Martine MICHEL, Atelier de Roman-nouvelle - 2ème année, Professeur Julien Annart


Pigeon vol

Roman



Avant-propos



Habitant la campagne hennuyère, j’ai beaucoup de sympathie et de respect pour « les gens de chez nous »

Et, c’est avec félicité que je me suis immiscée dans la vie d’ Ernest et Georges, mes deux personnages.

Mais en voulant préserver l’authenticité du côté terroir, je me trouvais confrontée à la résolution de la quadrature du cercle.

S’il fallait que le Wallon soit crédible (merci à toi Ernest), il fallait aussi qu’il soit compréhensible par les francophones et les francophiles.

Aussi, et je m’en excuse auprès des puristes et des défendeurs de l’orthographe Feller, le Wallon parlé dans ce livre est simplifié. Il n’est pas le reflet d’une seule région, il emprunte ses expressions aux montois, aux tournaisiens, aux carolos, aux nivellois, aux namurois.

Pour l’orthographe j’ai choisi la phonétique  dans l’espoir d’être, pour chacun, la plus compréhensible possible.


MM



Remerciements



A mon époux pour sa patience

A Ernest pour sa science



      Petit dictionnaire sans prétentions…



Pour faciliter la lecture :


Dans ce livre le ‘’ je’’ se prononce ‘’dj’’

Et tous les sons ‘’en- an’’ ou  ‘’ie’’se prononcent ‘’in’’ ; Rien devient rin, important devient importint….

 

A


Ad’ taleur :  à tantôt

Agon, agonne : malhonnête, voleur

Apisser, apissie : attraper, attrappé(e)

Arnas : arnachement, attirail, matériel

Artoiles : orteils

Ascuser, ascusez : excuser, excusez

Avos : avec

Awèr : avoir

 

B


Baraki : littéralement quelqu’un qui habite dans une baraque, un forain, un gitan. Mais signifie aussi quelqu’un de pas très correct, un peu voleur, un peu tricheur ou quelqu’un de mal habillé.

Bèdo : mouton

El berce : le berceau

Berdouille :  littéralement, c’est de la boue ; mais la côte de porc à l’berdouille, est une  recette typiquement montoise ; à base d’échalote, d’ail, de vin blanc et de cornichons ( goût voisin de la béarnaise), cette sauce est un peu brune (comme de la boue) car elle a pour base le beurre brun de cuisson de la côte de porc (ndr à essayer, c’est délicieux !)

Berloque, battre el berloque : breloque, battre el berloque = avoir son cœur qui tressaute, qui bat la chamade

Berzingue : fou, dingue

Bia : beau

Bie : Bien

Bièssetries : bêtises

Biètes : des bêtes, des animaux.

Bine aise : bien aise

Bo (du) : du bois ; les lunettes à grosses montures sont appelées  par dérision des lunettes de bo ( de bois)

Boquet : un peu

Bouter : Travailler.

Brin, brin de coulon : défécation, fiente de pigeons

 

C


Em’ camarade : signifie ici mon ami. Rien à voir avec terme le camarade employé dans le monde politique socialiste.

Caruche : prison

Cauw : un coup

Chaffes : des baffes

D’Chute : tout’ d’chute : de suite, tout de suite

Cinse : de l’ancien français, cense : ferme

Cisse : abréviation de saucisse

Clauws : des clous

Cliquotter : trembloter, flageoler

Constateur : terme français, appareils servant à constater l’heure d’arrivée des pigeons lors des concours.

Coulons :  des pigeons

Coumère : une femme ou une petite amie

Crasse pinte : une bonne bière

Crasnez : littéralement :  morveux. Ici à comprendre comme :personne mal embouchée, méprisante

 

D


D’auci : ici

Desgadgie : dégager

Desquindre, desquindant : descendre, descendant

Destrue, destrur :  littéralement : détruit , détruire, à  comprendre comme synonyme de suicider .

D’viser : deviser, parler

D’vez , vous d’vez : devez, vous devez

 

E


Ey adon : Et alors

Eyèt :  normalement signifie ‘’et’’, ici  il faut traduire par ‘’ et alors’’.

Éwaré : idiot

 

F


Fier (du) : du fer

Foc - il n’y a foc : il n’y a que quelque…

Fougne, avoir fougne :  faim, avoir faim

Frumer : fermer

 

G


Gambe : jambe

Gayolle : cage, une belle petite gayolle : chanson traditionnelle wallonne ;

Goyie, Goyèt : cou

Guernie : grenier


H


I


Ieau : eau

Immanchie : emmancher

Inlogie :  enloger : enregistrer les pigeons lors de concours .

Inradji : littéralement : enragé,

Inrâler ( s’) : s’en aller

 

J


K


Kièt : chien

 

L


Layer : laisser

Liards : ancienne monnaie, signifie ici de l’argent

Longmins : longtemps

 

M


Marchau : maréchal ferrant

Mauw : mal, plus mal

Mellettoise : bière de la région de Mellet

Mingie : manger

Mitan : moitié

Morciau : morceau

Mougnie :  mangé, bouffé.

Mougneux d’ blanc : proxénète, opportuniste, magouilleur, quelqu’un qui vit sur le compte des autres

Moujonne : maison

Mourzouk : butor, impoli

Mourt : mort

Moustrez, moustrer : montrez, montrer

Mouwèze, mouwè : mauvaise / méchante, mauvais/méchant

Muchette : cachette

Muchie : cacher, dissimuler

 

N


Nareux : personne précieuse, vite dégoûtée, ici à comprendre comme synonyme de snob

Navia, être blanc comme un navia qu’on aurait pelé deux cauws : navet, être blanc comme un navet qu’on aurait pelé deux fois. Synonyme de livide.

Noss : notre

Nut (el) : la nuit

 

O


Ostils : outils

Oyie : oui


P


Padrie : par derrière

Paltot : manteau

Panchu : littéralement = ventru, ici à comprendre comme gros parvenu

Papies : papiers

Pesteler : piétiner

Pia : peau

Pidjoneux : synonyme de couloneux : éleveur de pigeon

(s’)pind’ : se  pendre

Plats piyes : littéralement quelqu’un qui a les pieds plats. A comprendre ici comme quelqu’un qui met toujours ses pieds dans le plat.

Pouilles : des poules

Pouyon : poussin

Prone : littéralement c’est une prune, mais avoir une prone c’est être saoul, synonyme d’avoir une chike.


Q


Qué : vient de quérir : chercher


R


Rade : vite

Rakatter : racheter

Rasconter : raconter

Rastreint :  freine, réduit

Rattinte, rattindre : attendre

Renettechie : nettoyer

Rewaitie : regarder

Rinfrumer : enfermer

 

S


Saisi : idiot

Saqwè : quelque chose

Scrire : écrire

Scroté, scroter : escroqué, dérobé, délesté, chapardé, escroquer

Simb, simblout : semble, semblait

Sint, sintir : sent, sentir

Spépier : étudier attentivement, scruter, analyser

Sporon : littéralement =ergot de seigle, à comprendre ici comme vieux copain.

Spluchie, spulchions : éplucher, épluchions

Stie : conjugaison du verbe être 

Stranner : étrangler

Stitchie : flanquer

 

T


Taveau : tout plein de…, rempli de… ;  partout

Tchère : choir, tomber

T’chmin : le chemin

Tertoute : tout le monde, tous

Tièsse : une tête

Toudis : toujours


U


Uche, à l’uche : porte, à la porte


V


Vire : voir

Visine : voisine

Vîy, Vîye : vieux , vieille

Dj’ viye : je viens

 

W


Waitir, waite,waitez : regarder, regarde , regardez


X



Y


Yèsse : forme conjuguée d’être

 

Z


Zies : yeux




       Pigeon vol



Chapitre I



 En ce beau matin du mois de mai, Ernest Tirtiaux, fonctionnaire retraité de la Région Wallonne, est attablé dans la cuisine devant un infâme jus de chaussette fumant, qu’il s’entête à appeler café.  Il savoure ces quelques instants de paix et de silence, à peine troublés par le tic-tac monotone de la grosse horloge Westminster. Les dix coups matutinaux viennent de sonner. Ernest s’étire et sourit ; il entrevoit l’instant où il va, enfin, pouvoir s’occuper de ses petits chéris.

 Il jette un regard alentour, la cuisine est parfaitement rangée. Le salon sent bon l’encaustique et il en a pris la poussière, il y a un quart d’heure. Son lit est fait, l’aspirateur est passé dans tout l’étage et la lessive sèche au soleil.

Avec tristesse, il songe que jusqu’il y a cinq ans, c’était sa chère maman qui s’occupait de tout cela.  Malheureusement, elle est morte il y a trois ans, deux ans après le père. Et lorsqu’il s’est retrouvé seul, livré à lui-même, ce fut un vrai cauchemar. En vieux garçon qu’il était, il ne s’était jamais préoccupé de rien. Bien sûr, il donnait un coup de main  pour les travaux de la ferme, mais pour le reste, maman veillait à tout.  Une carte de banque, une déclaration fiscale, un contrat d’assurance, le ménage, tout cela lui était totalement étranger. Aussi, bénit-il, Georges, son ami d’enfance, qui l’initia à la vie administrative et Rose, son épouse, qui lui inculqua toutes les subtilités de l’ art ménager.

Aujourd’hui, comme un grand, il peut se rendre à la banque sans être ridicule, remplir haut la main sa déclaration d’impôts. Il peut nettoyer, cirer, lessiver sans tout faire bouillir. Il s’est même mis à la cuisine ! Le dimanche, de ses blanches mains, il fait son pain et son cramique.

 Pauvre Rose ! En voilà encore une qui est partie trop tôt, deux ans déjà que son ami est veuf.

 

- Oh là ! se dit Ernest, il me semble que je broie du noir !

Je vais jeter un coup d’œil à la Gazette, cela me changera peut-être les idées !

 

Allons bon, encore un nouveau scandale à Charleroi ! Bon Dieu !  Mais si ce n’est pas Dutroux, ce sont ‘’les affaires’’, dans quel monde vivons-nous ! Y en a marre !

 Rageusement, il referme le journal, saisit sa tasse de lourde porcelaine blanche à liseré vert, la rince sous le robinet d’eau froide et la range, soigneusement, sur la vieille étagère de bois peint. Un dernier regard, tout est en ordre, il peut, en toute quiétude, rejoindre ses petits.

À pas mesurés, il sort de la cuisine. Au bord de la terrasse ombragée par une énorme glycine serpentine, il prend une grande bouffée d’air.

 

- Bon Dieu ! Qu’il fait doux aujourd’hui !

 

Il jette un coup d’œil au vieux thermomètre d’émail blanc et s’écrie : 21 degrés ! Mais c’est l’été.

 

-Bah ! oui, tiens ! C’est une très bonne idée. Ce midi, je dîne sur la terrasse !

 

D’un pas guilleret, il traverse la vieille cour aux pavés inégaux et rejoint la grange. Il entrouvre l’énorme porte grinçante, foule le sol en terre battue, slalome entre l’ancien tracteur de son père et les moissonneuses-batteuses rouillées, pour arriver enfin au vieil escalier de bois. Il en gravit les marches branlantes et arrive au palier. Là, il chausse ses vieilles pantoufles et avec d’infinies précautions, il ouvre la porte de son pigeonnier.

Comme chaque matin, il ressent au creux de l’estomac une légère angoisse. A mots très doux, il appelle ses oiseaux :  petits, petits, petits, montrez-vous mes tous beaux, papa est là !

Campés sur leurs pattes rougeaudes, la poitrine brillante, l’œil rond, vif et le port altier, les cinquante volatiles sont tous en pleine forme.

Apaisé, il ouvre grand la fenêtre et se dirige vers la première volière, celle où logent ses petites chouchoutes : ses blanches colombes.

 

- Ah, voilà les plus belles ! Venez mes cocottes ! 

 

Avec des gestes très doux, il saisit un à un les oiseaux au blanc ramage. Après un affectueux gratouillis et un bisou sur le bec, il les dépose délicatement sur l’appui de fenêtre.

 

- Allez mes fifilles, envolez-vous !

 

Et comme à regret, la nuée blanche obéit, prend son essor.

Avec le regard tendre du père surveillant sa marmaille, pendant un long moment, Ernest, observe leur vol élégant et diaphane.

Il a toujours admiré la grâce, l’élégance, la fragilité, de ces oiseaux. Son père, plus prosaïque, considérait les volatiles d’Ernest comme des bouches inutiles à nourrir.

 

Souvent, bourru, il vétillait :

- Mais à quoi servent ces biètes-là, ça gagne même pas d’ concours !

 

Un jour, Ernest, a bien essayé de lui expliquer qu’une colombe, c’était beau, doux, délicat, harmonieux, mais devant le regard incrédule de son père, il n’a plus jamais osé aborder le sujet. Et afin de ne pas émarger au budget paternel, Ernest, le scrupuleux, prélevait de son maigre budget d’écolier, le prix des quelques graines de ses oiseaux de paix.

Derrière lui, les pigeons piaulent et piétinent d’impatience…

Ernest a compris le message, il les connaît si bien, ses petits ! Il fait jouer le loquet de bois de la grande volière, une marée grise s’engouffre pêle-mêle dans l’embrasure et prend son envol.

Ensuite, il vaque à ses nombreuses occupations : nettoyer et regarnir les mangeoires, les abreuvoirs, remettre de la paille fraîche, un fond de cage propre. Puis, il visite les plus petites cages, vérifiant les nichoirs de Valentine et Aphrodite.

 

- Et non ! Soupire t-il.  Elles n’ont pas encore pondu leurs jolis petits œufs blancs. Pourtant, je suis bien impatient de voir ce que va donner ce nouveau croisement !

 

D’un geste qui lui est habituel, Ernest saisit le balai et se met à brosser énergiquement le plancher. Mais bien vite, il s’interrompt, pour en revenir, le regard ému, au vol puissant de ses palombes.

En professionnel, il apprécie les circonvolutions de Minerve et d’Apollon, ses deux champions.

Dans trois jours, ils iront concourir à Bourges. Et s’ils sont classés dans les trois premiers, il pourra peut-être faire un profit substantiel en vendant le couple à l’un ou l’autre acheteur japonais.

Son excellente réputation dans le milieu et le palmarès époustouflant de ses petits chéris méritent un bon prix :10 000 € pièce ?

Pourquoi pas ?

Et comme la Perette de la fable, Ernest se prend à rêver…

Avec cet argent, il achètera un couple de ‘’queue de paon canadien’’ à son ami Georges. Ensuite, il modifiera le pigeonnier. Il construira un espace douillet pour l’élevage, une nouvelle volière, un espace infirmerie, et puis, et puis, les pensées d’Ernest s’évadent…

Soudain, surgissant du pied de la grange, une grosse voix l’interpelle.

 

- Ey ! Adon Erness, on n’boute nin aujoud’hui !

 

Emergeant brusquement du doux pays des songes, Ernest se demande quel est ce malotru qui abrège de si belles rêveries !

 

- Ah ! Mais c’est Georges. Commint qu’ça va  m’ camarade ?

 

- Boooh ! Ça va ni plus mauw !

 Dj’ v’nais justemint vous vire pou’l’concours de samedi.

 

- Bon ben, mettez-vous su’l’ terrasse, y a del goutte dins l’armoire et des pintes au frigo. Servez-vous, el timps que dj’ rinfrume mes coulons.

Il ajoute en riant : il y a aussi de l’ieau au robinet, mais dje pense nin que vous en f’rez usage !

 

 Georges qui se dirige vers la terrasse, le gratifie d’un sonore:

- All’z en au diab’

 

-Bon ben, c’est pas tout, où c’qui sont passés maintenant !

Petits, petits, petits…. Rou, rou, rou

 

La plupart des volatiles rentrent un à un, mais aucune trace de Minerve, ni d’ Appolon

Inquiet, Ernest scrute l’horizon.

 

-Petits, petits, petits…. Rou, rou, rou

 

- Nom de bleu ! Je devrais déjà les voir revenir.

Pourvu qu’ils ne se soient pas fait bouffer par un sale chat.

Petits, petits, petits….. Rou, rou, rou

Ah , enfin ! les voilà.

Bonjour Apollon, bonjour Minerve, bonjour mes jolis.

Allez, venez chez papa.

 

 Ernest saisit les oiseaux et les replace délicatement dans leur cage toute propre, garnie d’une ration de graines vitaminées, dans laquelle il rajoute, les veilles de concours, des graines de pollen et un peu de gelée royale, mais chuttt ! Ça c’est son petit secret, son doping à lui !

Avant de descendre, il refait le tour des cages et avec un petit pincement au cœur, il quitte ses précieux pigeons, referme la porte  et s’en va rejoindre son ami.

 

 

 

Georges l’accueille en riant :

- Dj’ nous ai servi deux bières, mais si vous préférez de l’ieau, y da au robinet !

 

- Eh adon ! Em vîy camarade, qu’est-ce que vous m’ rascontez ?

 

- Dj’ v’nais vire combien d’coulons vous mettiez au concours de Bourges.

 

- Dj’in inscrit seulement 12.

 

- Vous n’verrez ni d’inconvénients à ce qu’ dj’ vienne avos vous ?

 

- Non hein donc ! Nous d’irons à deux , à cinq heures chez Tatâve pour les inlogie et prind les constateurs. Ça vous va ainsi ?

 

- Oyie, que ça m’va !

Allez Santé ! Faut nin laisser r’froidir les bonnes choses !

 

- Aaaah ! Ça fait du bien une bonne crasse pinte. Hein Georges ?

Vous d’meurez mindgie ène tartine avos mi ?

 

- C’esse t’ène bonne idée. Dj’ retourne à m’ maison , dj’ ramenerai un morciau de pâté de chez Firmine, pommes et calva !  Un délice, vous m’en direz des nouvelles.

Ad taleur ?

 

- Oyie,  dj’ vais mette el tab’ pendin c’timps là !




Chapitre 2



7h30, Marie, la secrétaire de rédaction, prend connaissance des premières dépêches.

Tout est calme, reposant. Son petit café à la main elle savoure ces quelques instants paisibles avant l’agitation de la journée.

 

- Oh, non ! s’exclame-t’elle. Ça sonne déjà.

Pfff, ils commencent vraiment tôt….

Allo, la rédaction du journal ‘’ Le Matin’’, bonjour…..

Vous dites qu’il y a encore du Rififi à Charleroi ?

C’est quoi aujourd'hui ? Van Cau a étranglé Chastel ?

Ah bon ! Encore un nouvel échevin inculpé.

Bien, je vous envoie quelqu’un.

 

Elle se précipite vers le bureau de verre du Rédacteur en Chef et l’apostrophe :

 

- Domenico ? Il y a encore un échevin inculpé à Charleroi !

 

Le Rédacteur en Chef lève le nez et s’exclame :

 

-  Mais c’est pas vrai, c’est tous les jours !

C’est qui cette fois ?

 

- Delbic

 

- Delbic ! Waow, c’est du beau linge !

 

- Ouais et on envoie qui ?

 

- Envoie Michel et le photographe.

 

Puis, se ravisant, il rappelle sa secrétaire.

- Oh ! Marie, appelle-les sur leurs portables, à cette heure, ils doivent déjà être sur la route.

 

À petits pas nerveux, Marie, s’en retourne vers son bureau, prend son répertoire téléphonique et prévient les deux journalistes.

Le combiné à peine raccroché, la sonnerie retentit à nouveau.

C’est Mademoiselle Emeline de La Garde, l’attachée de presse du Ministre de l’Equipement et des Sports. Celle-ci rappelle la présence de  ‘’son Ministre’’, Mr Dutry, lors de l’inauguration de la salle omnisports de Courcelles, ce soir à 18h. Elle aimerait savoir si l’évènement sera couvert par le journal.

Marie, signale à l’attachée de presse qu’elle en parlera à son patron.

Elle raccroche et ronchonne : on voit que les élections ne sont pas  bien loin.

Sur ces entrefaites, sa collègue arrive.

 

- Salut, Jeannine. Accroche-toi aux cocotiers, ça s’agite déjà !

 

- Déjà ! Qu’est-ce qui arrive ?

 

- Un échevin indélicat et Mademoiselle Emeline de La Garde, une attachée de presse zélée qui, je le pressens, va nous pourrir la journée, pour qu’on aille faire un article sur ‘’ son Ministre ‘’.

Le téléphone résonne à nouveau, Marie exaspérée demande à Jeannine de prendre la communication le temps qu’elle puisse, se resservir ‘’le petit café’’ dont elle rêve tant.

Jeannine décroche. Elle est abasourdie par ce qu’elle vient d’entendre.

Elle se précipite vers la cage de verre.

 

 - Domenicooo ! Il y a un carambolage sur l’A54 ! Douze voitures embouties et un camion d’acide sulfurique sur le flanc ! Qu’est-ce qu’on fait ?

 

Décidément, se dit Domenico, la journée démarre sur des chapeaux de roues.

 

- Demande à Benoît de faire l’article et de prendre lui-même les photos. 

 

 Vers neuf heures, dans la fourmilière du journal, les choses semblent un peu se calmer.

Benoît, est rentré de son reportage sur l’A54. Michel, entre deux portes, revient faire un premier point sur l’affaire de l’échevin inculpé ; avant de repartir bien vite, un coup de fil lui signalant qu’un deuxième personnage va être entendu.

Midi : le téléphone retentit au bureau du Rédacteur-Adjoint : Simon Maloy.

Attentivement, Simon écoute son informateur, puis pâle et incrédule, il articule :

- Oh non !  Pas ça, pas aujourd’hui !

 

Affolé, il accourt auprès de son chef en criant : Domenico !

 

- Quoi encore ?

 

- Un site Seveso qui crame !

 

- Où ?

 

-Où ?site Seveso qui crame !coup de fil lui signale qu'et peu de temps aprèsconnniers sur l'- Fluide Gazeux à Charleroi.

 

- Benoît est rentré ?

 

- Oui.

 

- Envoie-le, fissa. Et qu’il prenne Hugo pour les photos.

Mais quelle journée de merde !

 

D’une main nerveuse, il décroche le téléphone pour appeler sa secrétaire.

 

- Marie, pourrais-tu appeler quelques correspondants en renfort. On ne s’en sort plus.

 

En début d’après-midi, Marie grappille quelques instants pour mâchouiller son sandwich fromage-crudités.

L’accalmie est de courte durée, car l’engin du diable se remet à tinter.

 

Au bout du fil, Emeline de La Garde, chargée de communication pour le Ministre de l’Equipement et des Sports, s’en vient aux nouvelles.

- Pouvez vous me confirmer la présence d’un journaliste pour

 ce soir ?

 

- Ecoutez Mademoiselle de La Garde, nous avons eu beaucoup d’incidents sur la région de Charleroi aujourd’hui. Tous nos journalistes sont sur le terrain.

Pour l’instant, il nous est impossible de confirmer ou d’infirmer notre présence, mais ressonnez un peu plus tard, on pourra faire le point. 

Au revoir Mademoiselle.

 

Marie claque le téléphone.

Vouant aux gémonies toutes les attachées de presse et tous les services communications des Ministres, Secrétaires d’État, Bourgmestres et autres potentats locaux !

 

D’un pas rageur, elle se dirige vers le bureau rédactionnel et se plante raide comme la justice devant Domenico.

 

 

- Quelque chose ne va pas, Marie ?

 

- Mademoiselle Emeline de La Garde !

 

- Oui et alors ?

 

- Cette punaise nous tanne pour que nous fassions un reportage sur l’inauguration de la salle Omnisports de Courcelles, où ‘’ son Ministre’’, sera présent.

 

- Oups ! Je lui avais promis d’envoyer quelqu’un.

Qui devait couvrir l’évènement ?

 

- Michel

 

- Impossible de l’envoyer, il est au palais de justice.

Benoît est chez Fluide Gazeux, Jacques est au Spiroudôme.

 Laurence ? 

 

- Elle se trouve à l’inauguration du nouveau bureau de Poste de Gilly.

 

- Martine ?

 

- Elle est à Thuin ?

 

- Stéphane ?

 

- Au lit avec la grippe !

 

- Il ne reste personne ?

Même parmi nos correspondants ?

 

- Il reste bien quelqu’un.

 

 

- Qui donc ?

 

- Ernest Tirtiaux.

 

- Ernest, celui qui écrit la rubrique du pidjoneux ?

 

- Ouais ! C’est tout ce qui nous reste en rayon.

 

- Bon, appelle-le, comme ça, Mademoiselle de La Garde nous foutra peut-être la paix !

 Et que Dieu nous préserve d’une nouvelle catastrophe !




Chapitre 3



Ernest dépose, sur la vieille table rouillée de la terrasse, une abominable toile cirée orange à grosses fleurs vertes.

Il dresse le couvert et dépose au centre de la table un plateau copieusement garni d’un assortiment de charcuteries et fromages.

Derrière lui, les jappements profonds d’un énorme Saint Bernard se font entendre.

 

- Ah ! Mais c’est ma Tara !

Tu as semé ton maître fifille ?

Tu veux peut-être un petit quelque chose à manger ?

 

Assise, les oreilles dressées, l’œil vif, l’énorme queue touffue martelant joyeusement la terre, la chienne lui répond par quelques ‘’woufs’’ très intéressés. Ernest lui tend un bon gros morceau de saucisson.

 

- Quand je pense que les dgins disent qu’ils ne leur manquent que la parole moi, je pense qu’ l’ nature est bien faite !

S’ils avaient la parole, ce serait comme avec les coumères, on aurait juste le droit de se taire !

 

 Dans son dos la grosse voix de Georges retentit.

 

- Ey, adon ! On d’vise tout seu’ ?

 

- Ben oui ! Depuis plus d’ soixante ans que dj’ sus célibatair’…

 

- Vous n’avez qu’à vous mârier !

 

- Asseyez-vous, à l’ place de dire des bièssetries. Vous avez ramené vos bon pâté ?

 

Georges dépose sur le plat, une belle grosse tranche de viande délicieusement odorante, et les deux amis attaquent de bon cœur le casse-croûte improvisé.

Tout en mangeant, Ernest le vieux célibataire et Georges, le veuf joyeux refont le monde comme à leur habitude.

 

- Qu’est ce que vous pinsez de mon pâté ?

 

- Il est rudemint bon ! C’est chez Firmine qu’on vind ça ?

 

- Oyie ! C’est Louis qui m’ l’avait fait goûster. Au fait vous avez des nouvelles de Louis ?

 Commint c’est qui va, c’lâcheur !

 

- Y va bie ! Y m’escrit qu’avec le soleil de Provence, il a moins mauw s’ dos et ses rhumatiss. Y court comme un lapin , maintenint !

 

- Est-ce qu’i' se plaît ?

 

- Ça a l’air ! Y fait d’jà partie du club de coulons et y prind souvint l’apéro au bistrot du coin !

 

- Ah, ça ! C’est bien not’ Louis !

Au moins, y n’ voit pas tout c’est qui s’ passe ici !

Vous avez lu din vos Gazette, qu’il y a quo un éch’vin  carolo qui aurait fait des siennes ?

Mais ça n’arrêt’ nin !

 

- Ouais, dj’ vos l' dit comme dj’ l’pinse, dj’suis bie contint de scrire em rubrique du pidjoneux !

 

- Au fait z’allez scrire quoi cet’ semain’ ?

 

- Dj’ pinsais parler du concours à Bourges et dj comptais un peu sur vos.

 

- Sur mi ?

 

- Dj’ pinsais scrire un papie sur vos coulons spécials, les ‘’Queues de Paon canadiens’’

 

- C’est vrai qu’c’est des fameuses biètes !

Dis-donc em camarade c’n’est nin vos téléphone qui sonne ?

 

Ernest se précipite vers la cuisine et décroche le combiné.

Au bout du fil, Marie, lui explique tous les problèmes qu’elle rencontre au bureau et lui demande si exceptionnellement il ne peut pas la dépanner en allant à l’inauguration de la salle Omnisports.

Tout heureux de pouvoir rendre service, Ernest note les renseignements et après avoir salué Marie, il rejoint son ami.

