Daniel Zink, Atelier de la nouvelle, Professeur Wim Toebosch
Le manteau des neiges
histoire cachée derrière un événement insolite
Sur un grand boulevard de Bruxelles, le soir, un
homme arrête sa Trabant à hauteur d'un passant. Il veut lui vendre un manteau de
fourrure et, s'exprimant longuement et difficilement, avec un fort accent slave,
lui parle d'une femme qui habite sans doute ses rêves. Le Bruxellois semble ne
rien saisir, mais reste là, fasciné par la blancheur lumineuse de la fourrure.
Soudain, il comprend le prix, en dollars, et éclate de rire. L'homme au manteau
veut poursuivre la discussion, se justifier, mais le passant s'éloigne en riant.
Les rues sont désertes à présent. 'C'est fini pour ce soir. Je n'y arriverai
jamais.' Vladimir Pavlenko, ancien chercheur d'or, est depuis des semaines face
à un grave dilemme. Il pressent que, tant qu'il reste en possession de ce
manteau, il est en danger. Mais il ne peut se résoudre à s'en séparer avant d'en
avoir tiré une forte somme d'argent. 'Jamais ils ne me croiront ici. Comment
leur faire comprendre que je dis la vérité? Ces peuples sont trop loin de leurs
légendes.'
Sur le chemin du retour, il repense à cette nuit en Sibérie. La neige épaisse
et pesante, les ombres bleues, le froid mordant. Il s'était perdu et était
arrivé en ce lieu o_ les glaces paraissaient étranges. Un instant il lui avait
semblé que le hasard ne pouvait être la cause de telles formations. Il avait cru
deviner comme une architecture dans ces formes blanches. Cela lui avait paru
absurde. Il était si loin de tout lieu habité. La lune, perdue dans une mer de
nuages sombres, n'éclairait que faiblement les alentours. Puis était arrivé ce
terrible blizzard qui l'avait forcé à rejoindre sa tente. Là avait trouvé refuge
l'homme qui lui avait vendu ce manteau de fourrure. C'était l'un des rares
trappeurs s'aventurant dans ces régions reculées.
Vladimir revoit les
regards anxieux qu'il jetait vers l'entrée, ses frissons - il ne parvenait pas à
se rechauffer - son départ précipité dans la tempête à peine calmée.
Le lendemain, Pavlenko avait recherché le lieu étrange de la veille. En vain.
Sans doute, quelques formes insolites, à la lumière de la lune, avaient attisé
son imagination. Il retrouva son chemin et, de retour à Tomsk, se rendit
directement chez Olga. Etait-ce l'éclat de la fourrure? Les contes de son
grand-père, dont le souvenir avait été ravivé par les glaces contemplées peu
avant le récit du trappeur? Vladimir ignore encore pourquoi il l'avait cru,
comment il avait pu donner tout son or contre ce manteau. Peu importe. Il avait
dit vrai.
Olga ne pouvait refuser ce présent. Qu'elle était belle, dansant
et riant dans la neige avec ce manteau magnifique. Une vraie reine des glaces.
Le sortilège dont parlait le trappeur avait opéré. Elle était à lui. Tout avait
été si beau jusqu'à leur venue.
Vladimir a atteint l'appartement o_ il loge. Celui-ci est situé au plus haut
point du plateau sur lequel s'étend cette commune du nord de la ville, de sorte
que, de la fenêtre de la chambre à coucher, on peut voir les routes qui partent
vers l'Est et le Septentrion.
Son repas terminé, il s'assied sur son lit.
Son regard se perd dans le lointain. Comme chaque soir, il guette le vaste ciel
de septembre.
Mais cette fois, le sommeil l'emporte avant que ne
disparaissent les derniers rayons du soleil.
Il rêve de cathédrales de glace
surgissant de la nuit sibérienne.
Quelques jours plus tard, la police trouve un homme mort gelé dans son
appartement, au beau milieu de ce mois de septembre ensoleillé.
"Si tu devines dans le ciel comme le fantôme d'une aurore boréale, aussi
éthéré qu'un rêve, tu sauras qu'ils sont arrivés." Ainsi avait parlé le vieux
prêtre, ce compagnon de son grand-père. Tous deux, leur vie durant, avaient
cherché des vérités à travers les brumes des mythes de leur peuple.
Le soir
o_, emportant le manteau, Vladimir avait fui vers une ville d'Occident, le
prêtre lui avait parlé d'une contrée légendaire, l'Hyperborée, perdue dans le
grand Nord, au-delà du vent du Nord.
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