Oui, du moment
qu’on peut l' intercepter !
- Là, on est
vraiment coincé, tout ce qu’on peut faire, légalement, et l'on va déjà se
faire sonner les cloches, c’est cet article faisant état de rumeurs de
construction d’un zoning le long de la N556 et ta
signature au bas de l’article.
Comme on a une
demande à l’urbanisme, on est couvert.
Pour le reste
creuse de ton côté, nous on pioche aussi.
Le premier qui a
du solide prévient l’autre.
Je comprends ta
déception, c’est la première fois que cela t’arrive. Nous, à la rédac’, on est
habitué .
- Aurevoir
Domenico, dit Ernest en sortant le dos voûté en traînant les pieds.
- Pauvre gars
murmure Domenico , il a une affaire en or, son article était super bien torché
et légalement on ne peut même chatouiller le petit orteil de cette crapule de
Leley. Le jour où on pourra le gauler celui-là, je paye le champagne !
- Tu te fendrais
d’une bouteille de champ’ dit Amaury en riant. Alors, je te quitte, sur le
champ ! Je vais me mettre à rechercher des preuves.
Pour une fois que
la rédaction offrirait une bouteille !
- Mais dit tout de
suite que je suis rapiat, s’exclame Domenico !
- Rapiat non, dit
Amaury moqueur , mais extrêmement parcimonieux, ça, oui.
- Salopard,
répond le Rédacteur en lui lançant en riant un journal au crâne !
Ernest, lui, le
pas lourd, abîmé dans ses pensées traverse la salle de rédaction. Il ouvre la
grande double porte sans appuyer sur l’ouvre- porte, déclenche l’ alarme sans
en avoir cure et descend le pas lourd dans le sombre escalier encombré.
Toujours hébété,
il s’assied au volant de sa voiture et s’écroule en pleurant.
-Mais qu’est ce que
je vais dire à Georges, je lui avais bien promis d’arrêter ces projets de constructions
industrielles ! Ça m’ dégoûte , qu’on ne puisse rien faire contre ce
malhonnête ! Cint milliards de Dji ! Ça me rend chèvre !
Du revers de la
manche, il essuie ses larmes et met le contact.
Rapidement il sort
de la ville et comme toujours la vue de la campagne tel un baume analgésique
commence son travail apaisant.
Il arrête sa
voiture le long d’un pré.
S’assied dans
l’herbe et mâchouillant la tige d’une graminée, il regarde brouter les vaches.
Le tumulte qui
s’agite dans son cerveau et dans son cœur semble se calmer.
Les idées
redeviennent claires et la pensée cohérente.
Mais se dit-il,
je peux toujours déposer ma farde auprès des juges. Eux ils peuvent toujours
retrouver les originaux.
Je vais passer
par la librairie d’ Herchies faire des photocopies et puis j’enverrai tout ça
anonymement au juge chargé des affaires carolos.
Ragaillardi, il
reprend son volant et s’en va faire ses photocopies.
Pendant ce temps,
Georges s’impatiente. Le chien sur les talons, il se rend à la ferme d’Ernest,
prend la clef sous le paillasson et s’installe dans la cuisine et commence à
soliloquer.
- Cint milliard,
11h30 et Môssieur Erness n’est toudis pas là. Mais qu’esse qui fout ? Mi
dj’ va devenir fou à rattindre ainsi.
Soudain une voix
derrière lui rétorque :
-Mais n’ vous
inquiétez nin, vous yèsse déjà berzingue !
-Ah ! bin
c’est nin trop tôt. Qué no’velles ?
- Bo, dit-il
mi-figue, mi-raisin, ya du bon et du moins bon.
Pou’ l’artic’
c’est foutu ! Tout c’ qui a dins l’ fard’ on n’ peu nin s’en servir. El
juriste du journal y dit qu’on ne sait pas d’où ce que ça vi. Donc, légalemint
c’n’est nin valab’e.
Mais l’ bonne
no’velle, c’est que l’ journal va continuer l’inquête .
Et pi dj’ a stie
faire des photocopies du dossier et dj’ l’a l’envoiyie au d’juge qui s’occupe
des affaires de Charleroi.
Mais dj’ai aussi
pinsie; rin nous impêche de scrire just’ pour nos aut’ un pt’it artic’, dins
l’ journal d’el ‘’ Joyeuse Hirondelle ‘’. C’est privé, ça peu mauw.
- C’esse t’ ène
bonne idée ! Comme ça on pourra scrire c’ qu'on veut et dire que Leley c’esse
just qu’un gros panchu, un agon et un crasnez !
Chapitre 17
Le lendemain matin
Ernest attablé devant son petit café matinal, entend le téléphone sonner.
- Allo dit-il ?
- Ernest
Tirtiaux ? Fait la voix.
- Oui . À qui
ai-je l’honneur ?
- Alors c’est vous
le foutriquet qui êtes l’auteur de ces calembredaines parues dans le journal
le ‘’ Matin’’ ?
- Cher Monsieur,
je ne vois pas de quoi vous parlez et de plus vous n’avez même pas eu la
courtoisie de vous présenter répond Ernest hautain.
- Je suis Monsieur
Leley, l’Echevin des Travaux de Ponceau.
- Facétieux,
Ernest commente, je ne pense pas avoir écrit une ligne sur d’éventuels travaux
ayant lieu à Ponceau .
- Non, mais vous
avez insinué que je me remplis les poches en achetant des terrains derrière
chez vous.
- Effectivement je
me suis fait l’écho de certaines rumeurs évoquant l’implantation d’un zoning industriel
à cet endroit, mais je n’ai jamais cité votre nom et je n’ai jamais fait
d’allusion à de quelconques profits illicites, cher Monsieur Leley.
- C’est bien la
presse ça, on met le feu aux poudres et puis on dit : qu’on n’est pas
responsable ! Bande de dégonflés,langues de vipères, plumitifs,
fouille-merde ! Je vous ai à l’œil hurle t-il.
- Mais moi aussi,
Monsieur Leley, répond un Ernest suave, je vous tiens à l’œil !
- Je vous emm….
scribouillard, écrivassier. A partir d’aujourd’hui vous pouvez compter vos
abattis, vocifère Leley en reclaquant le téléphone au nez du pidjoneux.
Wouah , se dit
Ernest, toujours aussi délicieux, l’Echevin !
Cette pauvre pomme
ne se rend même pas compte qu’il ne fait que me conforter dans mes belliqueuses
intentions.
C’est
curieux ! Cette petite passe d’armes m’a ouvert
l’appétit.
Je vais me prendre
une deuxième petite tartine rôtie à la confiture de rhubarbe à la santé de
Leley.
Et ensuite, je
peaufine l’article pour le Journal de la ‘’ Joyeuse Hirondelle’’. Je sens que
je vais te l’épingler moi, cet Echevin à la noix !
Sa tasse de café
à la main, Ernest s’apprête à entamer son article pour la revue colombophile,
lorsque Georges, comme une tornade , s’engouffre dans la maison.
- Ernest s’écrit
t’il essoufflé, vot' artic’, il est dins l’ gazette de c’ matin !
- Oyie répond le
pidjoneux très calme, dj l’ sais .
-Ah bon, fait-il
un peu déçu.
Si j’avoûs su ,
dj’ n’aurais nin couru comme y’un qu’aurait vu l’ diab’dins s’miroir.
- Figurez qu’ c’
matin , dj’ avoûs à peine mordu dins m’ tartine que dj’avoûs djà ‘’ Môssieur l’
Echevin’’ in ligne et croyez- mi, dj’ in ai instindu pou’ matricul’ !
- Il a osé vous
ingeuler ?
- Et oui.
- Mais il est
franc comme Artaban, c’baraki là !
Nom d’un bèdo ,
qué culot !
Vous l’ avez
mouché j’espère ?
- Oyie que dj’
l’ai mouché , l’ gaillard.
Et ça m’a donné du
cœur à l’ouvrache pour scrire em n’artic’.
Et croyez mi, foi
d’ pidjoneux ça va yèsse singlant !
- Bon bin , dj va
vous layer à vos réglemint d’ compte.
Pou ‘ ce soir ?
c’esse t’ a sept heures el réunion du comité ?
- Oui,
j’apporterai l’artic’ pou’ l’ moustrer aux aut’ avint.
- On se r’trouve
là-bas ?
- De què ? Môssieur
a quo un rindez-vous galant.
- Non , mouwèze langue.
Dj va qué du grain pour mes pouyes.
Ad taleur ?
Bien se dit
Ernest, on va comminchie le règlement de compte à Ok Coral !
Mâchouillant son
crayon , il commence par chercher un titre percutant.
« Nos
pigeonniers, en danger ! » Voilà qui me plait, c’est clair !
Et parti sur sa
lancée, le crayon se met à courir tout seul sur la page blanche.
Il parle de
l’étrange société dont le fils d’une « amie » de Leley est
président ; il explique les achats de prairies, les démarches de l’échevin
pour transformer celles –ci en zoning et enfin il parle des deux étranges
Magritte aux deux signatures.
Content de son
travail, certain d’avoir pris suffisamment de précautions oratoires, il
termine son article d’un cinglant Ernest Tirtiaux.
Voilà, je vais
enfin pouvoir envoyer Môssieur Leley au diable-vauvert et aller m’occuper de
mes pigeons !
Le temps passe
très vite à nettoyer les cages et soigner ses petites’’ biètes’’.
Et à l’heure
militaire , Ernest entre dans la forge de Tatâve ! Il salue les uns , les
autres , on discute du dernier concours, on prend des nouvelles de la famille,
puis Nounoul agite , la vieille sonnette qu’il a volée en 1943 à l’hôtel du
Lion d’or à Maubeuge lors de son voyage de noce avec la défunte Perrine.
Un silence
religieux se fait et docte, le président, énumère les points à l’ordre du
jour.
En fin de soirée,
la publication de l’article d’Ernest est abordée et après quelques discussions
, les membres décident de publier le texte, sous l’entière responsabilité du libelliste
.
Chapitre 18
Quelques jours
après la parution de l’article du pidjoneux, Annie est convoquée au bureau de
l’échevin des travaux.
Un peu inquiète,
elle traverse le long couloir dallé et frappe à la porte.
Une sorte de
glapissement l’invite à entrer et à s’asseoir ;
Du coin de l’œil,
elle observe son vis-à-vis. Il est congestionné, transpire, s’agite et sa
cravate est défaite. Tout cela, ne lui dit rien qui vaille.
Et lorsque le
visage rougeaud de Leley affiche un sourire d’anthropophage un frisson
d’angoisse la parcourt.
- Madame Francotte
veuve Winnacot, commence l’Echevin d’un ton contenu, c’est bien votre nom ?
- Oui, Monsieur,
répond Annie d’une toute petite voix altérée par l’angoisse.
- Et bien Madame
Francotte veuve Winnacot, j’ai l’honneur, le plaisir et l’avantage de vous
informer de votre renvoi.
Sous le coup de
la nouvelle Annie se tasse dans son fauteuil, elle sent son cœur s’emballer et
regrette amèrement de ne pas avoir songé à prendre son tube de pilules.
- Mais pourquoi, bredouille
- t-elle ?
- Parce que,
profère l’ Echevin dont la voix s’amplifie de plus en plus, vous avez introduit
un journaliste dans ce bureau afin d’écrire à mon encontre un article
diffamatoire !