 

Georges, curieux comme une pie demande :

- Ça stie l' journal ?

 

- Oyie, quo ch’est qu’ vous faites au nut ?

 

-Mi ? Rie.

 

- Ça vous dirait de v’nir avec mi pour un reportach’ ?

Après, on boira un verre su’l compte du Miniss’ !

 

- Su’ l’ compte du Miniss ? Tout chûte !

Y aura des p’tits fours ?

 

- Des p’tits fours, dje n’ sais nin, mais des sandwichs ça c’est certain !

 

- Dj’ dois yèsse prêt à quèl’ heure ?

 

- Dj’ vi vos qué à sept heures.

 

 -  Bon, ben salut, dj’ cours met’ em bia costume dit Georges en se dirigeant, vers sa petite ferme, le Saint-Bernard sur les talons.




Chapitre 4



Dix-huit heures quarante-cinq, Ernest ferme soigneusement la porte de la cuisine et se dirige vers sa voiture en sifflotant, il dépose sur le siège arrière son appareil-photo et son carnet de note, puis il démarre.

Il est ravi de constater que devant la ferme rose, Georges l’attend déjà.

Waow, se dit Ernest, il est tout chic ! Espérons que le costume ne sente pas trop la naphtaline !

 

- Bondjour, dit Georges en s’installant, vous avez tous vos arnas?

 

- Oui,  quo ch’est qu’on fait, on prind pa’ Gosselies ?

 

- C’est vous l’tchauffeur, vous faites comme vous v’lot !

 

Au bout d’un quart d’heure de route, Georges commence à s’agiter sur son siège.

 Il fait sombre, il ne voit rien,  il ne reconnaît pas le chemin. Or, depuis sa plus tendre enfance, sa hantise est de se perdre dans les campagnes profondes.

Même en sachant qu’Ernest déteste parler en roulant, il n’y tient plus.

 

- Vous êtes bie sûr d’ connaît’ èl tchemin ?

 

- Oh non ! Georges, vous n’allez nin commenchie ! Oui  dj’connais l’ tchemin, tranquilisez-vo’s !

 

-Y m’simb’ qu’y a brâmint des pâtures !

 

Excédé, Ernest se contente de répondre par un grognement de mépris.

Il a beau connaître le petit travers de son ami, cela a toujours eu le don de l’énerver.

Heureusement, se dit- il, la salle sera bientôt en vue !  

Et au détour d’une petite route sinueuse, la nouvelle salle apparaît dans toute son affligeante banalité architecturale.

Mon Dieu, que c’est moche, pense Ernest, ça doit encore être un fils de.., un mari de… ou un cousin de … qui est l’auteur de cet hideux et dispendieux édifice !

Il se gare près de la porte d’entrée, et avec une fierté un peu naïve, il prend son matériel ‘’du parfait petit journaliste-reporter ’’.

Lorsqu’ils entrent dans le bâtiment, leurs narines sont sauvagement agressées par quelques indélicats fumets d’écoulements.

 Hmm ! se dit Ernest, ils ont encore lésiné sur le budget des égouts !

 

Toujours très diplomate, Georges s’exclame à voix haute :

- Dj’ ne sais nin c’que vous en pinsez, mais, mi, j’trouve que ça sint meilleur din m’ cinse !

 

 Ernest fiche un grand coup de coude dans les côtes de son copain.

-Hé, rastrint ! On ne sait jamais qui c’est qui est padrie nous !

 

Et la voix de derrière de commenter :

- Mi dj’ sûs d’accord avec môssieur, ça sint aussi meilleur dins m’cinse !

 

Alors qu’ils pénètrent en riant dans la grande salle Omnisports, flambant neuve, Ernest est apostrophé bruyamment par un géant

 barbu :

-Ah ! Mais, c’est le grand journaliste du Matin !

 

 Il se retourne et voit son confrère de la Dernière Heure.

Tout en se dirigeant vers lui, il lui rétorque rieur :

- Mais c’est notre Armand ! La plus belle plume de la DH !

  Salut, mon vieux, tu es aussi de service ?

 

- Bah je suppose que comme chez toi, il ne restait plus beaucoup de monde à la rédac ! On a donc mis les pidjonneux à l’ouvrage.

 

- Ouais, c’est aussi la panade chez nous.

Armand, je te présente mon meilleur ami : Georges Lebrun.

 

- Enchanté, Monsieur. Dis Ernest, pendant que tu travailles, j’vais d’jà occuper l’ terrain près du buffet !

 

- Très bonne idée ! Mets-nous un verre de côté et sauve aussi quelques bonnes petites choses à grignoter !

Ouf ! Je suis content d ’être là , j’avais peur d’être en retard !

 

-Ne t’inquiète pas dit Armand. Y parait que le bourgmestre sera un peu en retard et il ajoute en riant :

- Il a eu un vêlage difficile !

 

- Ah oui, c’est vrai qu’il est vétérinaire !

Aah ! Vla le Ministre, préparons l’attirail !

 

Pendant que les stylos-billes et les carnets sortent, les appareils-photos et caméras se mettent au point, Mademoiselle Emeline de la Garde, très gracieuse dans son tailleur-pantalon noir veiné de blanc, distribue d’un geste élégant les fardes de presse.

Le crayon à la main, Ernest s’apprête à noter les saillies de Monsieur le Ministre, lorsqu’Armand lui murmure à l’oreille :

 

- T’as vu ton copain ? Il ne perd pas de temps !

 

Et en effet, Ernest voit au loin, un Georges, passé de l’autre côté du bar qui drague adroitement une accorte serveuse quinquagénaire.

 

 Le regard amusé, il se retourne vers Armand  :

- C’est un rapide le gaillard !

 

Les toc- toc, les allo-allo, les 1,2,3 dans le micro et le ‘’ tout le monde m’entend bien ?’’ rappellent les deux compères à l’ordre.

 Le show va commencer.

Après les congratulations d’usage et son traditionnel discours mégalo-lénifiant du style ‘’c’est moi qui ai tout fait, tout vu, tout lu et les autres je les em….’’,   Monsieur le Ministre Dutry, sourire carnassier  se dirige d’un pas royal vers le cordon inaugural.

En bon professionnel de la com., il reste pendant une plombe avec les ciseaux prêts à couper le ruban. Aimablement, il sourit, à gauche, au centre et à droite. Il faut s’assurer que les reporters de toutes tendances aient le temps de prendre une photo de son meilleur

 profil ! 

Enfin il découpe le galon et invite la presse au verre de l’amitié.

La nuée des voraces se précipite au buffet. Sus, au premier qui attrapera le verre de pétillant, tiède.

Pendant ce temps, élections obligent, Monsieur le Ministre  Dutry, le mousseux à la main (il déteste le champagnisé, il va encore avoir le brûlant !) tel le vulgum pecus, s’encanaille parmi les ruraux et la populace. Une poignée de main par-ci, une promesse électorale par là, il virevolte, il sourit, l’espace de quelques photos prises au pseudo-débotté, puis il s’éclipse promptement car il lui faut encore honorer de son ineffable présence la distribution des labels de la tarte al djote à Nivelles.

 

 Ernest est content de lui.

 

- Tout est dans la boîte comme ils disent à Télé Sambre ! Je crois que les photos seront bonnes. Et puis avec la farde de presse, on a tous les renseignements. Il ne faut donc pas se tracasser.

On a bien le temps de se prendre  un petit rafraîchissement.

 

 Il apostrophe son confrère de la DH,

- On va s’en jeter un petit ?

 

 Difficilement, Ernest et Armand se frayent un passage parmi la pléthore des inamovibles pique-assiettes.

 

Arrivés près du buffet, Georges leur tend un verre de bulles toutes fraîches et toutes dorées en murmurant :

-  C’est de la cuvée du mayeur vous verrez, c’est du bon ! C’est Annie qui nous l’a servi ! 

 

Ernest tu te souviens d’Annie ?

 On était ensemble à l’ maternelle, chez sœur Renée !

 

- Un peu embarrassé il répond un vague ‘oui’, il me semble que je la reconnais !

 

Puis en parfaits gentlemen, Armand et Ernest, lèvent leurs verres à la santé de cette brave Annie qui les dorlote si bien !

 

 Lorsqu’il n’y eut plus de petits fours, ni de pains-surprises et que le vin du mayeur s’en vint à manquer, les trois compères décidèrent de prendre congé de la charmante ‘’Annie de la maternelle’’. Diplomates, Armand et Ernest quittent les lieux en premier, histoire de laisser un petit peu de champ à l’ami Georges !

En attendant le dragueur impénitent, les deux pidjonneux discutent concours, élevage. De loin, ils aperçoivent leur compère, fourrer d’un geste prompt, un petit billet de papier blanc, dans la poche.

Armand et Ernest se regardent, puis ils se flanquent à rire :

- Sacré Georges, il n’aura pas perdu sa soirée !

Un dernier au revoir sur le pas de la porte et les deux amis se dirigent vers leur voiture.

 

A ce moment, dans l’obscurité, un homme les interpelle : ‘’ c’est vous le grand journaliste du Matin ?’’

 

Ernest se retourne : Euh, oui, c’est moi, pour quoi ?

 

L’homme lui tend une grosse farde rouge et s’enfuit.

Le dossier dans les mains, Ernest semble changé en statue de sel.

 

C’est Georges qui reprend le premier ses esprits :

- Ah ben ça alors ! dj’ai cru nous estions attaquie.

Quo ch’est qui y a dins c’ fard’ ?

 

- Dj’ sais nin, mais, à m’n  aviss, y a rie d’ bon là dedins !

Vite, montez dins l’auto, on ne sait jamais ….

 

Désorientés, ils font le trajet du retour en silence.

 

 Si Georges ne songe qu’à prendre connaissance du contenu du classeur vermillon, Ernest, lui se pose un tas de questions.

- Bon sang de bon Dieu, pourquoi, moi se dit-il !

Pourquoi ce type m’a-t-il donné cette farde ?

Et que peut-il bien y avoir là-dedans. Pourvu que ce ne soit pas une affaire Dutroux bis.

Pour une fois que je sors de ma rubrique habituelle !

Il ne m’arrive que des mouscailles.

Et si, je jetais cette maudite farde dans un buisson. Personne, n’en saurait rien. Oui, mais d’un autre côté, si c’était important …

 Pouffff ! On n’a pas tous ces tracas avec les pigeons.

 Comme disait mon grand père : ‘’au p’us dj’ devins vîy, au p’us dj’ connais les dgins, au p’us dj’aime mes coulons !’’

 

Bon, ben, nous vl’a à l’ maison de Georges.

Petit Jésus, faites qu’il ne me laisse pas tomber.

 

- Georges ? Dj’vous dépose à vos maison ?

 

- Commint à l’maison !!! Ah, mais, non !

 Mi, dj’ veu vire c’qu’y a dins l’fard’.

 

- Ça n’ peut nin rattinte jusqu’à d’min ?

 

- Nenni, dj’ n’arriverais nin à frumer l’œil d’el nut.

On va   vire ça, maintenint, chez vous.

 

Mentalement Ernest, bénit son camarade, mais pour tout l’or du monde, il n’avouerait qu’il a la trouille.

 

 Aussi, il lui répond d’un ton bourru :

- Bon c’est comm’ vous v'lot !

 

Arrivé dans la cour de la ferme, Ernest ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil alentour, il n’a pas l’esprit tranquille…

En vitesse, il ouvre la porte de la voiture, récupère son matériel, la farde, et se précipite vers la cuisine.

Georges s’engouffre derrière lui, referme la porte et nerveusement fait jouer la clef dans la serrure.

D’une même voix, les deux compères exhalent un soupir de soulagement !

Ils sont à l’abri.

La farde est là, rutilante, inquiétante, malfaisante, posée, là, sur la table.

Ernest et Georges sont fébriles.

Il regarde la chose hideuse sans arriver à se décider.

Que faut-il en faire l’ouvrir ? La brûler ?

Ernest, debout devant la table, serre les poings de plus en plus fort, ses jointures deviennent blanches, puis dans un élan il tend le bras vers l’objet du diable.

 

 Georges le retient :

- Et si c’estait des papies sur l’affaire Dutroux.

Méfions-nous, y a déjà  eu des mourts dins s’ n’affaire là !

Et le gaillard qui nous a stitchie ça dins les pattes, il n’avait nin l’air trop catholique.

 

-  Misère de Misère ! Mais quo ch’est qu’ nous  z’allons faire avos cett’ affaire là ?

 

C’est Georges qui dans un énorme élan de courage, va poser le geste définitif.

D’un mouvement décidé, il dénoue les rubans, ouvre la farde et inspecte le contenu.

 

Avec un soupir de soulagement il s’assied et dit à Ernest :

-         ène vous inquiétez nin, c’est ni grav’. Il n’y a foc des papies et

 des plans d’architec’!

 Ouuuf ! Comme deux vîys sots, on s’est tracassé pou rin !

 

-  Ça m’ simb’ bizarre répond Ernest !

Moustrez mi ça !

 

Il feuillette à son tour et découvre des plans  cadastraux,  des copies d’actes d’achats rédigés par un certain notaire Dugoulot et quelques lettres en anglais.

Les documents qu’il consulte  lui font plutôt penser à une affaire d’héritage. Mais pourquoi, diable, irait-on lui donner copie d’un dossier de succession ? Etrange.

 

-  Dj’ pinse qu’y faudrait regarder à ça d’main, après une bonne nut !

Quo ch’ est que vous in pinsez Georges ?

 

- Oyie, à c’t’ heure que dj’sais c’qui y a dins l’ fard’, dj’ va bé dormir !

Allez, bonne nut !

 

Du pas de la porte, taquin, Ernest crie en riant : 

- Bonne nut ! Et faites de beaux rêves avec voss n’amie Annie !

 

Méprisant Georges lui rétorque : jaloux !

Et d’un même bon cœur les deux amis se mettent à rire.




Chapitre 5



Dès 6h, Ernest est à pied d’oeuvre. Il se prépare à rédiger son article. Sur la table de la cuisine, il range soigneusement, devant le vieux cahier d’écolier fané qui lui sert de brouillon, ses crayons bien taillés et  une  énorme gomme rose.

Pendant deux heures, il gratte, biffe, rature. Puis estimant son article abouti, il rapporte du salon, sa vieille machine à écrire mécanique.

Il saisit deux feuilles de papier blanc entre lesquelles il glisse un papier carbone, puis il introduit l’ensemble dans le rouleau de la machine.

À deux doigts, péniblement, il martèle les touches du clavier pour transcrire son article ‘’au propre’’.

Un peu plus tard, habillé de frais, il se glisse dans sa petite voiture pour aller livrer sa copie et ses photos au cœur  de Charleroi.

Il est le dernier à procéder comme cela.

Les autres correspondants travaillent avec Internet et Domenico lui a déjà signifié qu’il serait bien venu pour lui d’acheter un ordinateur.

 

- Mais, se dit-il, acheter ‘’c’tengin là’’,  pour quoi faire ?  Je travaille avec mes fiches et ma vieille Remington ! C’est écolo, ça ne consomme pas de courant et ça ne fabrique pas de mauvaises ondes ! Et puis, le jour où ‘’Monsieur le Rédacteur en Chef’’ m’obligera à acheter un ordinateur, moi, je lui tirerai ma révérence et adieu le journal !

 

Arrivé dans la pagaille automobile carolorégienne, Ernest est un peu tendu.

 On quitte la civilisation à Oignies et arrivé à Charleroi, c’est la horde sauvage, grogne t-il !

 

Il saute sur le frein. Voilà, encore un jeune excité  avec une BMW qui me fait une queue-de-poisson, chauffard !

 

 De rage, Ernest klaxonne. Mais, c’est pas vrai ! Il me fait un bras d’honneur ce petit salopiaud !

 Pfff ! y a même plus d’ respect pour les vieux !

 

Péniblement pare-chocs contre pare-chocs, il descend le boulevard  Tirou.

 Venant par la gauche, une pétasse blonde, le portable à l’oreille, à bord d’un énorme 4x4 noir, lui grille la priorité.

 

Furieux, Ernest s’agite comme un beau diable dans son petit aquarium rouge.

-Alors là ! C’est le bouquet !

 C’est quo ène coumère !

Mais, c’est pas Dieu possible ! Elle a eu son permis chez les pygmées !

 

Lentement, péniblement, il approche du quai de la Sambre et enfin, la chance lui sourit ! Une magnifique place, juste en face du journal, lui tend les bras.

 

 -Ouf ! Pour une fois je n’aurai pas un quart d’heure à faire à pied.

 

Prudemment il traverse, sonne à la réception, pénètre dans le sombre couloir, gravit les marches en granito, plutôt cracra et ouvre la grande double porte blanche.

Un salut à l’alentour, personne ne lui répond ; il est vrai qu’ils ne sont pas très chaleureux dans cette rédaction et les petits rubricards ne méritent pas qu’on lève le nez de son précieux travail.

 

-  Bande de pignoufs marmonne Ernest.

 

 Ah voilà Marie, mon petit soleil, comment vas-tu m’fille ?

 

- Ça va et toi ? Et le buffet du Ministre, il était bon ?

 

- Bin, on voit que les élections approchent ! On a eu du bon mousseux et des pains-surprises fourrés avec de la salade de crabe et du saumon fumé ! Excusez-moi du peu !

 

-Woaw dit Marie en riant, ils ont sorti le grand jeu !

 

- Tiens, voilà mon article et les photos !

Je repasserai mardi pour te déposer celui sur le concours de coulons à Bourges.

 

- C’est parfait.

 

- Oh, Marie, j’oublie de te dire. Quand j’étais sur le parking à Courcelles quelqu’un m’a donné une farde avec des documents, je pense qu’il doit s’agir d’une sorte de projet de réserve naturelle, qu’est ce que j’en fais ?

 

- Écoute, nous sommes débordés avec toutes les affaires.

 Alors regarde ça et si cela vaut la peine, tu nous fais un petit papier.

 

-  OK, on fait comme cela. Au revoir Marie.

 

- Au revoir l ’pidjoneux.

Et ne déclenche pas l’alarme en oubliant d’appuyer sur

l’ouvre-porte !

 

Sans omettre d’appuyer sur le précieux sésame, il descend prudemment le sombre escalier bordé de piles de journaux.

 

 

 

 

En sortant, il ne peut s’empêcher de prendre une grande bouffée d’air frais.

 

- Pff, il fait malsain dans ce bureau !

 Je n’ai vraiment plus l’habitude de l’air conditionné !

 Rien de tel que l’air ‘’pagne de la campure’’ se dit-il en riant.




Chapitre 6



Dès qu’il quitte l’agglomération carolorégienne, il ouvre ses fenêtres. Heureux, il hume à pleins poumons l’air des prairies, des petites fleurs, des veaux et des petits cochons.

Le porche de sa ferme franchi, il gare sa petite Panda rouge.

Il rentre, d’un pas énergique, en sifflotant, il gravit les marches qui mènent à l’étage et pénètre dans sa vieille chambre de garçon, à la tapisserie beigeasse, délavée, aux meubles tristes.

Précautionneusement, il retire sa veste, son pantalon, sa chemise blanche. Et après en avoir chassé la poussière carolorégienne, à grands coups de brosse, il place l’ensemble sur un cintre qu’il range méticuleusement dans l’armoire et se coule avec délice dans son informe pantalon de velours brun et son vieux pull de tricot rouge, confectionné par maman.

Il redescend, enfin à l’aise, heureux à l’idée d’aller retrouver ses oiseaux.

Lorsqu’il ouvre la porte du pigeonnier, un tintamarre de roucoulements, de piaillements l’accueille.

 

- Oui les cocos ! Il y a du retard dans l’intendance ! Je sais.

 Mais ne vous inquiétez pas, papa va vite arranger cela.

 

Il ouvre les volières et libère les oiseaux.

 

- Aujourd’hui les petits, ce sera ‘’service minimum’’,   papa a du travail.

 

 

En vitesse, il réapprovisionne les cages, puis il redescend.

En traversant la cour, les tiraillements et les gargouillis de son estomac lui rappellent qu’il est bientôt l’heure du dîner.

Il s’immobilise un instant. Que vais-je  bien pouvoir manger ?

 

- Une bonne omelette au lard avec une petite salade !

Ouais, ça me tente.

Je vais aller voir, si mes fifilles ont pondu.

 

Dans le grand poulailler un peu branlant, six imposantes poules rousses, au plumage luisant et à la crête rouge recherchent avec obstination des vers de terre à tendances suicidaires qui amélioreraient de beaucoup leur ordinaire.

Au bruit de la porte, les six ‘’estomacs sur pattes’’ (quoique toujours répertoriés dans la famille des gallinacés), après un rapide volte-face, foncent vers l’arrivant en espérant l’aumône de quelques grains.

 

Ernest, les jambes empêtrées dans un capharnaüm de plumes s’écrie en riant :

 - Attention les fifilles, poussez-vous, laissez passer papa !

 

Délicatement, il saisit dans le pondoir généreusement garni de paille fraîche, cinq gros oeufs et les dépose dans son vieux panier d’osier.

 Dans le potager, il prélève quelques tendres plants de salade, quelques jeunes oignons et un brin d’estragon. Satisfait, de sa cueillette, il s’en retourne à la cuisine se pourléchant à l’avance.

 

Alors qu’il fait sauter avec application ses petits lardons, Georges par l’odeur alléché s’encadre dans la porte :

- Hmmm ! Mais qu’ça sint bon d’auci ! Quo ch’est  que vous fristouillez là ? 

 

-Dj’  fais une omelette au lard, avec un boquet d’ salad’. Si vous v’lez un morciau, il est temps d’el dire, dje vais rajouter les œufs !

 

 - Oh ! C’est demindé si gentillemint !

Dj peu mett’  el tab’si vous v lez?

 

- Ce serait une bonne idée. Comm’ y fait bon, j’pinsais dîner

dehors !

Tiens, vous n’êtes nin v’nu avec vos Kièt ?

 

- Si, Tara doit yèsse là.

Tara, oû t’es m’ petit?

 

L’impressionnante masse blanche et cuivre, les énormes babines flottant au vent, arrive au galop.

 

- À te v’la ma  fifille, viens chez tonton Ernest, j’ai des petits morceaux de viande pour toi !

 

Goulûment l’animal se rue vers l’assiette et la torche en quelques coups de langue ; puis il va se coucher sur la terrasse aux pieds de son maître.

 

- Attention, desgadgi l’ piste, j’arrive, crie Ernest.

Il dépose sa lourde poêle de fonte noire sur la table et partage l’omelette baveuse, crémeuse et odorante à souhait.

Après avoir englouti ces agapes inopinées, les deux amis, les mains sur l’estomac, digèrent au soleil.

 

- Mais qu’c’estoy bon  dit Georges ! Mes félicitations au chef !

 

- C’esto just’ ène omelette !

 

- Ouais, mais une bonne omelette, comme du timps d’m Rose !

 

- Ah, Ça ! c’t un complimint ! Rose c’esteut in fameux cordon bleu ! D’ailleurs c’esse t’elle qui m’a appris l’recette.

 Elle nous manqu’, soupire Ernest !

 

- Et oui ! Même si on dit du mal des coumères, faut bie l’dir’ comm’ c’est, sans elles nous estons là comme deux vîys croûtons rassis !

 

- Eyèt, m’ Georges ! I m’ simbe que vous n’avez nin d’ moral audjourd'hui !

 

- C’est vraî  c’esse t’un jour sins…

 

- Et si nous spluchions les papies d’hier !

 

- C’esse t’une bonne idée ! D’ailleurs c’est pour ça que dj’ v’nais! Dj’a retrouvé dins m’guernie des vîys livres d’escole in Inglais.

Les v’la s’exclame-t’il Georges, tout fier, en montrant un grand sac en plastic ! 

 

- Bon, ben, dj’ vais qué l’ fard’ rouche. Nous n’ s’rons nin trop de deux pou’ traduire ces affaires-là !

 Je n’ai plus parlé inglais depuis mes humanités !

Et encore, c’estie nin fameux ! J’estie à chaque fois pèté à

l’examen !

À défaut d’comprindre, on aura p’têtre une franche partie d’ rigolad’ crie Ernest allant rechercher le dossier dans le vieux secrétaire du salon.

Il revient les bras chargés, et dit en baissant le ton:

- Faut qu’j’ vo’s l’ dise au cas où…Dj’a stie faire des photocopies et dj’ai muchie les oridginaux dans m’pigeonnie.

 

- Vous croyez vraimint qu’ nous tenons là l’affaire du sièc’ ?

 

-Dj vous l’ dit comme dj l’ pinse, Georges, cette affaire ne sint nin bon !

 

Pendant que Georges rassemble les documents anglais, Ernest, de sa belle écriture ronde, écrit sur la première page du vieux cahier de brouillon : ‘’Traduction des documents anglais’’.

Ensuite, il saisit la vieille latte en bois (un cadeau de Noël  1952 de la blanchisserie, l’étoile) et d’un coup de crayon à l’aniline, rouge sang, il souligne doublement la phrase. 

 

- Bon ben, comminchons ; Donnez mi èl premier mot, suggère Ernest.

 

- réââl;

 

- Commint qu’ vous dites ?

 

- Dj’ dis réââl, comme el Réââl de Madrid, èl club de foot !

 

- Real,… ça veut dire : vrai.

 In aut’ !

 

- Essetââteu .

 

-Commint ?

 

- Mais vous d’v’nez sourd ou quwè ! Essetââteu !

 

-Dj’ n’ comprinds rin ! Laissez mè vire ça !

Ah ! Estate !

 

- C’est tout de même ça que j’ disoûs. 

 

- Ouais à peu près !

 

 Georges vexé :

-Commint ça à peu près !

Dj’ n’ in  peu rie, si ces dgins là ne scrivent nin comme nous ! Waitez c’ mot là ‘’ t-h-e’’ Commint qu’ vous v’lot prononcie ça ?

Ça m’estonne nin qu’on appelait l’Ingleterre ‘’El perfide Albion’’ faut yèsse perfid’ pour scrire des affaires pareilles !

Deux consonnes pou’ commincer un mot, ça n’a pas d’allure !

 

- Quand vous aurez fini d’râler !

Estate cela veut dire Terre.

Donc real estate, ça veut dire : vraie terre !

 

Tout emballé Georges rétorque :

-  Ça y est ! Dj’a  tout compris !

Y rakattent des fausses terres ici et ils les r’vindent comme vraies terres aux inglais !

 

- Mais ne dites nin d ’bièsteries ! Commint vôlez-vous rakatter des fôsses terres ?

 

 Bougon, Georges rétorque :

- Boh, c’estait ène idée comme çà ! Mais puisque dj’n’ dis qu’ des bièstries et bin d’abord dj’ dis pu rin !

 

La lippe boudeuse, les bras croisés sur la poitrine, Georges donne tous les signes extérieurs de l’offensé.

Et Ernest qui a un ‘’petit cœur’’, ne peut supporter l’idée d’avoir chagriné son ami.

 

- Ascusez-mi, dj’ a stie maladroit ! Vos m’ pardonnez ?

 

-Bie sûûr hin ! Grand couillon ! Dit Georges dans un grand éclat de rire.

 

- Milliard de Djie, vous m’avez quo eu, réplique Ernest en riant.

C’est pas tout ça, mais je pinse avoir trouvé  ène  aut’ affaire. Waitie un coup, ici dins l’dictionnaire. Real Estate Agency c’èsse t’ ène agince immobilière !

On va s’partager el boulot, mi dj’ va essayer d’ traduire  et vous, vous  essayie d’ met’ del ord’ dins les tas d’ papies et d’les classer  par

dates.

Pendant que Georges classe, Ernest, tente de se focaliser sur ses traductions.

 

Au bout d’un long moment, intrigué par un inhabituel silence, il lève le nez et voit son ami tout pâle qui lit et relit un feuillet, il l’interpelle.

- Vous avez trouvé quéqu’chose ?

 

-  Je ne sais nin, mais ça m’ simb’ bizarre. Pourquwè qu’i’ y aurait une copie des terrains derrière chez nous dins un documint in Inglais ?

 

-   Quwè ! Moustrez mi un peu ça.

