Arlette RECULEZ, Atelier de Roman - 2ème année, Professeur Pierre Efratas


Les Rendez-vous de quinze heures trente deux


Roman



1

20 heures,tentures tirées, Michel Péache lisait comme d'habitude ses revues de la semaine. Confortablement installé dans la bergère bleue du coin, ses longues jambes repliées sous lui, il pouvait d'une simple levée du menton embrasser l'ensemble du living et jouir du climat serein qui y règnait. Son épouse, Claudine, d'une élégance primesautière s'était installée à la table à puzzles, sa large cape rouge menacant à tout moment d'emporter les morceaux "qui pourraient servir mais plus tard".

Ce soir, Michel Peache n'arrivait pas à se concentrer et contrairement à son habitude, si son regard parcourait la pièce, il ne s'arrêtait pas à sa femme, il poussait un soupir et se replongeait dans son article de presse.

Dix minutes de ce petit jeu, suffirent à Claudine pour quitter l'étalage de ces pièces, l'assemblage du rempart attendrait. La journée avait dû révéler un problème qui était loin d'être résolu . Chef d'entreprises de 50 ans, conseiller en fonds provisionnels et professeur de mathématiques niveau supérieur à titre accessoire, son mari est essentiellement un homme de chiffres. Son parcours avait commencé à se diversifier à l'âge de 30 ans. A ce moment, outre son travail d'auditeur interne dans le mileu des Banques et Assurances, il était devenu propriétaire d'une boutique comprenant tout un arsenal d'armes de chasse, de pêche etc…. de par un héritage de son père. A 37 ans, satisfait du gérant qu'il avait recruté à l'époque, il avait étendu ses propriétés en reprenant une maison de retraite qui menaçait de déposer son bilan. Le fait que son ancienne voisine de 80 ans y séjournait n'était certes pas étranger à sa décision. Son âme réservait toujours aux dames âgées une sollicitude tendre. Il y avait donc placé une nouvelle gérante et la maison de repos fut remise à flots. Plus tard à 45 ans , il s'était trouvé devant des liquidités à placer et là, il s'était offert la société immobilère TONTOIRON à Lamaré, à mi-chemin entre Ostende et La Panne. Il comptait joindre l'utile à l'agréable, un rapport financier et un lieu de vacances à 75 minutes de Bruxelles, son lieu de résidence.

Le voyage éclair à la mer de la semaine passée pourrait peut-être servir de point de départ à des confidences. Claudine se lança et dit d'un ton badin:
  • Quel dommage que tu aies ramené de la côte des résultats florissants de ta société immobilière, je serais bien retournée à la plage, avec toi, cette semaine.
  • Sidéré, il remarqua, une fois de plus, l'aisance avec laquelle sa femme rejoignait ses pensées et répondit: Bien …. Parlons en. Ils sont effectivement mathémathiquement parlant excellents mais … il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, je ne sais pas dire quoi. Pour une fois, les chiffres ne m'apprennent rien si ce n'est qu'ils sont statiques, comme figés, sans vie propre. Ma visite sur place n'a rien donné. J'ai été très bien reçu par le gérant, le personnel a été aux petits soins pour moi et les quelques locataires que j'ai vus me souriaient tout en me dévisageant.
    Claudine ne put s'empêcher de passer à une petite provocation et répondit mutine:
  • Ah, mais mon chéri, tu es un homme séduisant , tu sais. Dis-moi, comment te regardaient-ils ou …elles ?
Michel Péache eut le bon ton de sourire mais précisa
  • Mais non, ils me regardaient vraiment, peut-être me sondaient-ils, non leurs yeux étaient plus froids, plus distants que ça ….. Bon sang … ils me jaugaient !
  • Mon Chéri, que de grands mots, ne serais tu pas un peu surmené, n'aurais-tu pas besoin d'un break, quelques jours de vacances ?
  • Oui, peut-être bien, je vais y réfléchir.
Claudine, interloquée, par cette réponse aussi rapide au sujet des vacances, elle qui mettait des mois à le convaincre de partir en mini-trip, se dit que l'affaire était plus sérieuse qu'elle ne pensait. Magnanime, elle lui dit:
  • N'y pense plus, regarde plutôt un match de football à la télévision, ces joueurs à domicile arriveront bien à te dérider.
A 22 heures, il ferma la télévision et monta au lit avec sa femme . Une dernière pensée lui traversa l'esprit: la nuit porte conseil.



2

Le lendemain, dès 8 heures, monsieur Péache se dirigeait vers son bureau . Sa voiture, une confortable Rover bleu clair, intérieur cuir, couleur crème choisie par sa femme, avançait au pas.La traversée de Bruxelles s'annonçait une fois de plus exécrable; avec ses éternels travaux, ses feux de signalisation en panne comme par hasard au carrefour le plus important et ses jeunes agitateurs de siflets futurs policiers diplômés. Mais aujourd'hui, il ne s'en rendait pas compte, il ne voyait que son souci de la veille et qu'à cela ne tienne, il le prendrait par un autre bout puisqu'à l'allure où le camion qui le précèdait franchissait les routes transversales, il en avait bien pour une bonne heure.

Cette société immobilière achetait, rénovait et louait ses propres locaux. Au moment de son acquisition, il avait gardé le gérant existant de TONTOIRON sous la condition expresse qu'il fasse ses preuves dans le courant de la première année et effectivement douze mois plus tard, aucun espace n'était resté libre, la société affichait un taux de location de 90% l'an ce qui la plaçait au-dessus de la norme.
Le gérant et son assistante lui réservait toujours un acceuil des plus courtois lorsqu'il arrivait alors pourquoi , maintenant, après 5 années, les locataires l'analysaient-ils ? Qu'ils ne soient pas aux petits soins pour lui, il le comprenait mais qu'ils le détaillent avec une lueur dans les yeux qui exprimait très clairement la question "Peut-il ou ne peut-il pas ?" lui semblait aberrant et aussi intolérable. On venait en général lui demander conseil pas lui demander s'il était capable ou non.

Comme en géométrie, certaines solutions trouvent un départ hors de la figure. Ha … Sortir du contexte. Introduire une nouvelle donnée. Introduire un nouveau personnage peut être ? Envoyer quelqu'un d'autre sur place en qui il aurait toute confiance et pourquoi pas engager pour ses sociétés un inspecteur, sorte de bras droit, chargé de temps à autres de missions ponctuelles spéciales.

Michel Péache pris son bloc notes, toujours prêt sur la tablette de son tableau de bord en loupe de noyer, et élabora la liste des critères qu'il désirait retrouver chez le candidat idéal, à savoir: la diplomatie avec sa souplesse d'adaptation, le goût du changement, la capacité à prendre des décisions immédiatement, l'esprit ouvert et vif, une imagination de terrain et des notions de comptabilités. Pour le reste, il se chargerait de sa formation.

Arrivé à son bureau, M. Péache gara rapidement sa voiture sur le parking qui lui était réservé et rentra en coup de vent, mallette et bloc notes en main, pressé de voir sa secrétaire.
  • Bonjour, Clémentine
  • Bonjour Monsieur Péache, votre premier rendez-vous est dans le salon d'attente, je lui ai servi une tasse de café
  • Parfait. Est-il là depuis longtemps ?
  • Non Monsieur
  • Alors venez dans mon bureau avec de quoi écrire, j'ai une annonce à faire paraître de toute urgence.
Quelques minutes et explications plus tard, Clémentine se demandait où elle allait trouver cette oiseau rare. Avec précaution, elle lui dit:
  • En fait, Monsieur, vous cherchez quelqu'un épris de liberté mais cela je ne peux pas vraiment le mettre dans l'annonce. Dieu sait ce qui se présenterait. Je suppose qu'il doit aussi avoir le sens de l'humour sinon son intelligence risquerait de rester très moyenne en efficacité. Je ne peux pas non plus le mettre dans l'annonce, je devrai recevoir tous les rigolos à humour plat. Ne devrais-je pas leur concocter un test qu'ils passeraient lors de leur premier entretien d'embauche ?
  • Oui, excellente idée, bien que s'il a un peu vécu, il devrait avoir compris l'avantage de cet atout. Il, ou elle d'ailleurs, devrait donc déjà avoir au moins 35 ans et, Clémentine, lorsque vous recevrez les candidats, ne retenez que les sportifs. Un corps sain va souvent avec un esprit sain et de plus, il se trouvera peut-être devant des situations où ses muscles lui sauveront la vie.
Le recrutement était en route et si Clémentine s'amusa beaucoup lors des entrevues, elle dut vite déchanter. La plupart manquaientt de fond, il est vrai que pour les études le niveau n'avait pas été précisé. La semaine passa.

Fin de la semaine suivante, M. Péache vint aux nouvelles
Toujours pas d'élu, il allait falloir revoir la stratégie mais ce serait pour plus tard. Ce soir, il avait encore un cours de statistiques à donner.

La soirée fut bonne au-delà de ses espérances.



3

La piscine allait bientôt fermer ses portes. Yves Lévigang, bronzé, doté de muscles longs visiblements entraînés, passait d'une nage à l'autre au fil des longueurs. Il s'arrêterait à cinquante aujourd'hui. Plus que deux allers et retours. Dans l'ordre, une nage papillon, un crawl, une brasse et il terminerait , comme d'habitude, par une nage sur le dos. Ensuite, il se laisserait flotter deux minutes, les yeux clos et les oreilles dans l'eau. Cette transition en souplesse permettait à son corps de libérer son esprit de compétition, de rejoindre un "no mens land" sans soucis et de happer avec enthousiasme la suite de son programme. Seulement, après avoir fait la planche, il regarderait l'heure.

Mais en ce début de soirée, ce fut un bruit de cloche suivie des paroles habituelles précédant la clôture de la journée de travail des employés du bassin de natation, qui le sortit de l'eau. Voix aimable mais impersonnelle, peu importe, il se dirigea vers les douches, les yeux vifs. Il n'avait plus que dix minutes pour s'habiller et se sècher les cheveux. C'était un jour, où il regrettait de les avoir bouclés . Tant pis, il ne les sècherait pas. Il aurait pourtant voulu paraître à son avantage pour son rendez-vous car il avait une faveur à demander.

Sorti de justesse , il courut jusqu'à sa voiture et démarra au quart de tour, Sa Z4 gris foncé le comprenait si bien. Il n'aurait jamais voulu acheter autre chose qu'une BMW, volant sport , en cuir, comme il se doit. Outre les multiples avantages High Tech de son bolide, c'étaient sa ligne extérieure, ses jantes style "Turbine", sa capote noire pliage en Z, ses sièges en cuir et ses moulures intérieures en bois noble de platane qui transformaient cette deux places en moments de pure jouissance.