- Mais Monsieur,
ce n’est pas possible, je suis pensionnée dans trois jours.
- Je m’en fous et
contrefous vous avez commis une faute grave, j’ai ici le témoignage écrit et
signé d’une de vos collègues. La sanction c’est la porte hurle- t-il. Signez
ici votre notification de renvoi.
- Monsieur, je ne
me sens pas très bien balbutie- t-elle blanche comme une morte.
- N’essayez pas de
m’apitoyer avec votre comédie. Signez.
Dans un suprême
effort, elle se saisit du stylo puis s’écroule sans connaissance sur le bureau.
- Et merde,
grommelle l’échevin !
Madame
Fernelmont, bougez vos fesses en vitesse et venez vous occuper de la
nettoyeuse.
Lorsque l’employée
arrive sur les lieux, elle est effrayée par le teint cireux d’Annie.
- Il faut appeler
l’ambulance Monsieur.
- Mais non, c’est
une simulatrice, appelez l’infirmière répond l’échevin.
- Mais Monsieur je
vous jure que….
- Appelez
l’infirmière vous dis-je !
- Bien, Monsieur ,
mais ce sera sous votre responsabilité !
Allo Madame
Ponsard, voulez-vous venir d’urgence ? Madame Francotte a été prise d’un
malaise dans le bureau de Monsieur Leley.
- Mais pourquoi
n’appelez-vous pas l’ambulance s’offusque l’infirmière ?
- Mais parce que
Monsieur Leley veut d’abord avoir votre avis, il dit que c’est une simulatrice.
- Mais il est fou !
répond l’infirmière, Annie est cardiaque !
Appelez vite la
réanimation. J’arrive.
- Alors dit le
malotru , elle arrive cette donzelle ?
- Elle arrive en
courant Monsieur. Il paraît que Madame Francotte est cardiaque et qu’il faut
avertir d’urgence la
Réanimation ! Monsieur se
souviendra que je lui ai dit que c’était grave, dit-elle pincée.
- Passez-moi le
numéro de téléphone de l’ambulance , je vais sonner moi-même dit l’échevin.
- C’est le 112, Monsieur.
Sur cette
entrefaite, Madame Ponsard s’engouffre dans le bureau et se précipite vers la
malade.
- Mais alors Leley
, vous n’avez même pas essayé de porter secours, à cette pauvre Annie ? Vous
n’avez même pas songé à l’allonger sur votre somptueux canapé ? Il a
pourtant coûté assez cher à vos administrés !
Et les urgences,
elles ont été prévenues ?
- Je suis occupé à
le faire dit l’Echevin agacé.
- Grouillez-vous,
elle est cardiaque et chaque seconde compte !
Je vous préviens,
Leley, Echevin ou pas, s’il arrive quoi que ce soit à Annie, je vous colle un
rapport pour non-assistance à personne en danger.
Par la même
occasion, prévenez aussi son cousin Bernard, qu’elle ne se retrouve pas seule
pour partir à l’hôpital.
Je ne vous
comprends pas, il me semble que vous manquez singulièrement de compassion
envers vos semblables.
Ah j’entends
l’ambulance !
Allez courage ma
petite Annie tiens bon ma cocotte !
Et en accompagnant
la civière, elle se retourne vers l’échevin et lui jette un regard noir.
Annie, accompagnée
de son cousin et de Madame Ponsard, est emmenée sirènes hurlantes à l’hôpital
de Nivelles.
Dans la salle
d’attente des urgences, tous deux font les cent pas.
Lorsque le
praticien s’en vient les renseigner, il leur fait part de ses plus vives inquiétudes.
L’état d’Annie est très grave.
Il faut que je prévienne
Georges, se dit Bernard les larmes aux yeux. Il décroche l’appareil et
introduit les piécettes :
- Allo, Georges ?
Bonjour mon vieux, j’ai malheureusement une mauvaise nouvelle à t’
annoncer ; Annie a été transportée d’urgence à l’hôpital de Nivelles, elle
est dans un état grave.
Moi je vais rester
ici, mais je souhaiterais te demander un petit service. Te serait t-il possible
de t’occuper de Cachou, le persan de ma cousine ? Tu connais la maison et
tu sais où sont les clefs.
- Bien sûr, répond-il
effondré. Compte sur moi, je vais chercher le chat et j’arrive.
- Merci dit
Bernard en s’écroulant en sanglots.
Le temps d’enfiler
une veste et Georges se trouve au volant de sa berline. Comme un ouragan, il
déboule dans la cour de la ferme voisine et se précipite dans la cuisine.
- Erness dj’ ai
b’soin de vous !
- Mon dieu, quo
ch’est qui vous arrive vous esstè tout blanc.
- Annie vient
d’avoir une crise cardiaque, elle esse t'à l’hôpital et s’ cousin me deminde
de passer chez elle, s’occuper de Cachou, el cat.
Dj a promis de le
ramener à l’ maison , mais dj ne sait nie si va d’aller avos Tara. Et pi,
dj’aimerais bie d’ aller à l’hôspital.
- Vous voulez que
j’ m’occupe de Cachou ?
- Vous f’riez ça
pour mi ? Dj s’rait souladgie.
- Bie sûr , dj met
m’ veste et on zy va !
- Roulez derrière
mi, jusqu’à chez Annie, ainsi vous pourrez ramènerer Cachou.
En arrivant devant
la coquette maison d’Annie, Georges fonce vers le pot de géraniums, il y prend
la clef , la donne à Ernest le regard suppliant :
- Dj peux vous laiyer
là ? Dj’ suis tellemint inquiet !
-Allez- y, dj
m’occupe de tout.
- Merci crie t-il
en s’engouffrant dans son auto.
Quelques minutes
plus tard, il arrive au service réanimation.
Bernard est là
effondré dans un fauteuil.
- Alors dit
Georges ? Quelles sont les nouvelles ?
- Elle est dans le
coma, je viens d’aller la voir.
Il faut attendre
un peu avant une autre visite.
- Bien je vais
attendre un peu . Mais, bon sang, que lui est t-il arrivé ?
- Elle a été
convoquée au bureau de Leley.
Il voulait la
renvoyer. À trois jours de la pension ! Quelle crapule celui-là !
- Pourquoi
voulait-il la renvoyer ?
- Quelqu’un lui a
montré votre article dans le journal de ‘’ la Joyeuse Hirondelle’’. Cela ne lui a pas plu du tout. Il a convoqué ma
cousine en lui disant que quelqu’un avait vu Annie faisant entrer un
journaliste.
- Un
journaliste ? Mais dit Georges en réfléchissant. Mais si quelqu’un avait
été témoin, ce n’est pas d’une personne qu’il aurait parlé, mais de deux
puisque j’étais là aussi !
- Mais, c’est vrai
ça ! Cela signifierait que ce salopard aurait bluffé !
- Ou alors il a
fabriqué de fausses preuves.
- Et cette pauvre
Annie qui est tombée dans le panneau.
Mais quel pourri
ce mec. Si je le tenais au bout de ma carabine, je te le descends séance tenante,
s’exclame Bernard !
- Et c’est toi qui
irais en prison !
Le mieux ce serait
d’aider la justice à le coincer.
Là, on l’ foutrait
en prison, on lui confisquerait ses sous et socialement , il serait grillé.
C’en serait fini des courbettes devant’’ Môssieur ‘’!
Ah voilà
l’infirmière, on voit avoir des nouvelles.
-Alors Madame,
comment va- t-elle ? demande Bernard.
- Elle est calme,
son état est stable ce qui est déjà une bonne nouvelle, mais elle est toujours
dans le coma explique l’infirmière .
- Puis-je aller la
voir demande Georges ?
- Oui, mais
quelques minutes seulement. Soyez calme et surtout vous ne la fatiguez pas.
Elle est dans la chambre 12.
Sur la pointe des
pieds, il traverse l’office des infirmières. Dans la chambre 12, la malade,
dévêtue et transpercée de tuyaux multiples, repose inerte, livide.
Pourquoi ne lui
a-t-on pas passé une petite chemise se demande- t-il un peu choqué. D’accord,
c’est un service d’urgence, mais les malades méritent tout de même un peu plus
de respect grommelle- t-il !
Déjà qu’ils ne
sont pas bien beaux à voir avec leurs tuyaux tout partout, qu’on dirait un
mikado !
- À m’ petit
coeur ! Dj’vos en prie ne m’ laissez nin tout seu’, murmure t-il en
remontant les draps et en lui prenant la main.
Tout doucement,
presque imperceptiblement les doigts glacés d’Annie se mettent à bouger, un peu
comme si elle entendait les paroles de Georges , mais de loin, de très loin.
Heureux, il lui
embrasse la menotte, elle va s’en sortir songe t-il soulagé.
Sur un petit signe
de l’infirmière, il embrasse la pauvre silhouette et prend congé :
- À demain m’
petit cœur , tenez bon.
Un peu rasséréné,
il traverse la pièce aux multiples moniteurs et retrouve Bernard.
- Elle m’a reconnu
s’écrie t-il.
Elle m’a serré la
main.
Ça va d’aller ,
Bernard !
- Je l’espère.
Elle est si généreuse. C’est la seule famille qui me reste.
- Ne vous
inquiétez, pas demain je resterai ici ! Vous allez travailler, je
suppose ?
- Ouais ! Il
me faudra encore affronter cet Echevin de malheur.
-Ne faites pas de
bêtises ! Ernest et moi on se charge de Leley.
Je vous reconduis
chez vous ?
- Volontiers. Et,
merci pour tout. Je suis vraiment content qu’Annie ait fait votre
connaissance.
Après avoir déposé
Bernard à Pont-à-Celles, tout doucement, à petits tours de roues, Georges
reprend le chemin de sa ferme. Il n’a pas le courage de se retrouver seul.
Les souvenirs
affluent, il revoit sa première rencontre avecAnnie lors de l’inauguration de
la salle omnisports. Il se rappelle leurs petits dîners, sur la Grand
Place, ses éclats de rires et
sa première visite chez elle .
Il n’y a pas très
longtemps qu’ils se connaissent et pourtant, ils se sentent déjà si bien
ensemble. Et, fait exceptionnel, pendant le reste du chemin, Georges qui est fâché
avec le bon Dieu depuis la mort de Rose, se remet à prier.
Arrivé dans la
cour de la ferme, il gare sa voiture et pesamment, comme écrasé par toute la
douleur du monde, il se dirige vers la cuisine. La faim le tenaille, mais l’idée
de se préparer quoi que ce soit lui semble au-dessus de ses forces.
Lorsqu’il ouvre la
porte un savoureux fumet de potage lui flatte les narines.
Etonné, il regarde
alentour et voit Ernest dormant dans le fauteuil, le chat sur les genoux et
Tara couchée aux pieds.
Les larmes aux
yeux , il regarde son ami assoupi.
Les mouvements du
chien réveillent Ernest :
- Alors, dit-il
anxieux, comment va-t-elle ?
- Elle est dins l’
coma, articule tristement Georges en s’écroulant dans le fauteuil.
Mais elle m’a tout
de même r’connu ! Elle m’a r’serré l’ main.
- C’esse t’ène
bonne nouvelle !
- Oyie, c’est
possib’. Dj n’ sais plus.
- V’nez dj vous ai
préparé une jatte de soupe ! Vous me rascontrez ça in mindgint un boquet.
Ernest dépose
devant son ami, un bol fumant de soupe aux tomates fraîches. Il y a rajouté de
petites boulettes de haché, il sait que c’est un des plats préférés de son ami.
