Dimitri Parée, Atelier du Roman, Professeur Jean-Baptiste Baronian
Le vénal et le soumis...
variante de la fable "La cigale et la fourmi" sous forme de prose, avec une fin différente
- Comment me trouvez-vous ma chère?
-
Magnifique, merveilleux, extraordinaire,...
- Je suis bien de votre avis. Je
vois, ma chère que vous savez reconnaître le véritable talent lorsque vous le
rencontrez...
- J'en suis toute remuée...
- Cela fera cinq mille francs!
***
- J'adore l'été, la chaleur... Ce climat est propice à mon art. Les femmes
n'ont plus qu'une seule chose en tête: l'Amour! Elles recherchent à tout prix
celui qui pourra attiser la flamme qui brûle au sein de leurs désirs. Et je suis
là, moi Gonzague Danson pour les satisfaire... - N'est-ce pas un peu prétentieux
de votre part de vous prendre pour l'élu de leur coeur?
- Prétentieux? Que
nenni! Et je le prouve chaque jour. Sachez, Barnabé, que je suis un
professionnel. Aucune femme à ce jour n'a pu me résister. Toutes ont un point
sensible, et il suffit de le flatter au moment propice pour voir la créature
s'abandonner dans vos bras...
- Parfois je vous envie, Gonzague, toutes ces
femmes...
- Et pas n'importe lesquelles, Barnabé, je les choisis riches de
préférence, cela procure quelques avantages... Vous n'aimeriez pas adopter un
mode de vie semblable au mien?
- Oh... Non, pas vraiment. Et puis je n'ai
pas votre talent auprès de la gent féminine. Non, je me trouve très bien avec
Jacqueline, mon épouse.
- Cela fait combien de temps que vous êtes mariés
maintenant?
- Une bonne dizaine d'années...
- Dix ans! Je ne pourrais
pas rester aussi longtemps avec la même femme.
- Pourquoi pas?
- Mais
voyons, Barnabé, vous ne pouvez trouver chez la même femme toutes les qualités
qu'un homme recherche. Leurs personnalités sont tellement différentes mais si
complémentaires les unes des autres que la seule façon de les découvrir, c'est
de les aimer toutes...
- Vous n'avez pas peur de vous disperser?
-
Absolument pas! Au contraire, je n'ai qu'un seul objectif: séduire! Et si cet
objectif me permet de plutôt bien vivre, pourquoi devrais-je m'en détourner?
-...
-Vous me paraissez bien perplexe, Barnabé. Vous devriez faire comme
moi, jouissez des plaisirs de l'existence... C'est cela le véritable bonheur.
- Pour moi c'est un mode vie trop compliqué. Je préfère la stabilité d'un
foyer, d'un travail qui me procure un salaire régulier. Je crois qu'à long terme
cela est plus payant...
- Je n'en suis pas sûr du tout. Tenez, je suis même
prêt à en faire le pari. Retrouvons-nous dans cet établissement dans
disons...cinq ans, et nous ferons le bilan. Cela vous convient-il, Barnabé?
- Pourquoi pas... Sacré Gonzague! Lui qui semblait si timide à l'époque
où nous étions au Collège. Il aura bien changé depuis toutes ces années où nous
nous sommes perdus de vue. Et cette façon de me vouvoyer... Je n'en reviens pas
qu'il soit devenu cette espèce de gigolo! Et le pire, c'est que cela semble lui
réussir...
***
- Alors, Barnabé, que devient-on après ces cinq ans?
- Et vous Gonzague,
toujours aussi séducteur?
- Comme vous pouvez le voir, Barnabé, les affaires
tournent bien. J'ai réussi à me faire offrir une maison par ma dernière
maîtresse qui est folle de moi.
- Une maison!
- Oui, seulement elle veut
que je l'épouse...
- Ah, bon... Et que comptez-vous faire?
- Je crois
que je vais flancher. Malgré que je fasse fort attention à ma présentation, je
ne vais pas en rajeunissant. Il est temps de penser petit à petit à me fixer et
peut-être avoir des enfants...