Stress évacué, Yves Lévigang se trouva dix minutes plus tard, devant l'imposante architecture de l'Ecole Supérieure du soir, section Gestion en entreprise. Il grimpa les marches, salua la réceptionniste et demanda
  • Monsieur Péache a-t-il déjà entamé son deuxième cours ?
  • Non Monsieur, l'interruption aura lieu dans deux minutes. Si vous désirez le voir, les miroirs sont à droite.
  • Merci. Dois-je comprendre que ma tête est pire que je ne le pense ?
  • Je ne vous le fais pas dire.
  • Eh bien, rattrapons ce qui peut être rattrapé et il essaya tant bien que mal de discipliner sa chevelure mouillée.
Cinq minutes plus tard, Yves Lévigang, rejoignait Monsieur Péache
  • Bonjour Monsieur, mon nom est Yves Lévigang mais celui-ci ne vous dira rien
  • Non effectivement. Vous êtes toujours absent à mes cours n'est-ce pas ?
  • Oui, mais j'attends la lettre de dispense. D'autre part, j'ai une reqête à formuler.
  • Dans ce cas, vous avez intérêt à bien étayer votre droit à cette dispense. Je vous écoute.
  • J'ai une licence en journalisme mais je prépare actuellement une licence en psychologie industrielle. Les formules statistiques utilisées dans mon mémoire demanderait une vérification. Pourriez-vous ….
  • Toujours aux études, quand allez-vous travailler ? l'interrompit Monsieur Péache
  • Je suis journaliste free-lance déclara Levigang avec un mouvement de la main. Puis il décida de prendre la tangente par une note d'humour.
  • J'en vis et mon seul défaut ,enfin à peu près le seul, est ma curiosité. Il sourit. Je prépare une étude sur le profil psychologique des personnes possédant des avoirs comprenant plus de 50% d'actions. Ce sujet m'a intéressé car j'ai côtoyé un prisonnier qui continuait à placer de l' argent depuis sa cellule.
  • Quel âge avez-vous ? interrogea M. Péache
  • 36 ans mais quelle importance ?
Négligeant de répondre, Monsieur Péache répondit
  • Venez demain à 14 heures au siège de ma société et laissez-moi le fruit de votre travail. Voiçi ma carte. Je dois malheureusement vous quitter et donner mon deuxième cours.
  • Bien, à demain Monsieur. Il restait sur sa faim mais décida de ronger son frein.

Le soir, à son retour chez lui, Michel Péache embrassa sa femme et lui dit:
  • Cette fois , ma chérie, je crois que j'ai trouvé l'homme de la situation, il me reste à le convaincre.
  • Es-tu sûr de lui ?
  • A 100% personne ne l'est jamais mais le travail et le plaisir de connaître le fin mot de l'histoire font partie de sa personnalité.et il va droit au but. Je pense qu'il connaît certains rouages humains face à l'argent
  • Hum…L'avis de Claudine était mitigé.




4

Yves Lévigang au volant de sa Z4, confortablement installé dans son siège en cuir de l'Oregon, se remémorait l'entretien de la semaine précédente, dans le bureau de Monsieur Péache. Rien ne l'avait préparé à l'homme qu'il avait découvert. Loin d'être le type du professeur ennuyeux se considérant comme faisant partie de l'élite pensante de la société, il ne s'était pas enfermé dans sa sphère de chiffres et n'était certes pas imbu de son savoir. Il le voyait encore feuilleter son mémoire, lui montrant les endroits où il avait écrit quelques commentaires prouvant manifestement que celui-ci avait été lu et analysé et ce en moins de 24 heures. Il se rappelait également la correction d'une de ses formules de statistiques compliquée expliquée avec une simplicité qui lui avait ôté tout doute.
Le côté calcul, probabilités et écart type étant terminé, il lui avait demandé son avis personnel, sur les placements sous forme d'actions.Il lui avait répondu que si son naturel le portait à croire qu'une reprise économique était toujours possible dans n'importe quel secteur, il n'était pas aux côtés du chef d'entreprise pour lui insufler des idées, il préférait donc dans 75% des cas se baser sur un titre à croissance solide.

Sans transition, ce professeur apparemment soucieux de bien saisir l'actualité économique s'était inquiété de savoir s'il aimait la mer du Nord. En bon anversois, habitant Bruxelles, il n'allait, bien sûr, pas dénigrer le littoral belge. Mais, c'est à ce moment que son instinct de journaliste s'était mis à vibrer, les questions qui suivirent, sans lien apparent, poursuivaient un but, il l'avait senti. D'ailleurs au terme de cet entretien, il avait été convié à prendre une tasse de café dans la salle de conférence. La salle était munie d'un bar composé d'alcools et de fruits. Le jus de pamplemousse était sa boisson préférée . Tout en devisant agréablement, il s'était petit à petit rendu compte que ce professeur, tout en ayant l'air de rien, menait une vie très diversifiée. De confidences en confidences, celui-ci lui avait proposé ni plus ni moins qu'un engagement. Sa mission serait de trouver le fin mot de l'ambiance qui règnait à Tontoiron.

Tout le corps de Y. Lévigang tendait déjà vers l'aventure.
Il s'était vu doter d'un scénario à mener lorqu'il arriverait sur place et, dix minutes plus tard, la secrétaire lui avait présenté un contrat en bonne et due forme. Bien que s'étant senti légèrement manipulé, il ne pouvait s'empêcher de trouver le deal motivant car, tout en ayant tu ses convictions, lui aussi subodorait l'anguille sous roche mais petit ou gros poisson ? Bah ! il verrait bien, en attendant, il filait vers Lamaré et s'octroyait une heure de liberté avant le travail. Comme le disait la publicité BMW, au commande de cette roadster, il percevait effectivement "le contact avec le bitume, le vent qui décoiffe et la sensation de tutoiement avec le ciel" avec un sourire, il se dit que dans sa Z4, outre le moteur, il n'y avait pas que le bois de platane qui pouvait travailler, ses jantes turbinaient aussi.


C'est donc dans un état superproductif qu'il arriva à 10 heures du matin sur la place Im en face de TONTOIRON.
  • Ah! L'immeuble est pimpant donc entretenu !
Yves Lévigang prit sa mallette et rentra d'un pas décidé dans les bureaux aux larges vitres constellées de photos de résidences avec descriptifs. D'emblée, il se présenta et demanda à voir le gérant, Monsieur Tortillani. Une jeune femme se leva et se dirigea vers lui
  • Je suis Nathalie Brie, la secrétaire particulière de Monsieur Tortillani. Il est très occupé pour le moment.Que puis-je pour vous.Avez-vous rendez-vous ?
  • En quelque sorte, voici ma lettre d'introduction signée par mon employeur qui est , soi dit en passant, aussi celui de votre gérant.
  • La jeune fille prit la lettre et crispa la mâchoire ou était-ce un tic ? Le paragraphe " Certains bruits de couloirs circulent au Palais (Palais de Justice) et certaines lois traitant les locations immobilières pourraient changer. Veuillez remettre tous les dossiers des locataires à Monsieur Lévigang , mon bras droit, afin qu'il puisse les vérifier et éventuellement préparer des avenants qui protégeraient la société.. Monsieur Lévigang vous expliquera sur place comment il compte procéder." ne devait pas l'alarmer du moins pas encore.
  • C'est que … Pourriez-vous revenir demain, articula-t-elle d'une voix hésitante ?
  • Pourquoi pas? Auriez-vous les clefs d'un studio où je puisse m'installer pour quelques jours ?
  • Oh non! … Tout est pris.
  • Tout est pris et nous sommes au mois de septembre. Dites-moi, sur quoi donne la porte bleue du fond de cette pièce.
  • Oh ! C'est le bureau de Monsieur Tortillani .
  • Parfait.
  • Non … N'entrez pas.
  • Trop tard, d'un geste brusque, il ouvrit la porte et découvrit le gérant assis à son bureau, plongé dans ses livres de comptes. Activité normale en soi mais qui ne justifiait pas une mise à l'écart du bras droit du chef d'entreprise.
Furieux d'avoir été dérangé alors qu'il avait bien précisé qu'il ne voulait être interrompu sous aucun prétexte car il attendait un coup de fil important nécessitant un travail immédiat de recherches , Monsieur Tortillani, invectiva sa secrétaire et se retourna vers celui qui s'était si cavalièrement introduit dans son bureau prêt à lui demander de revenir plus tard . Monsieur Lévigang lui coupa la parole, se présenta à nouveau , parla du motif de sa visite et de la lettre confirmant ses dires.
Stupéfait, Monsieur Tortillani, se calma, débrancha son téléphone personnel et fit bonne figure contre mauvaise fortune. Malheureusement , il ne voulait pas de nouveaux locataires, cela mécontenterait les autres. Comment s'en tirer ? Peut-être en lui donnant un studio situé sous toiture et d'y provoquer un incident de manière à ce qu'il déménage et aille à l'hôtel. Il lui promit donc un logement avec une clef à prendre en fin d'après-midi. Il fut convenu que Nathalie Brie lui apporterait tous les dossiers le lendemain.


Vers 17 heures, Yves Lévigang s'installa dans un flat meublé, assez désign, situé dans les combles d'un petit immeuble soigné, les sanitaires étaient neufs, le papier peint neutre mais les chambranles de portes et de placard en avait repris la couleur, dans une teinte toujours pastel, mais plus claire. Ce petit pied-à-terre respirait le fonctionnel et l'espace, chapeau pour le décorateur. Il rangea ses affaires et il vint un moment où il dû se rendre aux toilettes. Il en profita pour examiner de plus près la beauté du carrelage, des frises et forcément son oeil embrassa le plafond. Stupéfait, il vit un trou. Il monta sur la lunette senti le plafonnage, il était mouillé, bizarre, il n'avait pourtant pas plu ces derniers jours, les chemins pour arriver étaient secs. Enfin, l'averse locale est toujours possible. Il devrait le signaler mais c'était ennuyeux juste à cet endroit. Tout en appelant le gérant, il se dirigea vers la terrasse où un fauteuil en osier aux coussins fleuris l'invitait à profiter du soleil.

Son coup de fil terminé, il s'octroya quelques intants de repos. Plus fatigué qu'il ne pensait, il somnola et sombra dans un sommeil ponctué de chants, de vocalises, de soupirs, de gémissements, de sanglots, de bribes de mots, " m'en sortir … moyen … n'importe quel prix … PRIX, CHIFFRES, d'un bond, il se redressa. Avait-il rêvé, il resta assis quelques minutes, le temps de laisser s'apaiser les battements de son coeur et dans cette conscience retrouvée et le souffle du vent, il entendit les soupirs et les reniflements liés à un désespoir.