-Une soupe tomates
boulettes s’exclame Georges ému , les yeux embués de larmes !
Merci Erness,
merci m’ fi .
Pou’ parler d’ aut
chose commint vont les affaires entre Tara et Cachou ?
- Mais ça va très
bien !
C’est plaisjir de
les voir jouer insimb’e !
Vous n’aurez nin
problèmes avos vos deux pinsionnaires.
- Tint mieux !
Annie retrouvera s’ cat in pleine forme.
Et lorsque Georges
fatigué par une journée riche en émotions émet le souhait d’aller se coucher,
Ernest un peu maladroit propose à son ami de rester dormir sur le canapé.
- On ne sait
jamais, y pourrait y avoir del bagarre entre le cat et le kièt.
Georges acquiesce.
Il n’est pas dupe, mais la bonne grosse amitié d’ Ernest lui fait chaud au
cœur.
Le lendemain
matin, à 8 heures, l’aumônier de l’hôpital de Nivelles, avec toutes les
précautions d’usage, informait Monsieur Georges Lebrun du décès de Madame
Annie Francotte veuve Winnacot.
Chapitre 19
Le chagrin faucha Georges
de plein fouet. Dans un premier temps, il ne voulut voir personne. Il aspirait
à se retrouver seul, pour crier sa peine, pleurer tout son saoul, hurler à
l’injustice. Mais avant tout, il souhaitait par la fureur et les larmes, rejeter
de son cœur tout ce désespoir, toute cette insupportable douleur.
Puis, peu à peu,
tout doucettement, la vie s’est à nouveau insufflée dans ses veines et il s’en
est retourné saluer son ami Ernest.
En cette belle
arrière saison les deux amis attablés sur la terrasse, discutent de leurs
futurs choix en matière de concours de pigeons, lorsque la petite camionnette
rouge de la Poste pénètre dans l’enceinte de la ferme.
- Bonjour, Jean-Marc,
qué nouvelles ?
- Salut Ernest,
j’ai un petit recommandé pour toi.
- Un recommandé
pour moi ?
- Oui et c’est un
du genre qu’on n'aime pas !
- Mais tu me fais
peur dit le pidgonneux en signant le calepin !
Tu prends quelque
chose ?
- C’est gentil,
mais aujourd’hui, je suis pressé, il manque de personnel et j’ai deux tournées
à faire. Allez salut Georges, salut Ernest !
-Salut Jean-Marc.
Un recommindé d’in avocat ?
Mi, dj n’aime, nin
ça.
Milliard de
milliard de Djou ! Elle est forte celle-là s’écrie le pidjoneux en
retombant sur sa chaise.
- Quo ch’est qui se
passe ? demande Georges inquiet.
- Tenez, lisez, mi
dj n’ai pu d’ salive !
La lettre en
question émanait du cabinet de maître Bergès avocat à la cour qui avertissait
Monsieur Tirtiaux des intentions de son client , Monsieur Leley, de déposer
plainte en diffamation et de réclamer une somme de 50.000 € a titre de dommages
et intérêts.
- Mais il est fou
glapit Georges !
50.000 € et vous
allez les trouver commint, pa’ d’ssous voss matelas ?
- Même el ,mitant
dj n’ l’ai nin ! Dj vais devoir tout vind , el maison, les
pâtures ! Il aura m’ pia c’malhonnête ! Mais pourquwè qu’ dj’ a esté
mette èm nez dins s’ maudite fard’ rouche ! Milliard de cint milliards de Djou
!
- Téléphone à un
avocat, dj’ sui’ sûr qu’il essaye simplemint d’ nous fai’ peur !
C’esse t’un
journal privé, y peut nin nous attaquie !
Ne vous faites nin
d’mouron avos ça !
Allez , donnez mi
l’bottin, dj’ va cachie après un avocat.
Vous vous souvenez
du nom de l’homme qu’ avos défendu Louis lors de s’ n’accidint d’auto ?
- Oyie, c’estait
le frère du petit teigneux qui vous attaquait toudis à l’ récréation .
Attindez une miète que dj’ m’ souvienne, ce n’est nin Kiwanis, kibboutz,
c’est ,Qui…. Quinaud.
- Quinaud voilà ,
dj a trouvé ! Allez prenez voss téléphone qu’on en finisse.
Quinaud : 067
/ 55. 55 .10
Vu l’urgence, la
secrétaire de l’avocat, leur fixe rendez-vous pour le lendemain matin.
- Oh se lamente
Ernest, dj’ n’ vais nin frumer l’œil del nut , avos s’ n’affaire là !
- Mi non p’us
V’nez avos mi,
nous irons mindgies une pizza au Panorama et pou passer l’ nut , on ira choisir
un monciau d’ cassettes au Vidéoclub. Avos ça, on est paré !
Après avoir passé
la nuit à visionner une quinzaine de cassettes, les deux compères s’habillent
de frais pour se rendre à la
Grand’ Place de Nivelles,
chez Maître Quinaud.
Au premier
contact, Ernest est un peu déçu, il s’attendait à un magistrat de prestige à la
carrure de ténor, or celui-ci est petit, voire malingre, avec une ridicule
petite moustache.
-Bof, on dit
toujours au plus petit au plus mouwè ! Il sera peut-être efficace !
Assis devant le
bureau de l’avoué , Ernest présente son dossier, son article, parle de
l’entretien qu’il a eu avec le juriste du journal.
Attentif, l’avocat
ne perd pas une miette du discours ; mais lorsqu’il examine les preuves,
il ne peut en arriver qu’ à la conclusion qu’ Ernest s’est mis dans son tort
en publiant l’article dans ‘’Joyeuse Hirondelle’.
- Mais il s’agit
d’un journal privé, objecte le pidjoneux.
- Désolé Monsieur
, mais une fois publié dans une revue , cet article devient publique.
- Je n’ai donc
aucune chance ?
- Nous allons
essayer de prouver la véracité de vos allégations, mais sera-ce
suffisant ?
Que penseriez-vous
d’un accord à l’amiable ?
- Ça jamais, oppose
Ernest furieux !
Je veux un procès
retentissant et que la
Belgique entière soit témoin
de ces magouilles.
Comme cela, même,
si je me vois contraint et forcé à payer, j’aurais fait un tel ramdam , une
telle publicité qu’il lui sera devenu impossible de faire passer son projet en
douce !
- Bien puisque
vous avez l’air décidé à partir à l’affrontement, j’étudierai le dossier et je
convoquerai, un maximum de témoins à charge.
Je pense que notre
ligne de défense doit être celle de noircir ‘’ad extremum’’ le plaignant.
A ce propos , avez-vous
des suggestions ?
- Malheureusement
dit le pidjoneux notre témoin clef est décédée , il y a un mois. Monsieur Leley
l’avait tellement agressée verbalement qu’elle a fait une crise cardiaque dans le
bureau échevinal.
- Ça, c’est peut
être une piste intéressante. Y a-t-il eu des témoins ?
- Oui, Madame
Fernelmont, elle est la secrétaire de Leley. Bernard Francotte, le cousin de
notre défunt témoin. Et Madame Ponsard, l’infirmière.
Pour le reste, cet
homme terrorise tellement son personnel que je ne pense pas qu’il y aura
d’autres candidats !
- Bien dit
l’avocat en prenant des notes. Si d’autres détails vous revenaient en mémoire
n’ hésitez pas à me contacter. De mon côté je me mets immédiatement au
travail !
À bientôt Messieurs.
Haut les cœurs ! Nous allons gagner.
Malgré les
commentaires optimistes de l’avocat, les deux amis repartent, plus inquiets
qu’à l’arrivée.
Pendant de
nombreuses semaines, Maître Quinaud instruit le dossier.
Et lors des
visites hebdomadaires de ses deux clients, ceux-ci quittent le cabinet parfois
rassérénés parfois découragés.
C’est par un
courrier du ministère de la justice qu’ Ernest est enfin fixé sur sort, le
procès aura lieu le 22 décembre.
Chapitre 20
Arrivés en salle
d’audience, les deux amis doivent se séparer.
Anxieux, Ernest
se dirige vers le box de le défense où se perd devant une immense table, le
fluet Maître Quinaud.
Du côté de
l’accusation, Leley, relax, souriant, trône au milieu des ses trois
super-avocats.
Devant ce spectacle
, le pidjoneux sent couler le long de son échine des gouttes de sueur froide.
Il a peur et les oeillades assassines que lui lance l’Echevin ne lui laissent
rien présager de bon.
Durant le procès ,
Maître Quinaud se défend comme un beau diable. Mais lorsque Bergès , le ténor
des ténors prend la parole, il semble que la mise à mort ne soit pas loin !
-Votre honneur, la
défense a cité deux déposantes, Madame Fernelmont et Madame Ponsard infirmière
de son état, aucune ne s’est manifestées. Il ne nous reste plus qu’à entendre
le seul témoin présent.
Monsieur Bernard
Francotte, vous affirmez avoir placé en 2006 dans le bureau de Monsieur Leley, deux
toiles de Magritte et que ces toiles sont authentiques. Ce sont bien là, vos
déclarations ?
- Parfaitement.
- Monsieur
Francotte, êtes-vous détenteur d’un quelconque titre d’expert ?
- Non mais j’ ai
ouvert depuis peu un petit magasin de brocante.
- De brocante,
persiffle l’avocat, soyons sérieux ! Monsieur le juge, permettez-moi de
déposer ces documents pour le moins irréfutables.
Voici, une photo
datant de 2004 où l’on voit les fameux tableaux incriminés. Vous remarquerez
dans le fond un calendrier attestant bien de l’année 2004.
En plus, je joins
une attestation de Monsieur Peleto, artiste peintre qui certifie avoir peint
les deux copies de Magritte présentées sur la photo.
Ces deux toiles
ont été offertes à mon client par l’artiste à l’occasion de ses 55 ans. Et si
vous étudiez bien les tableaux, vous verrez qu’il y a comme la loi, l’exige ,
des différences flagrantes entre la copie et l’original, quelques changements
de couleurs et la signature sur la gauche .
Donc votre
honneur, cette histoire de tableaux de maître achetés avec de soi-disant fonds
secrets, n’est que pure calomnie.
Quant à
cette affabulation concernant un achat de terrain sous couvert d’une société
fantôme, là nous nageons en pleine absurdité !
Tout le monde
connaît la probité et l’attachement à l’écologie de mon client. Et si
Monsieur Leley a demandé quelques renseignements à l’urbanisme, c’est dans le
seul et unique but de rassurer la société de préservation des espaces verts ,
Birds, Animals and Meadows Protection, la BAMP,
de ce que cette zone restera à tout jamais un espace vert.
Alors on se pose
la question : pourquoi Mr Tirtiaux poursuit-il mon honorable client de sa
vindicte ?
Mais par
vengeance, Messieurs !
En 1999, son
père, Mr Raoul Tirtiaux s’est vu refuser un permis de bâtir par mon client. Et
devant témoin, celui-ci a menacé Monsieur Leley de lui faire la peau !
Voici le
témoignage de Monsieur Dupuis, employé à l’urbanisme qui atteste que Monsieur
Tirtiaux père a dit, je le cite ‘’ Dje lui ferai, l’ pia à c’ crasnez ‘’
Aujourd’hui, le
fils s’est investi de la vengeance du père et poursuit mon client de sa
vindicte. Il accuse même cet Echevin respectable de détournements et de
commissions occultes.