 

-  El Blocus, el Luthéal, el Champ Martin, milliard de Djie ! Mais c’est vrai ! y a quéquin qui rakatte les pâtures ici derrière. Et pourquwé in Inglais, f’rait une histoire pareille ?

 

- Y a quo une aut’ affaire. Comme c’estait in Inglais, on a pinsé qu’il s’agissot de l’Ingleterre, mais c’ n’est nin ça.

 

- Commint c’ n’est nin ça ! dit Ernest éberlué.

 

- Pas tout à fait, waitez un cauw el nom et l’adresse de l’agince immobière.

 

- Ouais. Immo, Clémentine  Sint-Hélier, à Jersey in Ingleterre.

 

- Et non, répond Georges. C’èsse t’à Jersey, oyi, mais dins l’île.

El paradis fiscal. Et Sint-Hélier c’n’est nin l’ nom d’ famille d’ mamzelle Clémentine, c’èsse-t’èl capitale.

Donc, à m’ n’aviss, c’èsse suremint une histoire de frôde ! 

 

- Commint qu’ vous savez tout çà vos ?

 

- Vous vous rappelez bin d’ Châles, Châles Smith, el pidgeonneux  inglais? C’ui qu’estoût v’nu pou’ les 20 ans du club.

 

-Oyie, dj’min rappelle.

 

- Hébè, il estait d’St Hélier, su’ l’île de Jersey. Et c’est li qui m’a rasconté les histoires des gros bonnets qui v’not là  pour muchie leurs liards.

 

- OOOH ! dit Ernest, mais alors, c’èsse t’ ène  tout aut’ affaire.




Chapitre 7



Ils lisent, relisent, analysent les cartes. Et enfin un semblant de vérité commence à se dessiner. Il semblerait qu’une société internationale ayant sa succursale en Belgique, sous couvert d’écologie, rachète les terrains le long de la grand’ route. Mais fait bizarre, cette société revend ces mêmes terrains à une société immobilière établie dans la capitale de l’île de Jersey.

 

-Vous voyez, Georges, y m’ simblout bin qu’ c’estoût nin claire  cet’ affaire-là !

Mais, Cint milliard ! Pourquwè des Inglais y viendraient rakatter nos pâtures ?

 

- Dj’sais ! s’exclame Georges.

 C’est Bryan Air qui  les rakatte  pour faire un nouvia aérodrome !

 

- Neni, y en a d’ja un à Charleroi ! Et puis on construit nin un aéroport comme ça ! Mais vous avez p’être raison. Y a p’être  des projets  dins l’air….Faudrait d’aller vire à l’ commun’ !

J’irai mardi !

Pour l’heur’, il est timps de s’ préparer  pou’ l’ concours de coulons.

Comme on a dit ?  Rindez-vous à cinq heures ?

 

- Oyie, Ad’ taleur !

 

Alors que Georges et son molosse s’éloignent, Ernest se dirige vers son pigeonnier.

Il prépare ses paniers, y place ses champions, descend le tout dans le coffre de sa voiture et démarre.

Dans la jolie ferme rose de Georges, il charge  les précieux pigeons ‘’queue de paon’’ , puis les deux complices se dirigent vers le local de ‘’ la Joyeuse Hirondelle’’.

C’est l’ancienne forge de Tatâve qui sert de lieu de rendez-vous.

A peine arrivé, Ernest est apostrophé par Nounoul, petit râblé, toujours revêtu de son impeccable tablier gris amidonné et de sa casquette rouge à carreau. Nounoul , joyeux octogénaire est le président du

 club :

- Ah ! Vous v’la enfin Môssieur l ’secrétaire ! Il était temps ! J’ai des crampes dins mes doigts, à force d’écrire !

 

- Minteu ! Dites plûtôt que vous avez soif ! Répond Ernest en riant.

Commint qu’ ca va Nounoul ?

 

- Ça va, comme à quatre-vingt ans, da !

Vous reprenez les écritures ?

 

- Oui, dj’ ne  vais pas laisser un pauv’ homme de quatre-vingt ans dins l’ soif!

Montrez-moi où vous êtes arrivé.

 

- J’suis ici, Mimile c’est fait, Dziré aussi, c’est au tour de Gusse.

 

- Commint qu’ cà va Gusse, dit Ernest ? Et Mélie et les enfants ?

 

- Tout le monde va bien, merci.

 

- Vous inscrivez combien d’ coulons?

 

- 25, répond Gusse.

 

 - Voilà un constateur et voyez avec Victôr pour les bagues.

 

Au bout d’une heure d’inscriptions c’est Ujène qui vient prendre la relève.

Ernest circule et discute de groupe en groupe, avant de se mettre à la recherche de Georges.

Il finit par le retrouver attablé, avec une tripotée d’autres couloneux, buvant goulûment une trappiste brune.  

À la façon qu’il a de trébucher sur certains mots, Ernest se rend vite compte que son ami n’en est pas à sa première tournée !

 

 Ah se dit Ernest ! Il va encore être beau ! Je ne lui donne pas une heure avant qu’il ne chante ‘’ Une belle petite Gayolle, el Doudou et puis Lolotte’’ et si jamais y se met à parler flamint, là, c’est sûr,  j’ suis bon pour aller le border !

 

Alors qu' Ernest ‘’cuisine en douceur ‘’   Rodjï , l’ouvrier communal, pour savoir si il y a des projets de construction dans l’air, Georges en bout de table se lève et entonne un joyeux et sonore  ‘’elle me l’avoz toudis promis….’’

Machinalement Ernest regarde sa montre : huit heures moins quart ! Il a dix minutes d’avance sur l’horaire !

Après quelques considérations cadencées sur le Doudou, St Georges, les gens des remparts et quelques chanoinesses nonchalantes qui seront privées de jambon. Georges, l’œil humide se lance alors dans une évocation dramatico-romantique des premiers émois d’un jeune homme pour une certaine Charlotte dites Lolotte !

Après ce florilège de chansons wallonnes, l’ ami Georges tente de s’asseoir et vu sa réception chaotique, Ernest songe, qu’il ne faudrait pas tarder à mettre le gaillard au lit !

 

Il salue ses amis et s’approche de son camarade :

- Vous v’nez , il est timps d’ s’inraler !

 

- OOOH mais, pas op, hein, Mijnheer Tirtiaux.

 

Ça y est se dit Ernest, il est cuit, il parle flamint !

-Allez v’nez, em vi camarade, faut d’âller dîner !

 

 Georges, debout et grandiloquent s’exclame :

- Neen , Mijnheer Tirtiaux, ik  ‘’ne veut nin’’  naar mijn ‘’ moujonne’’gaan ! Ik will blijven, ici, avec mes vrienden !

 

- Et , vot’ pauv’ petit kièt qui est là tout seu’, et qui a fougne , vous y pinsez ?

 

Georges s’écroule en pleurs sur l’épaule de son ami :

-  Tara, em petite biète, vous avez raîson , dj’ sus un monstre, un mauvaîs maître !  Nos z’y allons !

Bonne nut à tertoute!

 

Avec l’aide de Dziré, Ernest arrive à installer le picoleur dans la voiture.

A peine assis, celui-ci s’endort et se met à ronfler bruyamment !

Bon sang, se dit Ernest en contemplant son compère, cela va être la joie  le monter dans sa chambre !

Arrivés à la ferme rose, Ernest ouvre la portière côté passager et s’en va ouvrir la porte de la cuisine.

Ragaillardi par l’air frais, Georges reprend un peu d’esprit et essaye de s’extraire  de la voiture.

Mais après six trappistes, les choses prennent un malin plaisir à se compliquer et le centre de gravité devient curieusement ondoyant.  Dans un mouvement malhabile, il glisse et se retrouve à quatre pattes sur le sol.

 C’est à ce moment que Tara, le Saint Bernard, très inquiète de l’état de son maître vient le renifler.

 Et allez donc savoir pourquoi, dans son cerveau brumeux  naît l’idée saugrenue de se prendre pour un chien.

À quatre pattes, il fait un petit tour de jardin et puis en suivant la chienne, il rentre dans la cuisine.

 Après quelques infructueux essais pour redresser son complice, Ernest capitule. Et d’une voix forte il s’écrie : allez les chiens, au lit !

À sa plus grande stupeur, Tara, suivie d’un Georges toujours à quatre pattes, escaladent les escaliers. Arrivés dans la chambre, l’animal comme à son habitude se couche sur la descente de lit. Georges épuisé par l’effort, s’écroule à côté du chien et s’endort.

Ernest hisse son ami sur le lit, lui enlève ses chaussures et le recouvre de son édredon rose.

Redescendu dans la cuisine, il prépare un grand thermos de café, sort un bol de l’armoire, garnit de croquettes la gamelle du chien et s’en retourne chez lui en riant : sacré Georges ! Qué guinse !

Le lendemain vers neuf heures, Ernest un peu inquiet s’en retourne à la ferme rose.

Rien ne bouge !

 Il ouvre la porte, sert un bol de café prend un tube d’aspirine et monte à l’étage.

 

 Georges ronfle toujours et lorsqu’ Ernest le réveille, il a beaucoup de mal à se rappeler, pourquoi, à neuf heures, il est toujours au lit !

- J’a stie malade ? demande t’il anxieux.

 

- Non vous avez just’ eu une bonne prone !

 

- Ne me dites nin qu’ dj’ai chanté Lolotte !

 

- Oyie ! Et Lolotte, et l’ p’tite Gayole et  l’Doudou. Vous avez même parlé flamint !

 

- Oufty ! Là j’astoûs bie cuit !

 

- À tout hasard, j’ai monté l’aspirine !

 

- Bah, ça n’va nin trop mauw ! Après une bonne jatte de café, dj’ sarai d’aplomb !

 

Merci d’m’avoir ram’né ! Ç’ n’a nin stie trop difficile de m ’r’monter dins m’chambre ?

 

- Non, ç’a stie comme une fleur !

 

- Comme une fleur ?

 

- Oyie, quand vous êtes rintré, vous vous yèsse pris pou’ Tara et vous êtes monté à quat’ pattes dins vos lit !

 

- Non ! C’est ni vrai ! mais qu’es’ ce qu’on est bièsse quand on a une chike !

- Bon bin, comme vous yèsse in forme, dj’ va m’in retourner ! Allez salut.




Chapitre 8



Mardi matin, neuf heures, dans le couloir plein de courants d’air de l’Administration Communale de Oignies, Ernest mal assis, sur une vilaine et inconfortable chaise de plastique orange, attend son tour au service de l’Urbanisme.

Un ‘’ bzzzzzit’’impératif et une petite lumière verte lui indiquent que son tour est arrivé.

 

 Joyeux, il entre en lançant un :

-Bonjour, Mélie, comment allez-vous mè p'tit !

 

-Ernest ! Quelle bonne nouvelle !

Qu’est ce qui vous amène, ici ?

 

-  C’est le journal qui m’envoie !

Je voudrais vérifier quelque chose sur les plans communaux.

 

- Vous n’écrivez plus votre rubrique du pidjonneux ?

 

- Si, mais avec toutes les affaires de Charleroi, ils sont obligés de rappeler les couloneux en renfort !

Voilà, je voudrais savoir si le long de l’Grand’ route, il n’y aurait pas des projets de construction dans l’air.

 

Mélie, se dirige vers la haute armoire de tôle grise, elle saisit de longs rouleaux, qu’elle vient étaler sur la table du bureau.

Après analyse des documents et quelques coups de fil à différents collègues, l’épouse de Gusse en arrive à la conclusion qu’il n’y a aucun projet dans le secteur de la N556, il s’agit d’une zone protégée, une zone verte. Maintenant, rajoute t-elle, il se pourrait qu’un projet soit envisagé de l’autre côté de la route. Mais là, il s’agit d ’une autre commune et d’une autre province, le  Hainaut.

- Bien, répond Ernest, je vais aller voir à Ponceau. 

Au revoir Mélie et mes amitiés à Gusse !

 

À peine, revenu, chez lui, la sonnerie du téléphone retentit.

C’est Georges qui vient aux nouvelles. Malheureusement, sa traditionnelle curiosité se trouve déçue des maigres renseignements glanés par Ernest.

Mais, réjoui d’entendre que son ami n’a pas l’intention d’en rester là, il lui propose de l’accompagner dans ses prochaines recherches.

L’objectif suivant est fixé au lendemain. Ils iront ensemble à la commune de Ponceau.

 

Avant de raccrocher il rajoute :

- Erness, pou’ d’main, n’oubliez pas d’ prind une farde ! Pou’ in journaliss,  ça fait p’u sérieux ! Allez ! À d’main !




Chapitre 9



Si la maison communale de Ponceau est plus imposante, s’il y a plus de monde dans le couloir, ce sont toujours les mêmes affreuses chaises de plastique orange qui torturent les dos et fondements des pauvres administrés.

Au bout d’une demi-heure d’attente, ils sont enfin invités à pénétrer dans l’office.

À l’accueil, une très classique préposée à lunettes et queue-de-cheval, range nerveusement des documents dans un dossier, lorsque jaillissent d’un local voisin des hurlements et des rustauderies, pour le moins étonnants en ces lieux.

 

-  Nom d’un chien, Madame Fernelmont, ce dossier, il arrive ?  Ça fait une demi-heure que j’attends ! Si ce travail ne vous convient pas retournez à vos casseroles !

 

Effrayée par les vociférations, la jeune employée soubresaute et éparpille les documents sur le sol.

 

Toujours aussi gracieuse la voix continue :

- Et maladroite avec ça !

Dépêchez-vous de ramasser tout  cela, empotée ! D’ici une heure, j’ai rendez-vous avec des investisseurs Anglais.

 

En s’excusant auprès de ces deux clients, l’employée, affolée, se précipite vers le bureau directorial en balbutiant :

- Voilà Monsieur Leley, j’arrive !

 

Après le tumulte,  il règne dans le bureau, un silence angoissant.

 

- Milliard de Djie murmure Georges, il n’a nin l’air commod’ èl gaillard !

 

- Qué grossier merle ! rajoute Ernest éberlué.

 

Les beuglements reprennent de plus bel.

- Vous appelez ça un dossier complet !

 Et les plans ! Et le relevé cadastral !

Nulle, vous êtes nulle, Madame Fernelmont !

Une vraie godiche !

Rectifiez-moi cela au lieu de couiner ! Allez, zou, grouillez-vous, ou je vous fous à la porte !

 

D’une toute petite voix mourante, Madame Fernelmont répond :

- Je vous apporte cela immédiatement, Monsieur Leley.

 

 Le cœur serré, Ernest et Georges observent la sortie de la pauvre petite chose aux yeux rouges emplis de larmes.

Reniflant, les mains tremblantes, l’employée se dirige vers l’armoire aux plans.

 

- Ce sont les relevés de la N556 que vous souhaitez, Monsieur Leley ?

 

- Non, ceux de la cave du Vatican ! Attention,vos jours sont comptés, ma fille ! 

 

Madame Fernelmont, des larmes dans les yeux  apporte en trottinant les épures à son chef et d’une voix chevrotante elle supplie :

- Ne me renvoyez pas Monsieur je suis toute seule pour élever ma petite fille !

 

- Je me fous et contrefous de vos excuses !

Je veux un travail parfait, un point c’est tout !

 Compris ?

Si quelqu’un me demande vous répondrez que je suis en mission jusqu’à seize heures. Et, vous ne me passez aucun coup de fil ! Aucun, vous avez bien entendu Madame ‘’dure de la feuille ‘’! 

 

Une porte claque violemment.

Regardant par la fenêtre,  Ernest et Georges remarquent un homme d’âge mûr, courtaud , rougeaud, qui rejoint à enjambées rageuses un splendide cabriolet Mercédès de  couleur or.

Livide, flageolante, Madame Fernelmont apparaît dans l’embrasure de la porte et éclate en gros sanglots.

 

- Il est parti demande Ernest ?

 

D’un hochement de la tête l’employée répond que oui.

Aussitôt, les deux hommes se précipitent vers la jeune femme.

 

- Venez mon p’tit, asseyez-vous ! Georges va chercher un verre d’eau, prenez mon mouchoir, le vôtre est trempé !

Il est toujours comme ça votre patron ?

 

-  Oui, tous les jours !

 

- En tout cas, dit Georges en proposant  le verre d’eau, si vous avez besoin de témoins pour votre plainte, on est là ! Hein, Ernest ?

 

- Ah ! çà !  Contre un malotru pareil, moi, je témoigne tout de suite !

Et l’employée de pleurer de plus belle !

 

- Merci, c’est très gentil à vous, mais, je ne peux rien contre lui, il a le bras long et moi, j’ai trop besoin de travailler. Vous comprenez, je suis seule pour élever ma petite fille de quatre ans.

 

- Vous ne pouvez pas demander votre mutation, demande le pidjonneux ?

 

- Je ne peux quitter ce service que s’il y a quelqu’un pour me remplacer !

 

- Et ça ne se bouscule nin au portillon, rétorque Georges !

 

- Vous croyez qu’il y a beaucoup de monde qui souhaite travailler avec ce tyran ! Je suis la septième nouvelle employée depuis décembre !

 

 Se sentant mieux Madame Fernelmont demande avec un petit sourire mouillé :

En quoi puis-je vous aider, Messieurs ?

 

- On ne va pas vous raconter des histoires dit Ernest. On a trouvé des papiers qui nous font penser que quelqu’un rachète les prairies derrière chez nous, avec dans l’idée de construire quelque chose, un zoning ou une affaire ainsi et vous comprenez, cela nous inquiète.

 

- Vous pouvez me montrer où vous habitez ?

 

- Regardez, c’est juste là au bord de la N556.

 

- Je vois. Ce que je vais vous dire doit rester entre nous car je n’ai aucune preuve.

 Si je m’en tiens au plan, c’est une zone verte et normalement on ne peut pas en changer la destination.

Mais, il ne m’étonnerait pas qu’il y ait des projets secrets !

 Depuis quelque temps, ces plans sont très souvent demandés, par des architectes, des avocats, des services de la région Wallonne, de la protection des eaux et depuis deux mois que je travaille ici, cela fait quatre fois que je photocopie ce dossier, pour Monsieur Leley.

La farde que je lui ai apportée tout à l’heure, c’était encore à propos de cette zone !

Notez que cela ne veut peut-être rien dire ! Mais, moi, je trouve cela très bizarre !

 

- Merci m’ p’tit, c’est bien ce que mon ami et moi craignons ! Une petite question encore, si on a besoin d’un coup de main, on peut compter sur vous ?

 

- Si je peux vous aider sans me faire renvoyer, je le ferai avec plaisir, ça sera ma vengeance ! 

 

- Merci et au revoir Madame Fernelmont !

 

- Appelez-moi Brigitte, au revoir Messieurs.

 

Dans la voiture, les deux compères commentent les évènements.

- Georges, vous avez intindu comme mi, l’inradji parler d’investisseurs inglais!

 

- Oyie, dj’ l’ai intindu ôssi !

Vous pinsez c’e qu’ j’pinse ?

 

- Ouais, c’t homme-là n’est nin clair !

Demin, dj’sonne à l’urbaniss à Charleroi pou’ prind’ in rindez vous !

 

-Dje vîye avec, dit Georges belliqueux !




Chapitre 10



Arrivés au premier étage de l’immeuble moderne qui abrite les services de l’urbanisme, Ernest se présente à l’employée chargée de l’accueil.

 

- Bonjour Madame, Ernest Tirtiaux, je suis journaliste au ‘’  Matin’’, j’ai rendez-vous à 10 heures avec Monsieur Langloy.

 

- Ah, oui ! Monsieur Tirtiaux.

Monsieur Langloy, vous prie de bien vouloir l’excuser, il a pris un petit peu de retard dans ses rendez-vous. Si vous voulez bien patienter.

 

- Il a beaucoup de retard, demande Ernest légèrement inquiet ?

 

- Un petit quart d’heure.

 

- Bien, je vais patienter !

 

Dans la grande pièce jouxtant l’accueil, autour d’une grande table ovale jonchée de prospectus en tout genre, une vingtaine de personnes attendent résignées.

Ernest et Georges s’asseyent près de la fenêtre.

A côté d’eux, un jeune homme d’une trentaine d’années, affublé d’un blouson de satin noir, d’un jeans effrangé et de vieilles chaussures de sport sans lacets, semble très agité.

Régulièrement de ses doigts nerveux, il pianote sur le dossier qu’il tient sur les genoux.

Au bout de quelques minutes, il se lève comme un furieux et se dirige menaçant vers l’employée.

 

- Cela fait une heure et demie que j’attends, cela va encore durer longtemps dit-il sur un ton agressif ?

 

- Monsieur, calmez-vous, il y a encore deux personnes avant vous, cela sera peut-être très rapide !

 

- Encore deux personnes, hurle t-il ! Mais j’en ai marre moi, Madame ! Cela fait six fois que je viens dans cette foutue boîte et chaque fois, pour des prunes ! Ou il manque un papier, ou l’employé est absent, ou c’est mon dossier qui est perdu ! Si les choses ne s’arrangent pas aujourd’hui, je vous jure que je casse la baraque !

 

 L’employée décroche fébrilement son téléphone :

- Monsieur Langloy, vous voulez venir s’il vous plaît, nous avons un petit souci à l’accueil !

Un peu de patience, Monsieur, le directeur arrive.

 

Du couloir un long homme maigre, dégarni, le teint gris, d’une cinquantaine d’années déboule à la réception.

- Que se passe t-il ici ! Pourquoi ces cris ?

 C’est vous Monsieur qui faites tout ce raffut ?

 

Un peu dompté par l’arrivée du directeur, le garçon l’apostrophe et se lance dans une diatribe des services urbanistiques. Après de longues minutes de palabres, un accord semble trouvé et le jeune homme calmé attend sagement.

 Le directeur, lui, s’en retourne à ses consultations.

 

Georges a observé minutieusement toute la scène et soudain il se tourne vers Ernest et demande à mi-voix :

- Vous d’vez nin faire pipi ?

 

- Non pourquwè ?

 

- Dj’ vous dit qu’ vous d’vez !

Suivez mi !

 

Arrivé dans les toilettes, Georges se livre à une fouille en règle, il tient à s’assurer que personne ne les écoute.

 

- Vous vous prindez pou’ James Bond ? demande Ernest amusé.

 

-  Non , mais dj’ a une idée !

Quind , vous s’rai chez  vot’ grand directeur, l’hômme, il aura devint lui l’ dossier.

 

- Probablemint répond l’pidjonneux.

 

- Mais vous n’pourrez nin mett’ vos nez dedins !

 

- Ah, ça, suremint qu’ non !

 

- Et si comme l’aut’barakî, dj v’nais faire du scandal’ à l’réception. El grand sclaifé serait appelé à l’ rescousse. El dossier, lui, y sera resté sur l’ bureau et vous, ça vous laisserait l’ timps d’ farfouiller à vos n’ aise !

Dès que vous avez tout vu, vous me faites è signe et mi, j’arrête el représentation !

Quo ch’est qu’ vous in pinsez ?

 

- Génial, dit Ernest !

Et vous z’allez arriver à faire ça tout seu’ ?

 

 Gonflant la poitrine, il rétorque:

- Dj’a suivi des cours de théât’ moi Môssieur !

 

 

- Peut’ ê’tes bin, mais c’astoût à l’école primaire !

 

- Un artiste reste un artiste !

 

- Au travail, alors, l’artiste !

 

Lorsqu’ils rejoignent la salle d’attente, le disgracieux individu a disparu.

 

- Tant mieux murmure t-il à l’oreille d’Ernest, ça m’aurait, gênèt de r’jouer l’ même comédie d’vint li !

 

-Monsieur Tirtiaux ? Monsieur Langloy vous attend !

 

-Comme on a dit ? Dj’ comminse el cirque dins dix minutes !

 

Monsieur Langloy, affable, accueille Ernest à la porte de son bureau.

Une poignée de main et il  l’invite  à prendre place dans un confortable fauteuil de cuir noir.

 

- Vous travaillez pour quel journal Mr Tirtiaux ?

 

- Pour ‘’ Le Matin’’

 

- Ah vous travaillez avec Monsieur Embroglia ?

 

- Oui c’est mon Rédacteur en Chef.

 

- Bien, en quoi puis-je vous aider ?

 

-  D’après certaines sources, il y aurait des projets de zoning le long de la N556, avez-vous des renseignements à ce sujet ?

 

- De mémoire, cela ne me dit rien, mais je vais m’enquérir du dossier.

Puis-je vous proposer un petit café, pour patienter ?

 

- Bien volontiers !

 

Mr Langloy ouvre une double porte  et demande :

- Madame Lemarchand, vous pouvez servir un petit café à Monsieur Tirtiaux ? Merci. 

 

Alors qu’il sirote le moka aimablement apporté par la secrétaire, Ernest constate avec joie que le bureau est doté d’une photocopieuse. Ca peut toujours servir ! Je vais peut être verifier si elle fonctionne et s’il a assez de papier, cela me fera gagner du temps

 

Après quelques minutes, Monsieur Langloy revient avec un gros dossier :

- Je ne vous ai pas trop fait attendre ?

 

- Du tout, répond poliment le pidjonneux  qui commencait à s’impatienter !

 

- Nous allons voir cela.

 

Le directeur ouvre le dossier et commence à en prendre connaissance. Soudain des cris se font entendre.

 

- C’est la journée soupire le directeur !

 

 L’employée affolée ouvre la porte du bureau en criant :

- Monsieur le directeur venez vite, il y a encore un furieux qui nous fait une scène, il prétend qu’il est arrivé avant Monsieur Tirtiaux !

 

- Je viens dit le directeur ! Vous voudrez bien m’excuser …

 

- Je vous en prie répond obligeamment Ernest.

 

Les cris se font entendre de plus belle et le directeur se précipite vers l’accueil.

Pendant ce temps, Ernest se dépêche de fouiller le dossier. Il photocopie rapidement quelques documents intéressants, en subtilise d’autres, puis, sortant du bureau, il exécute discrètement un petit signe à l’attention de Georges.

 

Très énervé, Monsieur Langloy rentre dans son bureau.

 - Cet homme est dément, raconte t-il furibond !

 

- On ne l’entend plus crier, vous êtes arrivé à le maîtriser ?

 

- Non, il vient de faire un petit malaise, ma secrétaire lui a donné un peu d’eau, pour prendre ses cachets. Il semble plus calme maintenant ! A-t-on idée de se mettre dans des états pareils quand on est cardiaque !

 

- Ah, il est cardiaque !

 

- Oui !

 

- Dites donc, ce n’est vraiment pas un bon jour pour vous, cela fait le deuxième énergumène qui s’agite de la sorte !

 

- Nous avons sept malades dans le service, nous faisons de notre mieux mais ….

 

- Cela ne suffit pas !

 

- Eh oui ! Si vous permettez, je vais prendre deux aspirines, tous ces évènements m’ont donné une terrible migraine !

 

- Ecoutez, la journée a été bien rude pour vous, mes recherches ne sont pas urgentes, je propose de remettre notre rendez vous. Vous pourrez prendre un peu de repos.

 

- Cela ne vous ennuie pas, rétorque Langloy en se massant les

 tempes ?

 

- Non, pas du tout !

 

Au revoir, Monsieur Langloy !

 

- Au revoir et merci Monsieur Tirtiaux, je vous suis très reconnaissant de votre compréhension.

 

En passant à l’accueil il demande :

- Il est parti le zigomar ?

 

- Oui répond l’employée, après son malaise, il a décidé de rentrer chez lui.

 

D’un pas souple, Ernest, enjoué, descend l’escalier et se dirige vers le parking où Georges patiente.

 

- Alors ? El pêche a stie bonne ?

 

- C’est domache qu’on ne peut n’in refaire el même cauw ! Pour bie faire, c’est tout l’dossier qu’on aurait dû r’copier!

 

- On peut quo l’ voler  !

 

- L'voler comme vous y allez ! Im simb’ que vos représintation vous a donné du cœur à l’ouvrache!

 

- Ouais ! Et pou’ fêter ça, c’est mi qui invite. Ce soir, dj mettrai des bulles au frais !