5


Le temps n'était pas à l'apitoiement. Il était déjà 18H36'. Pour le moment Yves Lévigang n'était pas encore en possession de beaucoup d'indices. Il décida d'inspecter les communs du bâtiment.

Les sonnettes lui révélèrent une répartition locative surprenante pour un bon revenu locatif comptabilisé.
Le rez-de-chaussée commercial était loué à "La frégate & Cie". En jetant un coup d'oeil à la vitrine, il remarqua tout d'abord l'affiche "Liquidation, fin de bail". En scrutant l'intérieur, il vit parmi les hublots en laiton, les marines et les cordages qui n'avaient certainement jamais servi, le fameux petit bureau, riche en ingéniosité que l'on retrouvait dans les cabines d'officiers partis pour de longs mois en mer. Les Davenport avaient toujours attiré son regard lorsqu'il était petit mais, à cette époque, il n'en connaissait pas le nom, c'était juste pour lui,un meuble à dessin, magique par son pupître aux formes arrondies et ses crayons qu'il trouvait dans les petits tiroirs placés sur la face latérale. Il se reprit, il n'était pas à la mer pour se laisser aller et il se concentra derechef sur les sonnettes suivantes:
  • premier étage, Nadia R.
  • deuxième étage, vide
  • troisième étage, deux studios au nom de Tontoiron
  • quatrième étage, son flat également au nom de Tontoiron
Le gérant serait interrogé à ce sujet, peut-être pourrait-il s'installer au troisième.
Sur ces entrefaits, un vieux monsieur sortit de chez "La frégate et Cie", ferma à clef la porte de la boutique. Ce dernier, pressé, lui lança un bonsoir et s'en retourna un petit sac de tissu à la main. Tiens, il le verrait une autre fois. Son attention se reporta sur la locataire restante; Nadia . Espérant qu'il ne s'agissait pas de la personne en pleurs, il sonna, se présenta comme nouveau locataire et lui demanda
  • Auriez-vous un peu de sucre afin que je puisse au moins me préparer une tasse de chocolat chaud avant d'aller me coucher. Je ferai toutes mes courses demain.
  • Eh bien…, hésita Nadia. Oui, j'en ai, venez, je suis au premier étage, jugeant en définitive que quelqu'un qui prenait du chocolat chaud avant de s'endormir ne pouvait qu'être inoffensif.
Charmé par la voix douce, il monta la volée d'escaliers en deux temps, trois mouvements et se trouva devant une jeune femme d'une vingtaine d'années tenant une porte entrebaillée. Elle était habillée d'une minijupe à carreaux rouges, d'un pull à ras du cou et d'une paire de collants noirs assortis. Ses chaussures noires, plates,vernies, surmontées d'une boucle dorée rendait l'ensemble lumineux. Les courbes de son visage étaient douces mais ses paupières étaient gonflées. Il la fixa de son plus beau sourire.
  • Quel sucre prenez-vous, du sucre blanc raffiné, du vanillé, du sucre de canne pur? Ma préférence va pour les morceaux de la Perruche. Le sourire qui accompagnait cette tirade était on ne peut plus gourmand. Ses yeux s'étaient illuminés et ses pommettes remontaient déjà.
Béat devant un choix devant lequel il ne s'attendait pas, il ne trouva ses mots, ses sourcils se froncèrent et ses yeux se firent interrogateurs.
  • Venez-voir ce que j'ai dit-elle en ouvrant entièrement la porte.
D'un signe de tête, il entra se demandant si elle s'était réellement rendue compte de ce qu'elle proposait. Ils parlèrent en même temps et rièrent. La glace était rompue et c'est ainsi que de fil en aiguille, ils s'appelèrent par leur prénom et qu'il apprit que cette jeune femme, au parfum de rose, allait déménager. Il s'écria
  • Quel dommage!.
Elle le regarda, la tension monta. Il ne put s'empêcher de se rappeler les parties de phrases qu'il avait entendues. Il se pencha vers son visage,sondant son regard, priant pour qu'elle se confie à lui et qu'il n'ait pas à la questionner.
Elle le sentit fort, il lui était sympathique mais pouvait il la comprendre et surtout saisir son problème rapidement, il ne lui restait plus tellement de jours. Elle ouvrit la bouche pour parler et éclata en sanglots.

Il ne put que refermer ses bras autour d'elle et lui tendre son grand mouchoir blanc.
  • …Excusez- moi … Merçi … Ca va aller, dit-elle au bout d'un moment.
Il la fit asseoir dans le divan et parti préparer deux chocolat chaud.

Cinq minutes plus tard, des tasses fumantes arrivèrent à point nommé. Nadia commençait à reprendre le contrôle d'elle-même. Elle décida d'informer ce nouveau locataire de ses ennuis, elle ne le reverrait quand même plus. Oui, mais par où commencer ? Surtout pas prendre une attitude victime. Elle avait sa fièrté même si elle avait pleuré. Aussi c'est avec soulagement qu'elle l'entendit prendre la parole en premier.
  • Si cet intermède m'a permis de vous enlacer en tout bien tout honneur, j'aimerais cependant comprendre l'émotion qui vous a traversée. Votre living est ravissant. Auriez-vous trouvé un appartement moins cher où êtes-vous obligée de changer de lieu pour être plus près de votre travail ? Bien que… jolie comme vous l'êtes, il s'agit peut-être d'un fiancé qui vous réclame au loin…?
  • Si cela pouvait être vrai, pensa-t-elle. Non, je suis enseignante et l'école se situe à dix minutes à pied. Le rêve en somme. Malheureusement, mes finances ne suivent pas les desiderrata du propriétaire, c'est aussi simple que ça. J'habite içi depuis presque trois ans et mon loyer va passer, le mois prochain, de 480 euros à 650 euros, soit 170 euros de différence. Jamais, je ne me serais doutée que la réparation de ma fenêtre arrière allait engendrer une telle hausse de prix.
Yves fronça les sourcils, un remplacement de vitre n'était pas suffisant pour permettre une telle hausse du loyer. Ses sens en éveil, il demanda:
  • Y a-t-il eu d'autres corps de métier dans ce bâtiment ?
  • Eh bien … Non… Si. Je dois avouer qu'un électricien est venu placer un radiateur supplémentaire. Les autres travaux entrepris concernent les autres appartements. L'électricité vétuste a été remplacée à tous les étages. Deux ouvriers du bâtiments ont réparé la toiture plate du rez-de-chaussée et une semaine plus tard un carreleur a aménagé une terrasse sur ce toit. Le gérant de TONTOIRON m'a dit que ce serait plus agréable pour moi si j'y avais accès et il m'a demandé si je voulais une porte-fenêtre dans le salon. J'ai acquiescé.
  • Bon, je vois, répondit Yves sombrement. Effectivement toutes les conditions étaient probablement remplies pour permettre une augmentation de loyer. Tous les travaux ne concernaient pas son appartement mais bien le même bâtiment. Il resterait à vérifier le montant des factures mais était-ce vraiment rentable d'effectuer ses travaux ?




6

Le lendemain matin, Yves Lévigang se sentait d'attaque. La veille, il avait gardé ses opinions pour lui et tenté de consoler au mieux la charmante locataire du premier étage. Son déjeuner aux fruits avalé, il mit sur papier les questions dont il comptait bombarder Nathalie dès son arrivée, à commencer par le droit de regard sur les factures.

Heureusement Nathalie arriva tôt dans la matinée, les dossiers des locataires dans son attache-case. Elle les sortit un à un et s'installa près de lui mi-provocante, mi sérieuse. Où avait-elle ses idées ? Souhaitait-elle flirter ou avait-elle reçu des instructions pour l'épier. Y. Lévigang ne se laissa pas faire. D'un ton suave, il lui dit
  • Il me faudrait également le facturier des entrées et le livre des entrées et des sorties. Non, ne pensez pas à une sortie ce soir. Chaque chose en son temps. Pour l'heure, allez me les chercher pendant que je parcours vos fardes. Merci Mademoiselle.
Nathalie s'en fut et Yves Lévigang put analyser les documents locatifs. S'il était ravi de les voir parfaitement classés, il aurait aimé trouvé une photocopie de la carte d'identité des trois derniers locataires qui payaient d'ailleurs des loyers assez élevés mais il est vrai qu'ils louaient plusieurs niveaux. De quoi avaient-ils l'air ? Quelle profession exercaient-ils ? Curieux, il décida de les rencontrer mais sous un visage anodin.

Habitué à prendre rapidement un air impersonnel du moment qu'il était en possession de ses lunettes, il se déguisa en pensionné bénévole attaché au service "Population" du littoral et partit, en tram, chercher quelques accessoires supplémentaires.

Emplettes terminées et habillé en vieux monsieur, il remonta dans le tram et se dirigea vers Laramé comme tout bon employé communal chargé des directives de son chef.
Arrivé devant l'adresse du premier locataire, il constata qu'un Monsieur Fullvoix occupait tout l'immeuble. Il sonna. La porte s'ouvrit sur un décor dénudé. L'homme qui le reçut portait un veston rapidement enfilé. Si sa chemise était largement ouverte, son attitude l'était nettement moins. Enfin, Y. levigang apprît quand même que le locataire vivait seul dans ce petit immeuble de trois étages mais que comme il était musicien, il avait besoin de place pour son piano et sa chorale.

Il le quitta, tourna le coin, et se trouva a proximité des appartements des deux locataires suivants. Le coup de sonnette au rez-de-chaussée chez Monsieur Jambagil resta sans réponse.. Par contre, Monsieur Turlure du premier étage le fit entrer . Ici l'homme vivait dans des décors loufoques, son habillement était original mais une froideur enveloppait chaque syllabe prononcée. Apparemment, l'employé qu'était Monsieur Levigang, Monsieur Dubois pour la circonstance, le dérangeait. Monsieur Turlure lui apprit donc rapidement qu'il demeurait seul dans son appartement et qu'étant peintre et sculpteur, il avait besoin de plusieurs niveaux pour son atelier ainsi qu'une salle pour ses cours. Ceci ayant été dit. Monsieur Turlure estima avoir amplement rempli son devoir de citoyen et reconduisit Monsieur Dubois à la porte prétextant une luminosité indispensable à la finition de ses oeuvres.
Visites intéressantes par tout ce qui n'avait pas été dit mais l'estomac jeune du vieil employé communal qu'était Y. Lévigang criait famine.