Mais ces
accusations ne tiennent pas un instant devant l’honnête et l’excellente
réputation de mon client.
Ernest est atterré
devant la perfidie de l’avocat.
Il est vrai que
son père furieux avait, à une époque, lancé quelques vagues menaces à
l’encontre du délégué de l’urbanisme. Mais il ne se souvenait plus qu’il
s’agissait de Leley !
Se sentant de plus
en plus battu en brèche, il se tasse sur son siège en attendant le verdict.
Celui- ci ne tarde
pas, Ernest est condamné à payer 25.452 € à titre de dommages moraux et de
frais de justice.
À l’audition du
verdict, le pidjoneux s’écroule.
Leley, fier comme
Artaban, s’approche et lui glisse à l’oreille :
- Je vous l’avais
bien dit que j’aurais votre peau, scribouilleur de mes deux !
Alors que tout le
monde quitte la salle, Ernest reste assis, accablé, affligé, anéanti .
Georges s’approche
de lui et tout doucement le prend par le bras.
- Venez, Erness,
nous d’allons sortir pauw, l’ porte de derrière, Leley lui , y sera
certainement occupé à s’ faire mousser devint les journalistes !
- Y m’a traité de
scribouilleur de mes deux ! Vous vous rindez compte ?
- Oui, m’fi, mais
venez avos mi et donnez mi les clefs de l’ auto.
Avec beaucoup de
douceur Georges place un Ernest toujours en état de choc dans la voiture.
Arrivé chez lui
dans la cuisine, son ami semble revenir un peu à la vie.
Du salon, Georges,
revient avec un grand verre de whisky:
- Buvez ça, dj’
suis sûr que ça vous f’ra du bien !
Obéissant le
pidjonneux, boit mécaniquement une première gorgée et s’étrangle.
- Et bien, dit
Georges en essayant de détendre l’atmosphère, ne m’ dite nin qu’ vous n’ savez
p’u boire !
- Dje va vous
moustrer si dje n’ sais pu boire dit-il d’un ton caverneux ! Dj va vous
stranner ça cul sec !
- Et, rastrint ! Y
n’ faut nin vous rind’ malade.
Dj’ voit bie que
ça va nin, dj’ va rester avos vous pour l’ nut.
- Non, Georges em
bon amiss, dj préfére rester tout seu’ , braire un bon cauw et dormir jusqu'à
d’main matin.
- Vous yèsse sûr ?
Vous d’allez nie m’ faire de bièssetries ?
- Non Georges,
rassurez-vous.
- Bon d’accord,
mais d’main matin dj su’s là !
- Dj' sais bie ,
vous estè un frère pour mi ! Merci, em camarade .
- Bon dje va vous laîchie. À
d’main ?
- À d’main mon bon
Georges. Et quo merci po’r tout.
A l’extérieur, discrètement,
Georges observe son ami par la fenêtre de la cuisine. Le cœur en miettes, il le
voit s’écrouler en gros sanglots sur la table de la cuisine . Puis d’une main
tremblante Ernest se sert un deuxième whisky bien tassé.
Oh bè, ça va, il
va se prendre une bonne chique, et puis il dormira.
C’est ce qui peut
lui arriver de mieux !
Et l’esprit plus
tranquille Georges s’en retourne chez lui.
Pendant ce temps,
Ernest laisse exploser sa colère et après avoir tapé sur la table, shooté dans
le canapé, il s’écroule dans le fauteuil et se remet à boire. Tout y passe, un
restant de whisky, un autre de cognac, pour terminer par ‘’la vieille prune’’
offerte par l’oncle Gustave pour le réveillon de Noël 97.
Malgré les
vapeurs d’alcool, Ernest semble en paix avec lui-même. Tout lui semble clair,
limpide.
Il va dans le
secrétaire, prend une feuille de papier, son vieux stylo plume qu’il traîne
depuis l’école primaire, puis il s’attable .
Voici mes
dernières volontés, note-t- il de sa belle écriture ronde.
‘’ Moi, Ernest
Tirtiaux, je laisse à mon ami Georges Lebrun la totalité de mes biens ‘’.
Puis il signe le document et le met en évidence sur la table.
Voilà, se dit-il,
Georges le trouvera après ma mort.
- Je me demande,
si je devrais nin rajouter que je ne veux nin qu’ mes cousins à l’ trente-sixième
boutonnière héritent de mi. J’ vais tout de même le rajouter on ne sait jamais.
Voilà une bonne
chose de faite.
Maintenant,
marmonne t’il direction la grange avec la corde et le tabouret. C’est déjà là
que mononc' Auguste s’a pindu. Au moins dj’ sui’ sûr que l’ pout’e, elle est
bie solide.
Décidé, Ernest accroche
la corde, il monte sur le tabouret et se passe le nœud coulant autour du cou.
Au moment de
faire le geste définitif, il est tout ému.
- Ça m’ fait tout
même bizarre de m’ dire que demain je n’ serais plus là.
Mais si j’ dois
tout vendre pour payer mes dettes, je préfère ne pas voir çà !
Georges me
manquera, mais ça ne fait rien, je vais retrouver em petite maman.
Tout à coup Ernest
tend l’oreille.
- Nom de bleu,
s’écrie t-il, j’allais oublier mes coulons !
Il desserre la
corde et saute du tabouret.
Il grimpe jusqu’au
pigeonnier, il ouvre la fenêtre, les cages et chasse à grand bruit tous ses
oiseaux !
Les larmes dans
les yeux, il leur fait un geste d’au revoir.
- Adieu mes
petits, faites bien attention aux chats, car papa ne sera plus là pour vous dorloter.
Lentement,
lourdement le regard brouillé par de grosses larmes, Ernest redescend
l’escalier de bois, mais à la dernière marche, il trébuche et tombe dans la
paille.
- Ouille, ouille,
ouille s’écrie t-il, que j’ai mauw m’gambe !
Bouuuh! j’ai m’
tête qui tourne.
Je vais m’allonger
une petite minute …
Mais après avoir
ingurgité un litre et demi d’alcool en tout genre, la petite minute se
transforme rapidement en sommeil profond et en ronflements sonores.
Dès le petit
matin, Georges se rend d’un bon pas chez son ami, il est inquiet. Et lorsqu’il
voit sur la ligne électrique les pigeons d’Ernest alignés, il se met à craindre
le pire et court comme un dératé.
- Oh non, Il
n’aurait nin esté s’ pindre comme el mononc Augusse !
La porte ouverte
de la grange ne lui laisse rien présager de bon. Lorsqu’il voit la corde, le
tabouret et le corps d’Ernest dans la paille, il a un coup au cœur.
- Crénon, c’est
nin possib’ qu’il se soit destrue !
Georges
s’agenouille et lorsqu’il entend les ronflements sonores, il est rassuré.
- L’innocint dit
Georges, il m’a fait une peur du diab’ ! Dj a m’ cœur qui bat l’ berloque !
Bon, dj va monter
soigner et rinfrumer ses coulons.
Lorsqu’il
redescend, Ernest dort toujours au pied de l’escalier. Son sommeil est lourd,
agité de cauchemars.
Apitoyé, Georges
essaye sans succès de le sortir de sa torpeur.
-Bon bin dj’ va
lui faire une jatte de café bie fort !
Dans la cuisine
Georges s’active, il prépare le café, puis il prend dans la pharmacie, le tube
d’aspirine qu’il dépose sur la table. C’est à ce moment qu’il voit le testament
d’ Ernest.
Les yeux remplis
de larmes il s’exclame :
- Oh Erness !
Grand couillon ! C’ n’est nin possib’ que vous ayez voulu faire ça !!
C’ n’est nin de
vos liards que dj’ai besoin !
Sans vous avec
qui que dj’m disputerai ?
Qui c’est qui
m’impêcherait d’ faire des bièssetries ?
Du revers de la
manche, il essuie ses larmes, renifle un grand coup, il prend le tube
d’aspirine, la tasse fumante, puis il retourne à la grange.
Avec énergie, il
secoue Ernest.
Celui-ci en se
protégeant la tête s’écrie :
-Non, non, ne me
tapez pas, pas sur la tête j’ai déjà si mal !
- Erness, Erness, c’est mi,
Georges, vot copain !
Le pidjoneux ouvre un
oeil, tiens vous êtes mort aussi ?
- Mais non, grand
innocint ! Vous astez in vie !
- Ah vraimint ?
Ooooh, qu’est-ce que
j’ai mauw tiête !
- Dj’ min doutais,
dj’ vous ai apporté une tasse de café et de
l’ aspirine.
- Merci, em n’amiss,
donnez mi trois cachets, dj’ai une tiête comme in choux-fleur.
- Boh, i m’ simb’
que pou’ quequin qui voulait s’ pindre, vous êtes bie douillet.
- Ah mais, c’est raté
pou’ cette fois ci, mais demain, dj’ recommince !
- Vous avez bie
raison dit Georges et j’espère que vous allez m' mett’ sur vos testamint.
Ernest un peu
éberlué :
- Vous savez bie qu’
vous êtes comme em frère. Dj’ vous laisse tout ! Et dj n’ veux ni
qu’un sous aille chez mes cousins al trente-sixième boutonnière . Dj’m'
rappelle que dj’a scrit ça sur un papie, mais dj’ n’ sais nin où c’est que dj’l’
ai mis !
- Boh, on l’
retrouvera bie, ne vous inquiétez nin.
En tout cas ça m’
fait plaisir que vous me laissiez vos liards, ainsi, je pourrai m’acheter une
plus belle maison.
- Vous allez
déménager ?
- Oui dj’ a téléphoné
a Louis, y m’a trouvé une belle petite maison in France dins s’ village.
- Et vous seriez
parti sans mi ?
- Mais puisque vous
serez mort !
- Tout d’même, dj’n’
trouve nin ça gentil !
- Pourquwè , vous
v'lot venir aussi dins le sud d’el France ?
- Beh, dj n’ y avoûs
jamais pinsé.
- Erness, grand
couillon, ascoutez-mi avint de pinsez à vous repind’e.
Depuis el mort d’
Annie,ça m’ trotte dins l’ tiète. Dj en avos marre de tout et dj’ a téléphoné à
Louis. Dins m’idée dj v’lot akater éné p’tite maison pou les vacances.
Mais y a deux jours,
y m’a sonnè pou dire qu’in un grand terrain avoz deux petites maisons était à
vendre pou 300.000€. Et dj pinsait vous in parler audjourd’hui.
- Mais dj’ suis ruiné
avos les sous que dj’ dois à Leley.
- Dj vous aime bie ,
mais y a des fois qu’ vous m’énervez avos vos idées noires! Réfléchissez une miètte
!
L’ crasnez de Leley,
il est coinchie !
Il est allé dire à
tout l’ mond’ qui n’y aura nie d’zoning, que c’ sera toudi ène zone verte.
Résultat, el prix de
nos maisons, il augminte !
Et audjourd’hu nos
maisons avos les pâtures, elles valent 480.000 € !
Dj a suis sûr. Dj a
téléphoné à un expert immobilier.
Si nous akattons les
maisons, nous deux, chacun donnera 150.000 € et même avos c’ que vous d’vez à
Leley y vous in restera quo 300 .000€.
- Vous yèsse sûr de
vot’ affaire ?
- Certain, dj a tout
vérifié !