 

- Oh ! Mais ça  n' se refuse nin !

Mi, j’rapporte el vin ! J’irais vire dins l’ cave d’em pa, y doit quo rester une ou deux bonnes petites z affaires !




Chapitre 11



Rentré chez lui, Ernest met à profit son temps libre.

Il analyse les documents qu’il a détournés et copie soigneusement dans un cahier tout ce qu’il a lu dans le dossier. Le doute n’est plus permis. L’échevin, Leley, essaye bien de faire changer l’affectation d’une grande zone de part et d’autre de la N556 et de la transformer en zoning industriel.

Mais pourquoi ?

Pour l’unique gloire de la Wallonie ?  Ernest éprouve, un léger

doute !

Reste l’hypothèse d’une commission qui lui serait rétrocédée. Mais, cela reste à prouver. 

Les coudes sur la table, Ernest tourne et retourne le problème dans tous les sens. Et soudain, la lumière !

 

- Le Journal ! Le Moniteur Belge ! C’est là que l’année passée, on a rentré les statuts du club de coulons ! Avec un peu de chance, on y trouvera quelque chose !

Quelle heure est-il ?  Quatre heures.

On peut encore téléphoner.

 

- Allo, Le Moniteur Belge ?

Bonjour, Madame, je souhaiterais examiner certains documents chez vous comment puis-je faire ?

….

Bien, je comprends, comme je n’ai pas Internet, je dois me rendre à la Bibliothèque Royale.  Merci pour les informations, au revoir, Madame.

Et bien voilà une bonne chose de faite ! Demain, on éternuera parmi les feuillets poussiéreux !

 

D’un geste qui lui est habituel, Ernest, jette un rapide coup d’œil à sa montre.

- Il est peut-être temps de descendre choisir le vin se dit-il.

 

Dans la cuisine, il ouvre la porte de la cave et avec précaution, il descend la quinzaine de marches de pierre bleue et foule le sol en terre battue de la vieille cave à voussettes .

La réserve vinicole de son père est riche d’une centaine de bouteilles parfaitement alignées et recouvertes de paille.

 Planté devant tant de prodigalités, Ernest reste perplexe. Que

choisir ?

Je n’y connais rien. 

Un Pommard ?

Le nom a déjà l’air sympathique ! Je vais toujours en choisir une autre au cas où…

 Celle-ci ?

Une Vosnes Romanée. Jamais entendu ce nom-là !

 Il ne me reste qu’à espérer que ce ne soit pas de la piquette, sinon l’ami Georges va me sonner les cloches !

 

Avec précaution, il remonte les deux bouteilles, qu’il époussette avant de se laver les mains et de se donner un coup de peigne.

Voilà se dit-il en se regardant dans le petit miroir de la cuisine, tout beau tout propre, je peux y aller.

 

Le panier à provisions à la main, il longe la grande prairie fleurie séparant les deux fermes. Des vaches blanches et rousses y broutent délicatement de tendres brins d’herbes et de délicates pâquerettes. L’air est doux, il embaume le printemps, Ernest s’arrête un instant et contemple heureux ce spectacle pastoral.

 

Si la maison d’Ernest est propre et fonctionnelle, la fermette de Georges est toute mignonne, chaleureuse et coquette.

Lorsque le pidjoneux pénètre dans le petit salon, Georges a déjà préparé les flûtes à champagne et les petits accompagnements.

 

-OOh s’écrie Ernest vous avez mis les p’tits plats dins les grands !

Dites donc ça sint rudemint bon, quo ch’est qu’ vous nous faites de bon ? 

 

- Une vieille recette montoise !

Une d’èm mam’ !

D’ailleurs, c’est bé simp’e n’y a qu ’ça que j’sais faire !

 

- Et c’est quoi, l’ recette de vos mam’ ?

 

- Une côte de porc à l’ berdouille!

 

- Beeurk ! À l’ berdouille!

 

- Mais ni avos del vrai berdouille, hin, innocint !

 On appelle ça à l’berdouille pa’ce que l’ sauce ell’  èsse un peu

brune ! Dj’ n’ vais nin vous empoisonner ! Avos qui que d j’ m’ disput’roûs ?

Vos pouvez servir el mousseux, mi, dj’ m’in r ‘tourne  à mes casseroles !

Si vous v’lot met’ el TV, pou’ vous t’nir compagnie ne vous gênez

nin !

 

D’une main ferme, Ernest débouche la bouteille et remplit les verres.

Puis il s’installe dans le confortable canapé de cuir vert émeraude, prend la télécommande et se branche sur les informations régionales.

D’une oreille distraite, il écoute les infos locales : le compte-rendu du match Courcelles contre l ’Etoile de Frasnes , un extrait du spectacle des ‘’ Joyeux Turlupins ''de Gosselies, et un reportage sur une exposition féline à Fleurus. Agréablement installé, bercé par le ronron télévisuel, Ernest glisse dans une douce somnolence.

 

Soudain, tendu comme un arc, il se dresse et appelle son ami :

- Venez vite, y parle de Leley dins l’ poste !

 

Surgissant de la cuisine en tablier rose et cuillère en bois à la main, Georges s’écrie :

 - Quo ch’est qui disent ?

 

- Leley vient d’ êt’e nommé vice-présidint du ZIREC (Zoning Industriel Recherche d’Espaces Constructibles) !

 

Abasourdi, Georges se laisse tomber dans le fauteuil.

- On est foutu ! Avec c’ti là aux commandes, on est bon pour un zoning derrière nos maisons !

 

Et soudain il se met à pleurer à gros sanglots !

- Quo ch’est qu’ils vont manger mes pauv’s p’tits vias ? D’el herb’ impoisonnée !

Y sont si bias ! 

Vous vous rappelez on estait allé al’ foir’ de Libramont pou choisir des belles Normandes ! On avait quo stie avos l’camion d’ Louis.

Y vont m’ les  fair’crever avos toutes leurs cochonneries !

Et mi, je ne veux nin que mes petites biètes elles ressimb’nt à  l’ vach’ des chocolats Milka,  avos des ieyes rouches qui clignotent et des pustules, dit-il en  pleurant de plus belle !

 C’ n’est nin possib’e ! Em vie est finie !

Dj’ va m’ pind’e, il m’ reste que ça à fair’è !

 R’joindre èm Rose !

Les layer les là avos leurs fumées et toutes leurs saloperies, hoquette t-il en  pleurant de plus belle !

 

Ernest qui était retombé dans le canapé sous le coup de la nouvelle, se redresse à nouveau.

- Non, dit-il en se relevant énergiquement ! On n’est pas encore foutu !

On peut quo s’ battre !

Et on va l’ faire, cré milliard de Dji !

Demain, dj’ va au ‘’ Moniteur Belge’’ essayer de  vire qui c’est qui est derrière ces sociétés. Et je ne lâcherais nin l’ morciau avant de connaît’e el nom du crasnez qui tire les fichelles !

 

La détermination d’Ernest a raison des larmes de son ami.

 

Georges, à son tour, se lève du fauteuil, brandit la cuillère en bois et lance martial :

- Vos avez raison ! On va les attaquie !

Milliard, mes côtelettes !

 J’espère qu’elles ne seront pas cramées !

Je vais vire ça et p’is j’arrive pou’ l’apéro.

 

C’est avec le sourire qu’il revient .

-Tout va bin.

Tu veux un p’tit morciau d’ ‘cisse ?

 

- Volontiers. Ah j’oubliais, j’ai ramené l’ vin.

 

Il tend la besace contenant les bouteilles.

 

Tout en prenant celle-ci, Georges ne peut s’empêcher de

grommeler :

- J’espère que ce ne sera pas comme l’aut’fois !

Un vin juste bon à assaisonner el salade ! 

Voyons ça ! Waow ! un Pommard et une Vosnes Romanée, il avait bon goût, vos pa, c’ n’est nin comme vous !

Cette fois, dj’ crois qu’ c’est prêt !

 Mettez-vous à tab’e !

 

 De la cuisine, Georges amène, fièrement deux belles assiettes garnies d’une imposante côte de porc nappée d’une alléchante sauce crémée et d’une généreuse portion de frites.

- Allez, dit-il, goûtez-moi cette berdouille, vous m’in direz des novelles !

 

Un peu méfiant, Ernest, prend une première bouchée et dans son palais explose une symphonie d’estragon, ail, d’échalottes et de vin blanc.

 

La bouche pleine, il ne peut s’empêcher de féliciter le cuistot.

- Cint milliard ! C’esse t’un délice, c’tte affaire-là ! Vous m’avez réconcilié avos l’ berdouille. Chapeau !

 

Après la bouteille de Pommard, les deux compères accompagent le fromage d’une petite Vosnes.

Si bien, qu’en fin de soirée, les esprits sont quelque peu échauffés.

 

Georges, belliqueux veut la peau de l’échevin.

- Dj’ va  l’apissie po’ l’ goyie, lui fout' des chaffes jusqu'à ce qu’il intinde sonner les cloches, lui pesteler ses artoiles, el stranner avoz du fil de fier barbelé, c’ crasnez, c’ mougneux d’blanc ! Hurle t-il.

 

 Ernest, plus posé, lui se contenterait de lui faire cracher les dents et de le traîner en justice.

Tous deux se mettent d’accord pour se rendre à Bruxelles, le lendemain.

Avant de se quitter, devant la ferme, les deux amis pompettes, se font tapageusement la promesse qu’ils auront l’ pia du crasnez de Leley !  Et c’est en chantant à tue tête, le ‘’ah, ça ira, ça ira les aristocrates à la lanterne …’’ qu’Ernest d’un pas quelque peu embrouillé rentre lui.




Chapitre 12



Le lendemain à 7h59 les deux compères montent dans le train de Nivelles, direction, Bruxelles, la grande ville !

De la Gare Centrale, bousculés par de nombreux indifférents pressés, ils s’orientent vers la Bibliothèque Royale.

Perdus, dans l’immense cage de verre du hall d’entrée, ils s’adressent au comptoir d’accueil afin de s’enquérir de la marche à suivre.

Lorsque munis de leurs précieux ‘’Sésame’’, ils reçoivent les journaux demandés, le préposé leur signale qu’ils doivent aussi consulter le moniteur.be.

Tout en le remerciant chaleureusement, Ernest et Georges se dirigent vers le lieu de lecture.

Silencieuse, immense, haute de plafond, la salle a de quoi impressionner les deux compères.

Et c’est dans un murmure, que très intimidés, ils s’asseyent à l’une des énormes tables, juste à côté d’un jeune étudiant très studieux.

 

- Vous avez compris ce qu’il a dit avec ‘’son moniteur point B.E.’’ dit Georges à mi-voix.

 

- Non. Et dj’ n’ai nin osé deminder d’explications, d’ peur de passer pou’ in éwaré.

 

- Nous vla bien !

On va toujours commincer à r’garder dins les journaux, pt’ête qu’on verra quèchose.

 

Alors que Georges et Ernest mettent au point leur stratégie de recherches.  Kevin , leur jeune voisin de table, qui a l’ oreille aussi affûtée que l’antenne satellite de Lessive, ne peut s’empêcher de rire en voyant ces deux papys, bien gentils, rechercher le site Internet du Moniteur Belge, dans un journal papier.

Mais comme tout jeune qui se respecte, il rit et ne s’en mêle pas.

Au bout de deux heures de recherches, tous les journaux ont été lus.

 

- Bé ! Vla, qu’ ça s’arrête en 2003 dit Ernest !

 Il faut p’être aller deminder el rest. En bougez nin, dj’ va qué les aut’es gazettes.

 

Quelques instants plus tard Ernest revient l’air déconfit.

- Quo ch’est qui vous a dit, demande   ?

 

- Ben, toudis l’ même. Il a quo parlé du moniteur point B.E. 

 

Ernest jette un regard alentour ;

- Vous voyez quéquin qui aurait l’air d’un moniteur dins c’salle ?

 Mi dj’ vois rin !

 

Après avoir regardé à son tour, Georges décide de demander à son jeune voisin.

- PSSST, jeune homme, c’est qui el moniteur dans cette salle ?

 

Kevin, au bord du fou rire lui répond poliment.

- Il n’y a pas de moniteur ici Monsieur. Vous recherchez quoi exactement ?

 

- On cherchait les coordonnées d’une société dans les journaux, mais ils ne vont que jusqu’en 2003 dit Ernest.

 

- Je comprends répond Kevin d’un air un peu arsouille.

C’est sur Internet que vous devez chercher la suite.

La version papier du Moniteur s’est arrêtée en 2003.

 

- Mon Dieu mè p’tit, s’exclame Georges, catastrophé. Sur Internet ! Mais, nous ne connaissons rien à tout cela. Vous ne pourriez pas nous aider ?

 

-Bon, expliquez-moi votre problème dit Kevin. 

 

- Voilà expose Ernest. Derrière chez nous, il y a une société qui rachète toutes les prairies et nous soupçonnons une arnaque immobilière.

 

-  Waow, du scandale, de la magouille ! J’adore ça, je fais mes études de journaliste.

Allez, j’allume la bécane et je vous jure que je vais lui faire cracher tout ce qu’elle sait sur votre société fantôme.

 

Debout derrière Kevin, ils contemplent fascinés les doigts agiles du jeune homme pianoter sur ce qui leur parait être l’engin du diable.

Des signes kabbalistiques, des images, défilent sur l’écran devant leurs yeux émerveillés.

 

Puis après avoir tapoté de longues minutes sur son clavier, Kevin l’air satisfait, appuie sur une ultime touche avant de dire avec un sourire :

- Voilà, on a tout !

 

Georges et Ernest ébaubis regardent Kevin et s’exclament ,

en chœur :

- Commint ! Déjà !

 

-Et oui répond fièrement Kevin. On a tous les pedigrees, de la maison mère, de la succursale et de l’agence immobilière. Meadows- France a comme président un certain Jean  Méounes, paysagiste, originaire de La Fontaine dans le Var et Meadows Belgique est dirigé par un certain J. Abraham,  avocat,domicilié à Londres.

 Il me semble que vous êtes tombés sur un beau panier de crabes, les papys ! Ça sent mauvais, votre affaire et croyez-moi j’ai du flair !

 

- Vous croyez qu’on risque notre vie demande Georges, effrayé.

 

- Non tout de même pas. Ce n’est pas un réseau mafieu, mais je crois que vous avez mis le doigt sur un beau scandale.

 

- Mais on ne peut tout de même pas se laisser berner comme cela, rétorque Ernest. Que nous suggérez-vous ?

 

- L’ennemi de ces gens-là, c’est la publicité.

Dévoiler  les choses, ce sera votre seule arme.

Maintenant, ils vont pas se laisser faire les cocos et ils disposent probablement d’une tripotée d’avocats.

Si j’étais vous, les papys, je foncerais, vous n’avez rien à perdre !

 

- Pour vous r’mercier, mè p’tit, on peut vous offrir une jatte de quelque chose ?

 

-  Avec plaisir, je ferais bien volontiers une petite pause.

Par l’ascenseur, ils montent jusqu'à la cafétéria.

 

Attablés devant une tasse de café fumant, ils discutent.

 

- Comment vous appelez-vous mè p’tit ? Demande Georges, toujours aussi curieux.

 

- Kevin. Et vous ?

 

- Moi, c’est Ernest, j’écris une toute petite rubrique colombophile dans le journal ‘’Le Matin’’ et voici mon ami Georges, il était agriculteur mais il a pris sa retraite. Et, où habitez-vous Kevin ?

 

- J’habite à Rèves. Un petit village dans le Hainaut.

 

- Rèves, s’écrient  les deux compagnons.

Mais nous connaissons bien ! Nous y avons été à l’école ! Et où habitez-vous mè p’tit ?

 

-  Rue d’ Bruxelles. Mais vous connaissez peut-être mon grand-père, c’est lui qui tient la quincaillerie.

 

- Vous êtes le petit-fils du Marchau ? s’exclame Georges.

Mais bien sûr qu’on connaît votre grand-père !

 

 C’est toujours chez lui, qu’on va chercher nos clauws, nos visses et tout le matériel pour nos pigeons.

Ah bin, ça m’fait bien plaisir de connaître son petit-fils.

D’autant plus que sans vous, on n’aurait rien trouvé.

 

- Bon, ben, les papys, c’est pas que j’ m’ennuie avec vous, mais il faut que je prépare mes examens. Merci pour le café. Et si vous avez encore besoin de moi, vous savez où j’crèche.

 

- Au revoir Kevin et mes amitiés au marchau !

 

- Qué brave gamin dit Georges.

 C’est ni tout ça, mais mi dj’ voudrait bie aut’ chose qu’une boisson d’ galopin.

 Dj’ suppos’ que c’n’est nie d’auci que nous trouverons ça.

À quelle heure qu’on a un train ?

 

-  A l’heure ou bien à la d’mi.

 

- On a l’ timps d’ abord. Dj’ vous invite à boire une crasse pinte, su’ l’ Grand Place de Bruxelles. Y a bien longmin que dj’ a stie là-bas ! 

 

- Mais qué bonne idée ! Y fait bon, on pourra s’asseoir à l’ terrasse.

 

Tout en descendant la rue de la Madeleine, ils contemplent en badauds les vitrines des antiquaires, puis ils bifurquent sur la Grand Place et s’installent  confortablement,  au soleil, à la terrasse du ‘’ Roy d’ Espagne’’ d’où ils observent, la cohorte des touristes en sirotant une  bière d’abbaye.

 

- Ça fait seul’mint dix minutes que nous astons là et on doit bien être sur cinquante photos d’ japonais ! Avos leurs appareils qui vous envoient des éclairs dins l' visage, pour finir dj a les zyes qui clignotent !

Dites Erness, vous avez vu le prix des affaires dins les vitrines des antiquaires ? Dj’ pourrais faire fortune avos tous les cliquotias qu’ y a dins m’ guernie !

 

-  Vous avez vu les vîyes barattes toutes mougnies pa’ les vièrs !

 Et les vîys ostils ! Y z’osent deminder jusqu’à 100 € pou’ ça !

 , nous avons une fortune dins nos guernies et dins nos granges ! El’ jour où on aura besoin d’liards ! On y ira akater 5litres de Sidol chez l’ marchau ! Puis on viendra tout vinte d’auci !

 

- Quo ch’est qu’on fait avos les renseignemints que l’ gamin à

trouvés ?

 

- Hier, avant d' venir souper chez vos, dj’ a scrit dins m’p’tit carnet tous les noms des dgins qu’ dj’a trouvé dins tous les papies. On va r’garder si y a des noms communs.

 Avec un peu d’chance…

 

- D’el chance ? Jusqu'à présint, on n’ da pon eu beaucauw.

Vous croyez, qu’ c’est dingereux ?

 

- Vous avez intindu l’ gamin, mis à part des problèmes avos les avocats, on n’ risque rin.  Mais comme on agira seul’mint si on est sûr et si on n’a des preuv’… Les avocats, ils l’auront dins l’ baba !

Vous r’prenez qu’chose ?

 

- Bof ! Je préferais m’in  r’tourmer.

 Dj’ sait nin, mais dj’ trouve que c’est nin aussi bia qu’ dins mes souvenirs.

Y a trop d’ mond’ et pis dj’ trouve que ça sint l’essence tout

 Partout.

 Dj’ préferais prind , une boisson roborative à l’ place de Nivelles, quo ch’est qu’ vous in pinsez ?

 

- Pour mi c’est bon, répond Ernest en regardant sa montre.

Y nous reste vingt minutes pour r’monter à l’aise  jusqu’ el gare.




Chapitre 13



Arrivés en gare de Nivelles, Ernest et Georges descendent du train et se dirigent vers le parking pour reprendre leur voiture.

Ernest  au volant,  amorce sa descente vers la grand’place à un train de sénateur.

 

- Nous d’allons où ? demande Ernest.

 

-Dj propose el Taverne Finlandaise. C’est m’ copain Roger qu’est serveur et avos ‘’el Djean d’ Nivelles’’ y nous donne toudis une belle ration d’ cubes de fromadge.

 

- Va pou’l’ Taverne Finlandaise !

 

En habitué des lieux, Georges entre le premier dans le troquet et s’installe dans un coin calme de l’établissement.

 

- C’est bin  biau d’auci! commente Ernest en s’asseyant à son tour.

 

- Vous n’astiz jamais v’nu ?

 

- Non. Mi, quand dj’ v’nait, c’éstait avec Louis et on allait au café du coin chez s’bia-frère. 

 

- C’est vrai, que  c’est plus chic ici ! Et vous d’allez vire el portion fromadge que nous d’allons avouère !

Ah voilà m’ camarade Roger ! Commint qu’ vous allez ?

Dj’ vous présinte, Erness, em meilleur ami, on s’ connaît depuis l’ berce !

 

-   Enchanté Monsieur Ernest, que puis-je vous servir ?

 

- Tu nous mets deux d’Jean d’ Nivelles bie froides, avos une belle portion d’ fromadge, hein ! dit Georges en faisant un clin d’œil au garçon.

In rattindint, mi dj’ va fai’e comme les italiens ‘’ Pipo aux lavabis’’!

 

Revenu du lieu d’aisance, il fait signe à Ernest de se rapprocher.

- Quo ch’est qui s’passe ?

 

- Chuuttt ! Fait Georges en murmurant ! Dj’ vous l’ donne in mille qui c’est qui yèsse assis derrière nous !

 

- Vous savez que dj’ suis nin fort in d’vinettes ? El maïeur ?

 

- Non Leley ! Et avoz s’ coumère !

 

 Puis il fait signe Au serveur.

 

-Roger, v’nez un cauw.

 

- Quo ch’est qui a, vous n’avez nin assez d’fromadge ?

 

- Non, répond- il, pour ça vous nous avez gâtés.

 Mais là-bas derrière, dj’a bie vu, c’est Leley avoz  s’ coumère ?

 

- Oui, ils viennent tous les jeudis. Elle, c’est une Anglaise.

 

- Une Inglaise, s’étonnent les deux compères ?

 

- Oui répond Roger, mais elle parle bien l’ français.

Cependant, y faut faire attention, c’esse t’ une agonne finie. Si elle peut vous scroter d’un Euro, elle ne le ratera pas.

 

- Et y viennent tous les jeudis ? S’informe Ernest, très intéressé.

 

- Ouais, c’est réglé comme du papier à musique. Tous les jeudis de 2 à 4 et toudis à la même table.

 

-  Roger, on peut vous offrir une saqwè ? demande Ernest.

 

- C’est gentil, j’ai terminé mon service et ma femme m’attend dans l’ auto pour aller rechercher le gamin à l’école, mais une autre fois, volontiers.

 

- Avint d’ vous inrâler r’mettez nous l’ même chose …

 

- Avec une belle portion de fromage rajoute Roger, moqueur.

 

- Dj su’s r’péré dit Georges en riant.

C’n’est nin tout ça, mais y faut mett’e’ èl timps d’el deuxième chopine à profit pou’ espionner les deux aut’es.

 

- Quo ch’est qui disent ?

 

- Dj’n’ sais nin y n’arrête nin s’embrassiye.  À leur âdge !

 

- Dites mè, dins c’ qu’on a reçu du petit Kevin on parlait d’une feumme, d’une inglaise.

 

- Oyie, répond  Georges.

 

- Dj’ m' d’minde si nous ne faisons nin fausse route. On pinsait que Leley touchait des pots d’ vin. Mais si s’estait li qui tirait les fichelles in prenant s’coumère comme paravent.

 

- Mais vous savez que ça se tient vot’e idée, mon cher Sherlock Holmes !

Tenèt ! La voilà qui est d’allée qué s’ mouchoir dins s’paltot pour mi, elle braie.

 

 Ernest en continuant son raisonnement :

- Y faudrait trouver un moyen pou’ connaître, el nom d’ s’ coumère.

 

- On vol s’pal'tot !

 

-Mais non ! C’esse t’ une feumme et vous savouz  bie qu’elles ne mettent rie dins leurs paltots, elles fourent toudis tout  dins leurs sacoches.

 

L’œil pétillant, Georges réplique en ôtant son veston et retroussant ses manches :

-Dj' a p’ête une idée.

Vous m’ donnez, vot’ bouteille de bière. Il in rest’ el moitié ça suffira.

Ascoutez, mi, quand l’ garçon sera dins l’cuisine  vous prindrez m’ veston et vous z’irez pâyie. Tenez bie vos clefs d’ voiture en main car ça va d’ aller rad’.

 

- Et vous quo c’est qu’vous d’ allez faire ?

 

- N' vous inquiétez nin pour mi !

 

- Ça y est ! el garçon vient d’ partir.

 

- À mi d’jouer s’exclame-t’il.

 

Vif comme l’éclair, il se précipite au comptoir, prend le plateau jette une serviette sur le sol et s’empare de la bouteille de bière.

 

Puis il  houspille Ernest qui prend la fuite et se dirige vers la caisse.

Tenant le plateau d’une main, Georges, fait semblant de trébucher sur la serviette et il en profite pour verser un peu de bière sur le manteau de ‘’la dame de cœur ‘’ de Monsieur Leley.

 

-À qui appartient ce manteau demande t-il d’une voix navrée ?

 

- Oh, mais c’est mon manteau s’écrie la dame.

Vous avez renversé de la bière sur mon cachemire tout neuf ! Maladroit !

 

- Que Madame veuille bien m’excuser dit Georges en tamponnant le manteau. Je vais immédiatement aller le déposer à nos frais chez le teinturier de la rue de Namur et si cela vous convient, je viendrai vous le ramener demain à votre convenance ?

 

-  Demain à cinq heures , répond la gracieuse créature en tendant sa carte de visite.

 

- Merci Madame, encore toutes mes excuses.

Et si ces Messieurs-Dames, me le permettent, la maison offre les consommations.

 

- C’est le moins qu’on puisse faire rétorque sèchement Leley !

 

- Excusez-moi encore Messieurs-Dames !

 

Après s’être reculé obséquieusement, Georges dépose le plateau sur le comptoir, il éponge avec une serviette les quelques traces de bière sur le sol, il saisit le manteau et se dirige à pas vifs vers la sortie.

En passant, il tend l’addition de Leley à Ernest, prend les clefs de voiture et quitte rapidement l’établissement.

 

Lorsqu’ Ernest rejoint son ami dans la voiture, Georges à la mine d’un chat devant une tasse de crème !

 

- Commint vous m’avez trouvé demande t-il fièrement ?

 

- Alors là,  vous estie royal ! Y a pas d’aut’ mot ! Pou’ l’ prochaine représintation, c’esse t’ aux  Théat’e des Galeries qu’ vous d’vez d’ allez !

 

- Bah ! Dj’ avoue que dj comminche à y prind goût.

‘’Chauffeur, direction la teinturie où nous allons porter le précieux cachemire de Madame Clémentine Abraham’’.

 

- Clémentine Abraham ?

 

- Oyie, Clémentine comme l’agince immobilière et Abraham comme l’homme qu’est président d’l’ succursale de Belgique !




Chapitre 14



Le lendemain après un détour par la teinturerie, la petite voiture rouge d’Ernest se gare devant l’immeuble cossu de Madame Abraham, rue du Monde à Nivelles.

Sortant de la voiture le manteau sur le bras, Georges pénètre dans l’immeuble et gravit les marches jusqu’au palier du premier étage.

Il sonne et attend patiemment.

La lourde porte blindée s’ouvre sur une Madame Abraham aux cheveux blonds décolorés, au maquillage outrancier au bronzage à la limite du pathologique. Elle porte une pâle copie de tailleur Chanel rose sur lequel pendouille  une surabondance d’imbuvables colifichets.

 

- Ah vous voilà, enfin ! Ce n’est pas trop tôt ! dit-elle les lèvres pincées .

Donnez-moi cela que je vérifie, si vos exploits n’ont pas ruiné mon  cachemire !

 

 Debout devant la porte, les pieds sur le paillasson, Georges en profite pour jeter un coup d’œil à l’appartement.

 

Wouah se dit–il, ce n’est pas de la gnognotte ! Apercevant sur un guéridon quelques photos d’un jeune homme en toge de collégien, il demande :

- C’est votre fiston qu’on voit là dans la photo, avec ène robe de curé et une galette sus tièsse ?