Attiré par un délicieux menu servi dans une taverne où les rochers peints ça et là sur les vitres invitaient à un repas typique des bords de mer, il s'était assis sur une banquette tendue de velours devant une table recouverte d'une nappe en tissu où bizarrement le summum du luxe semblait être un rectangle central mi-essuie, mi carpette publicitaire. La note intimiste se dégageait par une bougie … plongée dans un verre d'un demi-litre de bière Hoegaarden remplie de sable. Un regard à travers la fenêtre qui l'avait attirée du dehors découpait, vu de l'intérieur, la mer en petits carrés, tantôt translucides, tantôt rendus opaques par les spécialités, les promotions, les nouveautés, les plats du jour et les goûters affichés. Discret rappel signifiant qu'il était là pour résoudre une énigme et pas pour contempler l'immensité apaisante de la mer. Il s'était donc mis à croquer les visages des deux locataires en attendant son plat.
Quelques instants plus tard, il contemplait ses esquisses. L'ossature marquante de Monsieur Turlure suggérait bien l'inacessibilité de son caractère. Par contre, celle de Monsieur Fullvoix demandait des retouches. Quelque chose ne rendait pas sa froideur. Pourquoi ? Peut-être le front ? Non. Le nez ? La bouche ? Non. Ah, nous y sommes la distance entre le nez et la bouche était plus grand. Quelques corrections et adaptations plus loin, le côté égoïste, froid, distant d'une personne qui se croit au-dessus de tout apparaissait clairement. Satisfait, il commença son repas.

L'après-midi était déja bien entammée lorsqu'il rentra chez lui. Il pensa s'installer dans son salon et préparer la suite de ses périgrénations. Il se rappela qu'avant de partir, il n'avait pas vu Nathalie avec ses facturiers. Eh bien, si la montagne ne venait pas à lui, il irait à la montagne et c'est ainsi qu'à 17 heures nanti des livres de comptes que l'on ne retrouvait soi-disant pas, il pénétrait dans son studio qui, Oh horreur, laissait apparaître un w.c. en pleine réfection. Le trou du plafond avait été agrandi. Entassés entre la lunette du w.c., le lavabo et la porte entrouverte se trouvait un sac de sable, un sac de ciment, du mastic, une truelle, de la colle, du papier à tapisser, bref pas une seule place de libre pour déposer ses pieds.

Furieux, il déposa ses livres, prit son maillot et s'en fut à la piscine privée du complexe immobilier. Là, il trouverait des toilettes, des douches et de quoi calmer son corps survolté.


L'eau avait toujours été son élément. Après s'être décontracté, il s'était aperçu qu'il pouvait se montrer indulgent vis-à-vis de ses travaux de réfection. Petit petit, Y.Lévigang se déconnectait de ses soucis domestiques et remarqua le climat exceptionnel de ce début de mois de septembre. Les scientifiques avait raison de clamer que les saisons étaient chamboulées par le réchauffement terrestre.

La vie était belle. Détendu, il se hissa allègrement sur le rebord du bassin, attrapa sa serviette et se dirigea vers une chaise longue de libre.Malheureusement, il n'eut pas le temps de s'y attarder; deux mollets avaient attirés son attention. Où les avait-il déjà vus ? Brusquement, il comprit que cette ravissante jeune femme bronzée qui portait un bikini coupé dans une étoffe chatoyante, jaune, dont le drapé du haut était relié par une broche en strass, n'était pas une ancienne collègue journaliste mais … Nathalie Brie. Le joint "Visage à mollets" l'avait quelque peu perturbé.

Remis de sa surprise, il se demanda pourquoi elle était là. Coïncidence ou voulait-elle évoluer dans ses parages et si oui, pour quelle raison. Il décida d'en avoir le coeur net. Quelques minutes plus tard, son invitation à souper était acceptée mais il n'avait pu passer la prendre chez elle. Le rendez-vous avait donc été fixé pour le même soir au restaurant du yachtclub de Lamaré.

La soirée fut douce et délicieuse. De l'apéritif au pousse-café, les mets fins du cuisinier ,ex chef-coq du "Bounty and Son", avaient été un régal pour les yeux et la bouche. Nathalie, par contre, l'avait laissé sur sa faim.
Bien sûr, il avait appris qu'elle ne s'occupait pas directement des travaux car le gérant ne souhaitait pas qu'elle se salisse. Toutefois, elle était quand même la secrétaire particulière de Monsieur Tortillani. Elle était, par ailleurs, restée très vague quant à sa première rencontre avec ce dernier. Peu prolixe sur sa vie privée et sur le chemin qu'elle avait parcouru avant d'entrer chez Tontoiron, il avait cependant retenu qu'elle connaissait bien le Stromboli, célèbre volcan, pour avoir vécu près de îles Eoliennes au Sud de l'Italie près de la Sicile.



7

Assis dans son salon Y. Levigang n'avançait guère dans ses recherches. Dans une heure, il ferait nuit noire. Des nuages s'amoncelaient dans le ciel. Peut-être était-ce le moment idéal pour jeter un coup d'oeil à cette fameuse terrasse qui n'avait pas été demandée par la locataire et qui pourtant avait été construite.
Armé d'une corde, d'une lampe de poche et d'une tenue sportive Y. Lévigang descendit le long de sa fenêtre et atterrit sur le fameux toit plat aménagé en terrasse . Rien de spécial, si ce n'est qu'elle dépassait de 60 cms le toit et permettait ainsi un passage sur une terrasse qui lui était perpendiculaire. Cette deuxième terrasse devait servir de débarras. Dans le fond se trouvait une armoire à balais en partie dissimulée au regard par des sacs poubelles. Rien de très engageant, surtout que ces sacs, vu leur état, devaient y être depuis un bout de temps. De plus, un balayement discret de la torche sur la façade ne lui permit pas d'apercevoir une porte.Bizarre pas de sortie, pas d'entrée et pourtant une armoire. Y. Levigang s'assit pour réfléchir. Aussitôt, un mouvement d'ouverture en pince se déclencha. Les sacs cimentés entre eux s'écartèrent et libérèrent un chemin vers la fameuse armoire. Sidéré, Y. Levigang entendit néanmoins sa sonnette d'alarme personnelle … Danger … Installation couteuse et sur mesure. Il faut revenir mais mieux outillé et protégé, juste un regard sur la serrure du placard et demi-tour en vitesse. Se faisant, il entendit derrière la paroi murale des bruits de voix. Serait-ce Nathalie,la secrétaire et … Nadia ? Il tend son oreille au plus près et …
  • Il existe peut-être un moyen …
  • Seriez-vous vraiment prête à tout ?
  • Bien sûr … enfin, …. possibilités
Y. Levigang en avait assez entendu, d'ailleurs le mécanisme se remettait en place. Il se précipita vers sa corde qui heureusement pendait toujours, escalada les deux étages et fonça sur son portable.

Michel Péache avait le sommeil léger et une philosophie où un appel de nuit ne pouvait être qu'important. A la première sonnerie, il s'isola donc immédiatement dans son bureau pour ne pas réveiller toute la maisonnée. Ce qu'il entendit, le stupéfia mais des solutions de protection existaient et un rendez-vous fut pris le lendemain à la sortie de Bruxelles, sur le parking du motel de Drogenbos.



Trés content de quitter les eaux troublantes de Lamaré, c'est un Y. Levigang tout joyeux qui salua ses voisins à neuf heures du matin. Il s'installa au volant de son bolide et fila vers Bruxelles. Personne n'aurait pu soupçonner ce qu'il avait vécu la nuit.

M. Péache l'attendait déjà . Ils se serrèrent la main comme deux amis qui s'appréciaient mutuellement et s'installèrent dans un coin retiré du motel. M. Péache rentra dans le vif du sujet.
  • Avant d'avertir la police, il faudrait en savoir un peu plus.
  • Oui, je voudrais savoir ce qui justifie une armoire sur cette terrasse. Je pourrais la crocheter mais en cas de pépin, une arme dissuasive serait la bienvenue.
  • Il est certain que nous verrions plus clair si nous connaissions l'utilité de ce placard. Une de mes sociétés vend des armes de collection. Je puis vous fournir une copie de Walther PPK. L'aspect extérieur est pareil à l'original, toutes les pièces y sont mais l'acier est plus léger. Il en résulte que si vous mettez une vraie cartouche, l'alliage ne résistera pas à la pression au moment où vous tirerez. Par contre, les gestes préalables peuvent être posés, c'est-à-dire: lever le cran de sureté, armer la culasse et pointer. J'espère que vous n'aurez pas à vous en servir.
  • Ah ! Très bien. Quand sera-t-elle à ma disposition ?
  • L'arsenal n'est pas loin d'ici. Je vous y conduis mais, je souhaiterais que votre intervention à la mer ne se fasse pas aujourd'hui mais plutôt demain. Un passage deux soirs consécutifs frise l'imprudence. D'autre part, je logerai dès demain à Lamaré. Je réserverai une chambre à l'hôtel Vendor afin de pouvoir vous prêter main forte s'il y a lieu.
  • Parfait. Je sens le dénouement proche.
Une heure plus tard, Y. Levigang reprit la route de la mer, impatient de clore cette affaire.

M. Peache, lui, consulta son agenda. Tout compte fait, sa femme étant à Paris pour un séminaire; il pourrait se rendre un jour plus tôt à Lamaré, juste après son rendez-vous de 14 heures à Bruges. Cette ville n'était qu'à 20 kms de la côte et il pourrait ainsi percevoir les évènements de plus près.



8

Nadia se morfondait, seule dans son salon. Elle aurait de la peine à quitter cet endroit qui reflétait une atmosphère de vacances. Si seulement elle pouvait trouver quelques gains supplémentaires et garder son appartement. Sa rencontre avec Nathalie Brie lui avait laisssé des espoirs mais les nouvelles tardaient. Son voisin du dessus était absent et elle ne savait plus vers qui se tourner.La chance n'était pas avec elle, même le billet de Subito la laissait tomber alors qu'elle gagnait en général au moins 2,50 euros.
Il fallait qu'elle se secoue. Une bonne promenade au bord de la mer, les pieds dans l'eau la revigorerait. Pour l'heure, la marée montait et atteindrait son maximum dans cinquante minutes. C'était le moment idéal, enfin, un signe du ciel.

De brise-lames en brise-lames, les vagues mourraient sur ses pieds. Elle s'approchait du Casino et de la Marina attenante. Beau temps ou mauvais temps, il y avait toujours une embarcation dans les environs. Elle irait jusque là et puis ferait demi-tour.
A 25m du Casino, elle dut monter sur la digue et vit une Z4 se garer. Elle plissa les yeux et dès qu'elle reconnut Y. Levigang, elle courut vers lui.
D'un commun accord, ils décidèrent de se restaurer.Bien entendu, ils turent chacun leur motivation profonde, Nadia voulait s'épancher et Y. Levigang désirait sonder les relations qu'elle entretenait avec Nathalie.