- Mais alors quo
ch’est qu’on rattint pou appeler Louis ?
Tout à coup, Ernest
devient tout blanc.
- Quo ch’est ce qui
vous arrive ? Vous yèsse blanc
come on navia qu'on-z-a pèlé deus cauws !
- Mes coulons, mes
p’tites biètes, dj’ les ai tous relatchies hier soir.
- Ne vous tracassez
nin pour ça, dj’ les ai rinfrumées et nourries, vos petites biètes !
Les larmes dans les
yeux, Ernest se précipite dans les bras
de Georges :
- Em n’ amiss, em
frère , jamais dj’n’ oublierai c’ que vous avez fait pour mi !
Au bout de quelques
instants, Georges pudique s’extrait des bras de son ami :
- Eh ! Vous me
strannez ! Et c’ n’est nin l’ momint dj’ a toutes mes valises à faire.
- Cré milliard c’est
vrai, y nous faut tout vider et tout vindre.
- Et d’aller qué cinq
lit’ de Sidol chez l’ marchau !
Chapitre 21
Après quelques mois
de visiteurs casse-pieds et de tri sélectif, les deux superbes fermes en
bordure de zone verte sont rapidement vendues et les maisons du Sud rapidement
achetées.
Ce mardi au petit
matin, les véhicules d’Ernest et de Georges, remplis à ras bord attendent le
signal du départ.
Un dernier bisou aux
voisins et amis, un au revoir de la main, et les voitures disparaissent dans un
nuage de poussière.
Douze heures de route
les attendent, mais l’espoir d’une vie nouvelle les motive.
Vers dix-neuf heures,
les deux conducteurs empruntent la petite route empierrée qui les amène à leurs
nouvelles demeures. Le portail est grand ouvert et devant un énorme tilleul,
flanqué d’une banderole ‘’ Bienvenue aux couloneux ‘’ , Louis et
quelques amis les attendent devant une table dressée.
Un peu courbattus par
le trajet, les deux Belges s’extrayent péniblement de leurs voitures
Louis
fait les présentations
:
- Vous connaissez
Rosette, ma femme. Je vous présente Emile et Sophie. Emile tient le bistrot sur
la place, il est aussi le maire du village et voici Raoul et Jeanne. Raoul est
le président du club de pigeons.
Émus, les larmes aux
yeux, les deux amis embrassent tout le monde.
- Merci, les amis,
dit Ernest vous ne pouvez pas vous imaginer le bien que me fait votre accueil.
- Et ce n’est pas
tout s’écrie Rosette, venez suivez-nous !
Lorsque Georges
pénètre dans sa petite maison, il n’en revient pas ! Tout est propre,
pimpant, repeint à neuf. Dans la petite chambre, un lit pliant a été installé.
- Et nous avons fait
la même chose chez vous dit Rosette en se tournant vers Ernest.
Devant tant de
gentillesse et après avoir vécu tant de vilénies, les deux amis se mettent à
pleurer.
Entre deux sanglots,
ils arrivent à ânonner un merci.
- Bon les amis,
intervient Louis ex- abrupto, il faut savoir qu’ici en Provence, l’eau est rare
! Alors, on ne gaspille nin , on coupe les eaux et on cesse de braire.
Le pastaga nous
attend !
En riant, tout le
monde se dirige vers la grande table où Emile a déjà servi un petit pastis bien
glacé.
Pendant toute la
soirée, on rit, on mange, on boit aux pigeons, à la France, à l’amitié. Vers minuit, dans leur logis respectif,
Georges et Ernest s’écroulent, épuisés, dans leur lit de fortune.
C’est le bruit des
énormes klaxons des camions de déménagements qui réveillent les deux compères.
Le temps d’enfiler jeans et Tshirt et les voilà à pied d’œuvre.
Pendant trois jours
Georges va agencer sa maison dans l’esprit de sa petite ferme hennuyère.
Ernest lui a décidé
de tout changer. Il faut dire que pour la première fois de sa vie, il peut
enfin décider de la décoration de sa maison et il ne s’en prive pas. Heureux,
il ponce, peint, transforme, il refuse même l’aide de son ami.
Georges, un peu livré
a lui-même, décide d’appréhender le village à pied, son chien sur les talons.
Tous les jours à neuf heures, il s’en va se balader, par monts et par vaux,
puis il repasse prendre son journal, l’apéro et le plat du jour chez Emile.
C’est en revenant d’une de ses promenades qu’il fait la connaissance de Sylvie,
une charmante voisine à la cinquantaine florissante.
- Bonjour Madame, Je
me présente, Georges Lebrun, je suis votre nouveau voisin.
- Ah, c’est vous le
propriétaire du joli chat noir !
- J’espère qu’il ne
vous ennuie pas ?
- Non pas du tout.
Vous élevez aussi des pigeons ?
- Oui, avec mon ami
d’enfance, nous avons un pigeonnier en commun. Moi je suis veuf depuis trois
ans et Ernest, lui, il ne s’est jamais marié. Je ne sais pas trop pourquoi,
parce que c’est un brave garçon, peut-être que le fait de vivre à la ferme chez
ses parents l’a un peu rendu solitaire. Mais je papote, je papote, peut-être
que je vous dérange?
- Pensez-vous, un
petit break me fait plaisir, je me bats pour repeindre cette grille toute
rouillée, mais le bricolage et moi ça fait deux .
- Voulez-vous un coup
de main ? Je suis pensionné et j’ai tout mon temps.
- Vous feriez cela ? demande
Sylvie, ravie.
- Oui, je commence
tout suite si vous voulez ! Je vous demanderais simplement la permission de
rentrer avec mon chien.
- Mais oui venez,
entrez, j'adore les Saint-Bernard et celui-là a l’air bien gentil.
- C’est une crème de
chien. Vous pouvez me montrez où se trouvent les pinceaux et la peinture, je
vais vous repeindre ça en deux temps, trois mouvements !
Chemin faisant, Georges
passe pour Sylvie du statut de voisin complaisant, à l’ami de cœur.
Ernest, toujours
préoccupé de ses aménagements, ne se rend compte de rien.
six mois ont passé,
lorsque Sylvie annonce à Georges, l’arrivée de sa cousine Geneviève.
- On ne pourra plus
se voir alors ? dit Georges affligé.
- Bien sûr que si,
nous continuerons à nous voir comme d'habitude.
- Tu m’as fait peur
em petit pouyon ! Tu sais que je ne pourrais plus envisager ma vie sans toi.
- Ni moi sans toi.
- Si j’osais, je te
proposerais bien de t’épouser.
- Mais propose, dit
Sylvie au comble du bonheur.
- C’est vrai, tu
accepterais de te marier avec un ancien fermier ?
- Mais oui, s’écrie
Sylvie, cent fois oui !
- Dans ce cas,
considérons-nous comme fiancés !
- Nous fêterons cela
ce soir, j’invite ma cousine et toi amène ton ami Ernest.
- Oh, em petit
pouyon, que je suis heureux !
Mais, il me faut une
bague pour ce soir, on ne se fiance pas sans bague.
Il se lève d’un bond
embrasse Sylvie, et s’encourt en criant :
-
Je passe chez le
bijoutier, à ce soir.
Avant de partir en
quête du précieux diamant, Georges passe chez Ernest.
- Erness ?
- Oyie, quo ch’est
qui se passe ?
- Dj ‘a une bonne
nouvelle à vous annonchie et une invitation à vous transmett’.
- Ah bon !Rascontez-mi
l’ bonne nouvelle d’abord.
- Dj va me remarier !
- C’est nin vrai ! Dj
n’ai rie remarqué.
- Et pour sûr, vous
estiez toudis dins vos visses, vos clauws ou vos gardin !
-Et qui est
l’heureuse élue ?
- C’est Sylvie, noss
visine.
Et ce soir,vous yèsse
invité à noss dîner de fiançailles. Nous n’serons que quatre : Sylvie, s’
cousine et nous deux.
Mettez vos bia
costume, pour des fréquentages c’est mieux !
- Et bè m’ gaillard
si dj m’ratindais à pareille no’velle ! Mais dj’ suis tellemint saisi que dj’ai
oublié de vous féliciter.
Dj suis bie heureux
pour vos. Ça m’ fais vraimint plaisir !
- Dj’ vous quitte car
im faut quo d’aller chercher une bague chez l’ bijoutier.
- À quelle heure que
dj’ dois yèsse prêt ?
- À sept heures, chez
Sylvie. À tintôt.
- Oyie.
Georges qui va se
marier… Alors ça, c’est une fameuse nouvelle !
Quelle heure est-il ?
Trois heures, j’ai
juste le temps de tout remettre en ordre, de me changer et d’aller à la
boutique chercher un bouquet de fleurs.
Je prends un ou deux
bouquets ? Bah j’en prendrai un gros et un plus petit.
À sept heures
tapantes, Ernest, très élégant, s’annonce à la grille de la promise.
Une sympathique
brunette aux yeux lavande vient lui ouvrir la porte, un peu gauche, Ernest lui
tend le gros bouquet et très spontanée, Sylvie le gratifie d’un gros baiser
sonore sur chaque joue.
L’amie de Georges
semble bien sympathique pense le pidgonneux. Pressé de se débarrasser de son
deuxième bouquet, il demande
- Votre cousine n’est
pas là ?
- Si, si, elle se
trouve avec Georges sur la terrasse, elle dresse le couvert. Je vous en prie,
allez les rejoindre, le temps pour moi de mettre vos jolies fleurs dans un vase
et je vous rejoins.
Au détour de l’allée
bordée de lauriers roses, Ernest aperçoit la terrasse.
Georges y attise un
odorant brasier de sarments de vigne, alors que de dos, une blonde silhouette
vêtue de lin vert d’eau, plie les serviettes.
Ne sachant trop quoi
faire, le pidjonneux , attend silencieux, le bouquet à la main que ‘’la
cousine’’ songe à se retourner.
Lorsque Sylvie s’en revient
, elle se rend compte de l’embarras de son invité.
- Ernest, puis-je
vous présenter ma cousine Geneviève.
Un peu gauche, il
tend le bouquet à la gracieuse silhouette blonde..
- Des fleurs !
Comme c’est gentil d’avoir pensé à moi ! S’écrie Geneviève.
- Allons dit Sylvie
enjouée, asseyons-nous.
Georges tu nous sers
l’apéritif ?
- Tout de suite èm
p’tit pouyon.
Alors que les quatre
nouveaux amis savourent les jolies petites bulles ambrées de leurs verres,
Georges, très théâtral, le genou en terre, demande Sylvie en mariage.
Le reste du souper
est joyeux, mais Georges qui connaît bien son ami le trouve étonnamment raide
et réservé.
Y m’in veut se dit
Georges. Dj suis là à étaler em bounheur in égoïst’ et ce pauv’ Ernest, y doit
croire que dj vais le laiyie tchère. Y faut absolumint que dj’ lui parle.
Vers minuit, alors
que les deux amis s’en retournent, Georges invite son copain à prendre un
dernier verre.
- Ben, c’esse t’une
bonne idée dit Ernest, il y a longmins que nous avons causé à l’ belle étoile !
Et l’ nut est si belle.
- Ça va d’abord, dj
nous ramène deux bonnes crasses pintes !
Seul, assis sur le
vieux banc de pierre, Ernest hume la terre encore chaude, l’odeur des pins et
des romarins.
- Dieu qu’c’ sint bon
d’auci !
