Daniel Zink, Atelier du journalisme, Professeur Wim Toebosch


Exercices de style



Le fait en lui-même

Trois individus vont acheter quelque chose dans une boulangerie. Ils arrivent en même temps. La boulangère est pâle et porte un pantalon noir, un tablier rouge et une chemise blanche. Dans le présentoir il y a entre autres des lapins en chocolat et des oeufs en massepain, ainsi que des oeufs en chocolat enveloppés de papier doré. Derrière le comptoir se trouve un bébé. Entre lui et son hochet il y a une tasse de thé. Le bébé tend la main pour prendre le hochet et fait vaciller la tasse que la boulangère sauve de justesse.

Science-fiction

Voilà bien longtemps que je n'étais pas sorti. Pour la première fois en vingt ans - ou peut-être trente? - ma concierge n'avait pas pu faire mes courses, en raison d'une maladie qui la clouait au lit. Aussi avais-je dû interrompre la lecture de mes romans de science-fiction, pour sortir dans la rue.
Beaucoup de choses me paraissaient étrangères ou hostiles. Mais j'étais - ou plutôt croyais être - habitué aux univers hostiles.
La première chose qui m'avait frappé était le peu de variété dans la couleur de la peau des terriens: deux, trois couleurs tout au plus; une sorte de blanc, un noir, et peut-être un rouge très vague. N'y avait-il pas aussi, dans mon souvenir, du bleu ciel et du vert glauque?
Je ne me rappelais pas non plus qu'il y avait de telles différences de taille entre les terriens. Certains individus n'arrivaient parfois qu'à l'épaule des plus grands! Je crus me souvenir alors d'un processus appelé la croissance. Mais j'avais oublié qu'il partait de si bas.
Alors que j'allais traverser la rue, une voiture faillit m'écraser le pied. Elle avait encore des roues! Nous étions pourtant bien en 1996, me semblait-il.
J'attaignis enfin mon objectif et là, je fus très effrayé. Je devais avoir traversé une porte dimensionnelle. A quelques mètres de moi remuait une créature minuscule, à l'aspect repoussant. Elle était chauve, étrangement proportionnée et produisait des bruits inquiétants. Plusieurs terriens se trouvaient dans la pièce. L'un d'eux regardait, bouche bée, tantôt le spécimen, tantôt la terrienne qui était la plus proche de ce dernier. Il semblait que les autres n'avaient pas encore aperçu la chose. Elle se trouvait en effet dans un coin sombre, assez dissimulée.
Soudain, elle tourna vers moi des globes oculaires d'une couleur indéfinissable, découvrant un faciès bouffi et hagard qui me glaça le sang. Elle tendit ensuite un tentacule vers un objet posé non loin d'elle. Sans que je puisse tout de suite savoir pourquoi, cet objet éveillait en moi une grande crainte. Puis, je compris: c'était cela; il devait s'agir d'un type de pistolet laser rare et très sophistiqué. Je fus terrorisé. La terrienne la plus proche de la créature sembla alors prendre conscience de sa présence. Elle se précipita, sans doute pour l'empêcher de s'emparer de l'arme. J'ignore ce qui advint, car ayant réussi à vaincre la paralysie due à la peur, je plongeai vers la porte dimensionnelle que je réussis, heureusement, à franchir à nouveau.

Esotérique

Moi, Augustin Fro, voyant, guérisseur, expert en magie blanche, Fro, Mage blanc, de mon titre d'initié, quittai, ce matin du 7 avril de l'an de grâce 1996, mon domicile de la rue de l'Eglise, pour me rendre à la prochaine boulangerie.
J'avais depuis longtemps déjà le pressentiment que, bien souvent, nos rencontres ne sont pas dues au hasard, que nos pas sont parfois guidés. Oui, guidés. Par une intelligence règnant sur l'univers, et dont il nous faut partout décrypter l'écriture arcanique.
Mais en cette matinée mystique, mon pressentiment se transforma en certitude.
Une fois en ce lieu, il ne me fallut pas longtemps pour deviner qu'à tout moment l'illumination pouvait se faire en moi. Dans cette seule boulangerie - que dis-je, dans ce centre initiatique camouflé - tout était réuni: le lapin et les oeufs dorés, symboles de l'esprit des mondes et des manifestations qu'il porte en puissance; le nouveau-né, évoquant évidemment l'Enfant Jésus, et, devant lui, ce calice. Le Graal, bien sûr!
Et, élément essentiel, les couleurs des vêtements de la soi-disante boulangère: ce pantalon noir, ce tablier rouge, ce chemisier blanc, ce teint pâle ... C'était-elle! C'était la déesse blanche! L'ultime divinité des Celtes, l'objet de la quête des poètes, qui m'apparaissait ici, au coeur de Bruxelles!
Il m'a fallu un certain temps pour commencer à discerner les liens mystérieux qui existaient entre ces différentes entités. La scène qui se déroula bientôt, peut-être un rite hermétique, me fit appara&iacirc;tre de précieuses pistes. L'enfant se pencha vers le Graal, jusqu'à se refléter en ses eaux. Bien sûr! Dieu contemplant l'indistinction primordiale d'o_ il s'apprête à tirer une nouvelle création! Il tendit alors la main vers un objet étrange, évoquant une croix de vie, sans doute nécessaire à l'accomplissement de son alchimie. Et ce faisant, horreur, il fit vaciller le Graal, qui allait se briser sur le sol, symbole funeste et lourd de présages ténébreux. Mais non, la déesse blanche s'était précipitée et sauva le précieux calice. L'une des personnes présentes ne put contempler plus longtemps cet événement divin et se précipita vers la porte. C'en était trop pour un non-initié. Une femme, à côté de moi, resta sto Tout commençait à s'éclairer: la divinité celtique qui sauve le Graal des Chrétiens... Cette divinité qui ne fait qu'un avec la Sainte Vierge... Le Christianisme et les traditions pa J'avais imprimé dans mon esprit chaque détail de cette scène et, de retour dans ma bibliothèque, je me mis immédiatement à l'oeuvre.
Voilà six mois que j'ai commencé mon travail de déchiffrage, et je pressens que je suis sur le point de percer des secrets essentiels...

Terre à terre

Bon, il y a quelque chose de neuf aujourd'hui? Pouah! Les oeufs en massepain! Je me sens mal, rien qu'à imaginer leur goût. Et ces lapins de pâques, qu'est-ce qu'ils peuvent être kitsch! Et... Quoi? Cent balles pour ces saletés? C'est la dernière fois que je mets le pied dans cette échoppe pourrie.
Et puis, comment elle est fringuée, elle? On dirait qu'elle veut aguicher les hommes. Tiens, ça a l'air de marcher sur l'hurluberlu avec sa barbe de père Noël. Il la quitte pas des yeux. Vieux vicelard!
En v'là un autre... Non, mais quelle tronche. Il est plus blanc qu'un zombie moisi.
Eh, mais! Je l'avais pas vu, le lardon! Laisser un bébé à un mètre du sol! Tous les mêmes, ces jeunes. Je le vois d'ici s'écraser au milieu des débris tranchants de la tasse.
Ça y est! Qu'est-ce que j'disais! ... La tasse a failli y passer. Et qu'est-ce qui lui prend, à l'autre? Il a failli défoncer la porte. Pauv' taré! Bon, qu'est-ce qu'il nous fait, le barbu avec son air d'allumé? Il choisit ou il attend le jugement dernier?


Le present texte est protégé par le droit d'auteur et ne peut être diffusé ailleurs sans autorisation.