Il l'invita donc au Casino. Le vin blanc qui accompagnait la sole était bien frais. Nadia était aux anges et s'étendit tout naturellement sur ses petits tracas. Y. Levigang ne dut même pas la questionner. Elle l'informa même qu'elle s'était rendue, la veille, au domicile de Nathalie Brie afin de lui demander si elle ne pouvait pas l'aider dans la partie administrative ou commerciale de la société Tontoiron. Elle ne rechignerait pas devant le travail pour peu qu'elle puisse rester dans son appartement

Evidemment, rien de répréhensible dans tout ça et délibérément Y. Levigang dirigea la conversation sur la vue sublime qu'offrait l'avancée du Casino sur la plage ainsi que la chance d'avoir une Marina et un yacht-club à proximité.

Nadia enchaîna sur le vol des martins-pêcheurs et leur progéniture
  • Savez-vous pourquoi les oeufs des martins-pêcheurs sont blancs ?
  • Non, mais je suis tout ouïe.
    Surpris par la question, Y. Lévigang se fit plus attentif
  • Bien. Il s'agit d'un cavernicole, un oiseau qui niche dans un trou. Comme il y fait noir, si les oeufs avaient arboré d'autres couleurs, les pauvres martins-pêcheurs auraient éprouvé beaucoup de difficultés à les retrouver. Il leur fallait donc une couleur très claire.
  • Oui, mmmh
  • Si, si. D'ailleurs dans certains endroits du désert, les oeufs sont luisants et brillent sous le soleil de manière à aveugler les prédateurs. C'est le cas du tinamou.

Y. Levigang se dit que décidément, tout était question d'environnements et de buts poursuivis. Le dîner n'avait pas été perdu, il analyserait scrupuleusement les bâtiments et environs des locataires de Tontoiron. Inconsciemment, il sut que la mer jouait un rôle dans sa mission mais lequel ??



9

Dans son studio, assis devant le plan de la ville, les emplacements des immeubles, le profil psychologique des personnes rencontrées et tuti quanti, Y. Levigang se dit qu'il ne ferait rien de bon tant qu'il ne saurait pas ce que cachait l'armoire de la fameuse terrasse qui, soit dit en passant, faisait quand même partie du privé de Nathalie Brie. Sa fiche d'appointements ne pouvaient mentir quant à son adresse.
Il opta pour un repas léger suivi d'une longue méditation en prévision de sa sortie nocturne.

Vers 3 heures du matin, il quitte sa pose, s'habille: chaussures noires à semelle extra souples, jeans, pull et gants noirs sans oublier le bonnet de marin, sombre aussi, mais sans ponpon. Le walther PPk a rejoint sa poche arrière, la lampe de poche son ceinturon.
Il se laisse glisser par la fenêtre, se reçoit, sans problème, sur la première terrasse et se retrouve quelques secondes plus tard devant les fameux sacs poubelles.

Une pression sur celui de droite et comme la veille, le chemin vers l'armoire se libère. Le coeur battant, il sort quelques passes. Dans cette obscurité opaque, tout contre une maison silencieuse, le moindre cliquetis semble atteindre soixante décibels. Malgré tout, Y. Levigang ne se sent pas très à l'aise; crocheter sa propre porte d'entrée parce que l'on a oublié ses clefs n'est pas comparable à ce qu'il est en train d'effectuer, même si le but final est une recherche de vérité.

Après quelques essais infructueux, miracle, la serrure répond, il pousse la porte, s'appuie dessus, essaie de la soulever. Peine perdue, rien ne bouge. Perplexe, il se penche, examine la porte de plus près mais ne voit rien. Machinalement, il rajuste sa mèche de cheveux et accroche malencontreusement la poignée. Sa sérénité acquise, peu à peu, à coups de raisonnements se fissure. Il se dégage plus violemment que nécessaire. Résultat: la porte suit. Elle s'ouvre… poignée en l'air ! Comme en Angleterre!

Il place son pied à l'intérieur et se retrouve dans un sas de deux mètres sur deux avec pour seul meuble; un porte-manteaux banquette. Il est vrai que lui non plus ne le garderait dans son hall. Ce meuble en chêne archi rustique, mal équarri, semble sorti des mains d'un apprenti menuisier. Son cousin, avocat de métier, aurait pu en faire autant. Mais … Bien sûr, le porte-manteaux doit avoir un but !
Il essaie de le pousser, de le faire pivoter, sans succès. Epuisé, il s'affale sur la banquette et heurte un petit rebord qui fait office de poignée. La banquette se soulève et révèle une couverture assez sale, un vieux pardessus poisseux, un canot dégonflé mais également quelque chose de plus lourd et de plus dure ….
  • Oh mon Dieu ! Une tête , un homme … déjà mort !
Fébrilement, Y. Levigang referme le tout et n'a qu'une hâte, retourner dans son flat en laissant le moins d'indices possibles de son passage.

Arrivé dans son living, il boit un grand verre d'eau et appelle M. Péache.
  • Monsieur Peache ?
  • Oui
  • Vous ne devinerez jamais. Il y a un cadavre dans l'armoire qui est en fait un sas. J'avertis la police ?
  • Non, je m'en occupe. Ou êtes-vous, déjà dans votre studio?
  • Oui, mais faites vite. Je ne sais même pas si quelqu'un m'a vu.
  • Ok, je vous rejoins.
Une attente est toujours longue. Actif, Monsieur Levigang n'échappe pas à la règle. Quinze minutes se sont déjà écoulées depuis son coup de fil. Où reste donc la police ? Elle devrait déjà être là à l'interroger. Lui enverra-t-on un policier sachant appliquer la loi et l'esprit de la loi ? Il ne manquerait plus qu'il soit suspecté ! Soudain, il entendit une voiture ralentir.

Driiiing…

Brandissant sa carte professionnelle, l'inspecteur de police, Piet Deneyers se présente et entame la conversation.
  • Etes-vous MonsieurLevigang ?
  • Oui, je suis l'adjoint de Monsieur Peache qui m'a envoyé en mission afin de procéder à des vérifications de gestion à la société immobilière Tontoiron. C'est, sans doute, lui, que vous avez eu au téléphone.
  • Non, il a eu mon collègue mais, racontez-moi comment vous avez découvert le corps.
Cinq minutes plus tard, Y. Lévigang ne voyait plus que raconter de plus sans trop attirer l'attention sur lui. Caustique, l'inspecteur continua son interrogatoire.
  • Mais dites-moi Monsieur Lévigang, cela vous arrive-t-il souvent d'effectuer des "vérifications de gestion" entre trois et cinq heures du matin?
  • A vrai dire, non, ce fut la première fois.
  • Vous inaugurez donc. Précisez-moi de quelle manière vous avez pénétré dans l'armoire ?
  • Avec un passe, Monsieur l'inspecteur.
  • Que vous emportez toujours avec votre bic rouge pour vérifier les comptes, je suppose ? Allons, vous vous êtes battus pour une raison que j'ignore encore et lorsque vous avez vu qu'il ne bougeait plus, vous l'avez caché et vous vous êtes enfui.
  • Pas du tout, répondit Y. Lévigang
Imperturbable, l'inspecteur continua
  • Quels vêtements avez-vous mis pour cette épopée ?
  • Des vêtements de sports, ils sont dans le sac à linge.
  • Déjà! Vous êtes un homme ordonné. Allez me les chercher. Je vous suis.
Y. Levigang commençait à la trouver saumâtre, néanmoins, il tendit ses affaires à l'inspecteur qui attiré par une tache signala
  • Hum, le jeans est curieusement mouillé. On dirait la trace d'une barre.
  • Non, non, cela s'est passé lorsque j'ai glissé le long de la gouttière en sortant par ma fenêtre.
  • De mieux en mieux. Qu'avez-vous prémédité Monsieur Levigang ? Nous vous emmenons au poste pour une déposition. Nous verrons si vous aimez toujours vivre dangereusement … la nuit..
Y. Levigang poussa un soupir et suivit le policier. De loin, il vit M. Peache parlant avec un commissaire de police. Il espéra le voir rapidement de plus près.



10

Deux heures plus tard, M. Péache , entra dans le comissariat de police. Quelle ne fut pas sa stupeur en apprenant que son adjoint serait gardé 24 heures comme suspect. Le commissaire, Marc Vandenduin, lui expliqua que même si Monsieur Levigang n'avait pas manipulé le corps, il l'avait quand même approché de prés. De plus, il y avait violation de domicile, l'utilisation d'un passe et des motivations dont la véracité devait être vérifiée. Mais M. Peache n'était pas au bout de ses surprises. De but en blanc, le commissaire lui demanda:
  • Quel a été votre emploi du temps ces dernières douze heures ?
  • Eh bien, j'ai soupé à l'hôtel vers 20 heures et ensuite , je suis monté dans ma chambre, seul.
  • Où était votre femme?
  • A un séminaire à Paris, elle rentre ce soir par le train de 18heures.
  • Vous pouvez y aller mais tenez-vous à notre disposition.
Avant de partir, M. Péache fit un petit crochet par la pièce où était détenu Y. Lévigang afin de le rassurer. Il allait de soi qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour le sortir de là.

Le commissaire de police, quant à lui, s'attaqua aux interrogatoires. Il avait du pain sur la planche car les déclararations et explications de Y. Levigang autour de cette affaire impliquaient pas mal de personnes. En outre, l'identité du mort n'était pas encore connue. Qui était-ce pour ne manquer à personne !!!.

Fin de journée, le commissaire récapitulait les maigres données que ses agents avaient pu vérifier.
Selon le medecin légiste, le décès avait eut lieu la veille, vers 22H30'.
Le prélèvement du sang au niveau du coeur laisse clairement apparaître l'usage de somnifère cumulé à de la drogue. On peut donc raisonnablement penser qu'il y a d'abord eu une ingestion de somnifères suivie d'une ingestion de drogue.
Monsieure Levigang n'a pas d'alibi avant 3 heures du matin. Il était seul dans son studio et s'adonnait à la médidation.
Monsieur Péache a effectivement soupé à l'hôtel Vendor et a quitté la salle-à manger vers 21 heures. Ensuite plus d'alibi. Curieusement, il y était depuis l'avant-veille. Pourquoi ? Ni lui, ni Monsieur Levigang n'en avait parlé.
La dénommée Nadia était au cinéma avec Nathalie Brie jusqu'à 23 heures., tickets à l'appui.
Nathalie Brie habite la maison dans laquelle se trouve une partie du sas. Endroit où l'on a retrouvé le cadavre. Elle jure de ne pas être au courant de ce sas.
Monsieur Tortillani a mis ses livres de comptes en ordre, la fin du troisième trimestre approchant. Le fait est plausible mais pas vérifiable. Il jure que ses relations avec N. Brie sont purement professionnelles.