Il regarde émerveillé
le ciel étoilé :
- Et dire que si
j’n'avais pas essayé de me suicider, je n’aurais jamais connu tout ça !
On dit parfois qu’ l’
seigneur ne ferme jamais une porte sans en ouvrir une aut’ , c’est bien vrai !
Encore que si je
n’avais pas eu mon bon Georges, el porte je n’l’aurai jamais vue !
Et aujourd’hui voilà
mon Geoges fiancé ! Je suis bien heureux qu’il ait trouvé Sylvie, elle est
bien gentille.
Georges en apportant
les bières :
- Ernest, em n’amiss,
vous n’êtes nin fâchés que j’ai décidé de m’remarier avos Sylvie ?
- Oh non, Dj suis bin
heureux pour vos !
- Vous savez ça n’
changera rie à noss amitié !
- Mais dj ‘ n’en n’ai
jamais douté.
Vous yèsse comme em
frère pour mi.
- Dites mè alors
pourquwè , vous estie si silincieux pindant l’ dîner ? Y avos une saqwè qui d’
allot nin ?
- Dj n’ose nin vous
l’dire. Vous d’allez vous fout’ de mi !
- M’enfin Erness,
vous savez bie que vous pouvez tout m’dire.
Dj ‘ suis comme el
curé ! Mis à part qu’avos mi nous n’aurez nin 30 Ave Maria à dire in
pénitince.
- Y m’arrive une
drôle d’affaire.
- Vous n’estie nin
malade tout d’ même?
- Non, m’ fi, dj’
crois plutôt que dj su tombé raide amoureux.
- Commint dit Georges
éberlué . C’n’est nin vrai ! Et d’ qui donc ?
- De Geneviève.
- Ah cré milliard, ça
fait cinquante ans que je m’échine à vos présinter toutes sortes de coumères,
des petites, des grandes, des blondes, des rousses, des brunes; ça n’ dalot
jamais. Dj vous invite à mes fiançailles et vla qu’ vous tomber raide amoureux
!
Décidémint, el
soleil de Provence y fait des mirac’es!
Sacré Erness va ! En
vla un coup d’ foud’
Et quo ch’est qu’on
fait ?
- On fait rie, em fi
! Rie du tout !
Vous avez vu l’coumère ?
C’ n’est nie une feumme pour mi. Elle esse t’ élégante, djolie , chicque,
spirituelle.
In plus, elle èsse- t’
éditrice à Paris. Elle connaît bramint des dgins haut placés. Vous pinsez bie
qu’elle ne va nin s’intéresser à ène viye bièsse comme mi . Un viy garcon, avos
comme seule passion, ses coulons !
-Dj’ vous l’ dit
comme dj’ l’ pinse . Vous astez quéquin d’ bien. Et vous n’astez nin si
bièsse que vous l’ dites.
Avos tous les liv’s
que vous avez lu, y a d’ quoi tapisser tous les murs de vos maison.
Et si vous v’lez èm
n’aviss, c’est la trouille que vous avez, tout simplemint.
Mais puisque vous n’
vo’lez nin que dj’ vous donne un cauw d’ main. C’est d’accord.
- Et vous direz rin à
Sylvie ?
-Ça, on verra bie.
Pour l’instant dj’ dit rin, c’est promis.
On se reprind quo
une pt’ite pinte sous les étoiles ?
-
Oyie ! Y fait si doux et
ça sint si bon d’auci. Quind dj’pinse que j’ai faillit n’ jamais connèche tout
çà …
Heureusemint que dj’
vous ai eu !
- Et mi donc ! Si
vous n’aviez nin stie si malheureux, jamais d j’aurais pinsé à partir.
Allez santé, à nous
aut’ deux !
- À nous aut’ deux !
Chapitre 22
À l’orée de cette
douce journée dominicale, de sa terrasse, Ernest tout en déjeunant, admire le
nouvel agencement de son jardin.
Les premières fleurs
pointent leur nez et le potager est plus que prometteur.
Les tomates, qu’il
s’escrimait péniblement à faire pousser dans sa serre hennuyère, croissent ici
comme des baobabs.
Elles sont rouges,
belles et odorantes, c’est sa petite fierté du moment.
Il faudrait, se
dit-il, que j’en fasse la récolte.
Laissant là les
reliefs de son petit déjeuner, il se dirige vers l’abri de jardin. Il en
extrait trois paniers, puis commence sa cueillette.
incliné entre les
plants regorgeant de fruits rouges, il inspecte, tâte, égrappe.
Arrivé en bout de
ligne, il remarque au bord du potager, deux grands pieds chaussés de sandales
brunes.
- Ouh, s’écrie-t’il:
Mais dj’ connais bie,
ces plats pie’s !
- Commint ça rétorque
Georges furieux, dj’ n’ai pon d’ plats pie’s, d’ailleurs, d’j’a fait m’ service
militaire. Et y n’avait pon d’ plats pie’s chez les chasseurs Ardennais.
- Bonjour em’
Georges, commint qu’ ça va ?
- Ça va , dj’ v’nais
vous inviter.
- M’inviter ?
- Oyie, Sylvie,
Geneviève et mi, on pensait d’ aller dîner chez Emile, y fait un couscous pou’
c’ midi. Ça vous dirait d’ v’nir avos nous ?
- Ouh… dj’ sais nin,
ça sint l’ guet-apens.
- Mais quo ch’est
qu' vous d' allez quo cachie.
J’invite èm fiancée à
diner, comme ès co’sine est là, im faut l’inviter itou.
Commint qu’
j’expliquerot que meilleur n’amiss y n’ vint nin avos nous ? Cré milliard, y
n’y a pon de guet-apens la dedins.
- Vos avez raison,
d’j tourne sot.
Commint s’ qu’on faît
?
- Mi, dj va proumener
avos el kièt et Sylvie.
Et on se donne tous
rindez vous à 11h 30 chez Emile, ça vous va ?
- Et si dj’ me
r’trouve tout seu’ avos Geneviève ?
- Et bie, vos mam’ ne
vous a nin appris qu’il faut yèsse galant avos les jeunes filles ? Vous n’aurez
qu’à faire el conversation.
- Mais, dj’ saurez
nin ! Quand dj’ vois Geneviève, dj’ai m’cœur qui bat l’ berloque, mes
genoux qui cliquottent et commes des œufs durs dins m’ goyet.
- Ah, ça Casanova,
c’est l’amour.
Mais vos n’ inquiétez
nin . Geneviève, elle est polie, elle. Elle f’ra l’ conversation tout
seu’.
Mais essayez, tout d'
même de ne pas trop faire el mourzouk !
De toutes les façons,
à 11h30 tapantes, on est là.
Allez, dj’ va
réserver nos couscous.
- Tenez dit Ernest
dj’ avoz préparé des tomates pou’ vos et pou’ Sylvie .
- Vous yèsse bie
courageux d’ quo faire un potager, pour mi c’est fini tout ça.
Dj n’a plus l’ goût.
Merci pou’ les
tomates.
- À tintôt, et ne m’
layez nie tomber. Soyez là à onze heures et demi !
- Juré.
Alors que Georges
s’en va sur ces belles promesses, Ernest, lui, continue ses travaux de
jardinage en grommelant :
-Em main au feu,
qu’il ne sera pas à l’heure.
Je parie que Sylvie
et lui ont décidé de me laisser seul avec
Geneviève. Ça sent
le traquenard.
Soudain, il s’arrête
: mais dj’ devie sot. Quo ch’ est qui m’arrive ?
Ça n’est pas si grave
de se r’trouver seul à une table avec une charmante dame. Georges a raison.
Je vire mourzouk.
Allez Ernest reprends-toi,
mon garçon.
Zou, direction la
salle de bain où on va s’ faire tout beau !
Après la douche, il
choisit dans sa garde-robe, le nouveau pantalon de toile beige et la chemise
bleue qu’il s’est acheté au marché d’Aubagne. En se regardant dans la glace, il
dit : voilà j’ suis potable.
De toute façon,
c’est le mieux que j’ peux faire, on ne fera jamais du neuf avec de l’ancien.
Je respire un grand
coup et direction le resto !
D’un pas décidé, le
pidjoneux se dirige par le petit sentier caillouté, vers le bar d’Emile. Il
voit au loin les deux gros platanes centenaires qui dispensent l’été une ombre
rafraîchissante. Il voit les petites tables nappées de blanc, mais il voit
surtout une Geneviève désespérément seule.
Crotte de bique !
Pense t-il, quel bonimenteur ce Georges !
Et soudain les
symptômes bien connus reviennent au galop, le cœur s’emballe, la gorge se noue.
Misère, se dit-il, qu’est-ce que j’vais faire ? J’ me sens noué de partout.
Je ne pourrais jamais articuler un mot.
L’envie de prendre
ses jambes à son cou, de fuir, le taraude mais Geneviève qui l’a vu, lui fait
de grands signes amicaux.
Sans passer pour le
plus goujat des goujats, il ne peut décemment mettre son plan à exécution.
Courageusement, il fait front.
Geneviève,
resplendissante dans une robe verte à petites fleurs blanches, se lève et
accueille Ernest d’un baiser sur la joue.
- Monsieur Ernest
dit-elle, que je suis contente de vous voir, je me sentais un petit peu
abandonnée.
C’est étonnant car
Sylvie m’a dit qu’elle serait bien à l’heure.
C’est vrai qu’avec
les amoureux on ne sait jamais, n’est-ce pas …
- Ernest qui a
toujours du mal à se remettre, émet une sorte de lamentable gargouillis qui se
pique d’être un rire.
Navré de sa
performance, il s’empresse de demander à Geneviève si elle souhaite prendre un
rafraîchissement.
Puis, il se précipite
à l’intérieur, s’accroche au bar et reprend doucement ses esprits.
- Té Monsieur Ernest,
ça ne va pas aujourd’hui ? s’exclame Emile.
- Ce n’est rien,
juste un petit coup de chaud.
-Vous voulez prendre
quelque chose ? demande le patron.
- Oh oui répond,
l’amoureux transi, un cognac bien tassé et deux Perriers citron.
D’un geste sec, il
avale le cognac, puis, tremblotant, il se saisit des verres.
Sur le pas de la
porte, il marque un petit temps d’arrêt et voit arriver au pas de course,
Sylvie, Georges et Tara.
Ah, les v’la enfin se
dit Ernest soulagé.
Vifs comme l’éclair,
Georges et Sylvie se ruent sur les deux verres d’eau, en s’écroulant sur leur
chaise.
- Bon dieu que
j’avais soif s’exclame Georges, courir comme ça c’est plus d’èm n’âge !
Mais quand vous aurez
entendu l’histoire...
- Allez ne nous fait
pas languir. Qu’est-ce qui se passe ?
- On a trouvé el
chaînon manquant, dit-il fièrement.
- Le chaînon manquant ?
s’étonnent Geneviève et Ernest.
- Oui. Nous avons
toudis cru que le nom du village,ici, c’astoût Ste Marie La Fontaine. En fait dans cette partie c’est ‘’ Sainte Marie’’
et si on prend el petite rue, là dans le bas, on arrive au hameau de ‘’ La Fontaine ‘’.
- Oui, répond Ernest
déçu, merci pou’ l’ cours de géographie.
- Minute papillon,
l’affaire se corse.
En desquindant l’
sentier, on a croisé Jeannot qui taillait une haie.
Et nous….. on a
taillé une bavette.