- Incroyable, le grand Gonzague aurait-il
trouvé la femme qui soit la synthèse de toutes celles qu'il aura séduites?
-
Qui sait? Et vous, Barnabé, toujours le train-train?
- Oh non, pour moi
c'est terminé!
- Terminé?
- Oui, ma femme m'a quitté du jour au
lendemain il y a deux ans. Le divorce a été prononcé officiellement il y a à
peine six mois. - Ca alors! Toutes des garces! Pourquoi vous a-t-elle quitté?
- Elle disait qu'elle s'ennuyait, qu'elle en avait assez de toujours vivre
les mêmes journées. De plus, elle aurait bien aimé avoir des enfants pour
satisfaire ses instincts maternels. Seulement aucune grossesse n'arrivait à
terme, les docteurs nous ont dit que c'était parce que nous étions tous les deux
du même groupe sanguin... Moi, je crois que c'est surtout pour ça qu'elle est
partie. Elle voulait trop un enfant.
- Et vous tenez le coup au niveau
moral?
- Oh, oui. Si vous saviez le nombre de femmes que j'ai réussi à
conquérir depuis que Jacqueline m'a quitté. Je n'ai jamais été aussi heureux!
Vous savez, j'ai souvent pensé à notre conversation et je suis arrivé à la
conclusion que vous n'aviez peut-être pas tort. Alors, voilà, j'ai réussi à
mettre vos principes en pratique...
- Jacqueline... C'est marrant, c'est
aussi le prénom de ma "bienfaitrice".
- Eh bien, je vous souhaite d'être
mieux tombé que sur la mienne.
- Pourquoi vous n'avez pas été heureux?
-
Je le croyais avant de découvrir qu'il existe tant de différences entre les
femmes et que croyez-moi, je ne suis pas prêt d'arrêter d'en faire le tour...
Vous savez, pour vous situer Jacqueline: c'est quelqu'un qui possède une
détermination à toute épreuve. Si elle n'obtient pas ce qu'elle veut, elle
devient impossible. Mais elle sait se montrer parfois si câline, qu'il est
difficile de lui résister... Et votre Jacqueline, vous la connaissez depuis
longtemps?
- Presque deux ans, un record pour moi. C'est drôle, quand je
l'ai connue elle venait juste de se séparer de son mari, et son divorce, comme
vous a été prononcé il y a à peine six mois... Qu'y a-t-il, vous pâlissez tout à
coup...
- Euh, non, je... Otez-moi un doute. Vous dites qu'elle veut vous
offrir une maison. Ce n'est tout de même pas une maison qu'elle a héritée au
décès de sa mère récemment?
- Si, pourquoi? ... Non, vous ne voudriez pas
dire que...
- Son nom de jeune fille, c'est quoi son nom de jeune fille!
- Vanderoost...
Gonzague comprit en voyant le visage empourpré de Barnabé qu'ils par- laient
tous les deux de la même personne. Ils se regardèrent longuement dans les yeux,
ne sachant pas très bien comment réagir. Barnabé se repassait le film du départ
de Jacqueline tandis que Gonzague s'en remémorait la rencontre. Après un silence
qui sembla durer une éternité, les deux hommes éclatèrent de rire. Barnabé
vivait l'après Jacqueline comme une renaissance. Une vie nouvelle, tumultueuse,
s'était déroulée devant lui comme un tapis rouge. Il y marchait à présent avec
une telle délectation que pour rien au monde il ne voudrait s'en écarter. Quant
à Gonzague, sa rencontre avec Jacqueline avait transformé le regard qu'il posait
sur les femmes. Elle avait le don de le stabiliser, de le rassurer, de lui
donner un relief à lui, l'inconsistant séducteur. Une autre façon de dire que
quoi qu'elles fassent, les femmes détermineront toujours l'avenir des hommes, et
qu'il est vain de croire possible de les connaître un jour...
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