Sans autres nouvelles, il serait obligé de libérer Y. Levigang, le lendemain. Il appela un de ses agents et dit:
  • Je voudrais interroger séparément, Monsieur et Madame Péache, demain matin, à la première heure. Madame Péache devrait être de retour de son voyage. Prévenez la sans tarder.
  • Bien, Monsieur le commissaire, et pour Monsieur Levigang, que décidez-vous?
  • Je verrai, après avoir vu ce chef d'entreprise. Il a probablement gardé quelques informations pour lui. Le tout est de savoir si elles sont importantes pour nous ou non.




11

Sept heures du matin, la rover de Monsieur et Madame Péache filait sur l'autoroute de la mer. A bord, pas de musique, le silence, chacun était plongé dans ses réflexions

Michel Péache s'en voulait de ne pas avoir mieux acceuilli sa femme, la veille. Elle était pourtant si belle en descendant de son taxi. Vêtue d'un pantalon crême et de son manteau beige avec le col en poils de coyotte, son merveilleux sourire et sa démarche "vacances", elle respirait la joie de vivre. Il n'avait pas eu le coeur de lui raconter en détail ces dernières journées, se bornant à lui raconter l'essentiel, puis, il s'était tu, l'avait invitée au restaurant où il ne lui avait même pas demandé comment son séminaire s'était passé et maintenant, elle se taisait mais il sentait son esprit en ébullition, n'y tenant plus, il se risqua
  • A quoi, penses-tu, ma chérie ?
  • A la même chose que toi. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi le commissaire veut me voir aussi. Je n'ai rien à voir dans l'histoire. Je n'étais pas là.
  • Sans doute, veut-il une confirmation. Ne t'inquiètes pas.
Le silence retomba et ils furent soulagés d'arriver au commissariat.

Le commisaire les attendait. Il présenta son inspecteur, Piet Deneyers, à Madame Péache et enmena son mari dans son bureau, bien décidé à récupérer un maximum d'informations.
  • Alors Monsieur Péache, vous ne m'aviez pas dit que vous étiez depuis deux jours à la mer. Pourquoi ?
Etonné, Monsieur Péache pensa qu'il n'avait pas trouvé cela important puisqu'il n'était pour rien dans ce meurtre mais après tout, la police, elle, ne devait pas en être certaine à cent pour cent.
  • J'étais à Bruges, à 20 kms de la mer, ma femme était absente, je me suis dit que je pourrais venir un jour plus tôt et mieux me tremper dans l'affaire.
  • Ah, ca, pour être trempé, vous êtes plutôt mouillé dans cette histoire, Monsieur Péache. Racontez-moi, point par point, cette première journée.
  • La réputation du bol d'iode à prendre le long de la Mer du Nord n'étant plus à faire, je me suis décidé pour une longue promenade sur la digue. Le temps de m'installer, de défaire mes bagages et de réserver mon repas du soir à l'hôtel Vendor, le ciel s'est assombri , les vagues sont devenues plus agressives. Ceci ne m'a pas vraiment dérangé, étant donné que je garde toujours des bottes dans le coffre de ma voiture. J'ai dû marcher deux ou trois heures. Je sais que je me suis arrêté dans une librairie pour acheter un journal et je suis rentré boire un café un peu plus loin. Je suis revenu par la plage, face au vent. L'avancée était plus pénible, la marée encore assez haute. Au loin, des chalutiers tanguaient. J'ai même cru voir qu'ils lançaient des filets.
  • Et ce n'étaient pas des filets ? l'interrompit le commissaire
  • Non, ils bougeaient, ils partaient dans une direction, puis l'autre, s'approchaient d'un brise-lames. Dix minutes plus tard, j'ai de nouveau cru voir un filet. Il s'agissait, en fait, d'une embarcation plate, genre canot pneumatique. Pour ma part, avec ce vent, la sortie était téméraire. Ils ont accosté un peu plus loin, à la Marina, à côté du Casino. Deux hommes grenouille ont quitté ce dinky. Je crois que l'un d'entre eux était blessé. J'ai couru et j'ai crié que je venais les aider mais avec ce vent, ils ne m'ont certainement pas entendu et de plus, j'avançais à peine plus vite en courant qu'en marchant. Ma conscience s'est apaisée lorsque j'ai vu de l'aide arriver. Leurs amis devaient les attendre. En deux temps, trois mouvements, le canot était rangé et les hommes embarqués. Je suis rentré à l'hôtel, j'ai pris un bon bain, J'ai dégusté les côtes d'agneau du chef agrémentées d'une purée de céléri. Ce délicieux repas s'est terminé avec un bon irish coffee. La nuit a effacé ma fatigue. Vous voyez, rien de bien spécial pour notre problème.
  • Laissez-moi juge, voulez-vous. Quelle était la marque du véhicule qui se trouvait à la Marina ?
  • Aucune idée. Elle était noire ou foncée, haute sur roue.
  • Vous voulez me dire que vous avez pu voir des hommes grenouilles mais que vous n'avez pas plus de description pour l'auto ?
  • Oui, ils avaient les bandes fluo des tenues vendues à la Marina.
  • Soit. Vous avez encore votre journal ?
  • Non, je l'ai jeté.
  • Vous l'avez acheté et jeté ?
  • Monsieur le Commissaire, il était trempé.
  • Hum. Ou était votre épouse, pendant tout ce temps ?
  • Mais je vous l'ai dit ! A un séminaire à Paris.
  • Lequel ?
  • La méthode V7 de Mierac ou quelque chose comme ça.
  • Bien, pour le moment, ce sera tout mais restez à disposition.
  • D'accord. Monsieur Levigang peut-il sortir ?
  • Oui, je vais signer sa libération.
  • Dans ce cas, je l'attendrai dans le hall.
Le commissaire ferma la porte et appela son inspecteur, par interphone.
  • Faites-moi un rapport des dires de Madame Peache
  • Dans les grandes lignes, elle confirme qu'elle était partie, que son mari avait un rendez-vous à Bruges avec un client et que l'histoire des comptes de Tontoiron tracassait son mari. Mais elle a esquivé la question sur le détail de son séminaire.
  • Nous allons vérifier tout ça. Avez-vous des nouvelles de l'identité du mort ?
  • Non, Monsieur le commissaire, la photo circule.
  • Alors, envoyez-moi, Monsieur Lévigang.
Un quart d'heure plus tard, Michel Péache, son épouse et Yves Levigang se retrouvait dans le salon de l'hôtel Vendor. M. Peache prit la parole.
  • Profitons de nos moments de liberté et essayons d'éclaircir cette affaire en unissant toutes nos informations et nos capacités. Je pense que la recherche de l'identité du mort appartient à la police. Ils ont plus d'antennes que nous. Par contre, les fréquentations du gérant, Monsieur Tortillani, doivent être étudiées de près et pas seulement celles de cette année aussi celles des précédentes. Bref, il faudrait le faire parler. Ma chérie, pourrais-tu t'en charger ?
  • Je me réjouis de parler de l'Italie avec un italien, répondit Claudine en souriant.
  • C'est entendu. Quant aux drôles de locataires, ils ont signé un contrat avec le gérant, il faudrait les aborder par un autre angle, par leur profession, par exemple.
  • OK, j'aimerais m'en charger, enchaîna Y. Levigang.
  • Il ne me reste plus qu'à m'entetenir avec Nathalie Brie mais d'abord un petit jogging sur la plage. Mes neurones ont besoin d'être aérés. Rendez-vous à tous à 17 heures.
Le groupe s'éparpilla prestement. M. Péache fut le dernier à quitter l'hôtel. Cinq mètres plus loin, il heurta le commissaire qui l'apostropha:
  • Dites, vous vous êtes moqué de moi. D'après une enquête discrète de mes services auprès de votre secrétaire, vous n'avez pas de client à Bruges!
  • Mais, je ne vous ai jamais dit que c'était un client. En fait, j'y cherchais un endroit pour fêter notre anniversaire de mariage. Ma femme n'en sait rien. N'allez pas l'ébruiter. Tenez voilà la carte du restaurant où j'ai réservé pour le mois prochain.
  • Moui. Il est vrai que c'est votre épouse qui a précisé que c'était un client. Dites-lui que j'aimerais la voir cette après-midi.
  • Je n'y manquerai pas, Monsieur le commissaire, mais allez vous lui dire ….
  • Ah non, mon ami, laissez-moi mener cette enquête comme je l'entends.
Plus ou moins rassuré, M. Péache partit vers la plage. Il courrait depuis cinq minutes lorsqu'il vit une femme au loin, à l'extrémité d'un brise-lames. Pourvu qu'elle ne tombe pas. Il n'accéléra pas sa course mais comme elle n'avait toujours pas bougé lorsqu'il arriva à sa hauteur,il ralentit et se dirigea vers elle. Le regard fixe, elle regardait les tourbillons d'eau à ses pieds. Soucieux, de ne pas l'effrayer, il tendit la main, prêt à la rattraper, si elle tombait, et lui parla..
  • Reculez doucement, les algues rendent les pierres glissantes. Vous verrez de plus beaux coquillages par là.
La jeune femme tressaillit, recula et prit la main tendue. Son visage était désespéré.
Peu à peu, il apprit qu'elle ne trouvait pas de chambre disponible car elle ne comptait rester qu'un jour. Elle devait absolument rester plus longtemps car elle ne pourrait pas faire le même voyage de sitôt.
  • Est-ce vraiment important pour vous ? questionna M. Péache
  • Oh, oui, toute ma vie en dépend et elle fondit en larmes.
Touché par son chagrin, il lui dit
  • Il y a certainement encore une chambre de libre à l'hôtel où je suis installé. Vous règlerez ça avec ma femme et pour le prix de la chambre, je vous l'offre, acceptez le comme un cadeau que la vie vous apporte. Suivez-moi.
Il ajouta
  • Tenez bon. Dans une heure, vous pourrez vous reposer et réfléchir au calme.

Attablé à son bureau, le commissaire Vandenduin était embarassé. Un fax de son correspondant à Paris venait d'arriver: Aucun séminaire sur la méthode V7. Pourtant, il ne croyait pas Madame Peache capable d'un meurtre mais sait-on jamais. Il mit son pardessus et alla la rejoindre. Avec un peu de chance, elle se trouverait à son hôtel.