Tout fier, il nous a
moustré l’endroit où il travaillait. On a même visité l’ maison. Et là, devinez
quoi ?
El maison, elle
appartenait à un Belge, qui d’après lui devait être adjoint au maire et qui
habitait el région d’ Charleroi.
Et dans l’ maison y
avait deux tableaux que dj’ai bie reconnus. Deux authentiques Magritte. Qui
avaient été expertisés par le beau-frère de Jeannot, antiquaire-expert à
Aubagne. Et Jeannot venait juste de les pendre au mur.
Et mieux encore, vos
savez commint qu’elle s’appelle el villa ?
-‘’ Clémentine’’
s’écrie Ernest dans un éclair de fulgurance !
- Tout Just’. Et l’
nom d’ famille de Jeannot , vous le connaissez ? C’est Méounes. Jean
Méounes de La Fontaine cela ne vos dit rin ?
- Mais c’est le nom
du président de la société française !
-Et oui ! Cette
fois, on le tient le coco.
- Non, on ne l’tient
pas. Y faudrait quo faire un procès pour essayer de prouver qu’ils se connaissent
le Jeannot, Clementine et l’Echevin. Et mi les procès avec Leley, dj a déjà
donné.
- Ouais vous avez
raison, nous estions si contints avos Sylvie qu’on a nin pensé à ça.
-Ouais dit Ernest, il
vaut mieux que je me fasse à l’idée que ce procès est définitivement perdu et
puis tourner la page. Vivre autre chose.
- C’est vrai qu’on
est bien ici ajoute Sylvie.
- Oui, rajoute Ernest
et c’est moi qui offre l’apéro.
- Ouh là ! Ça va
te coûter cher dit Georges , en riant.
- Pourquoi, interroge
le pidjonneux ?
- Retourne-toi et
regarde les huit challengeurs qui ont entendu parler
d’apéro !
-Oh ! Ernest !
S’écrie la bande de copains on a bien entendu, c’est toi qui offre le pastaga ?
Riant, le pidjoneux
interpelle Emile pour qu’il serve généreusement l’apéro avec une belle ration
d’olives !
La tablée de quatre
devient vite une grande table de douze parmi laquelle Ernest se sent
curieusement plus à l’aise. Il rit, plaisante, pendant tout le repas, sous
l’œil bienveillant d’un Georges ravi de retrouver son copain ‘’ au naturel’’.
Vers quatre heures,
toute la joyeuse équipe se sépare dans un espiègle brouhaha.
Le chemin du retour
est écrasant de soleil et le poids du repas se fait sentir. Aussi, Sylvie,
Geneviève, Georges et Ernest ne rêvent que d’une seule et unique chose :
une bonne sieste.
Et devant la première
maison les couples se reforment, les Dames d’un côté, les Messieurs de l’autre.
Chapitre 23
Alors qu’Ernest, le pulvérisateur
sur le dos, lutte à coup de purin d’orties contre les pucerons, Georges arrive
en courant, suivi au loin par Sylvie et Geneviève.
- Ça y est, on va
pouvoir se vinger ! crie t-il en agitant le journal.
- De quoi qu’ vous
parlez ?
- De Leley.
- Quo toudis ! Mais
ça d’vient ène obsession.
Dj n’ veux pu
intindre parler de c’ n’homme là !
- Rattindez une
miette avint d’ dire ça.
Dins l’ Soir d’hier,
y disot que Leley était à nouveau intindu.
- Ah bon, dit Ernest,
quo ch’est qu’il a quo fait ?
- Il est soupçonné
d’avoir empoché des pots d’ vin.
- Des pots d’ vin !
Mais c’est des barriques intières qu’il a touchie c’ crasnez.
- El bonne nouvelle,
c’est qu’ el justice fouine toudis.
Et el deuxième bonne
nouvelle, c’est Jeannot qui me l’a apportée. Dans un article de ''Var Matin'',
y avos une photo de Leley et d’vinez quwè ?
Y s ‘est marié avos Madame
Clémentine Abraham, le week-end passé à St Tropez.
Waite el photo, qué
genre ! Il est in costume blanc, el faux jeton !
- C’est vrai qu’ c’est
choquant. In costume de bagnard il aurait stie plus convenab’!
- Mais Ernest vous n’
comprenez rin.
- Le lien entre
Clémentine et Leley, il est là, on peut attaquie.
- Attaquie ,
attaquie, comme vous y allez. Vous savez bie que la fois passée dj’ a stie
retamé à plate couture .
- Ascoutez. Geneviève
a une bonne idée et ça n’ vous coûstera nin un liard.
- Bon d’ accord, je
m’ assied et j’ ascoute.
Pindint s’ timps, servez
nous èn bonne jatte de café.
- Alors cette idée
lumineuse ?
- Georges, Sylvie et
moi on a retourné le problème dans tous les sens.
Et on pense avoir
trouvé une bonne solution !
- Je suis toute ouïe,
rétorque Ernest sceptique.
Voilà ce que nous
avons imaginé explique Geneviève.
- Vous avez déjà combattu
cet Echevin de front et cela s’est soldé par un échec.
Cette fois, nous
proposons d’agir par la bande.
Sans se faire
repérer.
- Et c’est possible
ça ?
- Oui.
Qu’est-ce qui manque
à la justice pour intervenir ?
- Des preuves solides,
répond le pidjoneux.
- C’est exact. Et ces
preuves nous allons les apporter sur un plateau au Juge.
- Vous n’allez tout
de même pas faire des faux témoignages ?
- Non, rassurez-vous,
on se contentera de voler les tableaux .
- Comment !
s’écrie Ernest épouvanté. Mais je ne suis pas d’accord. Et Jeannot dans
l’histoire, il va avoir des ennuis. Pas question de voler quoi que ce soit.
- C’est vrai que j’ai
dit voler, mais j’aurais dû dire, emprunter.
L’idée, c’est de
voler les deux Magritte et de les envoyer au nom de Leley et de la BAMP en recommandé à l’agence immobilière de Madame Clémentine à Jersey.
On prend une petite
copie du reçu et on envoie le tout anonymement au juge.
Et là, s’il ne met
pas le nez dans tout cela, c’est vraiment que le juge est un pourri !
- Avec le nouveau juge
qu’ils ont nommé, cela m’étonnerait qu’il soit corruptible.
Je le connais bien. Au
journal, on l’appelait Eliot Ness.
Mais, comment allez-vous
faire tout cela ?
- La première chose,
expose Geneviève, c’est de faire des copies des tableaux. Mon fils est infographiste,
à Paris, il pourra nous réaliser d’honnêtes copies sur toile que l’on accrochera
à la place des originaux.
Je rentre à Paris
demain et je propose de m’en charger.
Enfin, si vous êtes
d’accord et si vous me donnez les photos des copies que votre échevin avait
soit-disant dans son bureau.
- Ça m’a l’air
totalement fou comme projet, mais je ne sais pas pourquoi j’y crois.
Ému par tant de
sollicitude, Ernest prend instinctivement la main de Geneviève et les yeux
embués, il la remercie.
Puis, il part à la
recherche des photos.
Pendant quelques
semaines, Ernest n’a plus de nouvelles de sa tendre voisine.
Mais un vendredi,
vers trois heures, le téléphone retentit.
C’est Geneviève qui
propose à Ernest de les rejoindre chez Sylvie.
Lorsqu’il arrive, les
trois amis l’attendent dans le jardin autour de la grande table en marbre.
Dessus trône un
énorme paquet recouvert de papier kraft.
Ils ont tous trois
des sourires en coin.
- Ouvrez Ernest, dit
Sylvie, impatiente. C’est pour vous.
Méfiant, il déballe le
colis et tombe en admiration devant les deux faux Magritte décrit par Leley.
- C’est incroyable,
s’écrie t-il.
Comment avez-vous
fait ?
- Bof, dit Geneviève,
un petit coup de Photoshop, un peu de peinture acrylique et voici les deux
fidèles copies de ce qui se trouvait dans le bureau échevinal de Leley.
- Dj’n’ in crois nin
mes ouilles! s’exclame Ernest.
Puis se reprenant :
Oh excusez-moi Mesdames, je voulais dire que je n’en croyais pas mes yeux.
- Mais nous
commincons à djasez Wallon dit Sylvie en riant !
- Et mi, dj’ m’ mets
au Provençal, rajoute Georges.
- Et dj’ suis sûr,
rétorque le pidjoneux du tac au tac, que voss premie mot in provençal a stie
Pastaga !
- Hé peuchère, on ne
se refait pas !
- Mais comment allons-nous
faire pour l’échange des tableaux ?
-Alors là dit
Georges, j’ai un plan d’enfer! Nous allons employer, …du brin d’ coulons.
- Du brin d’coulons
pour voler des tableaux ! Alors là m’fi dj’ suis perdu.
- Ben là em camarade,
dj’ vous comprins. Et dj’ suis pas peu fier d’em trouvaille.
Et puis Geneviève,
elle a quo trouvé ène aut ‘ affaire.
-Ah bon, dit l’
pidjoneux.
- Oui, pour copier
les toiles mon fils a dû agrandir les photos que vous m’ avez données et là il
y a un détail intéressant, regardez bien cet agrandissement.
Vous voyez les
tableaux dans le fond et le calendrier de l’année 2004. Mais si vous regardez
bien sur le bureau de votre échevin, il y a un journal et regardez le titre de
l’article.
- Oh ça alors
! ‘’ Télévie 2007 , gain record ‘’ Le salaud, il m’a encore entubé !
- Oui, mais cette
fois on enverra la jolie photo au juge s’exclame Geneviève !
Chapitre 24
Le mardi suivant, dès
neuf heures, l’opération ‘’brin d’coulons’’ commençait.
Les copies de
Magritte, soigneusement emballées, étaient rangées par Sylvie et Geneviève sous
une bâche plastique dans la deuxième brouette.
Et pendant que les
deux hommes garnissaient l’engin de fientes de pigeons, les dames préparaient
le premier contenant.
Les brouettes
remplies à ras bord, Georges, martial assène :
- Bon, nous allons
synchroniser nos montres.
- Pourquwè vous
voulez synchroniser les montres ?
- Dj sait nin !
dit-il en riant. Ils font toudis ça dins les films.
- Et bien, Mesdames,
synchronisons nos montres, si ça ne nous fait pas de bien, ça nous fera pas de
mal.
Il est exactement
neuf heures dix. Et top, l’opération brin d’coulons vient de commencer. Alors,
comme on a dit, vous nous attendez non loin de chez Leley.
- Espiègles, Sylvie
et Geneviève répondent en riant :
Oui chef, bien chef,
à vos ordres chef.
- Bah, dit Ernest
philosophe, si jamais on se retrouve in caruche au moins on aura bien ri.
Georges, vous passez
devint avos vos machine, mi dj’ suis avec el brouette où on a muchie les copies
de tableaux.
Alors que les dames
avancent légères comme des cabris, les deux compères lourdement chargés
avancent à petit pas, entrecoupés de petites stations de repos.
Dans la ruelle qui
descend vers La Fontaine, les deux amis ont bien du mal à retenir les
engins à roues et c’est au pas de course qu’ils entrent dans le jardin de la
villa Clémentine.
- Salut, les
coulonneux, s’exclame Jeannot. Oh mais vous m’avez apporté deux
brouettes bien pleines.
Venez, on va déjà déverser
la première dans le potager.