 

- Un peu vexée, la dame répond, oui c’est mon fils James et ce n’est pas une robe de curé.

 

- Il est Américain ?

 

- Américain ? Non pourquoi ?

 

- Parce que dins les feuilletons américains, on voit toudis des jeunes déguisés avec des  longues robes noires qui font voler leurs t’chapias pa’-d’ssus leurs tièsses. 

 

- Nous ne sommes pas Américains, répond sèchement le sapin de Noël chanelisé. Nous sommes de Jersey ! Mon fils a fait ses études d’avocat à Oxford et il excerce à Londres.  De plus, il n’est pas déguisé comme vous le dites si pittoresquement, il porte sa toge d’avocat !

 

- Oxford, ah, ça je connais ! C’est là qui font des concours de petits batiaux !

 

- De plus en plus agacée, Madame Abraham rétorque avec hauteur :

ce ne sont pas de ‘’ petits bateaux’’, ce sont des épreuves d’aviron, de 8 avec barreur ! Et mon fils a gagné la coupe il y a deux ans !

 

- Félicitations, donc vous êtes Inglaise !

 

- Non, Monsieur, assène la dame en se dressant devant le malotru, nous habitons l’île anglo normande de Jersey, en face de la

Normandie !

 

- Ah bon, répond Georges tout penaud. Excusez-moi j’ n’ savais pas !

 Votre manteau a été bien nettoyé ?

 

- Oui, cela peut aller. Je ne vous retiens pas, Monsieur, au plaisir de ne plus vous revoir dit-elle en lui claquant sèchement la porte au nez.

 

- Pfff, gracieuse, el coumère, marmonne-t-il en se dirigeant vers la sortie.

 

Arrivé à hauteur de la petite Panda rouge, Georges ouvre la porte mais n’entre pas.

 

- Vous v’nez dit Ernest impatient  de connaître la suite de l’histoire.

 

- Non, j’ai rindez-vous su’l’ place de Nivelles.

 

-Vous avez  rindez-vous ! Ce n’ serait nin avos Annie, par hasard ?

 

- Dj’ sui pincie ! J’avoue ! C’èsse t’ avec Annie ! Et nous d’allons au restaurint chinois  !

 

- Et mi dj’ va ratindre comme un vy navia pour savoir quwè ? Vous yèsse vraimint cruel !

 

- Dj ‘ ne s’rais nin long. Je rint’e pa l’ bus de dix heures et dj repasserais vous rasconter !

Ad taleur !

 

- Ad taleur , Casanova !

 

Alors que Georges s’éloigne d’un pas guilleret,  Ernest met le contact et décide de profiter de son passage ‘’ à la ville’’ pour  déposer son ordonance  chez Monsieur Ravez, l’opticien de la rue de Namur, qu’il connaît depuis des années.

En pénétrant dans le magasin le pidjoneux est ravi, il n’y a personne.

Détaché, il prend place s’attendant à voir arriver la  haute silhouette bonhomme de Monsieur Ravez.

Aussi, sa déconvenue est grande lorsqu’une jeune poupée blonde en tailleur bleu marine, vient s’enquérir de ses souhaits.

 

- Monsieur Ravez n’est pas là ? demande  Ernest mal à l’aise.

 

- Non, malheureusement, il s’est cassé la jambe et il en a pour un mois à rester immobile. Cela  pose un problème ?

 

- Non, non, simplement je le connais depuis des années ! Cela me fait un peu bizarre qu’il ne soit pas là. Mais vous lui transmettrez mes vœux de prompt rétablissement ! Tirtiaux , Ernest Tirtiaux.

 

 - Ce sera fait. Que puis- je pour vous Monsieur Tirtiaux ?

 

- Y’m faudrait des nouvelles lunettes. Voici mon ordonnance.

 

- Parfait, nous allons choisir une monture.

 

- Comment s’exclame t-il stupéfait, je ne peux pas garder la mienne. Il n’y a pas si longtemps que je l’ai achetée, elle a quoi, quinze, seize ans ? Ce n’est tout de même pas si vieux !

 

- Embarrassée, la jeune vendeuse, dit en regardant les lourdes lunettes à larges bords d’écailles, look seventies, je crains que techniquement vos nouveaux verres ne puissent se placer dans ce type de monture.

 

- Bon grommelle Ernest, si ça ne va pas, ça ne va pas ! Mais tout de même ! Si c’est pas malheureux, elles sont encore impeccables, même pas usées !

 

- Elles sont peut-être un peu lourdes suggère diplomatiquement la vendeuse .

 

- Justement, je trouve cela très bien, au moins je sais qu’elles sont posées sur mon nez.

Se rendant compte de la déconvenue de la jeune dame, il rajoute :

Excusez-moi mademoiselle je ne suis qu’un vieil ours. 

Choisissez, moi je ne saurais pas quoi prendre.

 

- Vous me faites confiance ?

 

- Totalement, répond Ernest en retirant ses grosses lunettes.

La vendeuse lui propose d’essayer de fines lunettes à bords métalliques bleu foncé, assortis aux yeux  du pidjoneux.

 Et lorsque qu’il se regarde dans la glace, il a un peu de mal à se reconnaître.

 

Puis ravi, il s’exclame :

- Milliard, j’ai l’air d’avoir dix ans de moins. C’est bien vrai que c’était vilain ces lunettes de bo’s.

Et vous aviez raison, celles-ci sont bien plus confortables. Merci m’ p’tit.

 

- Vous êtes certain qu’elles vous plaisent, demande la vendeuse un peu éberluée par le rapide enthousiasme de son client.

 

 - Oui, ne vous inquiétez pas dj suis ravi, je les prends.

Dites-moi simplement quand je peux venir les chercher.

 

- Dans une semaine ce sera prêt, répond la jeune opticienne.

 

- Alors, à dans une semaine, répond Ernest en quittant le magasin.

 

En se dirigeant vers sa voiture, il se dit que lui aussi, se ferait bien un bon petit dîner.

Je vais aller chercher une pizza quatre saisons sur la place Emile Delalieux se dit -il, là, elles sont bonnes .

En repassant par la Grand’ Place Ernest voit son ami en terrasse en tendre  conversation avec Annie. Sacré Georges se dit-il , je ne sais pas comment il fait pour trouver des coumères. Déjà à la maternelle, il avait sa copine Renée qui lui portait son cartable et le défendait contre les plus grands, après je ne compte plus les Thérèse, Julie, Monique, Eglantine, Sophie, etc… qui ont croisé sa route ! Avec Rose, il s’est assagi. Faut dire que la vie ne les a pas épargnés, la perte de leur fils de seize ans les a profondément marqués. 

Et si Annie peut lui redonner un peu de bonheur, tant mieux pour lui. Moi je suis vacciné. Les coumères on n’en parle plus, c’est fini ! Je suis parfaitement bien tout seul, avec mes pigeons.

Lorsqu’il rentre chez lui, Ernest met la pizza au chaud, puis il se sert un petit porto. On n' va pas se laisser abattre tout de même, plaisante t-il.

Puis, il ramène sur la table du salon, face à la télévision, un plateau garni de la croustillante ‘’ quatre saisons'' et d’ un petit verre de Chianti.

Tout lui semble bon, la pizza est copieusement garnie et le petit vin gouleyant à souhait.

Après son festin, il s’installe confortablement dans le fauteuil, bien calé par les coussins de crochet rose confectionnés par  sa mère. Ravi, il se dispose à revoir pour la nième fois, «  le gendarme de Saint Tropez » sur FR3. Mais, il ne faut pas longtemps pour que le bien-être, la  chaleur et le Chianti aient raison de sa vigilance .

 

 C’est la grosse voix de Georges qui le réveille à dix heures-quart :

- Ey adon, Ernest ! On roupille ?

 

- Ah c’est toi ? dit-il en émergeant des brumes ensommeillées.

 Et alors vot’ soirée a stie bonne ?

 

- Ah ça, oui ! Annie, elle est charmante et dj’ai appris plein de choses sur Leley.

 

 - Sur Leley , vous avez stie à un rindez-vous galant pou’ parlez d’ Leley ?

 

-On peut faire les deux. Mais ascoutez bie ça.

Comminchons pa’ l’ délicieuse Madame Abraham.

Dj a appris que s’ fils esse t’ avocat à Jersey et qui s’appelle James.

Donc ça pourrait bie yèsse  noss « J. Abraham » du conseil d’administration.

Mais y a quo p’u  intéressint.

Y faut d’abord savoir que l’ mari d’ Annie estait Inglais, et y travaillaient tous les deux comme concierches à l’Imbassade d’Ingleterre.

Donc Annie, même si c’esse t’ène nettoyeuse, elle connaît bie  l’ langue.

Quand s’ n’ homme est mort, elle est venue habiter par ‘ci . Elle travaille quelques heures à l’ Commune de Charleroi et quelques heures au soir à  Ponceau.

Alors tu pinses,  Leley, elle connaît bie ! C’èsse t’in grossier merle et il l’a d’jà menacie del fout’ à l’uche.

C’est dire qu’ elle n’l’ porte nin dins s’cœur.

D’ailleurs s’cousin  Bernard, vous savez bie Bernard Francotte, èl fils du petit magasin de Rèves et bè , il a d'ja intindu des conversations.  Leley  d’mindait des d’ssous d’ tab’e, à des intrepreneurs pou’ proposer , les marchés à l’ commune.

Mais c’est nin tout, comme Annie esse juste  ‘’qu’ène pauv’ nettoyeuse’’ , èl soir, quand Leley èsse-t’au téléphone et qui parle in inglais , y s’ méfie nin.

Et Annie l’ d’jà intindu parler de rakatter les prairies derrière chez nous et de les revind’ avos des gros bénéfices comme terre à Zoning.

Ça fait des mois qu’il essaye d’imminchie tout ça in indvintant  tout é système, de  muchettes et d ‘ pirouettes . 

Mais elle m’a aussi dit que l’ gaillard est dins l’ collimateur des contributions.

Ça fait déjà trois cauws qu’ i’ essayent del pincie !

 Aujourd’hui y a quo des dgins qui vérifient ses comptes et

ses papies !

 Pou’ l’instant y n’ont quo rie trouvé.

 Mais, y a un mois, juste avant l’ contrôle fiscal, Bernard a stie appellé chez Leley. Y falloût accrochie deux tableaux dins « l’ bureau d’ Môssieur »                                      

Bernard est v’nu avos s’ martiau et ses clauws, pou’ pind’e soi disant deux copies d’ Magritte.

Mais quand il a comminchie, ç’a stie tout  un dalage.

Y fallot nin met del poussière su’ l’toile, y fallot faire attintion de nin les laichiye tomber, y faisot une crise dès qui voyait un clauw à moins de vingt cintimèt’es .

 

Tant et si bien qu’ Bernard a dit en riant à l’échevin :

-Bè heureusemint qu’ c’est des copies ! c’aurait stie des vrais vous n’auriez pas été plus inquiet.

 

Y paraît qu’ Leley, il est devenu aussi blanc qu’un navia qu’on aurait pélé deux cauws.

 Puis, il est devenu tout rouge, y s’est fâché , il a dit que c’éstait  vraimint des copies et il a foutu Bernard à l’uche en braillant qu' c’éstait  èn incapab’, é bon à rie, é maladroit, et  qu’i terminerait el travail li-même .

Évidemmint Bernard , y n’ a nin trouvé ça très catholique.

Il a stie vire sur Internet, puis, il en a parlé à Annie.

Et au soir, comme c’éstait l’Conseil Communal y en ont profitè pour aller rewaitie les tableaux .

Y avait quo c’ ui qui n’éstait nin pindu sul tab’ et y  zont spépié ça d’ plus près.

 Annie rewaitait l’toile et Bernard comparait avos ses papies d’Internet.

 Y avos bie des différences : des plumes d’oiseaux d’une aut’ couleur et el signature qu’ estait de l’ aut’ costè.

Tout à coup, voilà, noss Annie, qui esse t’ allergique, qui s’ met à sternie tout plein.

 Y en  avos taveau l’ tableau.

Elle a pris s’ mouchoir pou’ renettechie, tout doucemint, pa’c’qu’i n’fallot nin abîmer.

Mais y n’avos pond d’ problème, el peinture, tenait bie.

Quand elle esse t’ arrivée dins l'bas à droite, el peinture à comminchie à fond’e et ène aut’e signature Magritte a moustré s’ nez.

Et  Bernard   a vu qu’l’ peinture c’estait ène sort’de gouache.

Donc, c’estoyt  bie des vrais Magritte, mais camouflés.

Et Leley les avait probablemint mis là, pour rescaper  des dgins des contributions.  Et oui,  em fi ! Tous les liards qu’il avos scrotés, Monsieur l’Echevin les avoz muchi dins deux tableaux.

 

- Faut d’jà yèsse franc pour indvinter une affaire ainsi, dit Ernest éberlué.

Et commint s’ qu’i zont  fait pou’ arringie les bidons ?

 

-  Bin, y zont  stie prind un boquet d’ peinture dins l’ local de bricolage des è’ffants et y zont  r’peint l’ bazar in quatrième vitesse.

 

-  Sint Milliard de Djou, si on pouvait yèsse sûr de ça ! On pourrait l’ coinchie èl véreux.

 

- Justemint ! Annie a dit que si vous v’lot , mardi  c’est l’ Conseil Communal et elle veut bie nous moustrer les peintures.

 

- Oyie, qu’on va d’aller !  Vous direz è grand merchi à Annie. Qué brave feumme. Dieu l’ bénisse !




Chapitre 15



Le mardi suivant, Annie nettoie avec application les alentours du cabinet de Leley, elle se dirige vers la porte du bureau échevinal, toque discrètement.

 

Un aboiement lui répond :

- Qu’est-ce que c’est encore ?

 

- Je venais voir si je pouvais faire votre bureau, Monsieur.

 

- Vous savez bien que le mardi, c’est le jour du Conseil.

 Bon sang ! Vous n’avez qu’à attendre que je sois parti. 

Ce n’est pas bien compliqué, même pour une nettoyeuse !

Et je vous signale que mardi passé, le nettoyage n’était pas fameux.

Alors tachez de faire mieux et vite car j’ai encore du travail après ma réunion.

 Et si je dois encore vous faire une remarque, je me ferai un plaisir de vous virer !

 

-  Bien Monsieur Leley, tout sera en ordre pour quand vous arrivez. Bonne soirée Monsieur.

 

- M’ff grommelle l’échevin.

 

Annie referme la porte, puis elle s’attaque à l’époussetage du bureau voisin.

Dix minutes plus tard, elle voit disparaître, le disgracieux personnage en direction du vieil escalier  ouvragé qui dessert la salle du Conseil.

Annie, ouvre le local, allume, elle attend quelques minutes.

Elle vérifie que le tableau  se trouve toujours sur la petite table à côté du frigo.

Puis elle s’en va ouvrir la lourde porte d’entrée en  chêne et fait pénétrer le pidjoneux et son compère.

 

- Chttt,  il reste peut-être encore l’un ou l’autre conseillé.

Voilà, les tableaux sont ici.

Regardez dit-elle,  en frottant un coton-tige mouillé sur la partie inférieure droite. 

Vous voyez la signature, c’est un vrai Magritte.

 

- Nom d’un bèdo, s’exlame Ernest ! C’est formidable, on peut l’ coinchie el gaillard.

Georges, vous avez vu ?

 

- Oyie, qu’ j’ai vu. On va enfin l’avoir  !

Vous n’ pouvez nin savoir  c’ que dj  su’s bine aise  de savoir, que c’ gros panchu finira ses jours in caruche.

J’offre un verre à l’ maison.

 

- Mais je dois encore travailler, dit Annie toute penaude.

 

- Dins combie d’ timps vous aurez fini ?

 

- D’ici une vingtaine de minutes.

 

- Bon bin, ce ne sera p’être pas le champagne, mais on vous rattind au bistrot du coin pour un bon verre !

 

- D’ accord. Je vous raccompagne, avant qu’ils ne reviennent.

À tantôt !

 

 C’est tout guilleret, que les deux amis entrent ‘’ à la Bigorne’’.

 

- Salut Paul, s’écrie Georges en habitué.

 

- Cint Milliard, mais c’est  l’ami Georges s’écrie le patron. Commint qu’ ca va, viy sporon !

 

- Audjourd’hui, ça va bie. Mettez-nous deux Mellettoises,  avos….

 

-…. Ène belle portion d’ fromadge ! Je sais, termine Paul en riant.

 

- Ah ! Ernest, em camarade, on comminche enfin  à vire el bout d’ nos misères. On a p’êt’e une chance  que ce foutu zoning à salopries ne se fasse pas .

 

- Oui, maintenint j’y crois.

Vous estimez qu’ Annie accepterait de témoigner ?

 

- Dj’ pinse  bin qu’ oui.  Comme elle a une maladie d’ cœur , elle prind s’ pinsion dans un mois. Leley n’ peut p’u l’attaquie. Il est cuit.

Ah, voilà Annie !

 

Commint qu’ ça va m’ petit cœur ? Vous n’avez nin eut d’ennuis ?

 

- Non, ils sont encore en réunion.

 

 - Quo ch’ est qu’ vous prenez ?

 

- Une ‘’ Jean de Nivelles ‘’ bien froide.

 

- Paul va nous apporter ça…

 

- Madame Annie, il faut que je vous remercie pour votre aide, c’est formidable ce que vous faites.

 

- Vous savez moi, Leley, si je peux aider à l’épingler ce sera avec un réel plaisir. Depuis l’ affaire des tableaux, il cherche des noises à Bernard ; il y a une heure, il  a encore menacé de me renvoyer et je suis à un mois de ma pension.   Il a aussi viré mes deux meilleures amies. On peut dire, que je l’aime cet homme-là !

 

 - Oyie, dit Georges, rien qu’ à voir son visage ‘’ chaleureux’’, on a déjà envie de l’ étrangler. Y respire tellement l’ sympathie, l’ franchise ce coco-là .

 

- Ce n’est pas tout ça dit Ernest, mais maintenant qu’on a tous les renseignements comment faire pour le coincer.

 

- Ecrivez un article, dit Annie.

 

- Je ne me sens pas de taille à faire ça.

 

- Milliard de Dji, Ernest ! Vous avez une belle plume  et pas seulement pour parler des coulons.

Vous estiez toudis l’ premier in rédaction.

 

- Mais, c’estait à l’escole primaire !

 

 - Allez donc ! Vous avez quo scrit pour noss petit djournal del ‘’Joyeuse Hirondelle’’.

Demindez l’avis d’ vot Rédacteur in Chef, moustrez lui les papies . Y vous dira bie quoi.

Et pis  rapp’lez vous c’ que Kevin a dit , èl seule chose qui pourrait faire capoter l’ projet c’èst d’ faire del publicité.

 

- Ouais, vous avez raison, demain, dj’ scrit tout ça et dj’ va pousser une pointe  jusqu'à Charleroi vire Domenico.




Chapitre 16



Il noircit des pages et des pages, en  recopie des extraits afin d’en arriver à rassembler la quintessence de sa pensée, l’élixir de sa rage et de son indignation.

Le pas martial, remonté comme une pendule, il monte dans sa voiture et prend la direction du journal.

Lorsqu’il pénètre dans la cage de verre, Domenico, n’est encore pas là.

Zut, se dit Ernest, j’ai débarqué trop tôt. La conférence de presse n’est pas encore achevée.

Un quart d’heure plus tard, un brouhaha de conversations se fait entendre .

Ah voilà Domenico, pas trop tôt !

Je suis tellement énervé avec cet article que j’ai l’impression  d’avoir avalé un feu d’artifice en pleine pétarade !

 

-Ah l’ pidjoneux s’exclame, très surpris, le Rédacteur en Chef .

Que puis-je pour toi ?

 

- Bonjour, Domenico, je viens parce que j’ai un avis à te demander.

 

- Fais vite car j’ai une tonne de coups de fil à donner et j’ai rendez-vous à 11 heures.

 

-  Marie, t’en a certainement parlé, j’ai reçu, à l’inauguration de la salle omnisports, une farde contenant des documents.

J’ai tout creusé, décortiqué, analysé et j’en suis arrivé à la conclusion que l’Echevin des Travaux de Ponceau essaye de se faire un pont d’or en rachetant des prairies derrière chez moi et en faisant transformer cette zone pour l’instant  ‘’zone verte’’ en zoning industriel. 

 

- Non, c’est vrai dit le journaliste ?  Tu as des preuves de ça ?

 

- Voilà la farde, dit fièrement le pidjoneux !

 

Ernest explique tout : ses recherches,  ses trouvailles, présente ses documents, parle des Magritte et dépose devant son supérieur, son article.

Domenico, tel un chien de chasse, furète partout, à gauche à droite, il revient sur un document , inspecte les signatures.

Les yeux brillants d’espoir Ernest le regarde faire.

Soudain Domenico , tape des poings sur son bureau jure comme un charretier.

Il appelle  Amaury le juriste, lui montre l’article, les preuves ….

 

-Et enfin, le verdict tombe, c’est  inutilisable !

 

- Comment ? dit Ernest abasourdi.

 

- Désolé Ernest, tout ce qu’on peut faire c’est un vague  article parlant  d’un projet  de zoning, mais c’est tout.

 

- Et mes preuves !

 

- Ce ne sont que des copies et l'on n’en connaît pas la provenance, il faut être prudent explique le juriste, on risque le procès. 

 

- Et les toiles !

 

- Avant la sortie de presse, je connais un tas d’ouvriers à l’imprimerie qui se feront un plaisir de prévenir ton échevin espérant une substantielle rémunération.

Tu penses que le jour où l’article sort, les toiles, elles auront disparu depuis belle lurette !

 

-Non dit Ernest désenchanté, ce n’est pas possible, on a toutes les cartes en main !

 

-Et oui dit le Rédac’ Chef, on a toutes les cartes en main et on ne peut pas les jouer. Ça me rend dingue ! Ernest , on peut photocopier ton dossier ? On ne sait jamais que de notre côté on puisse dégoter les originaux  ou trouver d’autres preuves.

 

- Oui, du moment qu’on peut l' intercepter !

 

- Là, on est vraiment  coincé,  tout ce qu’on peut faire, légalement, et l'on va déjà se faire sonner les cloches,  c’est cet article faisant état de rumeurs de construction d’un zoning le long de la N556 et ta signature au bas de l’article.

Comme on a une demande à l’urbanisme, on est couvert.

Pour le reste creuse de ton côté, nous on pioche aussi.

Le premier qui a du solide prévient l’autre.

Je comprends ta déception, c’est la première fois que cela t’arrive. Nous, à la rédac’, on est habitué .

 

- Aurevoir Domenico, dit Ernest en sortant le dos voûté en traînant les pieds.

 

- Pauvre gars murmure  Domenico , il a une affaire en or, son article était super bien torché et légalement  on ne peut même chatouiller  le petit orteil de cette crapule de Leley. Le jour où  on pourra le gauler celui-là, je paye le champagne  !

 

- Tu te fendrais d’une bouteille de champ’ dit Amaury en riant. Alors, je te quitte, sur le champ ! Je vais me mettre à rechercher des preuves.

Pour une fois que la rédaction offrirait une bouteille !

 

- Mais dit tout de suite que je suis rapiat, s’exclame Domenico !

 

- Rapiat non, dit Amaury moqueur , mais extrêmement parcimonieux, ça, oui.

 

-   Salopard, répond le Rédacteur  en lui lançant  en riant un journal au crâne !

 

Ernest, lui, le pas lourd, abîmé dans ses pensées traverse la salle de rédaction. Il ouvre la grande double porte sans appuyer sur l’ouvre- porte, déclenche l’ alarme sans en avoir cure et descend le pas lourd dans le sombre escalier encombré.

Toujours hébété, il s’assied au volant de sa voiture et s’écroule en pleurant.

-Mais qu’est ce que je vais dire à Georges, je lui avais bien promis d’arrêter ces projets de constructions industrielles ! Ça m’ dégoûte , qu’on ne puisse rien faire contre ce malhonnête ! Cint milliards de Dji ! Ça me rend chèvre !

 

Du revers de la manche, il essuie ses larmes et met le contact.

Rapidement il sort de la ville et comme toujours la vue de la campagne tel  un baume analgésique commence son travail apaisant.

Il arrête sa voiture le long d’un pré.

S’assied dans l’herbe et mâchouillant la tige d’une graminée, il regarde brouter les vaches.

Le tumulte qui s’agite dans son cerveau et dans son cœur semble se calmer.

Les idées redeviennent claires et la pensée cohérente.

Mais se dit-il,  je peux toujours déposer ma farde auprès  des juges. Eux ils peuvent toujours retrouver les originaux.

Je vais passer  par la librairie d’ Herchies faire des photocopies et puis j’enverrai tout ça anonymement au juge chargé des affaires carolos.

Ragaillardi, il reprend son volant et s’en va faire ses photocopies.

 

Pendant ce temps, Georges s’impatiente. Le chien sur les talons, il se rend à la ferme d’Ernest, prend la clef sous le paillasson et s’installe dans la cuisine et commence à soliloquer.

- Cint milliard, 11h30 et Môssieur Erness n’est toudis pas là.  Mais qu’esse qui fout ? Mi dj’ va devenir fou à rattindre ainsi.

 

 Soudain une voix derrière lui  rétorque :

-Mais n’ vous inquiétez nin, vous yèsse déjà berzingue !

 

-Ah ! bin c’est nin trop tôt. Qué no’velles ?

 

- Bo, dit-il mi-figue, mi-raisin, ya du bon et du moins bon.

Pou’ l’artic’ c’est foutu !  Tout c’ qui a dins l’ fard’ on n’ peu nin s’en servir. El juriste du journal y dit qu’on ne sait pas d’où ce que ça vi. Donc, légalemint c’n’est nin valab’e.

Mais l’ bonne no’velle, c’est que l’ journal va continuer l’inquête .

Et pi dj’ a stie faire des photocopies du dossier et dj’ l’a l’envoiyie au d’juge qui s’occupe des affaires de Charleroi.

Mais dj’ai aussi pinsie;  rin nous impêche de scrire just’ pour nos aut’ un pt’it artic’,  dins l’ journal d’el ‘’ Joyeuse Hirondelle ‘’.  C’est privé, ça peu mauw.

 

- C’esse t’ ène bonne idée ! Comme ça on pourra scrire c’ qu'on veut et dire que Leley c’esse just qu’un gros panchu, un agon et un crasnez  !




Chapitre 17



 Le lendemain matin Ernest attablé devant son petit café matinal, entend le téléphone sonner.

 

- Allo dit-il ?

 

- Ernest Tirtiaux ? Fait la voix.

 

- Oui . À qui ai-je l’honneur ?

 

- Alors c’est vous le foutriquet qui êtes l’auteur de ces calembredaines   parues dans le journal le ‘’ Matin’’ ?

 

-  Cher Monsieur, je ne vois pas de quoi vous parlez et de plus vous n’avez même pas eu la courtoisie de vous présenter répond Ernest hautain.

 

- Je suis Monsieur Leley, l’Echevin des Travaux de Ponceau.

 

- Facétieux, Ernest commente, je ne pense pas avoir écrit une ligne sur d’éventuels  travaux ayant lieu à Ponceau .

 

- Non, mais vous avez insinué que je me remplis les poches en achetant des terrains derrière chez vous.

 

- Effectivement je me suis fait l’écho de certaines rumeurs évoquant l’implantation  d’un zoning industriel à cet endroit, mais je n’ai jamais cité  votre nom  et je n’ai jamais fait d’allusion à de quelconques profits illicites, cher Monsieur Leley.

 

-  C’est bien la presse ça, on met le feu aux poudres et puis on dit : qu’on n’est pas responsable ! Bande de dégonflés,langues de vipères, plumitifs, fouille-merde ! Je vous ai à l’œil hurle t-il.

 

- Mais moi aussi, Monsieur Leley, répond un Ernest suave, je vous tiens à l’œil !