Installée sur la terrasse arrière, elle sirotait un jus de fruit, une farde devant elle, apparemment la conscience tranquille. D'emblée, il lui dit:
  • Vous permettez, Madame et il s'assit en face d'elle
  • Monsieur le commissaire, quel surprise !
  • Eh oui, vous n'avez pas été très prolixe au sujet de votre voyage.
  • C'est que … vous devez vraiment savoir ce que j'ai fait ?
  • Naturellement, soupira le commissaire.
  • Voilà, mais que ceci reste entre nous, mon mari ne doit rien savoir.
  • Evidemment.
  • Je ne suis pas allé à Paris, je me suis rendue à notre maison de campagne où j'ai repeint le bureau de mon mari. C'est une surprise pour lui. Si vous passez un jour à Rouen, prévenez-nous, nous vous y recevrons. Tenez, voiçi l'adresse.
  • Pour votre anniversaire de mariage ?
  • ….!!! Comment avez-vous deviné ?
  • Un pressentiment. Ne faites pas attention. Autre chose, connaissez-vous Michael Look? En avez-vous déjà entendu parler ?
  • Non, jamais, qui est-ce ?
  • Le mort. Sa photo circulait. Un employé d'hôtel pensait l'avoir vu. Il ne se rappelait pas de son nom mais se souvenait qu'il venait d'Angleterre. Un officier de police dépêché à Ostende au poste de douane a pu engranger des recherches et trente minutes plus tard, une photo accompagné d'un nom sortait de mon télécopieur.
Le commissaire se leva et prit congé. Un sourire aux lèvres, il se dit que ces deux-là allait avoir du mal à enmener l'autre à l'endroit de sa surprise le jour de leur anniversaire de mariage; Bruges n'étaient pas à côté de Rouen.


Madame Péache attendit que le commissaire soit hors de vue pour ouvrir sa farde. Dans la matinée, Monsieur Tortillani, en bon italien, fier de son pays et de sa famille lui avait donné quelques cartes postales et même une photo de la plage où il jouait lorsqu'il était adolescent. A première vue, rien ne suggérait une piste. Néanmoins, Madame Peache décida d'inscrire sur son bloc-notes tous les renseignements obtenus.
Enfant, Tony Tortillani vivait à Bianco au bord de la mer Ionnienne. Jeune homme, il franchit le Détroit de Messine et poursuivit ses études à Palerme avec son ami Marco. Inséparables durant leurs six années de cours, ils s'étaient ensuite quittés mais s'étaient revus, par hasard, il y a cinq ans à la côte belge. Bizarrement, Monsieur Tortillani ne semblait pas tellement enthousiasmé par cette rencontre. Claudine se dit que son mari devrait peut-être l'interroger sur base de ces données.
Allons, elle n'avait pas perdu sa journée et elle connaissait l'identité du mort ce qu'elle ajouta sur sa feuille, restait à savoir ce que les autres avaient appris. Elle leva la tête et vit son mari conduire une jeune fille à la réception. Celle-ci reçut une clef et prit l'ascenseur. Quelle chance elle pourrait remettre ses notes à son mari et se promener dans le centre de Lamaré sans avoir l'oeil rivé sur sa montre. D'un petit signe discret, elle attira l'attention de son époux qui s'empressa de la rejoindre. Ce qu'elle ignorait, c'est qu'il lui avait trouvé une occupation pour l'après-midi.
  • Bonjour ma chérie, je suis content de te voir.
Aux anges, Claudine répondit
  • Mais, moi aussi? Tiens voici ce que j'ai glané comme renseignements ce matin.
  • Bravo. Tu as déjà pu voir le gérant de Tontoiron. Je lirai cela tout à l'heure. Je dois te parler de la jeune fille avec qui je suis arrivé.
  • Ah ! …
  • Oui, je l'ai rencontrée au bout d'un brise-lames. Elle était désespérée. Tu me connais, je lui ai offert une chambre d'hôtel pour la nuit, le temps qu'elle reprenne ses esprits. Comme, elle n'a rien voulu m'expliquer, je lui ai parlé de toi. Si tu pouvais l'amener à voir l'avenir d'une autre couleur que le gris, ce serait une bonne chose.
  • Bien, je bavarderai avec elle et peut-être terminerons-nous pas une petite partie de shopping.
  • Excellente idée. Je te laisse, je vais de ce pas voir Nathalie Brie.
  • D'accord, je m'en vais aussi. Je suis curieuse de faire la connaissance de cette jeune fille.
Sur le chemin de l'hôtel à Tontoiron, Michel Péache eut tout le temps de lire le petit mot de sa femme et d'évoquer le Nord de la Sicile avec son sol montagneux et volcanique. L'Etna n'était-il pas au Nord-Est de la Sicile. Oui, bien sûr. Ce paysage surgissait en lui, comme un maillon d'une chaîne. Il évoquait quelque chose de connu, un climat déjà évoqué récemment. Bon, il se souviendrait plus tard. Il approchait de sa société et Nathalie Brie devait retenir toute son attention.

Nathalie n'était pas à l'immobilière. Seul, Monsieur Tortillani se trouvait à l'accueil.
Michel Peache changea son fusil d'épaule et entreprit de provoquer quelques confidences supplémentaires.
  • Alors, Monsieur Tortillani, l'Italie et son soleil ne vous manque pas trop.
  • Non, non. J'aime le vent de la mer du Nord et de temps en temps, je retourne dans mon pays, embrasser ma famille.
  • Ma femme m'a dit que vous aviez aussi des amis de la-bas qui faisaient le trajet pour vous voir .
Abasourdi , Monsieur Tortillani répondit:
  • Non, vous devez faire erreur.
  • Si, si. Il s'agit d'un certain Marco, je pense.
Monsieur Tortillani blêmit et murmura
  • Il y a cinq ans de cela.
  • Ah.. C'était l'époque où j'ai repris cette société et où vous deviez faire vos preuves. Cela a dû vous faire plaisir de rencontrer un ami d'enfance à cette période ?.
  • Oui, il m'a aidé à trouver des locataires.
  • Hum. C'est donc un ami précieux.
Monsieur Tortillani n'en pouvait plus. Son soi-disant ami l'avait forcé à accepter certains locataires moyennant un loyer élevé. Il était de plus obligé de faire certains aménagements. Mais il ne pouvait pas l'avouer; ses enfants restés en Sicile en subiraient les conséquences. A bout, il changea de sujet d'une manière plus qu'abrupte.
  • Vos autres affaires vont-elles bien, Monsieur Péache ?
Estomaqué par ce coq à l'âne, M. Péache plongea ses yeux dans ceux de son gérant. Il lui cachait quelque chose et il avait peur. En silence, il continua à le dévisager et brusquement le lien se fit: Nathalie et le Stromboli, la Sicile, l'Etna, le crime, Palerme, … le siège de la mafia. Maîtrisant ses sueurs froides, il articula d'une voix ferme:.
  • Je vous donnerai un aperçu de celles-ci une autre fois. A bientôt.
Trop content de ne plus devoir répondre, Monsieur Tortillani opina et le regarda partir.

Préoccupé, M. Péache marchait d'un pas rapide. Il s'en voulait d'avoir mis Yves Levigang dans un entourage aussi dangereux. Au breafing de 17 heures, il stopperait tout, recueillerait les informations et les porterait à la police. Mais n'était ce pas trop tard ? Pourvu que non. Il alla au studio dans l'espoir d'y retrouver Yves Levigang. Sa voiture était garée dans la rue mais le parlophone restait muet. Il n'y avait plus qu'à attendre en souhaitant qu'il ait eu de la chance chez les fameux locataires.



12

Déguisé en touriste, Yves Lévigang marchait d'un bon pas.Un coup de pouce du destin lui serait certainement bénéfique. Il méconnaissait toujours les aboutissants réels de l'affaire. Plongé dans ses pensées, il obliqua à droite et se trouva devant l'immeuble du peintre-sculpteur. Eh bien, pourquoi ne pas commencer par Monsieur Turlure.
Il fut reçu aimablement. Après avoir exposé le but de sa venue , à savoir, suivre des cours de peinture pendant sa petite semaine de vacances. Monsieur Turlure, en personne, lui répondit en entrouvrant la porte de l'atelier:
  • Comme, vous pouvez le constater le cours est complet. Laissez-moi votre adresse, je vous contacterai s'il y a une défection.
  • Non, merci. Cela ressemble à un "On vous écrira". Je vais tenter ma chance ailleurs. Au revoir Monsieur.
Sur ces entrefaits, un jeune homme quitta l'atelier et salua le peintre.
Ils furent tout deux dehors, en même temps, mais leur chemins se séparèrent au carrefour suivant. Yves Levigang en fut ravi. Il n'avait pas envie de se disperser dans une filature qui le mènerait Dieu sait où. Par contre, comprendre les mots que cet individu avait susurrés en sortant l'intéressait au plus haut point. Que pouvait bien vouloir dire la phrase "Au revoir, à demain 15 heures trente-deux" Quelle différence y avait-il entre 15H30' et 15H32'. Il devenait urgent de voir le musicien.

Cinq minutes plus tard, il sonnait chez Monsieur Fullvoix. Même accueil agréable, même objet de visite et même réponse: le cours de musique était complet.Y. Levigang fit un peu traîner les choses et fut récompensé. Trois hommes sortirent de la salle et saluèrent le professeur. Le deuxième prononça l'heure de rendez-vous du lendemain, soit, à nouveau : quinze heures trente- deux.

Dès qu'il fut dehors, Yves Levigang se concentra sur toutes les activités possibles qui nécessitaient des heures précises hors normes. Ses pas le conduirent tout naturellement à la rade de Lamaré. Certains bateaux de pêche rentraient déjà. Jeune garçon, il avait toujours voulu pêcher en mer et rapporter le dîner à ses parents. Aurait-il l'opportunité de ramener, pour le soir, un poisson ? Il se dirigea vers le tableau des départs en mer organisés. Bon, pour aujourd'hui, il n'y avait rien d'affiché mais pour le lendemain, un départ était prévu à quinze heures cinquante-deux !!!

Sûr, les cours de musique et de peinture étaient en relation avec les marées.Les vingt minutes de différence devaient permettre la réalisation d'un travail quelconque. Fort de cette trouvaille, il décida de s'offrir un dîner au casino.


Confortablement installé, Yves Lévigang jouissait de la vue; la marina avec ses bateaux de couleurs sur la droite, la mer et sa ligne d'horizon droit devant lui. Un hors d'oeuvre, frais à souhait, satisfaisait son palais. Que demander de plus. Son plat principal tardait un peu mais ce n'était pas grave. Il se retourna et chercha des yeux le maître d'hôtel. Son sang se figea. Un amoncellement de diverses boîtes de conserves peintes aux couleurs or et cuivre, disposées sur une gigantesque assiette de quatre-vingt centimètres de diamètre était posé verticalement à même le mur. Cette oeuvre, il l'avait vue dans l'atelier de Monsieur Turlure. Il se sentit dans une situation précaire et effectivement le chef vint lui demander ce qu'il avait pensé de son coktail d'écrevisses et s'il voulait venir voir, dans sa cuisine, la réalisation d'une sauce tartare chaude.