Alors que Georges suit
le jardinier, Ernest en profite pour faire signe à la gente féminine de rentrer.
- Venez, la voie est
libre. Jeannot est au fond du jardin et comme d’habitude il a ouvert les portes
et les fenêtres de la maison pour aérer. Bonne chance !
Au pas de course, il
arrive dans le potager.
- Je me suis arrêté
quelques minutes pour admirer le grand rosier jaune, c’est quelle sorte ?
- C’est une du Bary
répond Jeannot, c’est le rosier préféré de la
Dame.
Entre nous, c’est une
belle peau de vache, celle-là ! Jamais un mot gentil, jamais contente et
jalouse avec ça.
Elle lui en a fait
des scènes de ménage, fan de chichoune ! On l’entendait s’égosiller jusqu’ au
bistrot d’Emile.
Allez, on va chercher
la deuxième brouette, comme ça vous serez libérés.
- Mais, on va te
donner un petit coup de main pour étendre tout cela dit charitablement,
Georges. Allez passe- nous deux pelles.
- Alors là, les
copains, c’est vraiment gentil de votre part !
Samedi, foi de
Jeannot, je vous offre l’apéro.
- Et voilà qui donne
du cœur à l’ouvrage dit Georges en riant.
Ernest tu ne nous
ramènerais pas la deuxième brouette ?
- Oui, c’est une
bonne idée répond le pidjoneux !
Je vais en profiter
pour nous débarrasser de celle-ci.
À petits pas rapides,
Ernest arrive à hauteur de la seconde brouette encore remplie .
Intrigué, il passe la
tête par la porte d’entrée.
- Pssst, psst, les
filles … Vous en êtes où ?
- L’échange est fait,
répond Sylvie. On peut maintenant cacher les originaux que voici dans la
brouette vide.
Saisissant le rouleau
contenant les précieux ‘’Magritte’’ originaux, il le cache prestement sous les
plastics de la brouette vide.
Puis il ramène au
potager le deuxième chargement.
Un petit clin d’œil a
son ami pour lui faire comprendre que tout va bien et hop, Ernest saisit une
pelle pour répartir les fientes dans les différents parterres.
En une demi-heure le
travail est terminé et les deux compères prennent congé.
Alors qu’ils
remontent péniblement le petit sentier pentu, Jeannot leur crie :
- Et n’oubliez pas,
je vous attends samedi vers onze heures pour le pastaga !
- On sera là, crie
Georges, compte sur nous !
C’est avec un réel
soupir de soulagement que les deux complices déposent les brouettes dans le
jardin.
- Seigneur ! nous z’
avons eu chaud, s’exclame Ernest en s’écroulant dans le fauteuil de jardin.
- Mi dj’n’ sins pu
mes gambes! Mes è’fants, quelle aventure !
C’est plus de notre
âge, rétorque Georges, en deposant les deux ‘’Magritte’’ sur la table. Tiens
mais où sont Sylvie et Geneviève ?
De la cuisine,
celles-ci apparaissent tenant de grands plateaux garnis.
Arrivées près
d’Ernest, elles entonnent un ‘’ joyeux anniversaire’’.
- Bon sang, dit-il,
mais c’est vrai que c’est m’ n’anniversaire aujourd’hui.
Avec tous ces événements,
je n’y avais même pas songé.
Merci d’y avoir pensé.
En deux temps trois
mouvements, les tableaux sont mis à l’abri des regards indiscrets. La table est
dressée. Les flûtes de champagne regorgent de petites bulles dorées. Et sortent
d’on ne sait où, des cadeaux qu’offrent successivement, Sylvie, Georges et
Geneviève.
Ému, devant tant de
gentillesse, Ernest se met à pleurer.
- Ah non ! s’écrie
Georges, vous n’allez nin noyer un si bon champagne.
Allez Santé ! à
vos printemps et à l’équipe des « gentlemen cambrioleurs ».
- Santé et merci à
tous, bredouille, attendri le pidjoneux.
Après avoir picoré
olives, saucissons et fromages, Ernest partage ses inquiétudes quant à la
suite du projet.
- Mais comment nous
allons faire pour envoyer ces toiles ?
Si nous les postons au
village, on risque de se faire repérer .
- Oui, j’y ai pensé
dit Geneviève. Que diriez-vous d’envoyer cela via un courrier-express parisien
?
Paris est une grande
ville, on ne posera pas de questions.
Mais, il faudra me
faire confiance.
- Oh Geneviève, après
toute l’aide que vous venez de m’apporter, j’ai une totale confiance en vous.
-Alors, répond la
charmante cousine, la messe est dite.
Je repars demain pour
la capitale.
Chapitre 25
Il est près de dix
heures, le samedi, lorsqu’ayant roulé toute la nuit, la petite voiture bleue de
Geneviève s’immobilise devant la propriété d ’Ernest et Georges.
D’un pas pressé, elle
traverse le jardin qui mène à la maisonnette du pidjoneux, et discrètement
toque à la porte d’entrée.
- Geneviève, s’écrie t-il
heureux, vous êtes arrivée hier soir ?
- Non, j’avais un
travail urgent à finir, je n’ai pu me libérer que vers minuit.
- Ne me dites pas que
vous avez roulé toute la nuit ?
- Et bien, si.
-Mais vous devez être
épuisée. Asseyez-vous , je vais vous préparer un bon café chaud.
- Quelques minutes
plus tard, il revient avec un grand plateau chargé de moka fumant, de
croissants, de confitures, de miel.
- Voilà dit Ernest,
servez-vous. Les confitures sont faites maison.
- Vous savez faire
les confitures ? Mais vous êtes un homme étonnant.
- Étonnant, étonnant,
je suis juste un pauvre paysan, mal dégrossi qui a pour seule passion : son
élévage de pigeons.
Vous voyez je ne suis
pas bien intéressant…
Surtout aux yeux
d’une personne aussi jolie et spirituelle que vous.
- Mais non, arrêtez
de vous dénigrer comme cela ! Vous êtes drôle, cultivé, attentionné.
- Alors là, vous
devez certainement me confondre avec quelqu’un d’autre !
- Vous ne vous êtes
jamais demandé pourquoi j’avais fait tout cela ?
Pourquoi votre
désarroi, votre peine, l’injustice dont vous avez été victime, me touchaient
plus que la normale ?
- Mais Geneviève,
j’ai peur de comprendre !
- Oh Ernest ! Je
crois que je vais reprendre les termes de votre ami Georges, grand couillon, je
vous aime.
- Geneviève, ce n’est
nin possib’, cela fait des mois que je rêve de vous demander en mariage, mais
je n’ai jamais osé, vous étiez si prodigieuse.
- Et bien mon cher,
mon très cher Ernest, comme vous me le proposez si élégamment, j’accepte.
- Oh, Geneviève,
quelle joie, quel bonheur, dj a m’ cœur qui bat l’ berloque !
- Qui bat la berloque ?
Il faudra que je me mette à l’étude du Wallon.
Mais avant tout, que
pensez-vous de mettre point final à cette pénible affaire Leley ?
Voici les enveloppes
timbrées, les photocopies du bon d’envoi, les fameuses photos datant soi-disant
de 2004.
J’ai pensé qu’en plus
d’une copie au juge, on pourrait peut-être en envoyer une à votre ancien
journal qu’en pensez-vous ?
-Mais c’est une
excellente idée !
Ernest prend
doucement la main de Geneviève :
-Venez, nous allons,
tous les deux, poster les lettres. Ensuite nous irons rejoindre Sylvie et
Georges.
Main dans la main,
ils remontent le petit chemin de gravier, s’arrêtent à la boîte aux lettres.
- Postons-les
ensemble, vous me portez bonheur.
Les deux enveloppes
brunes tombent sans bruit dans la petite boîte jaune de la poste française.
- Voilà dit Ernest
grave, maintenant ma vie peut changer.
Et amoureusement, il
embrasse Geneviève .
Tendrement enlacés,
ils se dirigent vers le bar d’Emile, d’où Jeannot leur fait de grands signes.
- Alors crie t-il,
vous arrivez pour le pastaga !
- Ah cré milliard !
vous voyez ce qui nous arrive là-bas, s’écrie Georges.
Excuse-moi Jeannot,
tu nous paieras le pastis une autre fois.
Emile !
Champagne pour tout le monde, je crois que nous avons un événement à fêter !
Épilogue
Cinq années ont passé.
Ernest et Geneviève, Sylvie et Georges se sont mariés.
Ils avaient choisi de
s’engager ensemble dans la petite église du village. Une fête mémorable, à
l’ombre des platanes d’Emile, suivit la cérémonie.
Depuis les deux
couples coulent des jours heureux dans le petit village de Sainte Marie - La
fontaine.
Aujourd’hui, c’est
l’anniversaire du pidjoneux.
Après un excellent
dîner, un délicieux gâteau aux fruits du jardin, accompagné du traditionnel
champagne ; les trois amis tendent à Ernest un grand paquet emballé
sommairement dans du papier journal.
Planté devant lui,
ils rient et se poussent du coude.
- Vous, dit Ernest
vous m’avez fait un mauvais coup !
- Pas vraimint,
répond Georges en pouffant.
Ernest déballe, puis
il s’écrie, mais vous êtes fous.
Vous m’avez acheté un
Folon, mais ça coûte une fortune ces tableaux-là.
- Très exactement, 30.000
Euros. Nous l’avons fait expertiser.
- Mais c’est beaucoup
trop cher, il faut le revendre, vous devez garder vos économies.
- Mais dit Geneviève,
nous n ’avons pas tout à fait l’exclusivité de la donation.
- Non dit Georges,
Geneviève a raison, ce n'est pas pleinement notre cadeau.
- Je comprends rien à
vos histoires, qui dois-je remercier ?
-Tous les trois
crient en chœur : Leley !
- Vous êtes devenus
bredins ou quoi. Vous me direz bien pourquoi, ce crasnez m’offrirait un
tableau de ce prix ?
- Bon autant te le
dire, avoue Georges, nous avons décidé tous les trois que lorsqu’on irait chez
Leley, on prendrait les deux Magritte, mais aussi le petit Folon, en
dédommagement. Pendant cinq ans on l’a muchie sans rien te dire au cas où ….
Mais comme Leley èsse t’ in caruche depuis trois ans et qu’il n’a jamais parlé
de rien…
- Mais, vous êtes
fous, il peut toujours prouver qu’il a acheté
le tableau.
- Ah çà, il a pas
intérêt à s’en vanter, il a scroté ça à l’ vieille ‘’ ma tante ‘’de Folon pour
une bouchée de pain, ça frôle l’escroquerie. À la limite c’est presque un
service qu’on lui rend à ce gros panchu !
- Mais ça reste
toujours du vol ! Mi dj’ ai mauvaise conscience.
- Tout d’abord, ce
n’est nin du vol, c’est un remboursemint de dette.
Y vous à bien scroté
de 25.652 € tout de même.
Le tableau, il en
vaut 30.000, avos les intérêts, l’ compte est bon.
Et pi, si vraimint,
vot’ conscience vous titille, vous n’avez qu’à envoyer à l’prison de Lantin un
chèque de 348 € à l’ordre de Môssieur Leley !
k
Ernest stupéfait
regarde tour à tour les trois visages rieurs.
- Mais vous êtes
diaboliques, s’exclame t-il !
- Et bé c’est ça
s’écrie Georges, trinquons et longue vie aux diaboliques !
Fin
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