 

- Je vous emm…. scribouillard, écrivassier. A partir d’aujourd’hui vous pouvez compter vos abattis, vocifère Leley en reclaquant le téléphone au nez du pidjoneux.

 

Wouah , se dit Ernest, toujours aussi délicieux, l’Echevin !

Cette pauvre pomme ne se rend même pas compte qu’il ne fait que me conforter dans mes belliqueuses intentions.

C’est curieux ! Cette  petite passe d’armes m’a  ouvert

l’appétit.

Je vais me prendre une deuxième petite tartine rôtie à la confiture de rhubarbe à la santé de  Leley.

Et ensuite, je peaufine l’article pour le Journal de la ‘’ Joyeuse Hirondelle’’. Je sens que je vais  te l’épingler moi,  cet Echevin à la noix !

 Sa tasse de café à la main, Ernest s’apprête  à entamer son article pour la revue colombophile, lorsque Georges, comme une tornade , s’engouffre dans la maison.

- Ernest s’écrit t’il essoufflé, vot' artic’, il est dins l’ gazette de c’ matin !

 

- Oyie répond le pidjoneux très calme, dj l’ sais .

 

-Ah bon, fait-il  un peu déçu.

Si j’avoûs su , dj’ n’aurais nin couru comme y’un qu’aurait vu l’ diab’dins s’miroir.

 

- Figurez qu’ c’ matin , dj’ avoûs à peine mordu dins m’ tartine que dj’avoûs djà ‘’ Môssieur l’ Echevin’’ in ligne et croyez- mi, dj’ in ai instindu pou’ matricul’  !

 

- Il a osé vous ingeuler ?

 

- Et oui.

 

- Mais il est franc comme Artaban, c’baraki là !

Nom d’un bèdo , qué culot !

Vous l’ avez mouché j’espère ?

 

- Oyie que dj’ l’ai mouché , l’ gaillard.

Et ça m’a donné du cœur à l’ouvrache pour scrire em n’artic’.

 Et croyez mi, foi d’ pidjoneux ça va yèsse singlant !

 

- Bon bin , dj va vous layer à vos réglemint d’ compte.

 Pou ‘ ce soir ? c’esse t’ a sept heures el réunion du comité ?

 

- Oui, j’apporterai l’artic’ pou’ l’ moustrer aux aut’ avint.

 

- On se r’trouve là-bas ?

 

- De què ? Môssieur a quo un rindez-vous galant.

 

- Non , mouwèze langue. Dj va qué du grain pour mes pouyes.

Ad taleur ?

 

Bien se dit Ernest,  on va comminchie le règlement de compte à Ok Coral !

Mâchouillant son crayon , il commence par chercher un titre percutant.

« Nos pigeonniers, en danger ! » Voilà qui me plait, c’est clair !

Et parti sur sa lancée, le crayon se met à courir tout seul sur la page blanche.

Il parle de l’étrange société dont le fils d’une «  amie » de Leley est président ; il explique les achats de prairies, les démarches de l’échevin pour transformer celles –ci en zoning et enfin  il parle des deux étranges Magritte aux deux signatures.

Content de son travail, certain d’avoir pris suffisamment de  précautions oratoires, il termine son article d’un cinglant Ernest Tirtiaux.

Voilà, je vais enfin pouvoir envoyer Môssieur Leley au diable-vauvert et aller m’occuper de mes pigeons !

Le temps passe très vite à nettoyer les cages et soigner ses petites’’ biètes’’.

Et à l’heure militaire , Ernest entre dans la forge de Tatâve ! Il salue les uns , les autres , on discute du dernier concours, on prend des nouvelles de la famille, puis Nounoul agite , la vieille sonnette qu’il a volée en  1943 à l’hôtel du Lion d’or à Maubeuge lors de son voyage de noce avec la défunte Perrine.

Un silence  religieux se fait  et  docte, le président, énumère les points à l’ordre du jour.

En fin de soirée, la publication de l’article d’Ernest est abordée et après quelques discussions , les membres décident de publier le texte, sous l’entière responsabilité du libelliste .




Chapitre 18



Quelques jours après la parution de l’article du pidjoneux, Annie est convoquée  au bureau de l’échevin des travaux.

Un peu inquiète, elle traverse le long couloir dallé et frappe  à la porte.

Une sorte de glapissement l’invite à entrer et à s’asseoir ;

Du coin de l’œil, elle observe son vis-à-vis. Il est congestionné,  transpire, s’agite et sa cravate est défaite. Tout cela,  ne lui dit rien qui vaille.

 Et lorsque le visage rougeaud de Leley affiche un sourire d’anthropophage un frisson d’angoisse la parcourt.

 

- Madame Francotte veuve Winnacot, commence l’Echevin d’un ton contenu, c’est bien votre nom ?

 

- Oui, Monsieur, répond Annie d’une toute petite voix altérée par l’angoisse.

 

- Et bien Madame Francotte veuve Winnacot, j’ai l’honneur, le plaisir et l’avantage de vous informer de votre renvoi.

 

 Sous le coup de la nouvelle Annie se tasse dans son fauteuil, elle sent son cœur s’emballer et regrette amèrement de ne pas avoir songé à prendre son tube de pilules.

- Mais pourquoi, bredouille - t-elle ?

 

- Parce que, profère l’ Echevin dont la voix s’amplifie de plus en plus, vous avez introduit un journaliste dans ce bureau afin d’écrire à mon encontre un article diffamatoire !

 

- Mais Monsieur, ce n’est pas possible, je suis pensionnée dans trois jours.

 

- Je m’en fous et contrefous vous avez commis une faute grave, j’ai ici le témoignage écrit et signé d’une de vos collègues.  La sanction c’est la porte hurle- t-il. Signez ici votre notification de renvoi.

 

- Monsieur, je ne me sens pas très bien balbutie- t-elle blanche comme une morte.

 

- N’essayez pas de m’apitoyer avec votre comédie. Signez.

 

Dans un suprême effort, elle se saisit du stylo puis s’écroule sans connaissance sur le bureau.

 

- Et merde, grommelle l’échevin !

 Madame Fernelmont, bougez vos fesses en vitesse et venez vous occuper de la nettoyeuse.

Lorsque l’employée arrive sur les lieux, elle est effrayée par le teint cireux d’Annie.

- Il faut appeler l’ambulance Monsieur.

 

- Mais non, c’est une simulatrice, appelez l’infirmière répond l’échevin.

 

- Mais Monsieur je vous jure que….

 

- Appelez l’infirmière vous dis-je !

 

- Bien, Monsieur , mais ce sera sous votre responsabilité !

 

Allo Madame Ponsard, voulez-vous venir d’urgence ? Madame Francotte a été prise d’un malaise dans le bureau de Monsieur Leley.

 

- Mais pourquoi n’appelez-vous pas l’ambulance  s’offusque l’infirmière ?

 

- Mais parce que Monsieur Leley veut d’abord avoir votre avis, il dit que c’est une simulatrice.

 

- Mais il est fou ! répond l’infirmière, Annie est cardiaque !

Appelez vite la réanimation. J’arrive.

 

- Alors dit le malotru , elle arrive cette donzelle ?

 

- Elle arrive en courant Monsieur. Il paraît que Madame Francotte est cardiaque et qu’il faut avertir d’urgence  la Réanimation ! Monsieur se souviendra que je lui ai dit que c’était grave, dit-elle pincée.

 

- Passez-moi le numéro de téléphone de l’ambulance , je vais sonner moi-même dit l’échevin.

 

- C’est le 112, Monsieur.

 

 Sur cette entrefaite, Madame Ponsard s’engouffre dans le bureau et se précipite vers la malade.

 

- Mais alors Leley , vous n’avez même pas essayé de porter secours, à cette pauvre Annie ? Vous n’avez même pas songé à l’allonger sur votre somptueux canapé ? Il a pourtant  coûté assez  cher à vos administrés !

Et les urgences, elles ont été prévenues ?

 

- Je suis occupé à le faire dit l’Echevin agacé.

 

- Grouillez-vous, elle est cardiaque et chaque seconde compte !

Je vous préviens, Leley, Echevin ou pas, s’il arrive quoi que ce soit à Annie, je vous colle un rapport pour non-assistance à personne en danger.

Par la même occasion, prévenez aussi son cousin Bernard, qu’elle ne se retrouve pas seule pour partir à l’hôpital.

Je ne vous comprends pas, il me semble que vous manquez singulièrement de compassion envers vos semblables.

Ah j’entends l’ambulance !

Allez courage ma petite Annie tiens bon ma cocotte !

Et en accompagnant la civière, elle se retourne vers l’échevin et lui jette un regard noir.

Annie, accompagnée de son cousin et de Madame Ponsard, est emmenée sirènes hurlantes à l’hôpital de Nivelles.

 

Dans la salle d’attente des urgences, tous deux font les cent pas.

Lorsque le praticien s’en vient les renseigner, il leur fait part de ses plus vives inquiétudes. L’état d’Annie est très grave.

 

Il faut que je prévienne Georges, se dit Bernard les larmes aux yeux. Il décroche l’appareil et introduit les piécettes :

- Allo, Georges ? Bonjour mon vieux,  j’ai malheureusement une mauvaise nouvelle à t’ annoncer ; Annie a été transportée d’urgence à l’hôpital de Nivelles, elle est dans un état grave.

Moi je vais rester ici, mais je souhaiterais te demander  un petit service. Te serait t-il possible de t’occuper de Cachou, le persan de ma cousine ? Tu connais la maison et tu sais où sont les clefs.

 

- Bien sûr, répond-il effondré. Compte sur moi, je vais chercher le chat et j’arrive.

 

- Merci dit Bernard en s’écroulant en sanglots.

 

Le temps d’enfiler une veste et Georges se trouve au volant de sa berline. Comme un ouragan, il déboule dans la cour de la ferme voisine et se précipite dans la cuisine.

- Erness dj’ ai b’soin de vous !

 

- Mon dieu, quo ch’est qui vous arrive vous esstè tout blanc.

 

- Annie vient d’avoir une crise cardiaque, elle esse  t'à  l’hôpital et s’ cousin me deminde  de passer chez elle, s’occuper de Cachou, el cat.

 Dj a promis de le ramener à l’ maison , mais dj ne sait nie si va d’aller avos Tara. Et pi, dj’aimerais bie d’ aller à l’hôspital.

 

- Vous voulez que j’ m’occupe de Cachou ?

 

- Vous f’riez ça pour mi ? Dj s’rait souladgie.

 

- Bie sûr , dj met m’ veste et on zy va !

 

- Roulez derrière mi, jusqu’à chez Annie, ainsi vous pourrez ramènerer Cachou. 

 

En arrivant devant la coquette maison d’Annie, Georges fonce vers le pot de géraniums, il y prend la clef , la donne à Ernest le regard suppliant :

- Dj peux vous laiyer là ? Dj’ suis tellemint inquiet !

 

-Allez- y, dj m’occupe de tout.

 

- Merci crie t-il en s’engouffrant dans son auto.

 

Quelques minutes plus tard, il arrive au service réanimation.

Bernard est là effondré dans un fauteuil.

- Alors dit Georges ?   Quelles sont les nouvelles ?

 

- Elle est dans le coma, je viens d’aller la voir.

Il faut attendre un peu avant une autre visite.

 

- Bien je vais attendre un peu . Mais, bon sang, que lui est t-il arrivé ?

 

- Elle a été convoquée au bureau de Leley.

 Il voulait la renvoyer. À trois jours de la pension !  Quelle crapule celui-là !

 

- Pourquoi voulait-il la renvoyer ?

 

- Quelqu’un lui a montré votre article dans le journal de ‘’ la Joyeuse Hirondelle’’. Cela ne lui a pas plu du tout. Il a convoqué ma cousine en lui disant que quelqu’un avait vu Annie  faisant entrer un journaliste.

 

-  Un journaliste ? Mais dit Georges en réfléchissant. Mais si quelqu’un avait été témoin, ce n’est pas d’une personne qu’il aurait parlé, mais de deux puisque j’étais là aussi !

 

- Mais, c’est vrai ça ! Cela signifierait que  ce salopard aurait bluffé !

 

- Ou alors il a fabriqué de fausses preuves.

 

- Et cette pauvre Annie qui est tombée dans le panneau.

Mais quel pourri ce mec. Si je le tenais au bout de ma carabine, je te le descends séance tenante, s’exclame Bernard !

 

- Et c’est toi qui irais en prison !

Le mieux ce serait d’aider la justice à le coincer.

Là, on l’ foutrait en prison, on lui confisquerait ses sous et socialement , il serait grillé.  C’en serait fini des courbettes devant’’ Môssieur ‘’!

Ah voilà l’infirmière, on voit avoir des nouvelles.

 

-Alors Madame, comment va- t-elle ? demande Bernard.

 

 - Elle est calme, son état est stable ce qui est déjà une bonne nouvelle, mais elle est toujours dans le coma explique l’infirmière .

 

- Puis-je aller la voir demande Georges ?

 

- Oui, mais quelques minutes seulement. Soyez calme et surtout vous ne la fatiguez pas. Elle est dans la chambre 12.

 

Sur la pointe des pieds, il traverse l’office des infirmières. Dans la chambre 12, la malade, dévêtue et transpercée de tuyaux multiples, repose inerte, livide.

Pourquoi ne lui a-t-on pas passé une petite chemise se demande- t-il un peu choqué. D’accord, c’est un service d’urgence, mais les malades méritent tout de même un peu plus de respect grommelle- t-il !

Déjà qu’ils ne sont pas bien beaux à voir avec leurs tuyaux tout partout, qu’on dirait un mikado !

 - À m’ petit coeur ! Dj’vos en prie ne m’ laissez nin tout seu’, murmure t-il en remontant les draps et en  lui prenant la main.

Tout doucement, presque imperceptiblement les doigts glacés d’Annie se mettent à bouger, un peu comme si elle entendait les paroles de Georges , mais de  loin, de très loin.

Heureux, il lui embrasse la menotte, elle va s’en sortir songe t-il soulagé.

Sur un petit signe de l’infirmière, il embrasse la pauvre silhouette et prend congé :

- À demain m’ petit cœur , tenez bon.

 

Un peu rasséréné, il traverse la pièce aux multiples moniteurs et retrouve Bernard.

 

- Elle m’a reconnu s’écrie t-il.

Elle m’a serré la main.

Ça va d’aller , Bernard !

 

- Je l’espère. Elle est si généreuse. C’est la seule famille qui me reste.

 

-  Ne vous inquiétez, pas demain je resterai ici ! Vous allez travailler, je suppose ?

 

-  Ouais ! Il me faudra encore affronter cet Echevin de malheur.

 

 -Ne faites pas de bêtises !  Ernest et moi on se charge de Leley.

Je vous reconduis  chez vous ?

 

- Volontiers. Et, merci pour tout. Je suis vraiment content qu’Annie  ait fait votre connaissance.

Après avoir déposé Bernard à Pont-à-Celles, tout doucement, à petits tours de roues, Georges reprend le chemin de sa ferme. Il n’a pas le courage de se retrouver seul.

Les souvenirs affluent, il revoit sa première rencontre avecAnnie lors de l’inauguration de la salle omnisports. Il se rappelle leurs petits dîners, sur la Grand Place, ses éclats de rires et sa première visite chez elle .

Il n’y a pas très longtemps qu’ils se connaissent et pourtant, ils se sentent déjà si bien ensemble.  Et, fait exceptionnel, pendant le reste du chemin, Georges qui est fâché avec le bon Dieu depuis la mort de Rose, se remet à prier. 

Arrivé dans la cour de la ferme, il gare sa voiture et pesamment, comme écrasé par toute la douleur du monde, il se dirige vers la cuisine. La faim le tenaille, mais l’idée de se préparer quoi que ce soit lui semble au-dessus de ses forces.

Lorsqu’il ouvre la porte un savoureux fumet de potage lui flatte les narines.

Etonné, il regarde alentour et voit Ernest dormant dans le fauteuil, le chat sur les genoux et Tara  couchée aux pieds.

Les larmes aux yeux , il regarde son ami assoupi.

Les mouvements du chien réveillent Ernest :

- Alors, dit-il anxieux, comment va-t-elle ?

 

- Elle est dins l’ coma, articule tristement Georges en s’écroulant dans le fauteuil.

Mais elle m’a tout de même r’connu ! Elle m’a r’serré l’ main.

 

- C’esse t’ène bonne nouvelle !

 

- Oyie, c’est possib’. Dj n’ sais plus.

 

- V’nez dj vous ai préparé une jatte de soupe ! Vous me rascontrez ça in mindgint un boquet.

Ernest dépose devant son ami, un bol fumant de soupe aux tomates fraîches. Il y a rajouté de petites boulettes de haché, il sait que c’est un des plats préférés de son ami.

 

-Une soupe tomates boulettes s’exclame Georges ému , les yeux embués de larmes !

Merci Erness, merci m’ fi .

Pou’ parler d’ aut chose commint vont les affaires entre Tara et Cachou ?

 

- Mais ça va très bien !

C’est plaisjir de les voir jouer insimb’e !

Vous n’aurez nin problèmes avos vos deux pinsionnaires.

 

- Tint mieux ! Annie retrouvera s’ cat in pleine forme.

 

Et lorsque Georges fatigué par une journée riche en émotions émet le souhait d’aller se coucher, Ernest un peu maladroit propose à son ami de rester dormir sur le canapé.

- On ne sait jamais, y pourrait y avoir del  bagarre entre le cat et le kièt.

Georges acquiesce. Il n’est pas dupe, mais la bonne grosse amitié d’ Ernest  lui fait chaud au cœur.

Le lendemain matin, à 8 heures, l’aumônier de l’hôpital de Nivelles, avec toutes les précautions d’usage, informait Monsieur Georges  Lebrun du décès de Madame Annie Francotte veuve Winnacot.




Chapitre 19



Le chagrin faucha Georges de plein fouet. Dans un premier temps, il ne voulut voir personne. Il aspirait à se retrouver seul, pour  crier sa peine, pleurer tout son saoul, hurler à l’injustice. Mais avant tout, il souhaitait par la fureur et les larmes, rejeter de son cœur  tout ce désespoir, toute cette insupportable douleur.

Puis, peu à peu, tout doucettement, la vie s’est à nouveau insufflée dans ses veines et il s’en est retourné saluer son ami Ernest.

En cette belle arrière saison les deux amis attablés sur la terrasse, discutent de leurs futurs choix en matière de concours de pigeons, lorsque la petite camionnette rouge de la Poste pénètre dans l’enceinte de la ferme.

- Bonjour, Jean-Marc, qué nouvelles ?

 

- Salut Ernest, j’ai un petit recommandé pour toi.

 

- Un recommandé pour moi ? 

 

- Oui et c’est un du genre qu’on n'aime pas !

 

- Mais tu me fais peur dit le pidgonneux  en signant le calepin !

Tu prends quelque chose ?

 

 - C’est gentil, mais aujourd’hui, je suis pressé, il manque de personnel et j’ai deux tournées à faire.  Allez salut Georges, salut Ernest !

 

-Salut Jean-Marc.  Un recommindé d’in avocat ?

Mi, dj n’aime, nin ça.

Milliard de milliard de Djou ! Elle est forte celle-là s’écrie le pidjoneux en retombant sur sa chaise.

- Quo ch’est qui  se passe  ? demande Georges inquiet.

 

- Tenez, lisez, mi dj n’ai pu d’ salive !

 

 La lettre en question émanait du cabinet de maître Bergès avocat à la cour qui avertissait Monsieur Tirtiaux des intentions de son client , Monsieur Leley,  de déposer plainte en diffamation et de réclamer une somme de 50.000 € a titre de dommages et intérêts.

 

- Mais il est fou glapit Georges !

50.000 € et vous allez les trouver commint, pa’ d’ssous voss matelas  ?

 

- Même el ,mitant dj n’ l’ai nin ! Dj vais devoir tout vind , el maison, les pâtures !  Il aura m’ pia c’malhonnête ! Mais pourquwè qu’ dj’ a esté mette èm nez dins s’ maudite fard’ rouche ! Milliard de cint milliards de Djou !

 

- Téléphone à un avocat, dj’ sui’ sûr qu’il essaye simplemint d’ nous fai’ peur !

C’esse t’un journal privé, y peut nin nous attaquie !

Ne vous faites nin d’mouron avos ça !

Allez , donnez mi l’bottin,  dj’ va cachie après un avocat.

Vous vous souvenez du nom de l’homme qu’ avos défendu Louis lors de s’ n’accidint d’auto ?

 

- Oyie, c’estait le frère du petit teigneux qui vous attaquait toudis à l’ récréation . Attindez  une miète que dj’ m’ souvienne, ce n’est nin Kiwanis, kibboutz,  c’est ,Qui…. Quinaud.

 

- Quinaud voilà , dj a trouvé ! Allez prenez voss téléphone qu’on en finisse.

Quinaud : 067 / 55. 55 .10

 

 Vu l’urgence, la secrétaire de l’avocat, leur fixe rendez-vous  pour le lendemain matin.

- Oh se lamente Ernest, dj’ n’ vais  nin frumer l’œil del nut , avos s’ n’affaire là !

- Mi non p’us

V’nez avos mi, nous irons mindgies une pizza au Panorama et pou passer l’ nut , on ira choisir un monciau d’ cassettes au Vidéoclub.  Avos ça, on est paré !

Après avoir passé la nuit à visionner une  quinzaine de cassettes, les  deux compères s’habillent de frais pour se rendre à la Grand’ Place de Nivelles, chez Maître Quinaud.

Au premier contact, Ernest est un peu déçu, il s’attendait à un magistrat de prestige à la carrure de ténor, or celui-ci est petit, voire malingre, avec une ridicule petite moustache.

-Bof, on dit toujours au plus petit au plus mouwè ! Il sera peut-être efficace !

 

Assis devant le bureau de l’avoué , Ernest présente son dossier, son article, parle de l’entretien qu’il a eu avec le juriste du journal.

Attentif, l’avocat ne perd pas une miette du discours ; mais lorsqu’il examine les preuves, il ne peut en arriver qu’ à la conclusion  qu’ Ernest s’est mis dans son tort en publiant l’article dans ‘’Joyeuse Hirondelle’.

 

- Mais il s’agit d’un journal privé, objecte le pidjoneux.

 

- Désolé Monsieur , mais une fois publié dans une revue , cet article devient publique.

 

- Je n’ai donc aucune chance ?

 

- Nous allons essayer de prouver la véracité de vos allégations, mais sera-ce suffisant ?

Que penseriez-vous d’un accord à l’amiable ?

 

- Ça jamais, oppose Ernest furieux !

Je veux un procès retentissant et que la Belgique entière soit témoin de ces magouilles.

Comme cela, même, si je me vois contraint et forcé à payer, j’aurais fait un tel ramdam , une telle publicité qu’il lui sera devenu impossible de faire passer son projet en douce !

 

- Bien puisque vous avez l’air décidé à partir  à l’affrontement, j’étudierai le dossier et je convoquerai, un maximum de témoins à charge.

Je pense que notre ligne de défense doit être celle de noircir ‘’ad extremum’’ le plaignant.

 A ce propos , avez-vous des suggestions ?

 

- Malheureusement dit le pidjoneux notre témoin clef est décédée , il y a un mois. Monsieur Leley l’avait tellement agressée verbalement qu’elle a fait une crise cardiaque dans le bureau échevinal.

- Ça, c’est peut être une piste intéressante. Y a-t-il eu des témoins ?

-  Oui, Madame Fernelmont, elle est la secrétaire de Leley. Bernard Francotte, le cousin de notre défunt témoin.  Et Madame Ponsard, l’infirmière.

Pour le reste, cet homme  terrorise tellement son personnel que je ne pense pas qu’il y aura d’autres candidats !

 

- Bien dit l’avocat en prenant des notes. Si d’autres détails vous revenaient en mémoire n’ hésitez pas à me contacter. De mon côté je me mets immédiatement au travail !

 

À bientôt Messieurs. Haut les cœurs ! Nous allons gagner.

 

 Malgré les commentaires optimistes de l’avocat, les deux amis repartent, plus inquiets qu’à l’arrivée.

 

 

 

 

 Pendant de nombreuses semaines, Maître Quinaud instruit le dossier.

 

 Et lors des visites hebdomadaires de ses deux clients, ceux-ci quittent le cabinet parfois rassérénés parfois découragés.

 

C’est par un courrier du ministère de la justice qu’ Ernest est enfin fixé sur sort, le procès aura lieu le 22 décembre.




Chapitre 20



Arrivés en salle d’audience, les deux amis doivent se séparer.

 Anxieux, Ernest se dirige vers le box de le défense où se perd devant une immense table, le fluet Maître Quinaud.

Du côté de l’accusation, Leley, relax, souriant, trône au milieu des ses trois super-avocats.

Devant ce spectacle , le pidjoneux sent couler le long de son échine des gouttes de sueur froide. Il a peur et les oeillades assassines que lui lance l’Echevin ne lui laissent rien présager de bon.

Durant le procès , Maître Quinaud se défend comme un beau diable. Mais lorsque Bergès , le ténor des ténors prend la parole, il semble que la mise à mort ne soit pas loin !

-Votre honneur, la défense a cité deux déposantes, Madame Fernelmont et Madame Ponsard  infirmière de son état, aucune ne s’est manifestées. Il ne nous reste plus qu’à entendre le seul témoin présent.

Monsieur Bernard Francotte, vous affirmez avoir placé en 2006 dans le bureau de Monsieur Leley, deux toiles de Magritte et que ces toiles sont  authentiques. Ce sont bien là, vos déclarations ?

 

- Parfaitement.

 

- Monsieur Francotte, êtes-vous détenteur d’un quelconque titre d’expert ?

 

- Non mais j’ ai ouvert depuis peu un petit magasin de brocante.

 

- De brocante, persiffle l’avocat, soyons sérieux ! Monsieur le juge, permettez-moi de déposer ces documents pour le moins irréfutables.

 Voici, une photo datant de 2004 où l’on voit les fameux tableaux incriminés. Vous remarquerez dans le fond un calendrier attestant bien de l’année 2004.

En plus, je joins une attestation de Monsieur Peleto, artiste peintre qui certifie avoir peint les deux copies de Magritte  présentées sur la photo.

Ces deux toiles ont été offertes à mon client par l’artiste à l’occasion de ses 55 ans. Et si vous étudiez bien les tableaux, vous verrez qu’il y a comme la loi, l’exige , des différences flagrantes entre la copie et l’original, quelques changements de couleurs et la signature sur la gauche .

Donc votre honneur, cette histoire de tableaux de maître achetés avec de soi-disant fonds secrets, n’est  que pure calomnie.

 Quant à cette affabulation concernant un achat de terrain sous couvert d’une société fantôme, là nous nageons en pleine absurdité !

Tout le monde connaît la probité et l’attachement à l’écologie  de mon client.  Et si Monsieur Leley a demandé quelques renseignements à l’urbanisme, c’est dans le seul et unique but de rassurer la société de préservation des espaces verts , Birds, Animals and Meadows Protection, la BAMP, de ce que cette zone restera à tout jamais un espace vert.

 

Alors on se pose la question : pourquoi Mr Tirtiaux poursuit-il mon honorable client de sa vindicte ?

 Mais  par vengeance, Messieurs !

En 1999, son père,  Mr Raoul Tirtiaux s’est vu refuser un permis de bâtir par mon client. Et devant témoin, celui-ci a menacé Monsieur Leley de lui faire la peau !

Voici le témoignage de Monsieur Dupuis, employé à l’urbanisme qui atteste que Monsieur Tirtiaux père a dit, je le cite ‘’ Dje lui ferai, l’ pia à c’ crasnez ‘’

Aujourd’hui, le fils s’est investi de la vengeance du père et poursuit mon client de sa vindicte. Il accuse même cet Echevin respectable de détournements  et de commissions occultes.

Mais ces accusations ne tiennent pas un instant devant l’honnête et l’excellente réputation de mon client.

Ernest est atterré devant la perfidie de l’avocat.