Yves Lévigang ne sut se dépêtrer de l'invitation d'autant plus que ces voisins de table lui lançaient des regards intéressés où l'ironie n'était pas absente. A peine entré dans la cuisine, un coup de matraque l'assomma.



12

Le commissaire Vandenduin ne chômait pas. Il suait même de grosses gouttes. Il avait mis sur pied tout une série de filatures autour des locataires de la société Tontoiron et de son personnel. Il avait tendance à croire le raisonnement suivi par Monsieur Péache. Ce dernier n'avait-il pas, spontanément, communiqué tous ses problèmes avec sa firme. N'empêche que ses agents lui avaient rapporté des choses étranges. Monsieur et Madame Péache avaient été vus séparément à l'immobilière. Monsieur Péache passe encore mais madame Péache ?
Monsieur Lévigang avait été vu chez le peintre et le musicien le même jour. Pourquoi?
De plus, étant donné la nature de la mort de Michael Look, il avait réquisitionné un agent de la brigade des stupéfiants. Celui-ci se traînait pour le moment dans tous les endroits où le service subodorait une distribution de drogues. Parallèlement, un agent de quartier recherchait auprès des pharmaciens les personnes souffrant d'insomnies. Que diable! Tout ce déploiement d'énergie devrait bien le rapprocher de l'assassin.
  • Driiing
  • Monsieur le commissaire, l'inspecteur Piet Deneyers réclame votre avis au sujet d'une voiture noire haute sur roue.
  • Qu'il entre, bon sang!
  • Driing
  • Monsieur et Madame Péache ainsi qu'une jeune fille désirent vous voir de toute urgence, Monsieur le commissaire.
  • Allons, bon. Rien pendant des heures et maintenant, il y a foule. Faites patientez. Merci.
  • Alors Deneyers, cette voiture noire
  • Nous avons vu une Jeep noire, genre Cherokee dans la rue de l'Eglise, à deux pas d'ici. Mon collègue, Georges, est resté sur place au cas où elle disparaîtrait. Voici le n° de plaque. Elle appartient à une société, la NDN dont le siège se trouve justement 6, rue de l'Eglise.
  • Vous avez interrogé les occupants du bâtiment?
  • Non, Monsieur le Commissaire, nous attendions vos ordres.
  • Filez les chercher en cinquième vitesse. Prétextez n'importe quelle raison fallacieuse. Je veux les voir, tous jusqu'au plus insignifiant.
  • Mais, Monsieur le Commissaire, que puis-je invoquer ?
  • Dites leurs qu'ils ont été cités comme témoins d'un accrochage dans la rue.
  • J'y cours, Monsieur le Commissaire.
  • Oui, en sortant faites donc rentrer Monsieur et Madame Péache ainsi que la jeune fille qui les accompagne. Merci Deneyers.

D'un pas décidé, Monsieur Péache, entra et fit asseoir, la jeune fille devant le commissaire Vandenduin. Son épouse suivit
Monsieur Péache vrilla ses yeux dans ceux du commissaire et dit:.
  • Monsieur le Commissaire, il y a içi une personne qui en recherche une autre. Je crains que vous en ayez entendu parler.
  • Qui êtes-vous , Mademoiselle ?
  • Je m'appelle Eveline Wood. Je cherche mon fiancé. Vous comprenez, je l'attendais à Douvre. Nous habitons, tous les deux, à Londres. Mike voulait préparer seul notre lune de miel . Il est parti samedi passé avec le ferry qui accoste à 13 heures à Ostende. Depuis, je n'ai plus eu de nouvelles. Je sais qu'il cherchait une chambre avec vue sur la mer. J' essaye de retrouver sa trace. J'ai peur, qu'il ne lui soit arriver quelque chose.
  • Mike est votre fiancé, je suppose. Quel est son nom complet?
  • Michael Look
  • Ah….
Nous avons trouvé votre fiancé. Ses parents sont en route pour le commissariat.Vous vous entendez bien avec eux ?
  • Oui, bien sûr.
  • Je suis alors plus tranquille mais il va vous falloir du courage. Il a eu un arrêt de coeur.
  • Oh My God!
  • Venez, ma secrétaire va vous servir un café et vous raconter le peu que nous savons . Ne partez pas avant que je n'aie vu les parents de votre fiancé.
Eveline Wood inclina la tête et se leva, les yeux hagards. Madame Peache se dirigea également vers la secrétaire. Cette petite devait être entourée.

Le commissaire se rassit et fixa Monsieur Péache
  • Je suis partisan pour révéler la vérité au plus vite. Ma secrétaire atténuera sa peine. Si vous me disiez, maintenant, comment vous l'avez rencontrée.
Monsieur Péache s'exécuta et le commissaire conclut
  • Il vous en arrive des choses.
  • Mais ce n'est pas tout, rétorqua M. Péache.
  • Ah….
  • Nous sommes sans nouvelles de Monsieur Lévigang. Nous avions rendez-vous à 17 heures. Je suis certain qu'il a besoin d'aide. Auparavant, il faut que je vous fasse part de tout ce que nous avons découvert aujourd'hui ainsi que du programme que Monsieur Levigang avait accepté de mener à bien, à savoir une deuxième visite chez les locataires.
  • Quoi ? Ah, il y a des moments où je vous enfermerais volontiers mais, il y a plus urgent. Racontez-moi.
Dix minutes plus tard, le commissaire, au courant des dernières péripéties de l'équipe Peache, reçut les deux personnes, un homme et une femme, trouvées au rez-de chaussée du 6 rue de l'Eglise. L'homme, Gino Savatini, un italien, avait transité par l'Angleterre avant de rejoindre Rome via la Belgique. La femme, Ginetta Savatini était sa cousine .Habilement, le commissaire prêcha le faux pour connaître le vrai. Ce fut la femme qui tomba dans le piège. Le plus étonnant fut qu'il parlait du blessé de la plage et que la femme parlait d'un mort par accident au rez-de-chaussée. De fil en aiguille, il put reconstituer les dernières heures de la vie de Michael Look.

Ce futur mari n'avait probablement pas encore trouvé la suite de ses rêves le soir de son arrivée et il s'était trouvé dans l'obligation de louer une chambre pour la nuit. L'intérieur des terres étant moins onéreux, il s'était dirigé, au hasard, vers la maison de la rue de l'Eglise. Sans doute, y avait-il vu de la lumière et en avait-il profité pour demander une nuitée. Malheureusement, il était tombé sur Gino Savatini, recherché par la police anglaise. Ginetta avait salué Michael Look et lui avait annoncé qu'aucune pièce n'était libre dans le bâtiment mais qu'afin d'effacer le côté bourru de l'accueil, elle se ferait un plaisir de lui offrir un petit en-cas.
Gino Savatini avait subrepticement écrasé cinq comprimés de valium dans la cuisine et les avait mélangés à la vinaigrette de sa salade. Michael Look avait donc dégusté une salade spéciale du chef accompagné d'un vin capiteux. Les somnifères avaient dû le terrasser très rapidement. Ensuite ce fut un jeu d'enfant pour Gino Savatini de lui injecter une forte dose d'héroïne, de l'emballer dans un canot pneumatique non gonflé et de le déposer dans l'immeuble de Nathalie Brie. Celle-ci, aidée de cet homme, l'avait monté à l'étage et l'avait caché dans le sas par le truchement d'un tableau pivotant. Celui-ci était actionné par une touche de l'agenda électronique de Nathalie Brie. De plus, l'homme qui fuyait l'Anleterre avait promis qu'un camion de livraison de poissons viendrait chercher le paquet le lendemain via la terrasse.

Restait le problème de la disparition de Monsieur Lévigang mais au vu des révélations cumulées de la journée, le commissaire en accord avec le procureur ordonna une descente de police chez Monsieur Turlure, Monsieur Fullvoix, Monsieur Tortillani, Mademoiselle Brie et à la Marina.

Ces perquisitions surprises et les mandats d'amenée réussirent au-delà des prévisions.
- Chez le peintre, toiles, peintures et pinceaux ne devaient que jeter de la poudre aux yeux. Manifestement l'envers des chevalets servaient de tables de jeux.
- Chez le musicien, piano, contrebasses et tambours recelaient des cavités propices à la drogue
Monsieur Lévigang fut retrouvé à la Marina sous la bonne garde de …. Mademoiselle Nathalie Brie. Son calendrier éléctronique fut saisi.Lorsqu'elle apprit que le peintre et le musicien étaient sous les verrous, elle passa aux aveux. De plus, c'était elle qui devait vérifier que Monsieur Tortillani suivait bien les directives de son ami Marco.

Le commissaire perça le mystère des acheminements, devises, drogue et autres. Tout transitait par la banquette de Mademoiselle Brie, d'où l'importance de l'existence des terrasses. Le contenu en était relevé par le camion qui livrait le poisson au Casino, lequel possédait un passage en sous-sol qui conduisait à la Marina.Un employé de la Marina se chargeait de convoyer le tout en haute mer, à marée haute où des chalutiers prenaient la relève.

Monsieur Tortillani fut forcé d' avouer le chantage auquel il était soumis. Le visage défait, il demanda à Monsieur Peache ce qui lui avait mis la puce à l'oreille.
Monsieur Peache respira profondément et répondit:
  • Le côté statique de vos chiffres. Tous les nouveaux locataires payaient le même jour de chaque mois. Ils avaient tous le même expert. Leurs honoraires étaient donc tous pareils. Aucune réparation d'entretien n'était à affectuer. Aucune réclamation ni demande ne figuraient dans les dossiers des locataires. Vous avez oublié de les indexer, ce qui m'a effectivement permi un répérage plus rapide de sommes identiques. Ces chiffres semblaient immuables, sans vie.
Les arrestations n'étaient pas terminées mais pour Monsieur Péache, un nouveau gérant était à trouver ainsi que de nouveaux locataires . Pour le reste, la mise sur pied se ferait de Bruxelles.

La rover bleu clair des Péache quitta donc la mer. Une douce musique de Chopin achevait de détendre les occupants et c'est avec une gaieté toute naturelle qu'ils retrouvèrent leur foyer. La Z4 de Monsieur Lévigang était, quant à elle, restée devant l'immeuble de Nadia. Il avait une bonne nouvelle à lui annoncer. Si elle le désirait, elle pourrait rester dans son appartement, garder son loyer d'origine et peut-être d'autres choses encore…

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