Michèle Orban, Atelier de Roman


L'Amour, le temps d'un instant

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Tic-tac... Tic-tac... Il n'entendit plus rien. Tout s'éteignit autour de lui. Plus un mouvement. Tic-tac... Tic-tac. Juste cette pendule d'une régularité obsédante, mais pourtant rassurante par sa présence continue. Les voix, la musique, les chocs savoureux des verres de champagne, les bruits magiques qui tissaient son imagination, tout cela n'était plus qu'un souvenir. Succédait le silence, qui pesait sur son corps. L'atmosphère trop lourde l'empêchait de respirer convenablement. Sa vie repassait dans sa mémoire à la façon d'un film dont on voudrait connaître la fin mais dont on espère en même temps la longueur afin de le savourer plus longtemps. Il se rappelait la minute où, plongé une dernière fois dans un lit de paraffine, il était devenu bougie. Depuis lors, sa vie se résumait en une longue cascade d'événements agités qui contrastaient avec l'instant présent.

Il tenta d'apercevoir la pièce dans laquelle il se trouvait, mais ses yeux myopes ne lui en reflétaient qu'une image vague. Il sentait le gâteau dans lequel on l'avait planté. Il était seul, droit comme un cierge, entouré d'une multitude de paris-brests. Plus loin, il ne distinguait plus rien. L'obscurité l'aveuglait. Toute la beauté du monde ne pouvait le toucher que par des mots et quand les mots étaient absents, sa solitude se noyait dans le vide... Tic-tac... Tic-tac... le seul bruit qui trahissait le monde...

Tout-à-coup, il entendit un craquement singulier. Il sursauta. Se retournant, ses petits yeux noirs aperçurent une forme dans l'encadrement de la porte. Elle avançait vers lui, doucement, se balançant majestueusement au bord d'une allumette. Lorsqu'elle fut assez près, elle s'arrêta un instant, regardant la bougie de ses deux grands yeux étincelant de vie. Il n'avait jamais vu une beauté pareille! Une joie sans borne l'envahit quand elle se remit à avancer vers lui en souriant. Il se sentait prisonnier d'un amour inconnu. Elle représentait l'unique sens de sa vie. Se tournant gracieusement sur elle-même, elle s'accrocha en souplesse à la mèche qu'il lui offrait et s'y assit. Le coeur de la bougie se broyait sous un tel désir brûlant. Il se sentait fondre pour elle. Il se diminuait avec humilité pour la regarder vivre, danser, tourner, briller encore. Elle lançait des éclats de diamant, et chaque éclat, chaque étincelle, lui arrachait un peu de sa vie. Ils ne formaient plus qu'un. Elle éclatait de rire, un rire qui illuminait toute la pièce. Ses longs cheveux oranges encadraient son visage brillant. Il n'entendait plus le tic-tac inexorable de la pendule qui tentait de rappeler à chaque seconde la fragilité de la flamme. Il était bien. Pour la première fois, il se voyait, il voyait le monde, il sentait la chaleur brûler sa paraffine. Elle était son regard, il était sa vie. Elle, se balançant, continuait à chanter, danser, rire, briller. Le bruit s'était rétabli autour d'eux et semblait, plus que jamais, fêter leur amour.

La pendule sonna longuement sept coups en un souffle qui fit frissonner la jolie petite boule de feu. Elle tourna son visage et il lui sembla apercevoir une larme rouler sur sa joue... Une larme rouge dont les reflets illuminaient ce qui lui restait de vie.
Tic-tac... Tic-tac... Il n'entendit plus rien. Tout s'éteignit autour de lui. Plus un mouvement... Tic-tac... Tic-tac...

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