Il est vrai que son père furieux avait, à une époque, lancé quelques vagues menaces à l’encontre du délégué de l’urbanisme. Mais il ne se souvenait plus qu’il s’agissait de Leley !

Se sentant de plus en plus battu en brèche, il se tasse sur son siège en attendant le verdict.

Celui- ci ne tarde pas,  Ernest est condamné à payer 25.452 €  à titre de dommages moraux et de frais de justice.

À l’audition du verdict, le pidjoneux s’écroule.

 

Leley, fier comme Artaban, s’approche et lui glisse à l’oreille :

- Je vous l’avais bien dit que j’aurais votre peau, scribouilleur de mes deux !

 

Alors que tout le monde quitte la salle, Ernest reste assis, accablé, affligé, anéanti  .

 

Georges s’approche de lui et tout doucement le prend par le bras.

- Venez, Erness, nous d’allons sortir pauw, l’ porte de derrière, Leley  lui , y sera certainement occupé à s’ faire mousser devint les journalistes !

 

- Y m’a traité de scribouilleur de mes deux ! Vous vous rindez compte ?

 

- Oui, m’fi, mais venez avos mi et donnez mi les clefs de l’ auto.

 

Avec beaucoup de douceur  Georges place un Ernest toujours en état de choc dans la voiture.

Arrivé chez lui dans la cuisine, son ami semble revenir un peu à la vie.

 

Du salon, Georges, revient avec un grand verre de whisky:

- Buvez ça, dj’ suis sûr que ça vous f’ra du bien !

 

Obéissant le pidjonneux,  boit mécaniquement une première gorgée et  s’étrangle.

 

- Et bien, dit Georges en essayant de détendre l’atmosphère, ne m’ dite nin qu’ vous n’ savez p’u boire !

 

- Dje  va  vous moustrer si dje n’ sais pu boire dit-il d’un ton caverneux ! Dj va vous stranner ça cul sec !

 

- Et, rastrint ! Y n’ faut nin vous rind’ malade.

Dj’ voit bie que ça va nin, dj’ va rester avos vous pour l’ nut.

 

- Non, Georges em bon amiss, dj préfére rester tout  seu’ , braire un bon cauw  et dormir jusqu'à d’main matin.

 

- Vous yèsse sûr ? Vous d’allez nie m’ faire de bièssetries ?

 

- Non Georges, rassurez-vous.

 

- Bon d’accord, mais d’main matin dj su’s là !

 

- Dj'  sais bie , vous estè un frère pour mi ! Merci, em camarade .

 

- Bon dje va vous laîchie. À d’main ?

 

- À d’main mon bon Georges. Et quo merci po’r  tout.

 

A l’extérieur, discrètement, Georges observe son ami par la fenêtre de la cuisine. Le cœur en miettes, il le voit s’écrouler en gros sanglots sur la table de la cuisine . Puis d’une main tremblante Ernest se sert un deuxième whisky bien tassé.

Oh bè, ça va, il va se prendre une bonne chique, et puis il dormira.

C’est ce qui peut lui arriver de mieux !

Et l’esprit plus tranquille Georges s’en retourne chez lui.

Pendant ce temps, Ernest laisse exploser sa colère et après avoir tapé sur la table, shooté dans le canapé, il s’écroule dans le fauteuil et se remet à boire. Tout y passe, un restant de whisky, un autre de cognac, pour terminer par ‘’la vieille prune’’ offerte par l’oncle Gustave pour le réveillon de Noël 97.

 Malgré les vapeurs d’alcool, Ernest semble en paix avec lui-même. Tout lui semble clair, limpide.

Il va dans le secrétaire, prend une feuille de papier, son vieux stylo plume qu’il traîne depuis l’école primaire, puis il s’attable .

Voici mes dernières volontés, note-t- il de sa belle écriture ronde.

‘’ Moi, Ernest Tirtiaux, je laisse à mon ami Georges Lebrun la totalité de  mes biens ‘’. Puis il signe le document et le met en évidence sur la table.

Voilà, se dit-il, Georges le trouvera après ma mort.

 

- Je me demande, si je devrais nin rajouter que je ne veux nin  qu’ mes cousins à l’ trente-sixième boutonnière héritent de mi. J’ vais tout de même le rajouter on ne sait jamais.

Voilà une bonne chose de faite.

Maintenant, marmonne t’il direction la grange avec la corde et le tabouret. C’est déjà là que mononc' Auguste s’a pindu. Au moins dj’ sui’ sûr que l’ pout’e,  elle est bie  solide.

Décidé, Ernest accroche la corde, il monte sur le tabouret et se passe le nœud coulant autour du cou.

 

 Au moment de faire le geste définitif, il est tout ému.

- Ça m’ fait tout même bizarre de m’ dire que demain je n’ serais plus là.

Mais si j’ dois tout vendre pour payer mes dettes, je préfère ne pas voir çà !

 Georges me manquera, mais ça ne fait rien, je vais retrouver em petite maman.

 

Tout à coup Ernest tend l’oreille.

- Nom de bleu, s’écrie t-il, j’allais oublier mes coulons ! 

 

Il desserre la corde et saute du tabouret.

 

Il grimpe jusqu’au pigeonnier, il ouvre la fenêtre, les cages et chasse à grand bruit tous ses oiseaux !

 

Les larmes dans les yeux, il leur fait un geste d’au revoir.

- Adieu mes petits, faites bien attention aux chats, car papa ne sera plus là pour vous dorloter.

Lentement, lourdement le regard brouillé par de grosses larmes, Ernest redescend l’escalier de bois, mais à la dernière marche, il trébuche et tombe dans la paille.

 

- Ouille, ouille, ouille s’écrie t-il, que j’ai mauw m’gambe !

Bouuuh! j’ai m’ tête qui tourne.

Je vais m’allonger une petite minute …

Mais après avoir  ingurgité un litre et demi d’alcool en tout genre, la petite minute se transforme rapidement en sommeil profond et en ronflements sonores.

 

Dès le petit matin, Georges se rend d’un bon pas chez son ami, il est inquiet. Et lorsqu’il voit sur la ligne électrique les pigeons d’Ernest alignés, il se met à craindre le pire et court comme un dératé.

 

- Oh non, Il n’aurait nin esté s’ pindre comme el mononc Augusse !

 

La porte ouverte de la grange ne lui laisse rien présager de bon. Lorsqu’il voit la corde, le tabouret et le corps d’Ernest dans la paille, il a un coup au cœur.

 

- Crénon, c’est nin possib’ qu’il se soit destrue !

 

Georges s’agenouille et lorsqu’il entend les ronflements sonores, il est rassuré.

 

- L’innocint dit Georges, il m’a fait une peur du diab’ ! Dj a m’ cœur qui bat l’ berloque !

Bon, dj va  monter soigner et rinfrumer ses coulons.

 

Lorsqu’il redescend, Ernest dort toujours au pied de l’escalier. Son sommeil est lourd, agité de cauchemars.

Apitoyé, Georges essaye sans succès de le sortir de sa torpeur.

 

-Bon bin dj’ va lui faire une jatte de café bie fort !

 

Dans la cuisine Georges s’active, il prépare le café, puis il prend dans la pharmacie, le tube d’aspirine qu’il dépose sur la table. C’est à ce moment qu’il voit le testament d’ Ernest.

 

Les yeux remplis de larmes il s’exclame :

- Oh Erness ! Grand couillon ! C’ n’est nin possib’ que vous ayez voulu faire ça !!

C’ n’est nin de vos liards que dj’ai besoin !

 Sans vous avec qui que dj’m disputerai ?

Qui c’est qui m’impêcherait d’ faire des bièssetries ?

Du revers de la manche, il essuie ses larmes, renifle un grand coup, il prend le tube d’aspirine,  la tasse  fumante, puis il retourne à la grange.

 

Avec énergie, il secoue Ernest.

 

 Celui-ci en se protégeant la tête s’écrie :

-Non, non, ne me tapez pas, pas sur la tête j’ai déjà si mal !

 

- Erness, Erness, c’est mi, Georges, vot copain !

 

Le pidjoneux ouvre un oeil, tiens vous êtes mort aussi ?

 

- Mais non,  grand innocint ! Vous astez in vie !

 

- Ah vraimint ?

 Ooooh, qu’est-ce que j’ai mauw tiête !

 

- Dj’ min doutais, dj’ vous ai apporté une tasse de café et de

l’ aspirine.

 

- Merci, em n’amiss, donnez mi trois cachets, dj’ai une tiête comme in choux-fleur.

 

- Boh, i m’ simb’ que  pou’ quequin qui voulait s’ pindre, vous êtes bie douillet.

 

- Ah mais, c’est raté pou’ cette fois ci, mais demain, dj’ recommince !

 

- Vous avez bie raison dit Georges et j’espère que vous allez m' mett’ sur vos testamint.

 

 Ernest un peu éberlué :

- Vous savez bie qu’ vous êtes comme em frère. Dj’ vous laisse tout ! Et dj n’ veux ni qu’un sous aille chez mes cousins al trente-sixième boutonnière . Dj’m' rappelle que dj’a scrit ça sur un papie, mais dj’ n’ sais nin où c’est que dj’l’ ai mis !

 

- Boh, on l’ retrouvera bie, ne vous inquiétez nin.

En tout cas ça m’ fait plaisir que vous me laissiez vos liards, ainsi,  je pourrai m’acheter une plus belle maison.

 

- Vous allez déménager ?

 

- Oui dj’ a téléphoné a Louis, y m’a trouvé une belle petite maison in France dins s’ village.

 

- Et vous seriez parti sans mi ?

 

- Mais puisque vous serez mort !

 

- Tout d’même, dj’n’ trouve  nin ça gentil !

 

- Pourquwè , vous v'lot venir aussi dins le sud d’el France ?

 

- Beh, dj n’ y avoûs jamais pinsé.

 

- Erness, grand couillon, ascoutez-mi avint de pinsez à vous repind’e.

Depuis el mort d’ Annie,ça m’ trotte dins l’ tiète. Dj en avos marre de tout et dj’ a téléphoné à Louis. Dins m’idée dj v’lot akater éné p’tite maison pou les vacances.

Mais y a deux jours, y m’a sonnè pou dire qu’in un grand terrain avoz deux petites maisons était à vendre pou 300.000€. Et dj pinsait vous in parler audjourd’hui.  

 

- Mais dj’ suis ruiné avos les sous que dj’ dois à Leley.

 

- Dj vous aime bie , mais y a des fois qu’ vous m’énervez avos vos idées noires! Réfléchissez une miètte !

L’ crasnez de Leley, il est coinchie !

 Il est allé dire à tout l’ mond’ qui n’y aura nie d’zoning, que c’ sera toudi ène zone verte.

Résultat, el prix de nos maisons, il augminte !

Et audjourd’hu nos maisons avos les pâtures, elles valent 480.000 € ! 

Dj a suis sûr. Dj a téléphoné à un expert immobilier.

Si nous akattons les maisons, nous deux, chacun donnera 150.000 € et même avos c’ que vous d’vez à Leley y vous in restera quo 300 .000€.

 

- Vous yèsse sûr de vot’ affaire ?

 

- Certain, dj a tout vérifié !

 

- Mais alors quo ch’est qu’on rattint pou appeler Louis ?

Tout à coup, Ernest devient tout blanc.

 

- Quo ch’est ce qui vous arrive ? Vous yèsse blanc come on navia qu'on-z-a pèlé deus cauws !

 

- Mes coulons, mes p’tites biètes, dj’ les ai tous relatchies hier soir.

 

- Ne vous tracassez nin pour ça, dj’ les ai rinfrumées et nourries, vos petites biètes !

 

Les larmes dans les yeux, Ernest se précipite dans les bras

de Georges :

- Em n’ amiss, em frère , jamais dj’n’ oublierai c’ que vous avez fait pour mi !

 

Au bout de quelques instants, Georges pudique s’extrait des bras de son ami :

- Eh ! Vous me strannez ! Et c’ n’est nin l’ momint dj’ a toutes mes valises à faire.

 

- Cré milliard c’est vrai, y nous faut tout vider et tout vindre.

 

- Et d’aller qué cinq lit’ de Sidol chez l’ marchau !




 Chapitre 21



Après quelques mois de visiteurs casse-pieds et de tri sélectif, les deux superbes fermes en bordure de zone verte sont rapidement vendues et les maisons du Sud rapidement achetées. 

Ce mardi au petit matin,  les véhicules d’Ernest et de Georges, remplis  à ras bord attendent le signal du départ.

Un dernier bisou aux voisins et amis, un au revoir de la main, et les voitures disparaissent dans un nuage de poussière.

Douze heures de route les attendent, mais l’espoir d’une vie nouvelle les motive.

Vers dix-neuf heures, les deux conducteurs empruntent la petite route empierrée qui les amène à leurs nouvelles demeures. Le portail est grand ouvert et devant un énorme tilleul, flanqué d’une banderole ‘’      Bienvenue aux couloneux ‘’ , Louis et quelques amis les attendent devant une table dressée.

Un peu courbattus par le trajet, les deux Belges s’extrayent péniblement de leurs voitures

Louis fait les présentations :

- Vous connaissez Rosette, ma femme. Je vous présente Emile et Sophie. Emile tient le bistrot sur la place, il est aussi le maire du village  et voici Raoul et Jeanne. Raoul est le président du club de pigeons.

Émus, les larmes aux yeux, les deux amis embrassent tout le monde.

 

- Merci, les amis, dit Ernest vous ne pouvez pas vous imaginer le bien que me fait votre accueil.

 

- Et ce n’est pas tout s’écrie Rosette, venez suivez-nous !

 

Lorsque Georges pénètre dans sa petite maison, il n’en revient pas ! Tout est propre, pimpant, repeint à neuf. Dans la petite chambre, un lit pliant a été installé.

 

- Et nous avons fait la même chose chez vous dit Rosette en se tournant vers Ernest.

 

Devant tant de gentillesse et après avoir vécu tant de vilénies, les deux amis se mettent à pleurer.

Entre deux sanglots, ils arrivent à ânonner un merci.

 

- Bon les amis, intervient Louis ex- abrupto, il faut savoir qu’ici en Provence, l’eau est rare ! Alors, on ne gaspille nin , on coupe les eaux et on cesse de braire.

Le pastaga nous attend !

 

En riant, tout le monde se dirige vers la grande table où Emile a déjà servi un petit pastis bien glacé.

 

Pendant toute la soirée, on rit, on mange, on boit aux pigeons, à la France, à l’amitié. Vers minuit, dans leur logis respectif, Georges et Ernest s’écroulent, épuisés, dans leur lit de fortune.

 

C’est le bruit des énormes klaxons des camions de déménagements qui réveillent les deux compères. Le temps d’enfiler jeans et Tshirt et les voilà à pied d’œuvre.

Pendant trois jours Georges va agencer sa maison  dans l’esprit de sa petite  ferme hennuyère.

Ernest lui a décidé de tout changer. Il faut dire que pour la première fois de sa vie, il peut enfin décider de la décoration de sa maison et il ne s’en prive pas. Heureux, il ponce, peint, transforme, il refuse même l’aide de son ami.

Georges, un peu livré a lui-même, décide d’appréhender le village à pied, son chien sur les talons. Tous les jours à neuf heures, il s’en va se balader, par monts et par vaux, puis il repasse prendre son journal, l’apéro et le plat du jour chez Emile. C’est en revenant d’une de ses promenades qu’il fait la connaissance de Sylvie, une charmante voisine à la cinquantaine florissante.

 

- Bonjour Madame, Je me présente, Georges Lebrun, je suis votre nouveau voisin.

 

- Ah, c’est vous le propriétaire du joli chat noir !

 

- J’espère qu’il ne vous ennuie pas ?

 

- Non pas du tout. Vous élevez aussi des pigeons ?

 

- Oui, avec mon ami d’enfance, nous avons un pigeonnier en commun. Moi je suis veuf depuis trois ans et Ernest, lui, il ne s’est jamais marié. Je ne sais pas trop pourquoi, parce que c’est un brave garçon, peut-être que le fait de vivre à la ferme chez ses parents l’a un peu rendu solitaire. Mais je papote, je papote, peut-être que je vous dérange?

 

- Pensez-vous, un petit break me fait plaisir, je me bats pour repeindre cette grille toute rouillée, mais le bricolage et moi ça fait deux .

 

- Voulez-vous un coup de main ? Je suis pensionné et j’ai tout mon temps.

 

- Vous feriez cela ? demande Sylvie, ravie.

 

- Oui, je commence tout suite si vous voulez ! Je vous demanderais simplement la permission de rentrer avec mon chien.

 

- Mais oui venez, entrez, j'adore les Saint-Bernard et celui-là a l’air bien gentil.

 

-  C’est une crème de chien. Vous pouvez me montrez où se trouvent les pinceaux et la peinture, je vais vous repeindre ça en deux temps, trois mouvements !

 

Chemin faisant,  Georges passe pour Sylvie du statut de voisin complaisant, à l’ami de cœur.

Ernest, toujours préoccupé de ses aménagements, ne se rend compte de rien.

six mois ont passé, lorsque Sylvie annonce à Georges, l’arrivée de sa cousine Geneviève.

 

- On ne pourra plus se voir alors ? dit Georges affligé.

 

- Bien sûr que si, nous continuerons à nous voir comme d'habitude.

 

- Tu m’as fait peur em petit pouyon ! Tu sais que je ne pourrais plus envisager ma vie sans toi.

 

- Ni moi sans toi.

 

- Si j’osais, je te proposerais bien de t’épouser.

 

- Mais propose, dit Sylvie au comble du bonheur.

 

- C’est vrai, tu accepterais de te marier avec un ancien fermier ?

 

- Mais oui, s’écrie Sylvie, cent fois oui !

 

- Dans ce cas, considérons-nous comme fiancés !

 

- Nous fêterons cela ce soir, j’invite ma cousine et toi amène ton ami Ernest.

 

- Oh, em petit pouyon, que je suis heureux !

Mais, il me faut une bague pour ce soir, on ne se fiance pas sans bague.

 

Il se lève d’un bond embrasse Sylvie, et s’encourt en criant :

-         Je passe chez le bijoutier, à ce soir.

 

Avant de partir en quête du précieux diamant, Georges passe chez Ernest.

 

- Erness ?

 

- Oyie, quo ch’est qui se passe ?

 

- Dj ‘a une bonne nouvelle à vous annonchie et une invitation à vous transmett’.

 

- Ah bon !Rascontez-mi l’ bonne nouvelle d’abord.

 

- Dj va me remarier !

 

- C’est nin vrai ! Dj n’ai rie remarqué.

 

- Et pour sûr, vous estiez toudis dins vos visses, vos clauws ou vos gardin !

 

-Et qui est l’heureuse élue ?

 

- C’est Sylvie, noss visine.

Et ce soir,vous yèsse invité à noss dîner de fiançailles. Nous n’serons que quatre : Sylvie, s’ cousine et nous deux.

Mettez vos bia costume, pour des fréquentages c’est mieux !

 

- Et bè m’ gaillard si dj m’ratindais à pareille no’velle ! Mais dj’ suis tellemint saisi que dj’ai oublié de vous féliciter.

Dj suis bie heureux pour vos. Ça m’ fais vraimint plaisir ! 

 

- Dj’ vous quitte car im faut quo d’aller chercher une bague chez l’ bijoutier.

 

- À quelle heure que dj’ dois yèsse prêt ?

 

- À sept heures, chez Sylvie. À tintôt.

 

- Oyie.

Georges qui va se marier… Alors ça, c’est une fameuse nouvelle !

Quelle heure est-il ?

Trois heures, j’ai juste le temps de tout remettre en ordre, de me changer et d’aller à la boutique chercher un bouquet de fleurs.

 

Je prends un ou deux bouquets ? Bah j’en prendrai un gros et un plus petit.

À sept heures tapantes, Ernest, très élégant, s’annonce à la grille de la promise.

Une sympathique brunette aux yeux lavande vient lui ouvrir la porte, un peu gauche, Ernest lui tend le gros bouquet et très spontanée, Sylvie le gratifie d’un gros baiser sonore sur chaque joue.

 

 L’amie de Georges semble bien sympathique pense le pidgonneux. Pressé de se débarrasser de son deuxième bouquet, il demande

- Votre cousine n’est pas là ?

 

- Si, si, elle se trouve avec Georges sur la terrasse, elle dresse le couvert. Je vous en prie, allez les rejoindre, le temps pour moi de mettre vos jolies fleurs dans un vase et je vous rejoins.

 

Au détour de l’allée bordée de lauriers roses, Ernest aperçoit la terrasse. 

Georges y attise un odorant brasier de sarments de vigne, alors que de dos, une blonde silhouette vêtue de lin vert d’eau, plie les serviettes.

Ne sachant trop quoi faire, le pidjonneux , attend silencieux, le bouquet à la main que ‘’la cousine’’ songe à se retourner.

 

Lorsque Sylvie s’en revient , elle se rend compte de l’embarras de son invité.

- Ernest, puis-je vous présenter ma cousine Geneviève.

 

Un peu gauche, il tend le bouquet à la gracieuse silhouette blonde..

 

- Des fleurs ! Comme c’est gentil d’avoir pensé à moi ! S’écrie Geneviève.

 

- Allons dit Sylvie enjouée, asseyons-nous.

Georges tu nous sers l’apéritif ?

 

 - Tout de suite èm p’tit pouyon.

 

Alors que les quatre nouveaux amis savourent les jolies petites bulles ambrées de leurs verres, Georges, très théâtral, le genou en terre, demande Sylvie en mariage.

Le reste du souper est joyeux, mais Georges qui connaît bien son ami le trouve  étonnamment raide et réservé.

Y m’in veut se dit Georges. Dj suis là à étaler em bounheur in égoïst’ et ce pauv’ Ernest,  y doit croire que dj vais le laiyie tchère. Y faut absolumint que dj’ lui parle.

Vers minuit, alors que les deux amis s’en retournent, Georges invite son copain à prendre un dernier verre.

 

- Ben, c’esse t’une bonne idée dit Ernest, il y a longmins que nous avons causé à l’ belle étoile ! Et l’ nut est si belle.

 

- Ça va d’abord, dj nous ramène deux bonnes crasses pintes !

 

Seul, assis sur le vieux banc de pierre, Ernest hume la terre encore chaude, l’odeur des pins et des romarins.

- Dieu qu’c’ sint bon d’auci !

Il regarde émerveillé le ciel étoilé :

- Et dire que si j’n'avais pas essayé de me  suicider, je n’aurais jamais connu tout ça !

On dit parfois qu’ l’ seigneur ne ferme jamais une porte sans en ouvrir une aut’ , c’est bien vrai !

Encore que  si je n’avais pas eu mon bon Georges, el porte je n’l’aurai jamais vue !

Et aujourd’hui voilà mon Geoges fiancé ! Je suis bien heureux qu’il ait trouvé Sylvie, elle est bien gentille.

 

Georges en apportant les bières :

- Ernest, em n’amiss, vous n’êtes nin fâchés que j’ai décidé de m’remarier avos Sylvie ?

 

- Oh non, Dj suis bin heureux pour vos !

 

- Vous savez ça n’ changera rie à noss amitié !

 

- Mais dj ‘ n’en n’ai jamais douté.

Vous yèsse comme em frère pour mi.

 

-  Dites mè alors pourquwè , vous estie si silincieux pindant l’ dîner ? Y avos une saqwè qui d’ allot nin ?

 

- Dj n’ose nin vous l’dire. Vous d’allez vous fout’ de mi !

 

- M’enfin Erness, vous savez bie que vous pouvez tout m’dire.

Dj ‘ suis comme el curé  ! Mis à part qu’avos mi nous n’aurez nin  30 Ave Maria à dire  in pénitince.

 

-  Y m’arrive une drôle d’affaire.

 

- Vous n’estie nin malade tout d’ même?

 

- Non, m’ fi, dj’ crois plutôt que dj su tombé raide amoureux.

 

- Commint dit Georges éberlué . C’n’est nin vrai ! Et d’ qui donc ?

 

- De Geneviève.

 

- Ah cré milliard, ça fait cinquante ans que je m’échine à vos présinter toutes sortes de coumères, des petites, des grandes, des blondes, des rousses, des brunes; ça n’ dalot jamais. Dj  vous invite à mes fiançailles et  vla qu’ vous tomber raide  amoureux !

 Décidémint, el soleil de Provence y fait des mirac’es!

Sacré Erness va ! En vla un coup d’ foud’

Et quo ch’est qu’on fait ?

 

- On fait rie, em fi ! Rie du tout !

Vous avez vu l’coumère ? C’ n’est nie une feumme pour mi. Elle esse t’  élégante, djolie , chicque, spirituelle.

In plus, elle èsse- t’ éditrice à Paris. Elle connaît bramint des dgins haut placés. Vous pinsez bie qu’elle ne va nin s’intéresser à ène viye bièsse comme mi . Un viy garcon, avos comme seule passion, ses coulons !

 

-Dj’ vous l’ dit comme dj’ l’ pinse . Vous astez quéquin d’ bien. Et vous n’astez nin si bièsse que vous l’ dites.

Avos  tous les liv’s que vous avez lu,  y a d’ quoi tapisser tous les murs de vos maison.

Et si vous v’lez  èm n’aviss, c’est la trouille que vous avez, tout simplemint.

Mais puisque vous n’ vo’lez nin que dj’ vous donne un cauw d’ main. C’est d’accord.

 

- Et vous direz rin à Sylvie ?

 

-Ça, on verra bie. Pour l’instant dj’ dit rin, c’est promis.

On se  reprind quo une pt’ite pinte sous les étoiles ?

 

-         Oyie ! Y fait si doux et ça sint si bon d’auci. Quind dj’pinse que j’ai faillit n’ jamais connèche  tout çà …

 

Heureusemint que dj’ vous ai eu !

 

- Et mi donc ! Si vous n’aviez nin stie si malheureux, jamais d j’aurais pinsé à partir.

Allez santé, à nous aut’ deux !

 

- À nous aut’ deux !




Chapitre 22



À l’orée de cette douce journée dominicale, de sa terrasse, Ernest tout en déjeunant, admire le nouvel agencement de son jardin.

Les premières fleurs pointent leur nez et le potager est plus que prometteur.

Les tomates, qu’il s’escrimait péniblement à faire pousser dans sa serre hennuyère, croissent ici comme des baobabs.

Elles sont rouges, belles et odorantes, c’est sa petite fierté du moment.

Il faudrait, se dit-il, que j’en fasse la récolte.

Laissant là les reliefs de son petit déjeuner, il se dirige vers l’abri de jardin. Il en extrait trois paniers, puis commence sa cueillette.

incliné entre les plants regorgeant de fruits rouges, il inspecte, tâte, égrappe.

 

Arrivé en bout de ligne, il remarque au bord du potager, deux grands pieds chaussés de sandales brunes.

 

- Ouh, s’écrie-t’il:

Mais dj’ connais bie, ces plats pie’s !

 

- Commint ça rétorque Georges furieux, dj’ n’ai pon d’ plats pie’s, d’ailleurs, d’j’a fait m’ service militaire. Et y n’avait pon d’ plats pie’s chez les chasseurs Ardennais. 

 

- Bonjour em’ Georges, commint qu’ ça va ?

 

- Ça va , dj’ v’nais vous inviter.

 

- M’inviter ?

 

- Oyie, Sylvie, Geneviève et mi, on pensait d’ aller dîner chez Emile, y fait un couscous pou’ c’ midi. Ça vous dirait d’ v’nir avos nous ?

 

- Ouh… dj’ sais nin, ça sint l’ guet-apens.

 

- Mais quo ch’est  qu' vous d' allez  quo cachie.

J’invite èm fiancée à diner, comme ès co’sine est là, im faut l’inviter itou.

 Commint qu’ j’expliquerot que meilleur n’amiss y n’ vint nin avos nous ?  Cré milliard, y n’y a pon de guet-apens la dedins.

 

- Vos avez raison,  d’j tourne sot.

Commint s’ qu’on faît ?

 

- Mi, dj va proumener avos  el kièt et Sylvie.

Et on se donne tous rindez vous à 11h 30 chez Emile, ça vous va ?

 

- Et si dj’ me r’trouve tout seu’ avos Geneviève ?

 

- Et bie, vos mam’ ne vous a nin appris qu’il faut yèsse galant avos les jeunes filles ? Vous n’aurez qu’à faire el conversation.

 

- Mais, dj’ saurez nin ! Quand dj’ vois Geneviève, dj’ai  m’cœur qui bat l’ berloque,  mes genoux qui cliquottent et  commes des œufs durs dins m’ goyet.

 

- Ah, ça Casanova,  c’est l’amour.

Mais vos n’ inquiétez nin . Geneviève, elle est  polie, elle. Elle f’ra l’ conversation  tout seu’.  

Mais essayez, tout d' même de ne  pas trop faire el mourzouk !

De toutes les façons, à 11h30 tapantes, on est là.

Allez, dj’ va réserver nos couscous.

 

- Tenez dit Ernest dj’ avoz préparé des tomates pou’ vos et pou’  Sylvie .

 

- Vous yèsse bie courageux d’ quo faire un potager, pour mi c’est fini tout ça.

Dj n’a plus l’ goût.

Merci pou’ les tomates.

 

- À tintôt, et ne m’ layez nie tomber. Soyez là à onze heures et demi !

 

- Juré.

 

Alors que Georges s’en va sur ces belles promesses, Ernest, lui, continue ses travaux de jardinage en grommelant :

 

-Em main au feu, qu’il ne  sera pas à l’heure.

 Je parie que Sylvie et lui ont décidé de me laisser seul avec

Geneviève. Ça  sent le traquenard.

Soudain, il s’arrête : mais dj’ devie sot. Quo ch’ est qui m’arrive ?

Ça n’est pas si grave de se r’trouver seul à une table avec une charmante  dame.  Georges a raison. Je vire mourzouk.

Allez Ernest reprends-toi, mon garçon.

Zou, direction la salle de bain où on va s’ faire tout beau !

Après la douche, il choisit dans sa garde-robe, le nouveau pantalon de toile beige et la chemise bleue qu’il s’est acheté au marché d’Aubagne. En se regardant dans la glace, il dit : voilà j’ suis potable.

 De toute façon, c’est le mieux que j’ peux faire, on ne fera jamais du neuf avec de l’ancien.

Je respire un grand coup et direction le resto !

D’un pas décidé, le pidjoneux se dirige par le petit sentier caillouté, vers le bar d’Emile. Il voit au loin les deux gros platanes centenaires qui dispensent l’été une ombre rafraîchissante. Il voit les petites tables nappées de blanc, mais il voit surtout une Geneviève désespérément seule.

Crotte de bique ! Pense t-il, quel bonimenteur ce Georges !

Et soudain les symptômes bien connus reviennent au galop, le cœur s’emballe, la gorge se noue. Misère, se dit-il, qu’est-ce que j’vais faire ? J’ me sens noué de partout. Je ne pourrais jamais articuler un mot.

L’envie de prendre ses jambes à son cou, de fuir, le taraude mais Geneviève qui l’a vu, lui fait de grands signes amicaux.

Sans passer pour le plus goujat des goujats, il ne peut décemment mettre son plan à exécution. Courageusement, il fait front.

Geneviève, resplendissante dans une robe verte à  petites fleurs blanches, se lève et accueille Ernest d’un baiser sur la joue.

 

- Monsieur Ernest dit-elle, que je suis contente de vous voir, je me sentais un petit peu abandonnée.

C’est étonnant car Sylvie m’a dit qu’elle serait bien à l’heure.

C’est vrai qu’avec les amoureux on ne sait jamais, n’est-ce pas …

 

- Ernest qui a toujours du mal à se remettre, émet une sorte de lamentable gargouillis qui se pique d’être un rire.

 Navré de sa performance, il s’empresse de demander à Geneviève si elle souhaite prendre un rafraîchissement.

 

Puis, il se précipite à l’intérieur, s’accroche au bar et reprend doucement ses esprits.

 

- Té Monsieur Ernest, ça ne va pas aujourd’hui ? s’exclame Emile.

 

- Ce n’est rien, juste un petit coup de chaud.

 

-Vous voulez prendre quelque chose ? demande le patron.

 

- Oh oui répond, l’amoureux transi, un cognac bien tassé et deux Perriers citron. 

 

D’un geste sec, il avale le cognac, puis, tremblotant, il se saisit des verres.

Sur le pas de la porte, il marque un petit temps d’arrêt et voit arriver au pas de course, Sylvie, Georges et Tara.

Ah, les v’la enfin se dit Ernest soulagé.

 

Vifs comme l’éclair, Georges et Sylvie se ruent sur les deux verres d’eau, en s’écroulant sur leur chaise.

 

- Bon dieu que j’avais soif s’exclame Georges, courir comme ça c’est plus d’èm n’âge !

Mais quand vous aurez entendu l’histoire...

 

- Allez ne nous fait pas languir. Qu’est-ce qui se passe ?

 

- On a trouvé el chaînon manquant, dit-il fièrement.

 

- Le chaînon manquant ? s’étonnent Geneviève et Ernest.

 

- Oui. Nous avons toudis cru que le nom du village,ici, c’astoût Ste Marie La Fontaine. En fait dans cette partie c’est ‘’ Sainte Marie’’ et si on prend el petite rue, là dans le bas, on arrive au hameau de ‘’ La Fontaine ‘’.

 

- Oui, répond Ernest déçu, merci pou’ l’ cours de géographie.

 

- Minute papillon, l’affaire se corse.

En desquindant l’ sentier, on a croisé Jeannot qui taillait une haie.

Et nous….. on a taillé une bavette.

Tout fier, il nous a moustré l’endroit où il travaillait. On a même visité l’ maison. Et là, devinez quoi ?

El maison, elle appartenait à un Belge, qui d’après lui devait être adjoint au maire et qui habitait el région d’ Charleroi.

Et dans l’ maison y avait deux  tableaux que dj’ai bie reconnus. Deux authentiques Magritte. Qui avaient été expertisés par le  beau-frère de Jeannot, antiquaire-expert à Aubagne. Et  Jeannot venait juste de les pendre au mur.

Et mieux encore, vos savez commint qu’elle s’appelle el villa ?

 

-‘’ Clémentine’’ s’écrie Ernest dans un éclair de fulgurance !

 

- Tout Just’.  Et l’ nom d’ famille de Jeannot , vous le connaissez ? C’est Méounes. Jean Méounes de La Fontaine  cela ne vos dit rin ?

 

- Mais c’est le nom du président de la société française !

 

 

 -Et oui ! Cette fois, on le tient le coco.

 

- Non, on ne l’tient pas. Y faudrait quo faire un procès pour essayer de prouver qu’ils se connaissent le  Jeannot, Clementine et l’Echevin. Et mi les procès avec Leley, dj a déjà donné.

 

- Ouais vous avez raison, nous estions si contints avos Sylvie qu’on a nin pensé à ça.

 

-Ouais dit Ernest, il vaut mieux que je me fasse à l’idée que ce procès est définitivement perdu et puis tourner la page. Vivre autre chose.

 

- C’est vrai  qu’on est bien ici ajoute Sylvie.

 

- Oui, rajoute Ernest et c’est moi qui offre l’apéro.

 

- Ouh là ! Ça va te coûter cher dit Georges , en riant.

 

- Pourquoi, interroge le pidjonneux ?

 

- Retourne-toi et regarde les huit challengeurs qui ont entendu parler

d’apéro !

 

-Oh ! Ernest ! S’écrie la bande de copains on a bien entendu, c’est toi qui offre le pastaga ?

 

Riant, le pidjoneux interpelle Emile pour qu’il serve généreusement l’apéro avec une belle ration d’olives !

La tablée de quatre devient vite une grande table de douze parmi laquelle Ernest se sent curieusement plus à l’aise. Il rit, plaisante, pendant tout le repas, sous l’œil bienveillant d’un Georges ravi de retrouver son copain ‘’ au naturel’’.

Vers quatre heures, toute la joyeuse équipe se sépare dans un espiègle brouhaha.

Le chemin du retour est  écrasant de soleil et le poids du repas  se fait sentir. Aussi, Sylvie, Geneviève, Georges et Ernest  ne rêvent que d’une seule et unique  chose :  une bonne sieste.

Et devant la première maison les couples se reforment, les Dames d’un côté, les Messieurs de l’autre.




Chapitre 23



Alors qu’Ernest, le pulvérisateur sur le dos, lutte à coup de purin d’orties contre les pucerons, Georges arrive en courant, suivi au loin par Sylvie et Geneviève.

 

- Ça y est, on va pouvoir se vinger ! crie t-il en agitant le journal.

 

- De quoi qu’ vous parlez ?

 

 - De Leley.

 

- Quo toudis ! Mais ça d’vient ène obsession.

Dj n’ veux pu intindre parler de c’ n’homme là !

 

- Rattindez une miette avint d’ dire ça.

Dins l’ Soir d’hier, y disot que Leley était à nouveau intindu.

 

- Ah bon, dit Ernest, quo ch’est qu’il a quo fait ?

 

- Il est soupçonné d’avoir empoché des pots d’ vin.

 

- Des pots d’ vin ! Mais c’est des barriques intières qu’il a touchie  c’ crasnez.

 

- El bonne nouvelle, c’est qu’ el justice fouine toudis.

Et el deuxième bonne nouvelle, c’est Jeannot qui me l’a apportée. Dans  un article de ''Var Matin'', y avos une photo de Leley et d’vinez quwè ?

Y s ‘est marié avos Madame Clémentine Abraham, le week-end passé à St Tropez.

Waite el photo, qué genre ! Il est in costume blanc, el faux jeton !

 

- C’est vrai qu’ c’est choquant. In costume de bagnard il aurait stie plus convenab’!

 

- Mais Ernest vous n’ comprenez rin.

 

- Le lien entre Clémentine et Leley, il est là, on peut attaquie.

 

- Attaquie , attaquie, comme vous y allez. Vous savez bie que la fois passée dj’ a stie retamé à plate couture .

 

- Ascoutez. Geneviève a une bonne idée et ça n’ vous  coûstera nin un liard.

 

- Bon d’ accord, je m’ assied et j’ ascoute.

Pindint s’ timps, servez nous èn bonne jatte de café.

 

- Alors cette idée lumineuse ?

 

- Georges, Sylvie et moi on a retourné le problème dans tous les sens.

Et on pense avoir trouvé une bonne solution !

 

- Je suis toute ouïe, rétorque Ernest sceptique.

 

Voilà ce que nous avons imaginé explique Geneviève.

- Vous avez déjà combattu cet Echevin de front et cela s’est soldé par un échec.

Cette fois, nous proposons d’agir par la bande.

 Sans se faire repérer.

 

- Et c’est possible ça ?

 

- Oui.

Qu’est-ce qui manque à la justice pour intervenir ?

 

- Des preuves solides, répond le pidjoneux.

 

- C’est exact. Et ces preuves nous allons les apporter sur un plateau au Juge.

 

- Vous n’allez tout de même pas faire des faux témoignages ?

 

- Non, rassurez-vous, on se contentera de voler les tableaux .

 

- Comment ! s’écrie Ernest épouvanté. Mais je ne suis pas d’accord. Et Jeannot dans l’histoire, il va avoir des ennuis. Pas question de voler quoi que ce soit.

 

- C’est vrai que j’ai dit voler, mais j’aurais dû dire, emprunter.

L’idée, c’est de voler les deux Magritte et de les envoyer au nom de Leley et de la BAMP en recommandé à l’agence immobilière de Madame Clémentine à Jersey.

On prend une petite copie du reçu et on envoie le tout anonymement au juge.

Et là, s’il ne met pas le nez dans tout cela, c’est vraiment que le juge est un pourri !

 

 - Avec le nouveau juge qu’ils ont nommé, cela m’étonnerait qu’il soit corruptible.

Je le connais bien. Au journal, on l’appelait Eliot Ness.

Mais, comment  allez-vous faire tout cela ?

 

- La première chose, expose Geneviève, c’est de faire des copies des tableaux. Mon fils est infographiste, à Paris, il pourra nous réaliser d’honnêtes copies sur toile que l’on accrochera à la place des originaux.

 Je rentre à Paris demain et je propose de m’en charger.

Enfin, si vous êtes d’accord et  si vous me donnez les photos des copies que votre échevin avait soit-disant dans son bureau.

 

- Ça m’a l’air totalement fou comme projet, mais je ne sais pas pourquoi j’y crois.

Ému par tant de sollicitude, Ernest prend instinctivement la main de Geneviève et les yeux embués, il la remercie.

Puis, il  part à la recherche des photos.

 

Pendant quelques semaines, Ernest n’a plus de nouvelles de sa tendre voisine.

Mais un vendredi, vers trois heures, le téléphone retentit.

C’est Geneviève qui propose à Ernest de les rejoindre chez Sylvie.

 Lorsqu’il arrive, les trois amis l’attendent dans le jardin autour de la grande table en marbre.

Dessus trône un énorme paquet recouvert de papier kraft.

 

Ils ont tous trois des sourires  en coin.

- Ouvrez Ernest, dit Sylvie, impatiente. C’est pour vous.

 

Méfiant, il déballe  le colis et tombe en admiration devant les deux faux Magritte décrit par Leley.

 

- C’est incroyable, s’écrie t-il.

Comment avez-vous fait ?

 

- Bof, dit Geneviève, un petit coup de Photoshop, un peu de peinture acrylique et voici les deux fidèles copies de ce qui se trouvait dans le bureau échevinal de Leley.

 

- Dj’n’ in crois nin mes ouilles! s’exclame Ernest.

Puis se reprenant : Oh excusez-moi Mesdames, je voulais dire que je n’en croyais pas mes yeux.

- Mais nous commincons à djasez Wallon dit Sylvie en riant !

 

- Et mi, dj’ m’ mets au Provençal, rajoute Georges.

 

- Et dj’ suis sûr, rétorque le pidjoneux du tac au tac, que voss premie mot in provençal a stie Pastaga !

 

- Hé peuchère, on ne se refait pas !

 

- Mais comment allons-nous faire pour l’échange des tableaux ?

 

-Alors là dit Georges, j’ai un plan d’enfer! Nous allons employer, …du brin d’ coulons.

 

- Du brin d’coulons pour voler des tableaux ! Alors là m’fi dj’ suis perdu.

- Ben là em camarade, dj’ vous comprins. Et dj’ suis pas peu fier d’em trouvaille.

Et puis Geneviève, elle a quo trouvé ène aut ‘ affaire.  

 

-Ah bon, dit l’ pidjoneux.

 

- Oui, pour copier les toiles mon fils  a dû agrandir les photos que vous m’ avez données et là il y a un détail intéressant, regardez bien cet agrandissement.

Vous voyez les tableaux dans le fond  et le calendrier de l’année 2004. Mais si vous regardez bien sur le bureau de votre échevin, il y a un journal et regardez le titre de l’article.

- Oh ça alors ! ‘’ Télévie 2007 , gain record ‘’  Le salaud, il m’a encore entubé !

 

- Oui, mais cette fois on enverra la jolie photo au juge s’exclame Geneviève !




Chapitre 24



Le mardi suivant, dès neuf heures, l’opération ‘’brin  d’coulons’’ commençait.

Les copies de Magritte, soigneusement emballées, étaient rangées par Sylvie et Geneviève sous une bâche plastique dans la deuxième brouette.

Et pendant que les deux hommes garnissaient l’engin de fientes de pigeons, les dames préparaient le premier contenant.

 

Les brouettes remplies à ras bord, Georges, martial assène :

- Bon, nous allons synchroniser nos montres.

 

- Pourquwè vous voulez synchroniser les montres ?

 

- Dj sait nin ! dit-il en riant. Ils font toudis ça dins les films. 

 

- Et bien, Mesdames, synchronisons nos montres, si ça ne nous fait pas de bien, ça nous fera pas de mal.

Il est exactement neuf heures dix. Et top, l’opération brin d’coulons vient de commencer. Alors, comme on a dit, vous nous attendez non loin de chez Leley.

 

- Espiègles, Sylvie et Geneviève répondent en riant :

Oui chef, bien chef, à vos ordres chef.

 

- Bah, dit Ernest philosophe, si jamais on se retrouve in caruche au moins on aura bien ri.

Georges, vous passez devint avos vos machine, mi dj’ suis avec el brouette où on a muchie les copies de tableaux.

 

Alors que les dames avancent légères comme des cabris, les deux compères lourdement chargés avancent à petit pas, entrecoupés de petites stations de repos.

Dans la ruelle qui descend vers La Fontaine, les deux amis ont bien du mal à retenir les engins à roues et c’est au pas de course  qu’ils entrent dans le jardin de la villa Clémentine.

 

- Salut, les coulonneux, s’exclame Jeannot. Oh mais vous m’avez apporté deux brouettes bien pleines.

Venez, on va déjà déverser la première dans le potager.

 

Alors que Georges suit le jardinier, Ernest en profite pour faire signe à la gente féminine de rentrer.

- Venez, la voie est libre. Jeannot est au fond du jardin et comme d’habitude il a ouvert les portes et les fenêtres de la maison  pour aérer. Bonne chance !

 

Au pas de course, il arrive dans le potager.

- Je me suis arrêté quelques minutes pour admirer le grand rosier jaune, c’est quelle sorte ?

 

- C’est une du Bary répond Jeannot, c’est le rosier préféré de la

Dame.

Entre nous, c’est une belle peau de vache, celle-là ! Jamais un mot gentil, jamais contente et jalouse avec ça.

Elle lui en a fait des scènes de ménage, fan de chichoune ! On l’entendait s’égosiller jusqu’ au  bistrot d’Emile.

 

Allez, on va chercher la deuxième brouette, comme ça vous serez libérés.

- Mais, on va te donner un petit coup de main pour étendre tout cela dit charitablement, Georges. Allez passe- nous deux pelles.

 

- Alors là, les copains, c’est vraiment gentil de votre part !

 

Samedi, foi de Jeannot, je vous offre l’apéro.

 

- Et voilà qui donne du cœur à l’ouvrage dit Georges en riant.

 Ernest tu ne nous ramènerais pas la deuxième brouette ?

 

- Oui, c’est une bonne idée répond le pidjoneux !

 Je vais en profiter pour nous débarrasser de celle-ci.

 

 À petits pas rapides, Ernest arrive à hauteur de la seconde brouette encore remplie .

Intrigué, il passe la tête par la porte d’entrée.

 

- Pssst, psst, les filles … Vous en êtes où ?

 

- L’échange est fait, répond Sylvie. On peut maintenant cacher les originaux que voici dans la brouette vide.

 

 

Saisissant le rouleau contenant les précieux ‘’Magritte’’ originaux, il le cache prestement sous les plastics de la brouette vide.

Puis il ramène au potager le deuxième chargement.

Un petit clin d’œil a son ami pour lui faire comprendre que tout va bien et hop, Ernest saisit une pelle pour répartir les fientes dans les différents parterres.

 En une demi-heure le travail est terminé et les deux compères prennent congé.

 

Alors qu’ils remontent péniblement le petit sentier pentu, Jeannot leur crie :

- Et n’oubliez pas, je vous attends samedi vers onze heures pour le pastaga !

 

- On sera là, crie Georges, compte sur nous !

 

C’est avec un réel soupir de soulagement que les deux complices déposent les brouettes dans le jardin.

 

- Seigneur ! nous z’ avons eu chaud, s’exclame Ernest en s’écroulant dans le fauteuil de jardin.

 

- Mi dj’n’ sins pu mes gambes! Mes è’fants, quelle aventure !

 C’est plus de notre âge, rétorque Georges, en deposant les deux ‘’Magritte’’ sur la table. Tiens mais où sont Sylvie et Geneviève ?

 

 De la cuisine, celles-ci apparaissent tenant de grands plateaux garnis.

Arrivées près d’Ernest, elles entonnent un ‘’ joyeux anniversaire’’.

 

- Bon sang, dit-il, mais c’est vrai que c’est m’ n’anniversaire aujourd’hui.

Avec tous ces événements, je n’y avais même pas songé.

Merci d’y avoir pensé.

 

 En deux temps trois mouvements, les tableaux sont mis à l’abri des regards indiscrets. La table est dressée. Les flûtes de champagne regorgent de petites bulles dorées. Et sortent d’on ne sait où, des cadeaux qu’offrent successivement, Sylvie, Georges et Geneviève. 

Ému, devant tant de gentillesse, Ernest se met à pleurer.

 

- Ah non ! s’écrie Georges, vous n’allez nin noyer un si bon champagne.

Allez Santé ! à vos printemps et à l’équipe des «  gentlemen cambrioleurs ».

 

- Santé et merci à tous, bredouille, attendri le pidjoneux.

 

Après avoir picoré olives, saucissons et fromages, Ernest partage ses inquiétudes quant à  la suite du projet.

 

- Mais comment nous allons faire pour envoyer ces toiles ?

Si nous les postons au village, on risque de se faire repérer .

 

- Oui, j’y ai pensé dit Geneviève. Que diriez-vous d’envoyer cela via un courrier-express parisien ?

Paris est une grande ville, on ne posera pas de questions.

Mais, il faudra me faire confiance. 

 

- Oh Geneviève, après toute l’aide que vous venez de m’apporter, j’ai une totale confiance en vous.

 

-Alors, répond la charmante cousine, la messe est dite.

Je repars demain pour la capitale.




Chapitre 25



Il est près de dix heures, le samedi, lorsqu’ayant roulé toute la nuit, la petite voiture bleue de Geneviève s’immobilise devant la propriété      d ’Ernest et Georges.

D’un pas pressé, elle traverse le jardin qui mène à la maisonnette du pidjoneux, et discrètement toque à la porte d’entrée.

 

- Geneviève, s’écrie t-il heureux, vous êtes arrivée hier soir ?

 

- Non, j’avais un travail urgent à finir, je n’ai pu me libérer que vers minuit.

 

- Ne me dites pas que vous avez roulé toute la nuit ?

 

- Et bien, si.

 

-Mais vous devez être épuisée. Asseyez-vous , je vais vous préparer un bon café chaud.

 

- Quelques minutes plus tard, il revient avec un grand plateau chargé de moka fumant, de croissants, de confitures, de miel.

 

- Voilà dit Ernest, servez-vous. Les confitures sont faites maison. 

 

- Vous savez faire les confitures ? Mais vous êtes un homme étonnant.

 

- Étonnant, étonnant, je suis juste un pauvre paysan, mal dégrossi qui a pour seule passion : son élévage de pigeons.

Vous voyez je ne suis pas bien intéressant…

Surtout aux yeux d’une personne aussi jolie et spirituelle que vous.

 

 - Mais non, arrêtez de vous dénigrer comme cela ! Vous êtes drôle, cultivé, attentionné.

 

- Alors là, vous devez certainement me confondre avec quelqu’un d’autre !

 

-  Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi  j’avais fait tout cela ?

Pourquoi votre désarroi, votre peine, l’injustice dont vous avez été victime, me touchaient plus que la normale ?

 

- Mais Geneviève, j’ai peur de comprendre !

 

- Oh Ernest ! Je crois que je vais reprendre les termes de votre ami Georges, grand couillon, je vous aime.

 

- Geneviève, ce n’est nin possib’, cela fait des mois que je rêve de vous demander en mariage, mais je n’ai jamais osé, vous étiez si prodigieuse.

 

- Et bien mon cher, mon très cher Ernest, comme vous me le proposez si élégamment, j’accepte.

 

- Oh, Geneviève, quelle joie, quel bonheur, dj a m’ cœur qui bat l’ berloque !

 

- Qui bat la  berloque ? Il  faudra que je me mette à l’étude du Wallon.

Mais avant tout, que pensez-vous de mettre point final à cette pénible affaire Leley ?

Voici les enveloppes timbrées, les photocopies du bon d’envoi, les fameuses photos datant soi-disant de 2004.

J’ai pensé qu’en plus d’une copie au juge, on pourrait peut-être en envoyer une  à votre ancien journal qu’en pensez-vous ?

 

-Mais c’est une excellente idée !

 

 Ernest prend doucement la main de Geneviève :

 

-Venez, nous allons,  tous les deux, poster les lettres. Ensuite nous irons rejoindre Sylvie et Georges.

 

Main dans la main, ils remontent le petit chemin de gravier, s’arrêtent à la boîte aux lettres.

 

- Postons-les ensemble, vous me portez bonheur.

Les deux enveloppes brunes tombent sans bruit dans la petite boîte jaune de la poste française.

 

- Voilà dit Ernest grave, maintenant ma vie peut changer.

 Et amoureusement, il embrasse Geneviève .

Tendrement enlacés, ils se dirigent vers le bar d’Emile, d’où Jeannot leur fait de grands signes.

 

- Alors crie t-il, vous arrivez pour le pastaga !

 

- Ah cré milliard ! vous voyez ce qui nous arrive là-bas, s’écrie Georges.

Excuse-moi Jeannot, tu nous paieras le pastis une autre fois.

Emile ! Champagne pour tout le monde, je crois que nous avons un événement à fêter !




Épilogue



Cinq années ont passé. Ernest et Geneviève, Sylvie et Georges se sont mariés.

Ils avaient choisi de s’engager ensemble dans la petite église du village. Une fête mémorable, à l’ombre des platanes d’Emile, suivit la cérémonie.

 Depuis les deux couples coulent des jours heureux dans le petit village de Sainte Marie - La fontaine.

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire du pidjoneux.

Après un excellent dîner, un délicieux gâteau aux fruits du jardin, accompagné du traditionnel champagne ; les trois amis tendent à Ernest un grand paquet emballé sommairement dans du papier journal.

 Planté devant lui, ils rient et se poussent du coude.

 

- Vous, dit Ernest vous m’avez fait un mauvais coup !

 

- Pas vraimint, répond Georges en pouffant.

 

Ernest déballe, puis il s’écrie, mais vous êtes fous.

Vous m’avez acheté un Folon, mais ça coûte une fortune ces tableaux-là.

 

- Très exactement, 30.000 Euros. Nous l’avons fait expertiser.

 

- Mais c’est beaucoup trop cher, il faut le revendre, vous devez garder vos économies.

 

 

 

- Mais dit Geneviève, nous n ’avons pas tout à fait l’exclusivité de la donation.

 

- Non dit Georges, Geneviève a raison,  ce n'est pas pleinement notre cadeau.

 

- Je comprends rien à vos histoires, qui dois-je remercier ?

 

-Tous les trois crient en chœur : Leley !

 

- Vous êtes devenus bredins ou quoi. Vous me direz bien pourquoi,  ce crasnez m’offrirait un tableau de ce prix ?

 

- Bon autant te le dire, avoue Georges, nous avons décidé tous les trois que lorsqu’on irait chez Leley, on prendrait les deux Magritte, mais aussi le petit Folon, en dédommagement. Pendant cinq ans on l’a muchie sans rien te dire au cas où …. Mais comme Leley èsse t’ in caruche depuis trois ans et qu’il n’a jamais parlé de rien…

 

- Mais, vous êtes fous, il peut toujours prouver qu’il a acheté

le tableau.

 

- Ah çà, il a pas intérêt à s’en vanter, il a scroté ça à l’ vieille ‘’ ma tante ‘’de Folon pour une bouchée de pain, ça frôle l’escroquerie. À la limite c’est presque un service qu’on lui rend à ce gros panchu !

 

- Mais ça reste toujours du vol ! Mi dj’ ai mauvaise conscience.

 

- Tout d’abord, ce n’est nin du vol, c’est un remboursemint de dette.

Y vous à bien scroté de 25.652 € tout de même.

Le tableau, il en vaut 30.000, avos les intérêts, l’ compte est bon.

 

 

Et pi, si vraimint,  vot’ conscience vous titille, vous n’avez qu’à envoyer à l’prison de Lantin un chèque de 348 € à l’ordre de Môssieur Leley ! 

k

Ernest stupéfait regarde tour à tour les trois visages rieurs.

 

- Mais vous êtes diaboliques, s’exclame t-il !

 

- Et bé c’est ça s’écrie Georges, trinquons et longue vie aux diaboliques !





                                                 Fin



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